Revue d'Evidence-Based Medicine



Chondroïtine et gonarthrose ou coxarthrose



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 9 Page 140 - 141

Professions de santé


Analyse de
Reichenbach S, Sterchi R, Scherer M, et al. Meta-analysis: chondroitin for osteoarthritis of the knee or hip. Ann Intern Med 2007;146:580-90.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la chondroïtine dans la douleur liée à l’arthrose ?


Conclusion
Cette méta-analyse est rigoureuse et montre l’absence de preuve que l’administration de chondroïtine (orale ou intramusculaire), en cas de gonarthrose ou de coxarthrose, soulage la douleur. L’hétérogénéité clinique des études incluses est cependant importante et aucune technique ne permet donc de tirer une autre conclusion qu’hypothétique de l’ensemble des études. La sommation des résultats des RCTs avec une méthodologie fiable (secret de l’attribution, intention de traiter) ne montre pas de résultat significativement favorable avec chondroïtine.


 

Résumé

Contexte

La gonarthrose est la localisation la plus fréquente d'arthrose accompagnée de douleur. Les guides de pratique recommandent le paracétamol, les AINS en cas d’échec ainsi que  des interventions non pharmacologiques. Il existe des alternatives médicamenteuses (glucosamine, chondroïtine, acide hyaluronique) qui pourraient modifier les lésions cartilagineuses. La chondroïtine orale montre une efficacité probable dans la gonarthrose selon des synthèses méthodiques (1,2), dans une RCT publiée ensuite (3) mais non dans les deux RCTs les plus récentes qui sont aussi celles qui incluent la population la plus importante (4,5).

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, CINAHL
  • études cliniques contrôlées, synthèses méthodiques, méta-analyses
  • résumés de conférence, livres de référence, références des études
  • auteurs et experts dans le domaine.

Etudes sélectionnées

  • randomisées ou quasi-randomisées, contrôlées versus placebo ou absence de traitement
  • administration de chondroïtine orale
  • pas de restriction de langue
  • exclusion si administration < 400 mg/jour.

Population concernée

  • 20 RCTs ; 3 846 patients avec gonarthrose (la majorité) et/ou coxarthrose
  • âge moyen de 50 à 67 ans (médiane 61 ans)
  • femmes : de 27 % à 94 % (médiane 62 %).
  • arthrose : symptomatique en médiane depuis 5 ans (4-10 ans) ; de bas grade (classes 0-2 du score de Kellgren-Lawrence) en médiane de 73% (0-100%). 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : douleur à la fin de l’étude ou au maximum 3 mois après l’arrêt du traitement avec de la chondroïtine (sur score global de la douleur ou suivant une hiérarchie préétablie des plaintes douloureuses)
  • ampleur d’effet de -0,30 est considérée comme cliniquement pertinente, correspondant à 0,6 mm sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 10 cm
  • critères secondaires : modifications de l’espace interarticulaire, nombre de personnes avec des effets indésirables (sévères), nombre d’arrêts pour effet indésirable
  • analyse en modèle d’effets aléatoires.

Résultats

Sous chondroïtine orale 800 à 2 000 mg/j (médiane de 1 000 mg/j)

  • durée de traitement : 6 à 103 semaines (médiane 25 semaines)
  • durée de suivi : 13 à 132 semaines (médiane 31 semaines)
  • ampleur d’effet totale : -0,75 (IC à 95% de -0,99 à -0,50) mais avec une forte hétérogénéité entre les études ( = 92%), et un biais de publication important
  • efficacité plus grande de la chondroïtine dans les études de moins bonne méthodologie (secret de l'attribution mal établi, pas d’analyse en intention de traiter)
  • 3 études avec population importante et en intention de traiter (40% des sujets) : ampleur d’effet -0,03 (IC à 95% de -0,13 à 0,07 ; I² = 0%) ; différence sur EVA 0,6 mm sur 10 cm.

Versus placebo

  • effet favorable, versus placebo, sur l’évolution de l’espace interarticulaire mais biais de publication et échantillons faibles
  • effets indésirables : RR à 0,99 (IC à 95% de 0,76 à 1,31).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les études sur de larges échantillons, de méthodologie correcte, montrent un bénéfice minime ou inexistant pour la chondroïtine.

Financement

Différentes sociétés scientifiques suisses ont accordé des bourses à 4 des 8 auteurs mais ne sont en rien intervenues dans l’étude.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette méta-analyse est correcte : recherche systématique dans la littérature, dans plusieurs bases de données, évaluation de la qualité des études avec prise en compte dans l’analyse des résultats (méta-régression), recherche d’hétérogénéité (test I² de Higgins). Les auteurs insistent sur la faible qualité méthodologique des études trouvées, sauf les plus récentes, et sur leur hétérogénéité clinique liée principalement aux différences  pour le secret de l’attribution, l’analyse en intention de traiter et la taille de l’échantillon. Seules trois études analysent les résultats en intention de traiter. Une étude sur 555 patients, de méthodologie défectueuse, montre une ampleur d’effet, favorable pour la chondroïtine, incompatible avec les résultats des autres études sur de larges échantillons. L’inclusion d’une telle étude, avec d’autres études de piètre méthodologie, dans une méta-analyse entraîne une surestimation du bénéfice de la chondroïtine. Malgré le travail méthodologique rigoureux des auteurs de cette méta-analyse, la faible qualité des études originales (sauf les dernières en date), l’hétérogénéité des études compliquant une interprétation des résultats et la fiabilité douteuse de l’analyse exploratoire de cette hétérogénéité, fragilisent des conclusions possibles pour l’ensemble des études. Une hétérogénéité liée à d’autres éléments que le hasard a également été évoquée pour la glucosamine, liée aux différents types de présentation du produit, à un secret d’attribution incorrect, à un bais de sponsorisation par l’industrie pharmaceutique (6). Il faut également souligner que cette méta-analyse ne reprend, comme critère de jugement principal, que la douleur et non également l’ankylose et les aspects fonctionnels. La chondroïtine est vendue, en Belgique, sous forme de complément alimentaire, sans grande garantie donc du contenu de la préparation.

