Revue d'Evidence-Based Medicine



Etoricoxib et diclofénac : sécurité gastro-intestinale comparable



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 5 Page 72 - 74

Professions de santé


Analyse de
Laine L, Curtis SP, Cryer B, et al; MEDAL Steering Committee. Assessment of upper gastrointestinal safety of etoricoxib and diclofenac in patients with osteoarthritis and rheumatoid arthritis in the Multinational Etoricoxib and Diclofenac Arthritis Long-term (MEDAL) programme: a randomised comparison. Lancet 2007;369:465-73.


Question clinique
L’étoricoxib (AINS sélectif de la cyclo-oxygénase-2 ou COXIBS) a-t-il une sécurité gastro-intestinale différente de celle du diclofénac (AINS dit traditionnel) ?


Conclusion
Cette étude montre, chez des patients âgés d’au moins 50 ans, atteints d’arthrite rhumatoïde ou d’arthrose, que l’administration d’étoricoxib versus diclofénac diminue l’incidence d’événements gastro-intestinaux supérieurs mais uniquement pour les formes non compliquées de ceux-ci. Les limites méthodologiques et statistiques de cette publication sont cependant nombreuses : critère de jugement secondaire, doses variables d’étoricoxib pour une dose fixe, élevée, de diclofénac, administration fréquente d’un IPP même sous étoricoxib. Le bénéfice annoncé pour l’étoricoxib, de faible ampleur et sans précision donnée (NST 244 sans intervalle de confiance mentionné), semble donc cliniquement peu pertinent. Un éventuel bénéfice doit être mis en balance avec les risques cardio-vasculaires (et autres) connus pour les COXIBS et certains autres AINS non sélectifs.


 

Résumé

Contexte

Parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) classiques, le diclofénac est, après l’ibuprofène, celui qui a la toxicité gastro-intestinale la moins élevée 1. Les AINS sélectifs de la cyclo-oxygénase-2 (COXIBS) ont construit leur envahissement du marché sur une moindre toxicité gastro-intestinale… qui n’a pas toujours été vérifiée pour les complications sérieuses ni pour des traitements prolongés 2.

 

Population étudiée

Un total de 34 701 patients, 24 913 (72%) avec arthrose (du genou, de la hanche, des mains ou de la colonne) et 9 787 (28%) avec arthrite rhumatoïde, âgés d’au moins 50 ans (âge moyen de 63,2 ans), dont 74% de femmes, nécessitant un traitement anti-inflammatoire au long cours, est inclus. Une co-médication initiale est souvent présente : aspirine à faible dose (35%), corticostéroïdes (15 et 16%). Un antécédent d’événement gastro-intestinal supérieur est présent chez 6 et 7% des participants.

 

Protocole d’étude

Sommation de trois études randomisées, contrôlées, en double aveugle, multicentriques ayant déjà fait l’objet d’une publication 3. Un total de 17 412 patients reçoit de l’étoricoxib à une dose de 60 à 90 mg une fois par jour et 17 289 reçoivent du diclofénac deux fois 75 mg par jour. L’utilisation concomitante d’aspirine ≤ 100 mg est autorisée (et est prise par 33% des sujets inclus pendant au moins 75% de l’étude), ainsi que celle d’un inhibiteur de la pompe à protons à titre préventif si indiqué (en fait pris par 40% des sujets pendant au moins 75% de l’étude). Le suivi moyen est de dix-huit mois (ET 11,8).

 

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire de ces études concernait le risque cardio-vasculaire 4. Les événements gastro-intestinaux supérieurs dans leur ensemble, les événements avec complications, ainsi que les événements non compliqués sont des critères secondaires (définitions précises données). L’analyse est faite en intention de traiter, avec des analyses en sous-groupes suivant la prise ou non et la régularité de prise d’aspirine ou d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP).

 

Résultats

Les résultats sont donnés dans le tableau. Le HR observé se maintient au cours du temps de l’étude. En analyse en sous-groupes, la prise d’aspirine ou d’un IPP ne modifie pas les différences ou absences de différence observées entre les deux groupes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’incidence d’événements gastro-intestinaux supérieurs est moindre avec l’étoricoxib qu’avec le diclofénac, mais que la différence est liée à une diminution des événements non compliqués et non à une baisse des événements plus sérieux, compliqués. La prise d’un IPP ou d’aspirine ne modifie pas les données.

 

Financement

L’étude MEDAL a été financée par la firme Merck and Co, qui a élaboré le protocole avec le Steering Committee, a contrôlé l’étude, a récolté et analysé les résultats.

 

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs ont bénéficié de subsides de nombreuses firmes pour des conférences, consultances ou recherches ou sont employés par la firme Merck.

