Revue d'Evidence-Based Medicine



Anastrozol et tamoxifène pour traiter le cancer du sein



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 2 Page 20 - 22

Professions de santé


Analyse de
The ATAC (Arimidex, Tamoxifen Alone or in Combination) Trialist’s Group. Anastrozole alone or in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone for adjuvant treatment of postmenopausal women with early breast cancer : first results of the ATAC randomized trial. Lancet 2002;359:2131-9.


Question clinique
L’anastrozol est-il au moins aussi efficace que le tamoxifène comme traitement adjuvant du cancer du sein primaire, chez les femmes ménopausées ? Présente-t-il des avantages au point de vue sécurité ? Existe-t-il un intérêt à l’associer au tamoxifène ?


Conclusion
Cette étude montre que l’anastrozol est efficace et bien toléré comme traitement adjuvant du cancer du sein chez la femme ménopausée. Les données d’efficacité et de sécurité pour une utilisation prolongée (plus de cinq ans) sont cependant encore insuffisantes. Pour le traitement du cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs chez la femme ménopausée, le tamoxifène reste le premier choix. L’anastrozol est conseillé en cas de contre-indication du tamoxifène.


 

Résumé

Contexte

L’anastrozol est un des nouveaux inhibiteurs de l’aro-matase qui inhibe la transformation de l’androstène-dione en œstradiol sous l’action de l’enzyme aromatase, dans les tissus périphériques. Pour le cancer du sein métastasé, les inhibiteurs de l’aromatase sont au moins aussi efficaces que le tamoxifène, mais ils présentent l’avantage de provoquer moins d’effets indésirables.

Population étudiée

Sont incluses dans cette étude, des femmes ménopausées présentant un cancer du sein primaire, invasif, prouvé histologiquement et pour lequel il existe, après la chirurgie et la chimiothérapie, une indication de traitement hormonal adjuvant. Les patientes présentant des métastases, une anamnèse de cancer, une comorbidité sévère et celles qui souhaitent poursuivre une hormonothérapie substitutive sont exclues. La moyenne d’âge des femmes incluses est de 64 ans. Parmi celles-ci, 63 % ont une tumeur inférieure à 2 cm, 60 % des ganglions lymphatiques négatifs et 84 % une tumeur avec récepteurs hormonaux positifs.

Protocole d’étude

Cette étude multicentrique randomisée, en double aveugle, est réalisée dans 23 centres dispersés dans le monde entier. Les 9 366 patientes sont randomisées en trois groupes : anastrozol et placebo (n = 3 125), tamoxifène et placebo (n = 3 116) et combinaison d’anastrozol et de tamoxifène (n = 3 125). Les femmes sont examinées tous les six mois pendant les cinq premières années et annuellement ensuite.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont la survie sans maladie (délai jusqu’à la récidive locale ou à distance, nouveau cancer du sein primaire, létalité totale) et sur-venue d’effets indésirables. Les critères de jugement secondaires sont le délai jusqu’à la première récidive et l’incidence d’un nouveau cancer du sein primaire controlatéral. L’analyse est faite en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter.

Résultats

Sur un suivi médian de 33 mois, un avantage statistiquement significatif est observé en termes de survie sans pathologie chez les femmes avec un traitement adjuvant par anastrozol, par rapport à celles traitées par tamoxifène ou par l’association des deux médicaments1, 2. La survie sans pathologie est de 89,4 % pour l’anastrozol et de 87,4 % pour le tamoxifène. Le délai de la première récidive est également plus long et l’incidence du cancer du sein controlatéral est significativement moindre dans le groupe anastrozol (voir tableau). Les résultats du groupe traitements associés ne diffèrent pas de ceux du groupe tamoxifène seul. L’analyse en sous-groupe montre une amélioration de survie sans pathologie, grâce à l’anastrozol, significative uniquement dans le groupe de patientes avec récepteurs hormonaux positifs.


Tableau : Survie sans pathologie, délai de première récidive et incidence de cancer du sein controlatéral pour les femmes traitées par anastrozol versus tamoxifène après 33 mois (2) et 47 mois (3) de suivi, pour le groupe anastrazol total (total) et pour le groupe avec récepteurs hormonaux positifs (récept +).

 

33 mois – total

HR ou OR

(IC à 95%)

et valeur p

47 mois – total

HR ou OR

 

(IC à 95%)

33 mois récept +

HR ou OR

(IC à 95%)

et valeur p

47 mois récept +

HR ou OR

(IC à 95%)

et valeur p

Survie sans pathologie (HR)

0,83

(0,71-0,96)

p = 0,013

0,86

(0,76-0,99)
p = 0,03

0,78

(0,65-0,93)

p = 0,002

0,82

(0,70-0,96)

p = 0,014

Délai de première récidive (HR)

0,79

(67-0,94)

p = 0,008

0,83

(0,71-0,96)

p = 0,015

0,73

(0,59-0,90)

p = 0,003

0,78

(0,65-0,93)

p = 0,007

Cancer du sein controlatéral (OR)

0,42

(0,22-0,79)
p = 0,007

0,62

(0,38-1,02)
p = 0,062

0,29

(0,13-0,64)

p = 0,002

0,56

(0,32-0,98)
p = 0,040

HR : hazard ratio; OR : odds ratio

 

Après un suivi moyen de 47 mois, les résultats montrent toujours un avantage significatif de la survie sans pathologie sous anastrozol 3, 4. Le risque annuel de récidive est de 14 % inférieur pour les femmes sous anastrozol versus tamoxifène (voir tableau). Les données sur la toxicité dans ce suivi moyen de 47 mois plaident pour un avantage de l’anastrozol. Les femmes traitées par anastrozol ont statistiquement moins de bouffées de chaleur, de pertes sanguines vaginales, de cancer de l’endo-mètre, d’incidents cérébrovasculaires ischémiques ou thrombo-emboliques. Par contre, les symptômes musculo-squelettiques et les fractures osseuses sont significativement moins fréquentes dans le bras tamoxifène. Les résultats de la survie globale ne sont pas encore connus, le taux de décès étant à ce jour trop faible pour permettre une analyse statistique fiable.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que l’anastrozol est plus efficace et mieux toléré que le tamoxifène en tant que traitement adjuvant d’un cancer du sein primaire (hormonodépendant) chez la femme ménopausée.

