Revue d'Evidence-Based Medicine



Antihypertenseurs et survenue de diabète : des différences entre eux ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 1 Page 4 - 5

Professions de santé


Analyse de
Elliott WJ, Meyer PM. Incident diabetes in clinical trials of antihypertensive drugs: a network meta-analysis. Lancet 2007;369:201-7.


Question clinique
Certaines classes d’antihypertenseurs peuvent-elles être considérées comme diabétogènes, ou, a contrario, d’autres peuvent-elles prévenir la survenue d’un diabète ?


Conclusion
Cette méta-analyse ne montre finalement pas de différence statistiquement significative pour la survenue d’un diabète entre différents traitements antihypertenseurs : IEC, sartans, antagonistes calciques, bêta-bloquants et placebo. Seuls les diurétiques montrent une faible augmentation du risque. A défaut d’études probantes, protocolées pour juger le risque de survenue d’un diabète de type 2 sous traitement antihypertenseur, diurétique particulièrement, avec évaluation des implications cliniques éventuelles, les guides de pratique belges et les conclusions de la conférence de consensus restent d’application : les diurétiques thiazidiques à faible dose restent un premier choix en cas d’hypertension essentielle non compliquée. En cas de diabète de type 2 sans néphropathie, les diurétiques thiazidiques à faible dose restent, aux côtés des IEC (ou des sartans en cas d’intolérance aux IEC) un traitement de premier choix.


 

Résumé

Contexte

Malgré la parution de quatre méta-analyses « classiques » indépendamment l’une de l’autre, montrant que les médicaments antihypertenseurs agissant sur le système rénine-angiotensine diminuent l’incidence de survenue d’un diabète, une hétérogénéité non acceptable apparaît dans les comparaisons entre inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans). Les observations issues de RCTs et de méta-analyses qui montreraient une incidence accrue de diabète avec les diurétiques et les bêta-bloquants se situent dans un même contexte d’hétérogénéité (1).

 

Méthodologie

Méta-analyse en réseau

 

Sources consultées

  • MEDLINE, Cochrane Library, OvidWeb (de 1966 à septembre 2006)
  • listes de références des études.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs à long terme évaluant des antihypertenseurs chez des patients initialement non diabétiques, enregistrant les nouveaux cas de diabète
  • inclusion : 22 RCTs
  • exclusion : 8 RCTs incluant initialement des diabétiques, 43 ne mentionnant pas clairement l’incidence de nouveaux cas, 4 en vertu d’une publication double et 3 en fonction de leur protocole particulier.

 

Population concernée

  • 143 153 sujets
  • caractéristiques anthropométriques et démographiques non rapportées.

 

Mesure des résultats

  • nombre de sujets développant un diabète sous traitement antihypertenseur
  • ni description ni standardisation des critères de diagnostic du diabète.

 

Résultats

Survenue de diabète : Odds ratios avec le groupe diurétiques comme référence:

 

 

OR

IC à 95%

valeur p

Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans)

0,57

 

0,46 à 0,72

<0,0001

 

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC)

0,67

 

0,56 à 0,80

< 0,0001

 

Antagonistes calciques

0,75

 

0,62 à 0,90

0,002

 

Placebo

0,77

 

0,63 à 0,94

0,009

 

Bêta-bloquants

0,90

 

0,75 à 1,09

0,30

 

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent qu’en prenant un traitement par diurétiques comme référence, il y a significativement moins de survenue de diabète sous sartans et IEC, et, ensuite, antagonistes calciques puis placebo, sans différence significative pour les ß-bloquants.

 

Financement

National Institutes of Health

 

Conflits d’intérêt

Le premier auteur a reçu des honoraires et des subsides de recherche de plusieurs firmes pharmaceutiques et le deuxième a bénéficié de paiements pour consultance de la firme Takeda.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs commencent par tracer une trame unissant les différentes études comparant les mêmes antihypertenseurs, entre eux ou versus placebo. Une méta-analyse classique est ensuite réalisée avec comme critère de jugement la survenue d’un diabète. Le critère de jugement (diabète) n’est mentionné comme tel que dans une seule étude (l’étude DREAM (3)), et en tant qu’effet indésirable parmi les autres dans la plupart des études. Les auteurs mentionnent l’existence d’une hétérogénéité dans la méta-analyse initiale sans en préciser le calcul. Lors d’une étape ultérieure, les Risques Relatifs obtenus sont testés quant à leur « incohérence » suivant le programme de Thomas Lumley (2) pionnier de cette nouvelle méthode d’analyse statistique (4). Une évaluation de l’incohérence ou de la dissemblance des études est réalisée. Les auteurs obtiennent un ω=0.00017, valeur très basse plaidant pour une bonne consistance interne des paramètres choisis.

Le lecteur et clinicien attentif se pose quand même quelques questions. Différentes méta-analyses classiques reprises dans cette publication, première étape pour réaliser une méta-analyse en réseau, montrent une hétérogénéité significative. Comment n’apparaît-elle pas dans la mesure de l’incohérence ? La définition diagnostique du diabète sucré n’est pas du tout standardisée. Certaines études sont basées sur la seule déclaration du patient (HOPE), la plupart sur une détermination de la glycémie à jeun et sporadiquement sur une épreuve d’hyperglycémie orale provoquée (EHOP). Les valeurs seuils pour le diagnostic du diabète ont, de plus, varié dans le décours des études. Quel est l’apport de la mesure de cette « incohérence » ? Les auteurs admettent qu’il s’agit d’une nouvelle méthode statistique et que, pour cette raison, les valeurs de référence pour ce paramètre sont encore à fixer.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats observés dans cette étude peuvent être exprimés différemment. La référence pourrait être l’effet du placebo sur la survenue d’un diabète, d’autant plus que l’incidence de diabète dans une population de patients hypertendus est importante. Les auteurs mentionnent bien ces calculs, sans les mettre en exergue (pas de graphique, pas de mention dans le résumé). Dans cet abord des résultats, aucune différence significative n’est observée pour la survenue d’un diabète entre le groupe placebo et les groupes IEC, sartans ou même bêta-bloquants ! Seul, le groupe de patients traités initialement par des diurétiques montre un risque légèrement accru (OR 1,30 ; IC à 95% de 1,07 à 1,58 ; p=0,009) et celui des sujets sous sartans donne un risque légèrement diminué (OR 0,75 ; IC à 95% de 0,61 à 0,91 ; p=0,003) pour la survenue d’un diabète.