Tableau : Nombre d’événements gastro-intestinaux supérieurs observés par 100 années patients (avec IC à 95 %) et hazard ratio entre les groupes étoricoxib et diclofénac.

 

 

Etoricoxib

(IC à 95%)

Diclofénac

(IC à 95%)

HR

(IC à 95%)

valeur p

Total des événements gastro-intestinaux*

0,67

(0,57 à 0,77)

0,97

(0,85 à 1,10)

0,69

(0,57 à 0,83)

0,0001

Evénements gastro-intestinaux compliqués**

0,30

0,32

0,91

(0,67 à 1,24)

0,561

Evénements gastro-intestinaux non compliqués***

0,37

0,65

0,57

(0,45 à 0,74)

p non donné

  

* les événements gastro-intestinaux supérieurs suivants : saignement, perforation, occlusion, ulcère avec traduction clinique, diagnostiqué

** perforation, occlusion, saignement d’ulcère, saignement significatif

*** saignement sans complication, ulcère sans complication.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Nous avons déjà fait plusieurs remarques concernant la méthodologie de cette étude 4 qui est en fait la sommation de trois études avec le même protocole. Ce type de sommation, de plus en plus fréquente, nous pose problème : quelle garantie avons-nous que toutes les études réalisées avec le même protocole sont rassemblées et qu’une sélection n’est pas réalisée selon les résultats obtenus ? La dose de diclofénac est fixe, de 150 mg par jour, ce qui représente une posologie élevée surtout en usage prolongé ; la dose d’étoricoxib est par contre soit de 60 soit de 90 mg ; une analyse comparative correcte aurait dû prendre en compte séparément les deux doses d’étoricoxib. Pour ce qui concerne les critères d’événements gastro-intestinaux supérieurs repris dans cette publication, ce ne sont, en fait, que des critères secondaires, avec une puissance d’étude non établie en fonction de ce critère. Des analyses supplémentaires en sous-groupes, sans calcul donné pour des valeurs p appropriées pour de telles analyses, ajoutent encore au caractère fort hypothétique des interprétations. La proportion de population à risque gastro-intestinal, définie par la présence d’au moins un facteur de risque (âge >65 ans, antécédent d’événement gastro-intestinal supérieur, prise d’aspirine ou de corticostéroïde systémique) semble importante : 66% dans le groupe étoricoxib et 67% dans le groupe diclofénac. Parmi ces personnes à risque, 46% ont reçu un IPP durant au moins 75% de l’étude, aussi bien avec l’étoricoxib qu’avec le diclofénac. Ce qui signifie donc, aussi, que plus de 50% des sujets à risque n’ont pas reçu d’IPP, ce qui semble étonnant surtout lors de l’administration prolongée d’un AINS non spécifique. L’incidence d’événements gastro-intestinaux est cependant plus faible (de 60%) que celle enregistrée dans d’autres études à long terme (TARGET 5, CLASS 6), sans différence notable des caractéristiques des patients ; l’administration plus large d’IPP joue-t-elle un rôle dans cette moindre incidence ?

Si une randomisation n’a pas été faite en fonction de la prise d’aspirine ou d’un inhibiteur de la pompe à protons, les caractéristiques initiales ou en cours d’étude ne montrent pas de différence entre les deux groupes pour la prise de ces médicaments. Les analyses en sous-groupes sont réalisées, entre autres, selon la prise ou non d’un IPP mais sans lien entre cette prise et le risque initial, ce qui rend très difficile l’interprétation des résultats (sans valeur p adéquate pour une analyse en sous-groupes).

 

Interprétation des résultats

Cette étude montre donc que l’étoricoxib, souvent associé à un IPP, ne provoque pas moins d’événements gastro-intestinaux supérieurs compliqués que le diclofénac, lui aussi souvent associé à un IPP, tout en montrant un bénéfice pour l’ensemble des événements gastro-intestinaux supérieurs : RAR de 0,41%, soit un NST de 244 (intervalle de confiance non donné) sur un suivi moyen de 18 mois. Des analyses en sous-groupes montrent un bénéfice persistant avec ou sans administration d’un IPP ; les intervalles de confiance sont cependant larges, indiquant une faible précision des résultats.

Pour les autres COXIBS, un bénéfice versus AINS non sélectifs est mal prouvé dans ce domaine 7 : soit absence de preuve clinique (étoricoxib), soit preuve à court terme mais doutes à plus long terme (célécoxib), soit réduction du risque à un tiers ou à un quart (lumiracoxib) à un an de traitement.

