Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de l’alendronate sur la densité minérale osseuse : 10 ans plus tard



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 9 Page 130 - 131

Professions de santé


Analyse de
Black DM, Schwartz AV, Ensrud KE, et al. Effects of continuing or stopping alendronate after 5 years of treatment. The fracture intervention trial long-term extension (FLEX): a randomised trial. JAMA 2006;296:2927-38.


Question clinique
Quelle est l’efficacité, chez des femmes en postménopause et atteintes d’ostéoporose, d’un traitement par alendronate durant 10 ans versus 5 ans d’alendronate suivis de 5 ans de placebo ?


Conclusion
Cette étude ne peut montrer une réduction nette du risque de fracture grâce à un traitement par alendronate prolongé pendant plus de cinq ans chez des femmes en postménopause et présentant une ostéoporose. Un traitement au-delà de cinq ans n’augmente pas la densité minérale osseuse mais en ralentit la diminution. Il est urgent de pouvoir disposer d’études permettant de cibler les personnes pouvant bénéficier d’un traitement continu ou discontinu avec l’alendronate.


Résumé

Contexte

L’efficacité d’un traitement par bisphosphonates prolongé au-delà de 5 ans en cas d’ostéoporose postménopausique est peu évaluée. Des études pharmacocinétiques ont montré que les bisphosphonates demeuraient actifs au niveau de la structure osseuse des années durant après l’arrêt du traitement, suggérant une persistance de leur efficacité clinique après la suspension d’un traitement limité à 5 ans.

L’étude FLEX est la suite de l’étude FIT (1-3) dont les caractéristiques sont : 6 459 femmes en postménopause, présentant une densité minérale osseuse (DMO) trop basse au niveau du col fémoral (<0,68 g/cm²), avec ou sans fractures vertébrales, recevant 5 mg/j d’alendronate durant 2 ans avant l’étude, et 10 mg/j d’alendronate ou d’un placebo durant l’étude (suivi moyen de 3,8 ans) ainsi que de l’alendronate de façon ouverte après l’arrêt de cette étude FIT.

Population étudiée

  • randomisation, dans l’étude FLEX, des participantes de l’étude FIT ayant pris le médicament durant 3 ans au moins

  • critères d’exclusion : DMO hanche totale <0,515 g/cm², T-score <-3,5 ou DMO hanche totale inférieure à la valeur initiale dans l’étude FIT ; pathologie oesophagienne

  • inclusion : 1 099 femmes (âge moyen de 73 ans) ; 61% en “très bonne santé” ; 34% avec fractures vertébrales ; 60% avec une fracture clinique après la ménopause ; 78% initialement sous alendronate.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, comportant 3 bras d’étude : alendronate 10 mg/j (n=333; 30%), alendronate 5 mg/j (n=329; 30%), placebo (n=437; 40%)

  • supplément calcique de 500 mg/j et de 250 UI/j de vitamine D pour toutes

  • 2 strates de randomisation : strate à risque élevé reprenant les femmes avec ≥1 fracture vertébrale radiologique ou une fracture clinique au terme de l’étude FIT et strate à risque bas pour les autres.

Mesure des résultats

  • critère primaire : densité minérale osseuse de la hanche totale

  • critères secondaires : densité osseuse pour d’autres localisations, marqueurs biologiques du métabolisme osseux, incidence de fracture (critère exploratoire)

  • analyse en intention de traiter modifiée (au moins une mesure lors du suivi).

Résultats

  • au terme de l’étude FLEX, la DMO moyenne reste supérieure ou égale au niveau de celle observée au début de l’étude FIT dix ans plus tôt
  • durant l’étude FLEX, la DMO hanche totale diminue en moyenne de 3,38 (ET 0,22) dans le groupe placebo et de 1,02 (ET 0,18) dans le groupe intervention (doses de 5 et 10 mg d’alendronate confondues) : différence moyenne de -2,36 avec IC à 95% de -1,81 à -2,90 (voir tableau)
  • le risque cumulé de fracture non vertébrale n’est pas différent entre le groupe placebo (18,9%) et le groupe alendronate (19%)
  • dans le groupe alendronate, l’incidence de fracture vertébrale clinique (2,4%) est inférieure à celle observée dans le groupe placebo (5,3%) : RR 0,45 avec IC à 95% de 0,24 à 0,85
  • pas de différence entre les deux groupes en termes de fractures radiologiques vertébrales : placebo (11,3%) versus alendronate (9,8%).