 

Valeur d’hypothèse

Cette méta-analyse en réseau, avec les réserves précitées au point de vue méthodologique, peut tout au plus confirmer qu’un médicament du système rénine-angiotensine-aldostérone a une influence plus favorable sur le métabolisme glucidique qu’un diurétique. L’étude DREAM (3) qui évalue, sur 3 ans, un traitement par IEC (ramipril) chez 5 269 patients à risque cardiovasculaire bas, mais avec EHOP pathologique, en termes de prévention du diabète et des décès comme critères primaires. Elle est également incluse dans la présente méta-analyse, même si la plupart de ses participants sont normotendus. Cette RCT ne montre pas de diminution significative de l’incidence de diabète, ni de décès ; elle note cependant une régression plus fréquente vers une normoglycémie sous ramipril (critère secondaire ; OR 1,16 ; IC à 95% de 1,07 à 1,27 ; p=0,0001). Si le ramipril a un effet favorable sur le métabolisme glucidique, celui-ci est limité et ne se traduit pas, sur une durée restreinte de 3 ans, par un bénéfice en termes d’événements cardiovasculaires ou de décès. Rappelons aussi, dans ce contexte, la méta-analyse en réseau de Psaty (4) (n=192 478). Celle-ci n’évalue pas précisément le risque de survenue d’un diabète ; l’évaluation des résultats pour les critères forts montrent que cette éventuelle survenue n’influencerait que légèrement ou pas du tout les résultats cliniques. Dans l’étude ALLHAT (5,6) également, les diurétiques préviennent les incidents coronariens et l’infarctus non fatal aussi bien chez les diabétiques que chez les autres. Verdecchia (7) a publié les résultats d’une étude de cohorte de 795 patients hypertendus, naïfs de traitement antihypertenseur, dont 6,5% de diabétiques au départ. Après environ 6 ans, 5,8% des personnes développent un diabète nouveau sous antihypertenseur, soit 53,5% des personnes sous diurétique et 30,4% des sujets sans diurétique (p=0,004). La glycémie initiale et un traitement diurétique semblent deux variables explicatives. Il reste à savoir si ce diabète survenu sous traitement est aussi à risque de provoquer des événements cardiovasculaires. D’autre part, les diurétiques à faible dose n’influencent pas défavorablement les critères cardiovasculaires primaires, au contraire. Les études individuelles sont cependant de trop courte durée et non protocolées pour évaluer ce critère ; une évaluation correcte reste indispensable. Qu’un traitement antihypertenseur avec un sartan apporte une réduction de l’incidence de diabète est une intéressante hypothèse mais reste à confirmer. 

 

Conclusion

Cette méta-analyse ne montre finalement pas de différence statistiquement significative pour la survenue d’un diabète entre différents traitements antihypertenseurs : IEC, sartans, antagonistes calciques, bêta-bloquants et placebo. Seuls les diurétiques montrent une faible augmentation du risque. A défaut d’études probantes, protocolées pour juger le risque de survenue d’un diabète de type 2 sous traitement antihypertenseur, diurétique particulièrement, avec évaluation des implications cliniques éventuelles, les guides de pratique belges et les conclusions de la conférence de consensus restent d’application : les diurétiques thiazidiques à faible dose restent un premier choix en cas d’hypertension essentielle non compliquée. En cas de diabète de type 2 sans néphropathie, les diurétiques thiazidiques à faible dose restent, aux côtés des IEC (ou des sartans en cas d’intolérance aux IEC) un traitement de premier choix.

 

 

Références

  1. Elliott WJ. Differential effects of antihypertensive drugs on new-onset diabetes? Curr Hypertens Rep 2005;7:249-56.
  2. Thomas L. Network meta-analysis for indirect treatment comparisons. Statist Med 2002;21:2313-24.
  3. Bosch J, Yusuf S, Gerstein HC, et al; DREAM Trial Investigators. Effect of ramipril on the incidence of diabetes. N Engl J Med 2006;355:1551-62.
  4. Psaty BM, Lumley T, Furberg CD, et al. Health outcomes associated with various antihypertensive therapies used as first-line agents: a network meta-analysis. JAMA 2003;289:2534-47.
  5. The ALLHAT Officers and Coordinators for the ALLHAT Collaborative Research Group. Major outcomes in high-risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs diuretic. The Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to prevent Heart Attack Trial (ALLHAT). JAMA 2002;288:2981-97.
  6. De Cort P. L'étude ALLHAT: les diurétiques en premier choix pour traiter l'hypertension artérielle. MinervaF 2003;2(5):73-6.
  7. Verdecchia P, Reboldi G, Angeli F, et al. Adverse prognostic significance of new diabetes in treated hypertensive subjects. Hypertension 2004;43:963-9.
Antihypertenseurs et survenue de diabète : des différences entre eux ?



Ajoutez un commentaire

Commentaires