Revue d'Evidence-Based Medicine



Suivi téléphonique du pharmacien améliorant la survie ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 5 Page 78 - 80

Professions de santé


Analyse de
Wu JY, Leung WY, Chang S, et al. Effectiveness of telephone counselling by a pharmacist in reducing mortality in patients receiving polypharmacy: randomised controlled trial. BMJ 2006;333:522-7.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de contacts téléphoniques répétés, effectués par un pharmacien, sur l’observance thérapeutique et sur la mortalité de patients polymédiqués ?


Conclusion
Cette étude semble montrer une diminution des décès dans une population de patients polymédiqués, suivis en routine tous les deux à quatre mois en consultation médicale et contactés entre-temps par téléphone par un pharmacien. L’inférence d’une telle approche dans notre système de soins ainsi que son rapport coût-efficacité doivent encore être évalués.


 

Résumé

Contexte

L’observance thérapeutique de patients devant prendre plusieurs médicaments est estimée de 50% inférieure 1. Une motivation téléphonique et écrite peut améliorer cette observance mais les résultats des études ne sont pas univoques 2-4 et une efficacité en termes de résultats cliniques n’avait pas encore été évaluée.

Population étudiée

Des patients ont été recrutés dans 22 polycliniques d’un hôpital de Hong Kong, patients consultant en routine tous les deux à trois mois et devant prendre au moins cinq médicaments en chronique. Critères d’exclusion : problèmes de langue ou de communication (problèmes d’élocution, de surdité, de démence), séjour dans une institution de soins avec supervision du traitement. L’âge moyen des patients inclus est d’environ 71 ans (ET 10) et les hommes et femmes sont à égalité de nombre. Le score d’observance moyenne est de 55,5% (ET 26,5) dans le groupe contrôle et de 65,9% (ET 21) dans le groupe intervention.

Protocole d’étude

Avant leur visite de routine suivante programmée, les patients inclus ont un entretien avec un pharmacien, au cours duquel l’observance thérapeutique est abordée et une information sur l’usage correct des médicaments est donnée. Parmi les patients non observants (n=442), ceux qui le sont toujours (soit la moitié), sont répartis 12 à 16 semaines plus tard soit dans un groupe intervention (n=219), soit dans un groupe contrôle (n=223). Les patients inclus dans le groupe intervention sont contactés par téléphone par le même pharmacien entre deux visites de routine. Cet entretien téléphonique d’une durée de 10 à 15 minutes aborde : le schéma de prise médicamenteuse en cours, la correction de conceptions erronées, des explications sur les effets indésirables, le rappel de la visite de routine suivante, l’importance de l’observance thérapeutique et des mesures d’hygiène de vie. Après deux ans, le pharmacien revoit tous les patients et évalue à nouveau leur observance.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est le délai entre la randomisation et les décès observés. Les critères secondaires sont : nombre d’hospitalisations ou de consultations au service d’urgence, modification de l’observance thérapeutique. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Etude d’intervention (n=442)

Sur une période de suivi d’environ 23,2 (ET 4,5) mois, chaque patient inclus dans le groupe intervention est appelé de six à huit fois. Après deux ans, 38 patients (17%) sont décédés dans le groupe contrôle versus 25 (11%) dans le groupe intervention. Le risque relatif de décès est donc d’environ 40% pour le groupe intervention versus contrôle (RR 0,59; IC à 95% de 0,35 à 0,97; p=0,039). Le NST pour prévenir un décès grâce à des appels téléphoniques répétés est de 16. Une analyse en régression de Cox montre que, en dehors des contacts téléphoniques réalisés par le pharmacien, l’observance et la prise de statines initiale influencent également les résultats de manière indépendante. L’âge, la solitude, le nombre de médicaments et la durée d’hospitalisation augmentent le risque de décès. Par rapport à la période précédent les deux ans d’étude, le nombre de jours d’hospitalisation est augmenté en moyenne de trois jours dans le groupe contrôle et non augmenté dans le groupe intervention (p=0,018 pour la différence). Le nombre de recours aux urgences n’est pas significativement différent entre les deux groupes. Pour les patients non observants lors de la randomisation, 7% restent non observants en fin d’étude versus 18% dans le groupe contrôle (p<0,001 pour la différence). Parmi les patients observants lors de la répartition aléatoire, 81% restent observants en fin d’étude, versus 58% dans le groupe contrôle (p=0,038 pour la différence).

Cohorte totale (n=1 011)

Après correction pour les hospitalisations et pour consultations aux urgences, pour l’âge et pour le nombre de médicaments à prendre, le risque relatif de décès est de 2,87 (IC à 95% de 1,80 à 4,57; p<0,001) dans le groupe avec observance de 0 à 33% et de 1,61 (IC à 95% de 1,05 à 2,48; p=0,029) dans le groupe avec observance de 34 à 66% versus groupe avec >67% d’observance.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients polymédiqués, une moins bonne observance est associée à une mortalité plus élevée. Des contacts téléphoniques répétés, à l’initiative d’un même pharmacien, augmentent l’observance et diminuent la mortalité.

 

Financement

Hong Kong Government Health Care and Promotion Fund et un don de MSD.

