Revue d'Evidence-Based Medicine



Sevrage tabagique avec le bupropion et la nortriptyline en cas de BPCO



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 4 Page 63 - 64

Professions de santé


Analyse de
Wagena EJ, Knipschild PG, Huibers MJ, et al. Efficacy of bupropion and nortriptyline for smoking cessation among people at risk for or with chronic obstructive pulmonary disease. Arch Intern Med 2005;165:2286-92.


Question clinique
Quelle est l’efficacité du bupropion SR et de la nortriptyline dans le sevrage tabagique chez des fumeurs présentant une BPCO et chez des fumeurs à risque de BPCO ?


Conclusion
Cette étude montre que le bupropion est une aide efficace pour le sevrage tabagique chez les patients BPCO. Néanmoins, le suivi est de court terme, ce qui ne permet pas de préciser l’efficacité à long terme. Chez les patients à risque de BPCO, les antidépresseurs n’ont pas de plus-value par rapport à une motivation ou un counseling.


 

Résumé

Contexte

Le sevrage tabagique semble être plus difficile chez des fumeurs présentant une BPCO que chez des fumeurs sains. Des études d’observation semblent indiquer que des fumeurs avec BPCO souffrent plus souvent d’affections psychiatriques telles que la dépression 1. En outre, les fumeurs avec BPCO sont plus dépendants de la nicotine 2. Ceci motive une évaluation de l’efficacité des antidépresseurs dans le sevrage de fumeurs atteints de BPCO.

Population étudiée

Des personnes de 30 à 70 ans à risque de BPCO ou avec BPCO confirmée, qui fument depuis au moins cinq ans, qui au cours de la dernière année ont fumé au moins dix cigarettes par jour et manifestent la motivation d’arrêter de fumer, sont incluses dans l’étude. Les personnes qui ont déjà utilisé ou utilisent encore le bupropion SR ou la nortriptyline ou les personnes qui utilisent des substituts de la nicotine ou des médicaments psychoactifs ou celles chez qui l’usage du bupropion SR ou de la nortriptyline est contre-indiqué, sont exclues. Un total de 255 personnes d’un âge moyen de 51 (±8,5) ans participe à l’étude. Elles fument une moyenne de 23 (±8,7) cigarettes par jour.

Protocole d’étude

Cette étude en double aveugle, contrôlée versus placebo, en double placebo, randomisée, répartit les participants soit dans un groupe qui reçoit du bupropion SR 150 mg deux fois par jour (n=86), soit dans un groupe recevant de la nortriptyline 75 mg/j (n=80), soit dans un groupe placebo (n=89). Quatre visites de contrôle sont planifiées (semaines 1, 3, 12 et 26 après le jour choisi d’arrêt du tabac) durant le suivi de 26 semaines. Lors des trois premières visites, les participants reçoivent aussi un counseling individuel, durant 10 à 20 minutes. En outre, les participants bénéficient d’un soutien téléphonique le jour choisi pour l’arrêt et 2, 4, 6 et 11 semaines plus tard.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l’arrêt prolongé complet du tabac de la 4ème à la 26ème semaine suivant le jour prévu de l’arrêt. L’arrêt tabagique prolongé est défini comme suit : le participant rapporte n’avoir fumé aucune cigarette (même pas une bouffée) à partir de la 4ème et jusqu’à la 26ème semaine après l’arrêt programmé et cet arrêt du tabagisme est confirmé par la mesure du taux de cotinine urinaire lors des visites de contrôle aux semaines 4, 12 et 26 après l’arrêt.

