Revue d'Evidence-Based Medicine



Diminuer l’homocystéinémie pour réduire le risque de thromboembolie veineuse ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 8 Page 122 - 123

Professions de santé


Analyse de
Ray JG, Kearon C, Yi Q et al. Homocysteine-lowering therapy and risk for venous thromboembolism. A randomized trial. Ann Intern Med 2007;146:761-7


Question clinique
Un traitement faisant diminuer l’homocystéinémie modifie-t-il le risque de présenter un incident thromboembolique veineux symptomatique chez des personnes à risque cardio-vasculaire élevé ?


Conclusion
Cette publication secondaire de l’étude HOPE montre qu’une supplémentation en acide folique, vitamines B6 et B12, tout en diminuant l’homocystéinémie chez un échantillon de patients chez lesquels elle est mesurée, ne réduit pas le risque de survenue d’une thromboembolie veineuse chez des sujets à risque cardio-vasculaire élevé. D’autres études et méta-analyses confirment l’absence de bénéfice cardio-vasculaire apporté par ce traitement.


 
 

Résumé

 

Contexte

Des études d’observation ont montré un risque accru de thromboembolie veineuse en cas d’hyperhomocystéinémie. L‘administration de suppléments d’acide folique et de vitamines B6 et B12 réduit l’homocystéinémie, mais il n’est pas prouvé qu’elle diminue concomitamment le risque thromboembolique.

 

Population étudiée

  • 5 522 patients âgés d’au moins 55 ans (âge moyen de 69 ans), 28% de femmes
  • avec pathologie vasculaire (coronarienne, cérébro-vasculaire ou périphérique) ou diabète
  • et au moins un autre facteur de risque cardio-vasculaire
  • quel que soit le taux initial d’homocystéinémie (mesuré dans 60% des cas en début d’étude et dans 12% des cas en fin d’étude)
  • habitants de régions avec ou sans supplémentation systématique en folates dans la nourriture
  • exclusion : prise individuelle d‘un supplément d’acide folique >0,2 mg par jour.

 

Protocole d'étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • administration d’un comprimé quotidien associant acide folique 2,5 mg, vitamine B6 50 mg et vitamine B12 1 mg (n=2 758) versus placebo (n=2 764)
  • durée moyenne dans l’étude : 5 ans
  • analyse en intention de traiter.

 

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survenue d’une thromboembolie veineuse  symptomatique, c’est-à-dire de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire (ou des deux) cliniquement apparente avec confirmation par imagerie ou initiation d’un traitement anticoagulant en cas de diagnostic incertain.

 

Résultats

  • taux de sorties d’étude : < 1%
  • homocystéinémie : diminuée en fin d’étude dans le groupe traité (moins 2,2 micromol/L) et augmenté dans le groupe placebo (plus 0,80 micromol/L)
  • 44 événements thromboemboliques dans chaque groupe ; incidence de 0,35 par 100 années-patients ; HR 1,01 ; IC à 95% de 0,66 à 1,53 ; p=0,97
  • analyses en sous-groupes : pas de bénéfice, même dans le quartile avec homocystéinémie la plus élevée
  • pas d’effet indésirable sérieux.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une diminution de l’homocystéinémie par une supplémentation en acide folique et en vitamines B6 et B12 ne réduit pas le risque de thromboembolie veineuse symptomatique.

 

Financement

Canadian Institutes of Health Research and Jamieson Laboratories, sans intervention dans l’étude.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude bénéficie d’un protocole correctement établi, randomisé, contrôlé, en double aveugle, multicentrique. Il s’agit d’une publication secondaire de l’étude HOPE (1) concernant le bénéfice d’un traitement médicamenteux visant à faire diminuer l’homocystéinémie, en termes de décès d’origine cardio-vasculaire, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral (AVC). Les auteurs signalent eux-mêmes plusieurs limites pour leur recherche. Les événements thromboemboliques (ETE) ne font pas l’objet d’une adjudication centrale. Le premier enregistrement des ETE n’a lieu que 18 mois après l’enrôlement. L’existence de précédents épisodes d’ETE n’est pas connue. Il faut y ajouter une limite conceptuelle. Un taux élevé d’homocystéinémie est associé à un risque accru de thromboembolie (ou d’événement cardio-vasculaire artériel) ; un seuil précis pour une augmentation de risque substantielle n’est pas déterminé. L’intervention thérapeutique évaluée ici se déroule quelle que soit l’homocystéinémie initiale (non mesurée chez tous les participants). L’intervention vise bien à diminuer l’homocystéinémie. Une diminution, par intervention thérapeutique, de toute valeur d’homocystéinémie, sans tenir compte d’un taux initial élevé lié à une augmentation de risque, peut-elle apporter une réponse au clinicien ? La puissance de l’étude n’est pas établie en fonction du risque de TVP qui n’est qu’un critère secondaire. Un nombre peu important, surtout en fin d’étude, de dosages d’homocystéinémie sont réalisés.