Dans deux études chez des patients à risque (âge d’au moins 60 ans et/ou antécédent d’ulcère) 8, une incidence cumulée d’ulcère endoscopique de 16,5% est observée sous COXIBS pour une incidence de 17,1% sous AINS non sélectif et de 6,8% sous ésoméprazole + AINS non sélectif. Deux autres études avaient montré une non infériorité soit du célécoxib versus diclofénac + oméprazole 9,10 soit du célécoxib versus lansoprazole + naproxène 11 chez des patients avec antécédents d’ulcère. Une comparaison avec les résultats de cette étude-ci est hasardeuse pour deux raisons principales : les analyses concernent des sous-groupes avec les limites statistiques bien connues pour ce type d’analyse et, d’autre part, le risque initial d’ulcère (ou de complication) est variable et l’administration concomitante d’un IPP n’est pas uniforme.

Il est aussi connu qu’un (éventuel) avantage des COXIBS sur les AINS non sélectifs au point de vue gastro-intestinal disparaît en cas de prise concomitante d’aspirine 5,12. Ce ne serait pas le cas pour l’étoricoxib, avec persistance d’un bénéfice, quoique avec une amplitude moindre de la différence observée. Ce bénéfice ne concerne pas les événements gastro-intestinaux compliqués.

 

Conclusion

Cette étude montre, chez des patients âgés d’au moins 50 ans, atteints d’arthrite rhumatoïde ou d’arthrose, que l’administration d’étoricoxib versus diclofénac diminue l’incidence d’événements gastro-intestinaux supérieurs mais uniquement pour les formes non compliquées de ceux-ci. Les limites méthodologiques et statistiques de cette publication sont cependant nombreuses : critère de jugement secondaire, doses variables d’étoricoxib pour une dose fixe, élevée, de diclofénac, administration fréquente d’un IPP même sous étoricoxib. Le bénéfice annoncé pour l’étoricoxib, de faible ampleur et sans précision donnée (NST 244 sans intervalle de confiance mentionné), semble donc cliniquement peu pertinent. Un éventuel bénéfice doit être mis en balance avec les risques cardio-vasculaires (et autres) connus pour les COXIBS et certains autres AINS non sélectifs.

 

Références

  1. Henry D, Lim LL, Garcia Rodriguez LA, et al. Variability in risk of gastrointestinal complications with individual non-steroidal anti-inflammatory drugs: results of a collaborative meta-analysis. BMJ 1996;312:1563-6.
  2. Van Driel M, Chevalier P, Janssens I. AINS Cox 2 sélectifs : évaluation après cinq ans. MinervaF 2003;2(9):148-51.
  3. Cannon CP, Curtis SP, FitzGerald GA, et al; MEDAL Steering Committee. Cardiovascular outcomes with etoricoxib and diclofenac in patients with osteoarthritis and rheumatoid arthritis in the Multinational Etoricoxib and Diclofenac Arthritis Long-term (MEDAL) programme: a randomised comparison. Lancet 2006;368:1771-81.
  4. Chevalier P. Etoricoxib et diclofénac : risque cardio-vasculaire identique. MinervaF 2007;6(2):28-30.
  5. Schnitzer T, Burmester GR, Mysler E, et al; TARGET Study Group. Comparison of lumiracoxib with naproxen and ibuprofen in the Therapeutic Arthritis Research and Gastrointestinal Event Trial (TARGET), reduction in ulcer complications: randomised controlled trial. Lancet 2004;364:665-74.
  6. Silverstein FR, Faich G, Goldstein JL, et al. Gastrointestinal toxicity with celecoxib vs nonsteroidal anti-inflammatory drugs for osteoarthritis and rheumatoid arthritis. The CLASS study: a randomized controlled trial. JAMA 2000;284:1247-55.
  7. L'usage adéquat des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Synthèse de la littérature disponible. Réunion de Consensus INAMI 25 novembre 2004.
  8. Scheiman JM, Yeomans ND, Talley NJ, et al. Prevention of ulcers by esomeprazole in at-risk patients using non-selective NSAIDs and COX-2 inhibitors. Am J Gastroenterol 2006;101:701-10.
  9. Chan FK, Hung LC, Suen BY, et al. Celecoxib versus diclofenac and omeprazole in reducing the risk of recurrent ulcer bleeding in patients with arthritis. N Engl J Med 2002;347:2104-10.
  10. Chevalier P. Prévention des des ulcères sous AINS : le célécoxib n’est pas plus efficace. MinervaF 2003;2:146-7.
  11. Lai KC, Chu KM, Hui WM, et al. Celecoxib compared with lansoprazole and naproxen to prevent gastrointestinal ulcer complications. Am J Med 2005;118:1271-8.
  12. Singh G, Fort JG, Goldstein JL, et al; SUCCESS-I Investigators. Celecoxib versus naproxen and diclofenac in osteoarthritis patients: SUCCESS-I Study. Am J Med 2006;119:255-66.
Etoricoxib et diclofénac : sécurité gastro-intestinale comparable



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