Revue d'Evidence-Based Medicine



Vaccination du personnel de maison de repos : quels effets sur les résidents ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 7 Page 108 - 109

Professions de santé


Analyse de
Hayward AC, Harling R, Wetten S, et al. Effectiveness of an influenza vaccine programme for care home staff to prevent death, morbidity, and health service use among residents: cluster randomised controlled trial. BMJ 2006;333:1241-6.


Question clinique
Quels sont les effets de la vaccination contre l’influenza du personnel de maison de repos sur la morbi-mortalité des résidents ?


Conclusion
Cette étude montre une baisse de mortalité des pensionnaires durant la période de grippe de la première année d’étude, dans les maisons de repos où le personnel est activement incité à se vacciner. Cette étude présente cependant des insuffisances méthodologiques ne permettant pas d’en déduire qu’une vaccination contre l’influenza du personnel de maison de repos a un effet favorable sur la morbi-mortalité de ses résidents. Le personnel en tire un avantage individuel. La vaccination des résidents et les mesures pour éviter la contagion restent importantes.


 

Résumé

Contexte

  • vaccination annuelle contre la grippe : recommandée pour les résidents de maison de repos
  • motivation : plus grande susceptibilité des personnes âgées aux complications de l’influenza ; virus se propageant plus facilement au sein d’une institution
  • réponse immunitaire suboptimale chez les personnes âgées, surtout si comorbidité
  • 2 études antérieures (avec limites méthodologiques) : chute de la mortalité des résidents lorsque le personnel de la maison de repos se faisait vacciner (1,2).   

 

Population étudiée

  • 44 maisons de repos au Royaume-Uni
  • personnel : environ 1700 personnes à temps plein, 1580 personnes à temps partiel
  • 2600 résidents ; âge moyen de 83 ans ; 71% de femmes ; 36 à 49% de soins lourds
  • 71 à 78% des résidents vaccinés contre l’influenza.

 

Méthodologie

  • étude randomisée par grappes, contrôlée
  • appariement des maisons de repos en fonction de la taille de la maison de repos, du pourcentage de pensionnaires à forte dépendance et de la mortalité annuelle
  • vaccination contre l’influenza du personnel recommandée et organisée uniquement dans le groupe intervention (22 maisons de repos).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité globale des pensionnaires
  • critères secondaires : affections grippales, mortalité par affection grippale, recours aux soins de santé pour les pensionnaires (hospitalisation, consultation du médecin traitant)
  • affection grippale : dégradation aiguë du fonctionnement psychique ou physique, avec ou sans température >37,8°C, associée soit à des symptômes respiratoires soit à une aggravation évidente des symptômes respiratoires existants
  • critères récoltés par l’infirmier(ère) en chef
  • chaque paire de maisons de repos appariées considérée comme une étude à part entière ; résultat sommé en modèle d’effets aléatoires.

 

Résultats

  • vaccination du personnel en 2003/2004 : 48,2% du personnel à temps plein et 21,2% du personnel à temps partiel des maisons de repos des groupes intervention ; 5,9% et 4% pour les maisons de repos contrôles
  • en 2004/2005 : 43,2% et 18,4% dans le groupe intervention versus 3,5% et 4% dans le groupe contrôle
  • mortalité des pensionnaires durant la période d’influenza de 2003/2004 : significativement plus basse dans le groupe intervention versus maisons de repos contrôles ; différence significative pour un certain nombre de critères secondaires dans les 2 groupes (voir tableau)
  • durant la saison d’influenza 2004/2005 : pas de différence significative entre les maisons de repos pour ces critères
  • en dehors de la période de grippe : pas de différence.

  

 

Tableau : Comparaison des critères de jugement primaires et secondaires entre les maisons de repos du groupe intervention versus groupe contrôle durant la période d’influenza 2003/2004.

 

 

Nombre (%) résidents dans maisons de repos avec intervention (n = 1 249)

Nombre (%) résidents dans maisons de repos contrôles

(n = 1 323)

Différence pondérée (IC à 95%) par résident

Valeur p

Mortalité 

140 (11.2)

203 (15.3)

-0.05 (de -0.07 à -0.02)

0.002

Affections grippales

142 (11.4)

300 (22.7)

-0.09 (de -0.14 à -0.03)

0.004

Consultations de généraliste pour grippe

125 (10.0)

247 (18.7)

-0.07 (de -0.12 à -0.02)

0.002

Hospitalisations

105 (8.4)

144 (10.9)

-0.02 (de -0.05 à 0.02)

0.35

Hospitalisations pour grippe

4 (0.3)

23 (1.7)

-0.02 (de -0.03 à – 0.0)

0.009

Mortalité par grippe

13 (1.0)

19 (1.4)

-0.01 (de -0.02 à 0.01)

0.24

 

  

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que durant la période d’activité influenza modérée, la vaccination du personnel de maison de repos peut prévenir les décès, les affections grippales et le recours majoré aux soins de santé pour les résidents. 

 

Financement: Department of Health, University College of London

 

Conflits d’intérêt: aucune mention.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie est complexe, l’efficacité étant évaluée au niveau d’un groupe. Les chercheurs ont fait le maximum pour créer des groupes de résidents comparables à l’aide de grappes de maisons de repos appariées et pour choisir un critère de jugement primaire fort. 