 

Tableau : diminution de la densité osseuse, pour différentes localisations, après l’arrêt d’un traitement sur 5 ans par alendronate et administration ensuite d’un placebo durant 5 ans, versus poursuite de l’alendronate durant ces 5 ans.

Localisation

Placebo (n=428) (ET)

Alendronate 5 mg

ou 10 mg (n=643) (ET)

Différence moyenne alendronate vs placebo (IC à 95%)

Hanche totale

-3,38 (0,22)

-1,02 (0,18)

2,36 (1,81 - 2,90)

Col fémoral

-1,48 (0,30)

0,46 (0,24)

1,94 (1,20 - 2,68)

Trochanter

-3,25 (0,27)

-0,08 (0,22)

3,17 (2,49 - 3,84)

Vertèbre lombaire

1,52 (0,29)

5,26 (0,24)

3,74 (3,03 - 4,45)

Corps total

-0,27 (0,24)

1,01 (0,19)

1,28 (0,70 - 1,86)

Avant-bras

-3,21 (0,27)

-1,19 (0,23)

2,01 (1,35 - 2,68)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les femmes arrêtant la prise d’alendronate après cinq ans ne présentent qu’une faible diminution de leur densité minérale osseuse sans risque accru de fractures (exception faite de fractures vertébrales cliniques) par rapport à des femmes prenant de l’alendronate durant 10 ans sans interruption. Des femmes présentant un risque élevé de fractures vertébrales pourraient cependant bénéficier d’une prise d’alendronate poursuivie au-delà de 5 ans.

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs ont reçu des honoraires de plusieurs firmes pharmaceutiques, dont Merck & Co. L’étude a été élaborée par des collaborateurs de cette firme qui avait également son mot à dire dans le décours de l’étude et dans la publication de ses résultats.

Financement : Merck & Co

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

L’étude FLEX succède à une autre dans une même population, avec une nouvelle randomisation du groupe principe actif de l’étude FIT (années 1992-1997) (1-3). Deux ans se sont, en moyenne, écoulés entre ces deux études, ce qui correspond à une deuxième présélection. Dans la première année suivant l’étude FIT, toutes les participantes ont reçu, gratuitement, de l’alendronate (en ouvert) ; elles devaient ensuite s’adresser à leur médecin traitant pour la prolongation du traitement. Ce processus a une conséquence : environ 22% d’entre elles (sans différence statistiquement significative entre les trois bras d’études) ne prenaient plus d’alendronate au départ de l’étude FLEX. Dans celle-ci, trois groupes ont été recréés : placebo et alendronate 5 ou 10 mg/j, dont les résultats ont, à nouveau, été rassemblés. Le tout représente un méli-mélo de schémas posologiques, ce qui complique l’extrapolation des résultats.

Interprétation des résultats

Cette étude ne répond pas à notre question : quel est l’avantage d’un traitement par alendronate à long terme ? L’étude FIT ne comporte pas de comparaison avec un groupe placebo constitué lors de son initiation. Les données ne concernent que des femmes en postménopause non institutionnalisées. L’écart entre les âges est important, de 60 à 86 ans, avec une population soit en prévention secondaire, soit en prévention primaire. Le critère primaire, la densité minérale osseuse (DMO) de la hanche totale n’est pas un critère fort. La mesure répétée de la DMO n’est pas un instrument pertinent pour l’estimation précise du risque fracturaire (4,5). Le recours à des marqueurs biochimiques du métabolisme osseux comme critère de jugement n’est pas cliniquement plus pertinent. L’incidence de fractures est considérée dans cette étude comme exploratoire et n’est basée que sur les déclarations personnelles confirmées par un examen radiologique. Des clichés de profil de la colonne lombaire sont également réalisés au départ, après trois et cinq ans. Des analyses en sous-groupes sont réalisées post hoc pour déterminer des tendances au niveau du risque de fracture. Le bénéfice montré en matière de fractures vertébrales cliniques peut être lié au hasard. L’assertion des auteurs suivant laquelle l’alendronate doit être spécifiquement administré pendant plus de cinq ans pour prévenir les fractures vertébrales chez des femmes avec risque fracturaire augmenté, n’est pas étayée par d’autres études (6,7). Un rapport intermédiaire de l’étude FLEX n’aborde pas ce risque de fracture (8). Face à la pauvreté en études à long terme, les guides de pratique actuels ne fixent pas de séquence optimale précise pour un traitement par bisphosphonate (9,10).

