Revue d'Evidence-Based Medicine



Chirurgie conservatrice versus mastectomie radicale



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 2 Page 22 - 24

Professions de santé


Analyse de
Veronesi U, Cascinelli N, Mariani L et al. Twenty-year follow-up of a randomized study comparing breast-conserving surgery with radical mastectomy for early breast cancer. N Engl J Med 2002;347:1227-32.


Question clinique
La chirurgie conservatrice du sein est-elle aussi efficace que la mastectomie radicale en cas de cancer du sein invasif ?


Conclusion
Cette étude,avec un suivi de 20 ans,montre que la chirurgie conservatrice du sein est au moins aussi efficace que la mastectomie totale chez des femmes présentant un cancer du sein invasif. La chirurgie conservatrice est, pour ce motif, le traitement de choix. En cas de tumeur de taille plus importante ou de volume mammaire moindre, une chirurgie conservatrice avec reconstruction partielle peut garantir un bon résultat oncologique et esthétique. La radiothérapie postopératoire est nécessaire dans tous les cas pour obtenir une diminution significative du risque de récidive locorégionale.


 

Résumé

Contexte

Jusqu’en 1973, la mastectomie radicale selon Hallsted était le traitement de premier choix pour le cancer du sein, indépendamment de la taille et du type de tumeur et quel que soit l’âge de la patiente. Une RCT a été initiée à cette époque, comparant chirurgie conservatrice (quadrantectomie) et mastectomie radicale. Des données préliminaires suggéraient l’absence de différence de survie 1.

Population étudiée

Entre 1973 et 1980, 701 femmes présentant un cancer du sein d’un diamètre clinique inférieur à 2 centimètres et sans ganglions lympathiques axillaires palpables (T1N0) ont été recrutées. Ont été exclues : les femmes de plus de 70 ans, avec une anamnèse de cancer et un carcinome in situ à la biopsie. Les deux groupes d’étude sont semblables du point de vue statut ménopausique (> 50 % en préménopause), localisation de la tumeur, nombre de ganglions axillaires et biopsies du sein précédemment réalisées. Des informations précises sur la taille de la tumeur font défaut pour 53 patientes (22 dans le groupe mammectomie radicale et 31 dans le groupe chirurgie conservatrice). L’âge moyen est de 51 ± 10,1 ans (pour la chirurgie radicale) et 50 ± 10,4 ans (pour la chirurgie conservatrice).

Protocole d’étude

Les patientes sont réparties au hasard, soit dans un groupe de femmes traitées par mastectomie radicale et curetage axillaire selon Hallsted (n = 349), soit dans un groupe avec tumorectomie avec marge large en tissu sain (1,5 à 2 cm) et prélèvements axillaires avec radiothérapie du tissu lymphatique persistant (n = 352). Une stratification selon le statut ménopausal a été faite. Depuis 1976, les femmes avec ganglions axillaires positifs ont également reçu une chimiothérapie selon le schéma CMF classique, dans les deux groupes. Durant les dix premières années, les femmes ont bénéficié d’un examen clinique trimestriel et, annuellement, d’une mammographie, d’une échographie du foie et de radiographies osseuse et pulmonaire. Après 10 ans, une mammographie annuelle était réalisée, ainsi que d’autres examens selon indication clinique.

Mesure des résultats

Une incidence cumulative et un taux d’incidence est calculé pour les deux groupes de traitement reprenant les récidives ipsilatérales, le cancer du sein controlatéral, les métastases et d’autres tumeurs primaires. Pour les deux groupes également, une courbe de survie selon Kaplan-Meierest calculée. Une estimation de la cause spécifique des décès est également faite.

Résultats

Le suivi moyen est de 20 ans. Seules trois femmes ont été perdues de vue. Dans le groupe chirurgie conservatrice, 30 patientes ont présenté une récidive ipsilatérale versus 8 dans le groupe mastectomie radicale. L’incidence cumulée à 20 ans est, respectivement, de 8,8 % ± 3,2 et de 2,3 % ± 0,8 (p < 0,001) (voir tableau), soit un taux d’incidence de 0,63 versus 0,17 pour cent années-femmes. Un tiers (n = 10) des 30 récidives locales se situe au niveau de la cicatrice et doit donc être considéré comme une récidive réellement locale. Les 20 autres se sont développées dans d’autres quadrants et sont considérées comme des deuxièmes carcinomes ipsilatéraux. À vingt ans, aucune différence significative entre les groupes chirurgie conservatrice et mastectomie radicale n’est observée dans l’incidence cumulative de cancer du sein controlatéral, de deuxième cancer primaire et de métastases à distance. Aucune différence également pour la mortalité totale (41,7 % versus 41,2 % ; p = 1,0) ni pour la mortalité liée au cancer du sein (26,1 % versus 24,3 % ; p = 0,8).

 

Tableau : Incidence cumulée (% de cas après 20 ans de suivi) de récidive ipsilatérale, de cancer du sein controlatéral, de métastase à distance et de deuxième cancer primaire dans le groupe chirurgie conservatrice versus groupe mastectomie radicale (valeur p).

 

Groupe chirurgie conservatrice

(n = 352)

Groupe mastectomie radicale

(n = 349)

Valeur p

Récidive ipsilatérale

8,8

2,3

< 0,001

Carcinome controlatéral

8,7

10,2

0,5

Métastases à distance

23,3

24,3

 

Deuxième cancer primaire

9,1

8,8

0,9

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que la chirurgie conservatrice suivie de radiothérapie est le traitement à recommander pour les femmes présentant un cancer du sein, à condition que les marges de résection ne soient pas en tissu tumoral et que le résultat soit acceptable au point de vue esthétique.

Financement

L’étude est financée par l’Association Italienne de la Recherche pour le Cancer.