Les caractéristiques du personnel des maisons de repos sont insuffisamment connues. S’agit-il de personnes jeunes, avec des enfants en bas âge ? Les techniciens de surface et le personnel administratif ont-ils été également vaccinés? En outre, la vaccination est volontaire et il faut souligner que le personnel à temps partiel s’est moins fait vacciner. Une vaccination placebo n’a pas été organisée dans les maisons de repos contrôles. Tous ces éléments peuvent  influencer les critères de jugement, surtout secondaires. C’est l’infirmier en chef, qui n’ignore pas l’intervention réalisée, qui doit interpréter et étiqueter les symptômes de maladie. Le diagnostic “syndrome grippal” est subjectif et difficile à poser, certainement chez la personne âgée. La méta-analyse montre une hétérogénéité significative pour le diagnostic du syndrome grippal et pour les consultations de médecine générale. Les auteurs n’ont pas recours à des critères virologiques plus objectifs. Les résultats pour les critères de jugement secondaires manquent donc de fiabilité. Par contre le cadre de l’étude est bien réaliste.

 

Interprétation des résultats

Malgré le fait que moins de la moitié du personnel soit vacciné dans le groupe intervention, une différence significative en termes de mortalité totale est néanmoins observée durant la première période d’influenza. Ce critère n’est cependant pas indemne de biais. Il y a, par exemple, une différence étonnante en soins de santé lourds entre le groupe intervention et le groupe contrôle en 2003/2004 : 36,0% versus 41,4%. Ceci pourrait expliquer une partie de la différence observée en mortalité. Les chercheurs auraient eu avantage à utiliser une régression multiple, multivariée, plutôt qu’une technique de méta-analyse, pour mieux corriger de telles différences. La mortalité peut également être influencée par une différence au point de vue hygiène. Le personnel vacciné est peut-être plus attentif à la transmission des infections. Il est possible aussi qu’une différence en disponibilité du personnel intervienne, le personnel non vacciné ayant plus de risque d’être terrassé par la grippe. Pendant la période sans influenza, qui succède immédiatement à la période de grippe, aucune différence en termes de mortalité n’est cependant observée. Durant la deuxième année d’intervention (2004/2005), il n’y a plus de différence significative en termes de mortalité, probablement en raison de la survenue d’une épidémie plus faible et d’une immunité de base élevée. La disparition de différence en soins de santé lourds cette année-là, peut également expliquer cette observation. En outre, les virus sauvages de l’épidémie de cette deuxième année de recherche ne coïncidaient pas entièrement avec les souches contenues dans le vaccin. 

 

Autres études et guides de pratique

Une synthèse Cochrane récente (3) conclut, sur base d’un petit nombre d’observations au départ de deux RCTs en grappes (1,4), que la vaccination du personnel de maison de repos n’est pas efficace contre l’influenza (OR 0,86 ; IC à 95% de 0,44 à 1,68) ou contre les infections des voies respiratoires inférieures (OR 0,70 ; IC à 95% de 0,41 à 1,20), mais bien en termes de réduction de la mortalité des suites d’une pneumonie (efficacité du vaccin de 39% ; IC à 95% de 2 à 62) et de la mortalité totale (VE 40% ; IC à 95% de 27 à 50). Les chercheurs de la revue estiment le niveau de preuves fort bas en raison du biais de sélection et du trop petit nombre de participants. Tous les guides de pratique recommandent une vaccination annuelle systématique des résidents de maison de repos. Les guides de pratique américains (5) et de l’OMS (6) recommandent également la vaccination du personnel de maison de repos. Le NHS (7) l’envisage si les réserves de vaccins le permettent. La recommandation de bonne pratique de la WVVH ne se prononce pas sur la prévention en maison de repos. Le conseil supérieur d’hygiène (8) recommande la vaccination du personnel soignant. En dépit de ces recommandations, moins de 25% du personnel soignant est vacciné en Europe (9). 

 

Conclusion de Minerva

 

Cette étude montre une baisse de mortalité des pensionnaires durant la période de grippe de la première année d’étude, dans les maisons de repos où le personnel est activement incité à se vacciner. Cette étude présente cependant des insuffisances méthodologiques ne permettant pas d’en déduire qu’une vaccination contre l’influenza du personnel de maison de repos a un effet favorable sur la morbi-mortalité de ses résidents. Le personnel en tire un avantage individuel. La vaccination des résidents et les mesures pour éviter la contagion restent importantes.  

 

 

Références

  1. Carman WF, Elder AG, Wallace LA, et al. Effects of influenza vaccination of health-care workers on mortality of elderly people in long-term care: a randomised controlled trial. Lancet 2000;355:93-7.
  2. Potter CW, Jennings R. Effect of priming on subsequent response to inactivated influenza vaccine. Vaccine 2003;21:940-5.
  3. Thomas RE, Jefferson T, Demicheli V, Rivetti D. Influenza vaccination for healthcare workers who work with the elderly. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  4. Potter  J, Stott DJ, Roberts MA, et al. Influenza vaccination of health care workers in long-term-care hospitals reduces the mortality of elderly patients. J Infect Dis 1997;175:1-6.
  5. Smith NM, Bresee JS, Shay DK, et al. Prevention and Control of Influenza: recommenda-tions of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP).
  6. MMWR Recomm Rep 2006;55:1-42.Influenza vaccines. Wkly Epidemiol Rec 2005;80:279-87.
  7. Prodigy Guidance 2006. Influenza.
  8. Conseil Supérieur de la Santé. Avis du Conseil Supérieur de la Santé. Vaccination contre la grippe saisonnière : période hivernale 2006-2007. Août 2006.
  9. Burls A, Jordan R, Barton P, et al. Vaccinating healthcare workers against influenza to protect the vulnerable - is it a good use of healthcare resources? A systematic review of the evidence and an economic evaluation. Vaccine 2006;8:4212-21.
Vaccination du personnel de maison de repos : quels effets sur les résidents ?

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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