Sécurité

Le protocole de cette étude ne permet pas d’en évaluer la sécurité. Les plaintes gastro-intestinales survenant rapidement après le début du traitement, les personnes sujettes à ce problème sont exclues en pratiquant une deuxième randomisation. Les femmes ayant définitivement arrêté l’alendronate (par exemple en raison d’effets indésirables) ou celles se plaignant de problèmes œsophagiens actuels, ne sont pas reprises dans l’étude FLEX. Des cas d’ostéonécrose, aussi bien au niveau des mâchoires (11) que du fémur (12) ont été récemment signalés. Des problèmes oculaires, comme une uvéite, de l’iritis et de la sclérite sont signalés avec l’alendronate et les autres bisphosphonates (13).

 

Conclusion

Cette étude ne peut montrer une réduction nette du risque de fracture grâce à un traitement par alendronate prolongé pendant plus de cinq ans chez des femmes en postménopause et présentant une ostéoporose. Un traitement au-delà de cinq ans n’augmente pas la densité minérale osseuse mais en ralentit la diminution. Il est urgent de pouvoir disposer d’études permettant de cibler les personnes pouvant bénéficier d’un traitement continu ou discontinu avec l’alendronate.

 

Références

  1. Black DM, Cummings SR, Karpf DB, et al. Randomised trial of effect of alendronate on risk of fracture in women with existing vertebral fractures. Fracture Intervention Trial Research Group. Lancet 1996;348:1535-41.
  2. Cummings SR, Black DM, Thompson DE. Effect of alendronate on risk of fracture in women with low bone density but without vertebral fractures: results from the Fracture Intervention Trial. JAMA 1998;280:2077-82.
  3. Dequeker J. Alendronaat: voorkomt het fracturen bij vrouwen zonder wervelfractuur? Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(2):69-71.
  4. Boonen S. Bisphosphonate efficacy and clinical trials for postmenopausal osteoporosis: similarities and differences. Bone 2007 (article in press).
  5. Vermeire E. Screening op osteoporose: de patiënt of de test behandelen? Het verschil tussen meten en weten. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(2):65-8.
  6. Michiels B. Alendronate: dix ans d'expérience. MinervaF 2004;3(10):163-5.
  7. Bone HG, Hosking D, Devogelaer JP, et al; Alendronate Phase III Osteoporosis Treatment Study Group. Ten years’ experience with alendronate for osteoporosis in postmenopausal women. N Engl J Med 2004;350:1189-99.
  8. Ensrud KE, Barrett-Connor EL, Schwartz A, et al; Fracture Intervention Trial Long-Term Extension Research Group. Randomized trial of effect of alendronate continuation versus discontinuation in women with low BMD: results from the Fracture Intervention Trial long-term extension. J Bone Miner Res 2004;19:1259-69.
  9. National Institute of Clinical Excellence (NICE). Bisphosphonates (alendronate, etidronate, risedronate), selective oestrogen receptor modulators (raloxifene) and parathyroid hormone (teriparatide) for the secondary prevention of osteoporotic fragility fractures in postmenopausal women. Technology Appraisal Guidance 2005;87.
  10. Elders PJ, Leusink GL, Graafmans WC, et al. NHG-Standaard Osteoporose. Huisarts Wet 2005;48:559-70.
  11. Ostéoporose et remboursements en prévention primaire: gare aux effects indésirables. Rev Prescr 2007;27:12.
  12. Goh SK, Yang KY, Koh JSB, et al. Subtrochanteric insufficiency fractures in patients on alendronate therapy: a caution. J Bone Joint Surg Br 2007;89:349-53.
  13. Diphosphonates: risques oculaires. Rev Prescr 2005;25:354.
Efficacité de l’alendronate sur la densité minérale osseuse : 10 ans plus tard

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Vermeire E.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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