Biais de performance ?

Les résultats des études sont-ils biaisés par un recours concomitant à des analgésiques ? Les auteurs, après analyse détaillée des études, observent que le recours ou non à une comédication analgésique dans celles-ci, ne modifie pas l’absence de différence d’efficacité. C’est particulièrement le cas dans les études récentes qui étaient fort attentives sur ce point du cotraitement. De même, une réponse fort favorable au placebo a été avancée pour expliquer l’absence de différence observée dans certaines études plus récentes, dont une précédemment analysée dans Minerva (4). Les auteurs rejettent, sur base d’une autre exploration fouillée des études, cet argument.

Dans leur discussion, ils recommandent de limiter l’utilisation de la chondroïtine, chez des personnes avec arthrose peu importante, au cadre d’une RCT. En cas d’arthrose évoluée, ils estiment qu’un bénéfice clinique est improbable et qu’il faut en décourager l’utilisation.

Autres méta-analyses

Deux autres méta-analyses avaient évalué l’efficacité de la chondroïtine dans la gonarthrose. La première (1) inclut 9 RCTs (719 patients souffrant de gonarthrose et/ou de coxarthrose) et montre une ampleur d’effet versus placebo de 0,96 (IC à 95% de 0,63 à 1,3) pour une administration de chondroïtine orale ou intramusculaire. Elle note un biais de publication significatif et une hétérogénéité liée à une étude (40 patients). La seconde (2) inclut 8 RCTs (755 patients avec une gonarthrose traitée par chondroïtine orale) et 7 RCTs concernant la glucosamine. Les résultats de la méta-analyse concernent les deux traitements et montrent un effet favorable de la glucosamine (pour tous les critères évalués) et de la chondroïtine (pour plusieurs critères dont la douleur et la mobilité).

Comment expliquer les divergences dans les résultats de ces trois méta-analyses au total ? La première en date (1) inclut toutes les études les plus anciennes, en majorité de faible qualité méthodologique et sur de petits échantillons. Les dernières RCTs publiées après cette première méta-analyse, plus valides, ont modifié la sommation de tous les résultats. La deuxième méta-analyse (2) n’a pas relevé les faiblesses méthodologiques des études de la même façon que la première ni que la troisième, analysée ici. Ces deux observations illustrent bien toute l’importance de l’évaluation correcte de la qualité méthodologique des études incluses dans une méta-analyse et, aussi, le fait qu’il faut en tenir compte au moment de la sommation des résultats. La conclusion favorable à la chondroïtine publiée par Clinical Evidence, repose sur une recherche dans la littérature ancienne ; elle n’inclut pas les dernières études parues et se fie aux deux premières méta-analyses publiées plus la seule RCT avec effet favorable publiée ensuite (3), jusqu’au terme de la recherche effectuée du moins.

Effets indésirables

Les études ne nous apportent que très peu d’éléments à ce sujet et la méta-analyse n’apporte pas de preuve d’une augmentation de risque de survenue d’un effet indésirable. Ils semblent rares. A cause d’un risque (théorique) de saignement, la National Library of Medicine (8) recommande la prudence en cas de trouble de la coagulation ou d’usage d’un anticoagulant.

 

Conclusion

Cette méta-analyse est rigoureuse et montre l’absence de preuve que l’administration de chondroïtine (orale ou intramusculaire), en cas de gonarthrose ou de coxarthrose, soulage la douleur. L’hétérogénéité clinique des études incluses est cependant importante et aucune technique ne permet donc de tirer une autre conclusion qu’hypothétique de l’ensemble des études. La sommation des résultats des RCTs avec une méthodologie fiable (secret de l’attribution, intention de traiter) ne montre pas de résultat significativement favorable avec chondroïtine.

 

Références

  1. Mc Alindon T, La Valley MP, Gulin JP, et al. Glucosamine and chondroitin for treatment of osteoarthritis: a systematic quality assessment and meta-analysis. JAMA 2000;283:1469-75.
  2. Richy F, Bruyere O, Ethgen O, et al. Structural and symptomatic efficacy of glucosamine and chondroitin in knee osteoarthritis: a comprehensive meta-analysis. Arch Intern Med 2003;163:1514-22.
  3. Uebelhart D, Malaise M, Marcolongo R, et al. Intermittent treatment of knee osteoarthritis with oral chondroitin sulfate: a one-year, randomized, double-blind, multicenter study versus placebo. Osteoarthritis Cartilage 2004;12:269-76.
  4. Chevalier P. Glucosamine et/ou chondroïtine pour la gonarthrose. MinervaF 2006;5(10):156-7.
  5. Michel BA, Stucki G, Frey D, et al. Chondroitin 4 and 6 sulfate in osteoarthritis of the knee: a randomized, controlled trial. Arthritis Rheum 2005;5:779-86.
  6. Vlad SC, LaValley MP, McAlindon TE, Felson DT. Glucosamine for pain in osteoarthritis: why do trial results differ? Arthritis Rheum 2007;56:2267-77.
  7. Chard J, Smith C, Lohmander S, Scott D. Osteoarthritis of the knee. Clin Evid 2005;14:1506-22.
  8. http://www.nlm.nih.gov/medlineplus/druginfo/natural/patient-chondroitin.html (consulté le 04 12 2006)
Chondroïtine et gonarthrose ou coxarthrose



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