Financement

Cette étude est financée par le British Association of Oncology Breast Group, par Cancer Research et par Astra Zeneca.

Conflits d’intérêts

Les auteurs mentionnent avoir reçu des honoraires de la firme Astra Zeneca.

 

Discussion

Survie sans pathologie versus survie globale

Cette étude est la première publication concernant l’efficacité des inhibiteurs de l’aromatase comparée à celle du traitement de référence actuel du cancer du sein primaire, le tamoxifène. Les résultats en termes de survie sans pathologie et de tolérance sont encourageants et représentent probablement un pas supplémentaire dans la bonne direction d’une meilleure sur-vie des patients atteints d’un cancer du sein. La survie sans pathologie est, dans les études portant sur le traitement adjuvant des patients cancéreux, un point important et au moins aussi important que la survie globale. La survie sans pathologie est le délai entre le diagnostic et la survenue d’une récidive, locale ou à distance. C’est un paramètre de survie correcte, période durant laquelle les patients ne sont pas confrontés avec une rechute ou de nouveaux traitements parfois bien lourds. La survie globale, par contre, sera également influencée par d’autres traitements complémentaires après la récidive et ne livrera pas d’information concernant uniquement le premier traitement adjuvant, dans le cas présent, l’anastrozol, le tamoxifène ou les deux. L’analyse de la survie globale est, de plus, impossible dans ce cas, en raison du suivi trop bref et du nombre limité de décès enregistrés.

Effets (indésirables) à long terme ?

Une critique peut être formulée pour cette étude quant à sa durée de suivi assez courte. Sur un suivi moyen de 47 mois, moins de 400 femmes sont suivies pendant au moins cinq ans, ce qui ne nous permet pas de tirer des conclusions sur la tolérance à long terme de l’anastrozol. Pour le tamoxifène, par contre, les effets indésirables à long terme sont connus : plus d’événements thrombo-emboliques, plus de cancers de l’endomètre. Parmi les patientes sous anastrozol, davantage présentent des problèmes musculosquelettiques ou de l’ostéoporose, rendant un traitement complémentaire par bisphosphonate souhaitable. Sur base des données actuelles, l’anastrozol ne peut donc être recommandé comme nouvelle référence pour le traitement adjuvant du cancer du sein de la femme ménopausée. Nous devons attendre les résultats d’un suivi plus long. C’est également le point de vue de l’« American Society of Clinical Oncology Technology Assessment Working Group » et de « Sankt Gallen International Consensus Meeting »5, 6.

 

Recommandations pour la pratique

Cette étude montre que l’anastrozol est efficace et bien toléré comme traitement adjuvant du cancer du sein chez la femme ménopausée. Les données d’efficacité et de sécurité pour une utilisation prolongée (plus de cinq ans) sont cependant encore insuffisantes. Pour le traitement du cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs chez la femme ménopausée, le tamoxifène reste le premier choix. L’anastrozol est conseillé en cas de contre-indication du tamoxifène.

La rédaction

 

Références

  1. Baum M, on behalf of the ATAC Trialists’ Group. The ATAC (Arimidex, Tamoxifen, Alone or on Combination) adjuvant breast cancer trial in post-menopausal women. Breast Cancer Res Treat 2001;69:210 (abstr 8).
  2. The ATAC Trialists’ Group. Anastrozole alone or in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone for adjuvant treatment of postmenopausal women with early breast cancer : First results of the ATAC randomized trial. Lancet 2002;359:2131-9.
  3. Sainsbury R, on behalf of the ATAC Trialists’ Group. Beneficial side-effect profile of anastrozole compared with tamoxifen confirmed by additional 7 months of exposure data : A safety update from the ATAC trial. Breast Cancer Res Treat 2002;76:156 (suppl 1 ; abstr 633).
  4. The ATAC Trialists’ Group. Anastrozole alone or in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone for adjuvant treatment of postmenopausal women with early-stage breast cancer : Results of the ATAC trial efficacy and safety update analysis. Cancer 2003;98:1802-10.
  5. Winer E, Hudis C, Burstein H, et al. American Society of Clinical Oncology Technology Assessment Working Group Update : Use of aromatase inhibitors in the adjuvant setting. J Clin Oncol 2003;21:1-3.
  6. Goldhirsch A, Wood W, Gelber R, et al. Meeting highlights : updated international expert consensus on the primary therapy of early breast cancer. J Clin Oncol 2003;21:1-9.

 

Nom de marque

Anastrozol : Arimidex®
Tamoxifène : Merck-Tamoxifen®, Nolvadex®, Tamizam®, Tamoplex®, Tamoxifen EG®, Tamoxifen-Ratiopharm®

Anastrozol et tamoxifène pour traiter le cancer du sein

Auteurs

Cocquyt V.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

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