Revue d'Evidence-Based Medicine



Insuline inhalée : une alternative pour les diabétiques ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 7 Page 104 - 105

Professions de santé


Analyse de
Ceglia L, Lau J, Pittas AG. Meta-analysis: efficacy and safety of inhaled insulin therapy in adults with diabetes mellitus. Ann Intern Med 2006;145:665-75.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de l’insuline inhalée versus insuline humaine (par voie sous-cutanée) ou versus antidiabétiques oraux chez des adultes présentant un diabète de type 1 ou de type 2 ?


Conclusion
Cette méta-analyse conclut que l’insuline inhalée offre une alternative non invasive à l’administration pré prandiale sous-cutanée d’insuline. Le contrôle glycémique est légèrement moins bon, mais le traitement serait mieux accepté que les injections sous-cutanées d’insuline. Les données sont insuffisantes quant à la sécurité pulmonaire à long terme, à l’effet au point de vue glycémie lors d’infections des voies respiratoires supérieures et au rapport coût/efficacité. Etant donné que l’administration sous-cutanée d’insuline est une alternative sûre, efficace et bien expérimentée, elle reste le premier choix.


 

Résumé

Contexte

  • la crainte des injections peut retarder l’instauration d’une insulinothérapie
  • la FDA et l’EMEA ont enregistré l’insuline inhalée chez les diabétiques de type 1 ou 2, non fumeurs, sans affection pulmonaire.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE et Cochrane Clinical Trials Register
  • listes de références des articles et études non publiées

 

Etudes sélectionnées

  • études randomisées contrôlées (16 études)
  • évaluant l’efficacité de l’insuline inhalée versus insuline sous-cutanée ou antidiabétiques oraux
  • sur l’HbA1c chez les diabétiques de type 1 et 2
  • d’une durée d’étude >12 semaines
  • exclusion : abstracts publiés dans des revues non contrôlées par des pairs.

 

Population étudiée

  • exclusion : fumeurs ou patients présentant une affection pulmonaire (asthme, pathologie pulmonaire interstitielle, BPCO)
  • 4023 diabétiques ; 42% de femmes ; 86% de race blanche; IMC 24-32 kg/m2 ; HbA1c 7-9,8%.

 

Mesure des résultats

  • critère d’évaluation primaire : différence en HbA1c entre deux groupes
  • critères d’évaluation secondaires : nombre de patients atteignant une HbA1c <7%, nombre de patients présentant une hypoglycémie sévère ou de la toux, modifications de la fonction pulmonaire et facilité d’emploi
  • sommation en modèle d'effets aléatoires
  • analyses en sous-groupes : en fonction du type de diabète, du type de traitement (insuline versus antidiabétique oral) et de la durée de l’intervention.

 

Résultats

  • HbA1c : diminution significativement plus grande dans le groupe insuline sous-cutanée que dans le groupe insuline inhalée (différence moyenne pondérée DMP : -0,08% ; IC à 95% de -0,03% à -0,14%)
  • HbA1c : diminution significativement plus grande dans le groupe insuline inhalée que dans le groupe antidiabétiques oraux (DMP : -1,04% ; IC à 95% de -1,59 à -0,49%)
  • pourcentage de patients avec une HbA1c <7% : pas de différence significative entre les groupes insuline inhalée et insuline sous-cutanée ; significativement plus élevé dans le groupe insuline inhalée versus le groupe antidiabétique oral : RR 1,78 ; IC à 95% de 1,07 à 3,25
  • hypoglycémies sévères : plus fréquentes avec l’insuline inhalée qu’avec les antidiabétiques oraux (9,4% vs 3,5% ; RR 3,06 ;IC à 95% de 1,03 à 9,07), mais pas en comparaison avec l’insuline sous-cutanée
  • toux légère : plus fréquente avec l’insuline sous-cutanée qu’avec les antidiabétiques oraux : 16,9% vs 5,0% ; RR 3,52 ;IC à 95% de 2,23 à 5,56
  • VEMS : diminue davantage chez les patients qui utilisent l’insuline inhalée (DMP -0,031 L ; IC à 95% de -0,043 à -0,020 L) ; diminution lentement progressive durant les six premiers mois, se stabilisant après 2 années de traitement
  • anticorps anti-insuline : valeurs plus élevées dans 7 études chez les diabétiques de type 1 traités avec insuline inhalée versus insuline sous-cutanée
  • satisfaction du patient : significativement plus élevée dans le groupe insuline inhalée versus insuline sous-cutanée dans 4 études.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’insuline inhalée est une alternative non invasive à l’administration pré prandiale d’insuline sous-cutanée. Le contrôle de la glycémie est un peu moins bon, mais le traitement est mieux accepté que les injections sous-cutanées d’insuline. En attendant les études à long terme, l’insuline inhalée devrait être réservée aux patients diabétiques, grossesse exclue, qui présentent une phobie des aiguilles qui motiverait un report de l’insulinothérapie.

 

Financement: toutes les études incluses sont financées par l’industrie pharmaceutique. Les sponsors de cette synthèse méthodique, NIH et Friedman Foundation, ne sont pas intervenus dans l’élaboration, la réalisation et la rédaction de cette recherche.

 

Conflits d’intérêt: aucune mention.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Des études non publiées figurant dans le dossier de la FDA concernant l’Exubera® ont été incluses. Accorder une même valeur à des études non publiées et à des publications dans des journaux avec revue des articles par les pairs pose question. Toutes les études sont en protocole ouvert, ce qui peut provoquer un biais dans l’évaluation de critères de jugement subjectifs tels que la toux ou la satisfaction du patient. Ces critères de jugement pertinents ne peuvent être évalués de façon valide que dans une étude en double aveugle. Pour terminer, toutes les études sont financées par l’industrie pharmaceutique ; seule une étude mentionne clairement le rôle du sponsor.

