Revue d'Evidence-Based Medicine



Le biais de l’industrie



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 1 Page 1 - 1

Professions de santé


 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Influence de la sponsorisation sur les résultats et conclusions des études

L’impact possible de la sponsorisation d’une recherche sur la publication de ses résultats, sur les résultats et sur les conclusions de l’étude a déjà été épinglé dans la revue Minerva (1).

Les résultats sont plus souvent favorables au nouveau médicament, dans les études dans le domaine de la psychiatrie, quand l’étude est financée par le producteur du nouveau médicament. Les conclusions des études financées par des institutions à but lucratif sont également plus souvent positives pour le nouveau médicament dans différents domaines thérapeutiques. Les effets indésirables sont moins souvent mentionnés dans les études sponsorisées. Pour les méta-analyses, un financement par l’industrie est également lié à des conclusions plus favorables.

Une nouvelle synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (2), mise à jour d’une précédente synthèse mais avec une méthodologie encore plus stricte, a réévalué l’influence de la sponsorisation sur les études concernant les médicaments et les dispositifs médicaux. Ont été incluses, les études transversales, de cohorte, les synthèses méthodiques et les méta-analyses comparant de façon quantitative les études de recherches primaires, financées par l’industrie ou par d’autres sources. Les auteurs retiennent 48 publications dont ils estiment que le risque de biais est en général non élevé (sauf pour le contrôle des biais dans les publications-mêmes). Pour les résultats en termes d’efficacité, la sommation des résultats de 14 publications (1 588 études originales) montre un Rapport de Risque de 1,24 (avec IC à 95 % de 1,14 à 1,35 et test I² de 35 %), résultats donc plus favorables pour les études sponsorisées par l’industrie. Il en va de même pour les résultats en termes d’effets indésirables (3 publications, 561 études originales), plus favorables au médicament sponsorisé (RR de 1,87 avec IC à 95 % de 1,54 à 2,27). Les comparaisons pour l’ampleur d’effet montre des résultats discordants. Les conclusions des études sont également plus favorables (RR de 1,31 avec IC à 95 % de 1,20 à 1,44). Il faut souligner une moins bonne concordance entre les résultats et les conclusions (5 publications, 667 études originales) dans les études sponsorisées par les firmes (RR de 0,84 avec IC à 95 % de 0,70 à 1,01). Les études concernant les dispositifs médicaux sont rares mais les comparaisons ne sont pas différentes.

Un aspect original de cette synthèse est une comparaison supplémentaire entre deux produits pour lesquels il est possible de comparer des études financées par les firmes de chacun des deux produits. La comparaison est alors plus adéquate, avec des méthodologies d’étude similaires. Seules deux recherches (131 études toutes sponsorisées par les firmes)  avec des médicaments (statines et thiazolidinediones) ont été trouvées. Elles montrent des résultats plus favorables pour le médicament évalué que pour le contrôle quand les études sont financées par la firme du médicament à évaluer versus études financées par le médicament de contrôle. Il en va de même pour les conclusions des études (3 recherches, 154 études, avec des statines, antipsychotiques et thiazolidinediones).

 

Par quel biais ?

Les auteurs de cette synthèse cherchent des explications à ces constatations. Le risque de biais plus fréquents dans les études sponsorisées ne peut être retenu ; c’est plutôt l’inverse qui est constaté. L’importance de l’échantillon inclus n’explique pas les différences. Celles-ci sont plutôt liées à des différences de protocole, de réalisation d’étude et de rapport des résultats. Différentes publications ont montré dans les études sponsorisées par les firmes versus les autres, par exemple, un choix d’un traitement comparateur moins efficace, à dose proportionnellement inférieure, administré non correctement. L’encodage des données ou leur analyse n’a pas été correct, une mention sélective des critères favorables a été faite, une non publication des études avec résultats non favorables a été constatée, une recherche favorable a fait l’objet de multiples publications. Les auteurs de cette synthèse concluent qu’un biais de l’industrie n’est pas pris en compte lors d’une évaluation des risques de biais classiques.

 

Pour les guides de pratique ?

Cette influence des firmes pharmaceutiques sur les publications peut également s’étendre aux guides de pratique, via un financement déclaré ou non, et/ou via des conflits d’intérêt. Certains éditorialistes vont jusqu’à considérer que les guides de pratique sont devenus des outils de marketing pour les fabricants de dispositifs médicaux et de médicaments (3). Le comité exécutif du guide de pratique de l'American College of Chest Physicians a proposé une stratégie dans ce domaine, stratégie comprenant 3 aspects innovants (4). Il s’agit tout d’abord d’insister tant sur les conflits intellectuels que sur les conflits financiers en fixant des critères précis pour les 2 types de conflits. En deuxième lieu, ce comité propose qu’un méthodologiste sans conflit d’intérêt important ait la responsabilité première de chaque chapitre. En troisième lieu, des experts ayant des conflits d’intérêt intellectuels ou financiers importants peuvent collecter et interpréter les preuves mais seuls les membres du panel sans conflits importants peuvent être impliqués dans l’élaboration des recommandations pour une question spécifique. Un tel processus pourrait être proposé plus largement dans l’ensemble des publications de recherches médicales.

Dans toutes ses analyses de texte, la revue Minerva mentionne le financement et les conflits d’intérêt liés à la publication analysée. Le présent éditorial souligne l’importance potentielle de ces deux éléments sur les résultats et sur les conclusions des études et la vigilance accrue nécessaire pour évaluer un risque de biais de l’industrie.

 

Références

  1. Chevalier P. Confiance et finances. [Editorial] MinervaF 2008;7(6):81.
  2. Lundh A, Sismondo S, Lexhin J, et al. Industry sponsorship and research outcome (Review). Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12.
  3. Shaneyfelt TM, Centor RM. Reassessment of clinical practice guidelines: go gently into that good night. [Editorial] JAMA 2009;301:868-9.
  4. Guyatt G, Akl EA, Hirsh J, et al. The vexing problem of guidelines and conflict of interest: a potential solution; Ann Intern Med 2010;152:738-41.
Le biais de l’industrie

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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