Conflits d’intérêt

Deux auteurs ont collaboré à des programmes de recherche sponsorisés par MSD.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

C’est la première étude, et c’est un de ses points forts, évaluant un critère fort, à savoir la mortalité chez des personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies. De précédentes études évaluaient des interventions sur des critères intermédiaires chez des patients présentant des affections sévères. Il s’agit également, ici, d’une approche multidisciplinaire des patients. Ils bénéficient, de plusieurs côtés, du message soulignant l’importance de l’observance, ce qui renforce celui-ci. Il n’est donc pas possible d’extrapoler l’efficacité de contacts téléphoniques à la population générale. L’information n’est pas uniquement apportée par le pharmacien et l’influence possible des consultations médicales n’est pas prise en compte. L’observance est évaluée grâce à un questionnaire, alors que le gold standard est un monitoring électronique. Les auteurs font mention d’une vérification complémentaire (« patients’ accounts », « computerised information », « pill samples »), mais sans préciser de quoi il s’agit. Les patients ont été randomisés à l’insu du pharmacien, ce qui est d’un intérêt douteux, étant donné que ce même pharmacien a, lors du premier entretien, rassemblé les données concernant l’observance thérapeutique. Le contenu des entretiens téléphoniques avec les patients n’est pas communiqué aux médecins traitants, en raison de difficultés liées à un changement trop rapide du staff médical. Ceci peut être important, les sujets inclus dans le groupe intervention recevant davantage de médicaments antiagrégants et hypolipidémiants.

Mise en perspective dans la littérature

Des patients atteints d’ostéoporose prennent plus rapidement des médicaments contre l’ostéoporose, augmentent leur apport en calcium et sont plus attentifs à leur poids quand une infirmière les contacte régulièrement par téléphone (trois fois sur 12 mois) 5. Une autre étude montre qu’une dizaine d’appels téléphoniques, par une infirmière, d’une durée d’environ six minutes, apporte une amélioration de 50% sur l'échelle de la dépression d’Hamilton 6. Les pharmaciens peuvent également améliorer l’observance thérapeutique de patients dépressifs 7. Un contact téléphonique par un pharmacien est également un outil validé en termes d’encouragement couronné de succès pour la prise de médicaments antihypertenseurs 8. Un suivi par téléphone, basé sur des recommandations, apporte une amélioration symptomatique significative chez 74,2% des patients 9. Lors d’un traitement anti VIH, l’observance peut également être améliorée par une intervention téléphonique du pharmacien, sans modification cependant observée pour la charge virale 10. L’importance de l’observance thérapeutique a encore été récemment soulignée : l’observance d’un placebo apporte plus de bénéfice qu’un traitement non adhérent à des médicaments en cas d’insuffisance cardiaque 11.

 

Conclusion

Cette étude semble montrer une diminution des décès dans une population de patients polymédiqués, suivis en routine tous les deux à quatre mois en consultation médicale et contactés entre-temps par téléphone par un pharmacien. L’inférence d’une telle approche dans notre système de soins ainsi que son rapport coût-efficacité doivent encore être évalués.

 

Références

  1. Colley CA, Lucas LM. Polypharmacy: the cure becomes the disease. J Gen Intern Med 1993;8:278-83.
  2. Friedman RH, Kazis LE, Jette A, et al. A telecommunication system for monitoring and counseling patients with hypertension. Impact on medication adherence and blood pressure control. Am J Hypertens 1996;9:285-92.
  3. Robinson JG, Conroy C, Wickemeyer WJ. A novel telephone-based system for management of secondary prevention to a low-density lipoprotein cholesterol ≤ 100 mg/dl. Am J Cardiol 2000;85:305-8.
  4. Guthrie RM. The effects of postal and telephone reminders on compliance with pravastatin therapy in a national registry: results of the first myocardial infarction risk reduction program. Clin Ther 2001;23:970-80.
  5. Schousboe JT, Chen Y, Debold CR, et al. Education and phone follow-up in postmenopausal women at risk for osteoporosis: effects on calcium intake, exercise frequency, and medication use. Dis Manage Health Outcomes 2005; 13:394-404.
  6. Hunkeler EM, Meresman JF, Hargreaves WA, et al. Efficacy of nurse telehealth care and peer support in augmenting treatment of depression in primary care. Arch Fam Med 2000;9:700-8.
  7. Rickles NM, Svarstad BL, Statz-Paynter JL, et al. Pharmacist telemonitoring of antidepressant use: effects on pharmacist-patient collaboration. J Am Pharm Assoc 2005;45:344-53.
  8. Petrilla AA, Benner JS, Battleman DS, et al. Evidence-based interventions to improve patient compliance with antihypertensive and lipid-lowering medications. Int J Clin Pract 2005;59:1441-51.
  9. Westerlund T, Andersson IL, Marklund B. The quality of self-care counselling by pharmacy practitioners, supported by IT-based clinical guidelines. Pharm World Sci 2007;29:67-72.
  10. Rueda S, Park-Wyllie LY, Bayoumi AM, et al. Patient support and education for promoting adherence to highly active antiretroviral therapy for HIV/AIDS. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  11. Laekeman G, van Driel M. Observance du placebo, garantie de longévité [Editorial]. MinervaF 2006;5(10):145.
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