 

Interprétation des résultats

Toutes les études qui comparent l’insuline sous-cutanée avec l’insuline inhalée sont des études de non infériorité, qui permettent tout au plus de démontrer que l’insuline inhalée n’est pas moins efficace que l’insuline sous-cutanée (1). Dans cette méta-analyse, le contrôle glycémique (HbA1c) atteint avec l’insuline inhalée est moins bon qu’avec l’insuline sous-cutanée, ce qui ne permet pas de parler d’alternative équivalente. Les études qui comparent l’insuline inhalée avec les antidiabétiques oraux sont trop hétérogènes quant au type de médicament et à l’HbA1c initiale que pour permettre une comparaison correcte. Un contrôle meilleur de la glycémie avec l’insuline inhalée versus médication orale n’a été montré que dans des études à court terme, dans lesquelles l’insuline inhalée est progressivement augmentée, mais non la dose du médicament per os. Dans les études à long terme (24 semaines), dans lesquelles la médication orale est également augmentée progressivement, la différence en termes de contrôle glycémique disparaît. A ce jour, il n’y a pas d’étude contrôlée randomisée qui compare insuline inhalée et analogues d’insuline à action rapide. Il est douteux que des résultats différents soient enregistrés. En effet, hormis une plus grande flexibilité quant au moment de l’injection, aucune différence cliniquement pertinente entre insulines humaines et analogues d’insuline à action rapide n’a été montrée quant au contrôle glycémique et aux effets indésirables (2,3).

 

Effets indésirables

L’utilisation de l’insuline inhalée peut s’accompagner d’une petite toux sèche et d’une diminution légère de la fonction respiratoire, fonction qui ne se détériore pas davantage après un certain temps. L’effet à plus long terme n’est pas connu. Seules deux études à plus long terme (deux ans) sont reprises dans cette méta-analyse ; une pharmacovigilance minutieuse sera donc nécessaire pour évaluer l’effet de l’insuline inhalée sur la fonction respiratoire. L’insuline inhalée a généré des titres plus élevés d’anticorps anti-insuline que l’insuline sous-cutanée, surtout chez des patients diabétiques de type 1. L’importance clinique de ces constatations sur la survenue d’hypoglycémie, sur le contrôle glycémique, l’allergie, et les effets indésirables pulmonaires, n’est cependant actuellement pas évidente.

 

En pratique

Les patients diabétiques auraient peur des injections d’insuline. Une bonne information peut dissiper de nombreuses craintes et pour bien des patients ce ne sont pas tant les injections qui posent problème, mais plutôt l’imprévisibilité et les fluctuations de leur glycémie. Avec l’insuline inhalée aussi, l’autocontrôle reste indispensable. Seules quatre études auprès de diabétiques du type 1 et du type 2 montrent une plus grande satisfaction du patient (administration plus facile, plus de flexibilité dans le moment d’administration) pour l’insuline inhalée par rapport à l’insuline sous-cutanée. Mais l’insuline inhalée ne permettra pas forcément, pour cette raison,  une meilleure observance en pratique clinique. Un manque d’assise de la « possible amélioration de la satisfaction du patient » avec l’insuline inhalée a été confirmée dans une récente synthèse Cochrane4. Le dispositif d’administration de l’Exubera® est relativement volumineux et moins discret d’emploi que le stylo à insuline classique. Le dispositif d’inhalation actuel doit encore être amélioré pour permettre l’administration de doses plus petites, certainement pour des patients sensibles à l’insuline. L’insuline inhalée est déconseillée en cas de pneumonie, chez des patients souffrant de bronchopathie chronique obstructive, de pathologie pulmonaire interstitielle, d’asthme ou chez les fumeurs. En cas d’infection des voies respiratoires, le contrôle glycémique pourrait être moins bon en raison d’une modification de la biodisponibilité. Ce phénomène n’a cependant pas été constaté dans les études cliniques. Une analyse coût-efficacité est certainement nécessaire en raison du prix élevé. L’insuline inhalée devrait être réservée aux patients sans pathologie respiratoire, présentant une phobie avérée provoquant un report de l’initiation d’une insulinothérapie. Une autre indication serait une lipohypertrophie importante qui peut influencer de façon importante le profil d’absorption et d’action de l’insuline injectée en sous-cutané.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse conclut que l’insuline inhalée offre une alternative non invasive à l’administration pré prandiale sous-cutanée d’insuline. Le contrôle glycémique est légèrement moins bon, mais le traitement serait mieux  accepté que les injections sous-cutanées d’insuline. Les données sont insuffisantes quant à la sécurité pulmonaire à long terme, à l’effet au point de vue glycémie lors d’infections des voies respiratoires supérieures et au rapport coût/efficacité. Etant donné que l’administration sous-cutanée d’insuline est une alternative sûre, efficace et bien expérimentée, elle reste le premier choix.

Références

  1. van Driel M, Chevalier P. Evaluation de nouveaux médicaments: ‘supérieurs’, ‘équivalents’ ou ‘non inférieurs’ ? MinervaF 2006;5(1):1.
  2. Van de Casteele M. Analogues insuliniques à action rapide en cas de diabète. MinervaF 2007;6(3):39-41.
  3. Siebenhofer A, Plank J, Berghold A, et al. Short acting insulin analogues versus regular human insulin in patients with diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 2.
  4. Royle P, Waugh N, McAuley L, et al. Inhaled insulin in diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2.
Insuline inhalée : une alternative pour les diabétiques ?

Auteurs

De Block C.
Dienst Diabetologie, Metabolisme en Nutritiepathologie, UZ Antwerpen
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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