Conflits d’intérêt

Ils ne sont pas mentionnés dans l’article.

 

Discussion

Récidives

Un suivi à long terme de patientes ayant subi une chirurgie conservatrice du sein est certainement indispensable pour pouvoir mettre en évidence d’éven-tuelles conséquences défavorables à long terme de cette technique. Cet article est donc, pour ce motif, particulièrement important. Il conforte l’opinion de nombreux cliniciens : la survie spécifiquement liée au cancer du sein est indépendante du caractère radical ou non de la chirurgie, mais est plutôt liée à l’exten-sion systémique de la pathologie. Le taux de récidive ipsilatéral plus élevé en cas de chirurgie conservatrice ne doit pas nous étonner et est un phénomène connu. Les facteurs de risque de récidive locale sont le jeune âge, la taille de la tumeur et son grade de différentiation, les marges de résection et le nombre de ganglions axillaires envahis. Si l’on prend uniquement en considération les vraies récidives locales (localisées dans le lit tumoral originel), un ratio de 0,21 pour 100 années-femmes de suivi est observé dans le groupe chirurgie conservatrice versus 0,17 dans le groupe mammectomie, des résultats qui paraissent beaucoup plus proches. Ceci suggère que la radiothérapie post-opératoire après chirurgie conservatrice est efficace pour traiter des tumeurs multicentriques, mais non pour prévenir la survenue de nouvelles tumeurs. Dans cette étude, aucune comparaison n’est faite concernant les récidives locales entre le groupe qui n’a reçu aucune chimiothérapie et le groupe des patientes traitées par chimiothérapie CMF adjuvante. Nous ne connaissons également pas la taille de ce dernier sous-groupe ; il est donc difficile, dans ce contexte, de tirer des conclusions quant à l’efficacité de cette chimiothérapie. Il est cependant généralement admis que l’efficacité de la chimiothérapie sur le risque de récidive local est minime. Une autre étude réalisée par le même groupe a montré une incidence de récidive locale après CMF de 11,6 % par rapport à 14,5 % chez des femmes non traitées, une différence qui semble non significative 2. La thérapie hormonale adjuvante présente des résultats semblables 3.

Rôle de la radiothérapie

Les résultats de l’étude de Veronesi et collaborateurs sont confortés par l’étude NSABP-06 qui ne montre également pas de différence significative au point de vue survie entre mastectomie, tumorectomie et tumorectomie suivie de radiothérapie 4. Il semble, à nouveau, que la chirurgie radicale permet de diminuer significativement le nombre total de récidives locorégionales. Cette étude montre cependant l’importance d’une radiothérapie adjuvante après chirurgie conservatrice. L’incidence cumulée de récidives ipsilatérales atteint 39,2 % après tumorectomie versus 14,9 % si elle est suivie d’une radiothérapie (p < 0,001). Les mêmes chercheurs ont pu démontrer que cette observation est valable non seulement pour les tumeurs invasives, mais également pour le carcinome ductal in situ (DCIS). Ils ont pu montrer une survie moyenne sans pathologie à 5 ans, de 73,8 % pour les patientes traitées pour DCIS par tumorectomie versus 84,4 %

pour un traitement par tumorectomie et radiothérapie 5. Il a également été entre-temps démontré que la chirurgie conservatrice du sein suivie d’une radiothérapie avait acquis une place dans le traitement du cancer du sein tant invasif qu’in situ, en raison de la meilleure qualité de vie, du résultat esthétique supérieur et sans que cette technique ne porte préjudice à la survie de la patiente. Il faut insister sur le fait que la radiothérapie adjuvante fera cependant, à quelques exceptions près, partie inhérente du traitement. Les patientes doivent également être informées du fait qu’une chirurgie conservatrice comporte un risque plus élevé de récidive locorégionale, mais que la sur-venue d’une telle récidive n’influence pas les chances de survie. Les conséquences possibles de la radiothérapie, telles que fibrose, pneumonie, plexite, carcinogenèse et cardiomyopathie doivent également faire partie de la discussion.

 

Recommandations pour la pratique

Cette étude, avec un suivi de 20 ans,montre que la chirurgie conservatrice du sein est au moins aussi efficace que la mastectomie totale chez des femmes présentant un cancer du sein invasif. La chirurgie conservatrice est, pour ce motif, le traitement de choix. En cas de tumeur de taille plus importante ou de volume mammaire moindre, une chirurgie conservatrice avec reconstruction partielle peut garantir un bon résultat oncologique et esthétique. La radiothérapie postopératoire est nécessaire dans tous les cas pour obtenir une diminution significative du risque de récidive locorégionale.

La rédaction

 

Références

  1. Fisher B, Anderson S, Redmond CK, et al. Reanalysis and results after 12 years of follow-up in a randomized clinical trial comparing total mastectomy and lumpectomy with or without irradiation in the treatment of breast cancer. N Engl J Med 1995;333:1456-61.
  2. Bonnadonna G, Valagussa P, Rossi A. Ten years experience with CMF-based adjuvant chemotherapy in resectable breast cancer. J Clin Oncol 1987;5:1771.
  3. Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group. Systemic treatment of early breast cancer by hormonal, cytotoxic, or immune therapy. Lancet 1992;339:71-85.
  4. Fisher B, Anderson S, Bryant J, et al. Twenty years follow-up of a randomized trial comparing total mastectomy, lumpectomy and lumpectomy plus irradiation for the treatment of invasive breast cancer. N Engl J Med 2002;347:1233-41.
  5. Fisher B, Constantino J, Redmond C, et al. Lumpectomy compared with lumpectomy and radiation therapy for the treatment of intraductal breast cancer. N Engl J Med 1993;328:1581-6.
Chirurgie conservatrice versus mastectomie radicale



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