 

Résultats

Cette étude ne concerne pas spécifiquement une population à risque thromboembolique augmenté (thromboembolie récidivante par exemple) ni une population présentant une hyperhomocystéinémie. Les auteurs réalisent une analyse par quartile de valeurs d’homocystéinémie et n’observent pas de résultat favorable dans le quartile le plus élevé (dont la limite est à un seuil inférieur à celui généralement considéré comme justifiant un traitement préventif de thromboembolie veineuse, le percentile 95). A noter, dans le groupe placebo, une incidence moindre de thromboembolie dans le quartile d’homocystéinémie la plus élevée par rapport aux trois autres quartiles de ce groupe (pas d’analyse statistique mentionnée). La pauvreté des enseignements cliniques de cette publication illustre les limites de l’intérêt d’une publication secondaire.

Autres études

Une seule autre étude, la recherche VITRO (2) évalue l’efficacité d’un traitement visant à diminuer l’homocystéinémie en cas de premier épisode de thrombose veineuse proximale non provoquée ou d’embolie pulmonaire. Elle ne montre également pas de bénéfice de ce traitement, même en cas de taux élevés d’homocystéinémie.

La publication primaire, de Lonn, concernant cette même recherche (1) ne montrait pas de réduction du risque de survenue d’événements cardio-vasculaires majeurs (décès, infarctus du myocarde) chez ces sujets à risque élevé (3). Une méta-analyse (16 958 patients), qui reprenait cette étude de Lonn (4), ne montrait également pas de bénéfice d’une supplémentation en acide folique sur la survenue d’incidents cardio-vasculaires ou sur la mortalité totale chez des sujets présentant une pathologie cardiovasculaire ou rénale initiale, avec, entre autres un risque relatif de survenue d’AVC de 0,96 (IC à 95% de 0,88 à 1,04). 

Une méta-analyse (16 841 patients) plus récente (5) montre, par contre,  une réduction de risque de survenue d’accident vasculaire cérébral en cas d’administration d’acide folique mais à la limite de la signification statistique (RR 0,82 ; IC à 95% de 0,68 à 1,00 ; p=0,045) donc sans pertinence clinique certaine.

 

  

 

Conclusion

 

Cette publication secondaire de l’étude HOPE montre qu’une supplémentation en acide folique, vitamines B6 et B12, tout en diminuant l’homocystéinémie chez un échantillon de patients chez lesquels elle est mesurée, ne réduit pas le risque de survenue d’une thromboembolie veineuse chez des sujets à risque cardio-vasculaire élevé. D’autres études et méta-analyses confirment l’absence de bénéfice cardio-vasculaire apporté par ce traitement.

 

 

Références

  1. Lonn E, Yusuf S, Arnold MJ, et al; Heart Outcomes Prevention Evaluation (HOPE) 2 Investigators. Homocysteine lowering with folic acid and B vitamins in vascular disease. N Engl J Med 2006;354:1567-77.
  2. den Heijer M, Willems HP, Blom HJ, et al. Homocysteine lowering by B vitamins and the secondary prevention of deep vein thrombosis and pulmonary embolism: a randomized, placebo-controlled, double-blind trial. Blood 2007;109:139-44.
  3. Shekelle P. Lowering homocysteine with folic acid and B vitamins did not prevent vascular events after myocardial infarction. Evid Based Med 2006;11:105.
  4. Bazzano LA, Reynolds K, Holder KN, He J. Effect of folic acid supplementation on risk of cardiovascular diseases: a meta-analysis of randomized controlled trials. JAMA 2006;296:2720-6.
  5. Wang X, Qin X, Demirtas H, et al. Efficacy of folic acid supplementation in stroke prevention: a meta-analysis. Lancet 2007;369:1876-82.
Diminuer l’homocystéinémie pour réduire le risque de thromboembolie veineuse ?



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