Résultats

Trente-cinq participants arrêtent l’étude prématurément et 45% des participants prennent plus de 80% de leurs médicaments, pour 37% en prenant moins de 50%. Il n’y a pas de différence significative entre les trois groupes d’étude. Une analyse en intention de traiter montre un arrêt complet du tabac de la semaine 4 à 26 chez 28% des participants du groupe bupropion, 25% du groupe nortriptyline et 15% du groupe placebo. Seule la différence entre le bupropion et le placebo est statistiquement significative. Après stratification, une différence statistiquement significative entre le bupropion et le placebo chez les patients BPCO est également observée, mais chez les personnes à risque de BPCO, il n’y a pas de différence entre les traitements actifs et le placebo. Quarante participants (16%) arrêtent leur traitement en raison d’effets indésirables. Un nombre significativement plus important arrêtent dans le groupe nortriptyline versus groupe placebo (p<0,01). Le bupropion et la nortriptyline occasionnent davantage de troubles du sommeil, de sécheresse de bouche, de diarrhée et de constipation. En comparaison avec le placebo, la nortriptyline provoque significativement plus de sécheresse de bouche, de diarrhée ou de constipation et de fatigue. Il n’y a pas de différence significative d’incidence d’effets indésirables entre le bupropion et le placebo.  

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le bupropion SR est une aide efficace pour l’arrêt du tabac chez des patients atteints de BPCO. La nortriptyline semble être une alternative utile.

Financement

Nederlandse Astma Stichting et Nederlandse Organisatie voor Gezondheidsonderzoek (ZonMw).

Conflits d’intérêt

La firme Lundbeck a fourni gratuitement la nortriptyline. Les firmes Lundbeck et GlaxoSmith Kline n’ont participé ni à l’élaboration, ni à l’exécution de l’étude, ni à l’interprétation ou à l’analyse de ses données.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Quelques problèmes méthodologiques sont à souligner. La mise en aveugle n’est pas optimale. En effet un « jury » de trois personnes a réussi à distinguer le médicament actif du placebo sur base du goût et du toucher (pas sur l’aspect extérieur). Les participants prenant la médication active, ont également pu plus souvent deviner la nature de leur médication que les participants du groupe placebo. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure ce biais a pu influencer les résultats. Il y a très peu de sorties d’étude. Un suivi de six mois est cependant un minimum absolu pour un problème tel que le sevrage tabagique, qui inclut des rechutes particulièrement fréquentes. Un suivi d’un an est certainement préférable. Un point fort est l’objectivation de l’arrêt tabagique par une détermination du taux de cotinine dans les urines. Le faible taux d’observance est à mettre en épingle ; il peut influencer négativement l’efficacité. Il est probablement aussi informatif quant à l’attitude des sujets vis-à-vis des médicaments pour le sevrage tabagique.

Fumeurs avec BPCO versus sans BPCO

Les deux points originaux de cette étude sont, d’une part, la comparaison entre les patients avec BPCO et les patients à risque de BPCO et, d’autre part, l’analyse séparée des patients avec dépression. Le bupropion est efficace dans le groupe avec BPCO. Une étude antérieure l’avait déjà montré 3. Celle-ci étudiait l’efficacité du bupropion SR 150 mg chez 404 personnes présentant une forme légère à modérée de BPCO : après six mois, 16% arrêtent de fumer avec le bupropion versus 9% dans le groupe placebo (p=0,04). La différence n’est cependant plus significative après un an. Dans l’étude analysée ici, les pourcentages d’arrêt après six mois sont plus élevés : 27,3% versus 8,3%. Dans le groupe de patients avec risque de BPCO, le nombre d’arrêts de tabagisme est également élevé, surtout dans le groupe placebo. Dans une Cochrane Review concernant l’effet des antidépresseurs dans le sevrage tabagique, 20,2% arrêtent avec la nortriptyline, 19,8% avec le bupropion et 10,2% ou 11,2% avec placebo (en fonction de la méta-analyse) 4. Dans cette étude-ci, les pourcentages de succès sont respectivement de 28,6%, de 32,1% et de 22%. Ces chiffres élevés illustrent, sans doute, le fait qu’une bonne motivation et un counseling intensif sont un complément à la thérapie médicamenteuse (active et placebo). La reproductibilité en pratique quotidienne est une question qui surgit tout aussi tôt.

Un rôle de la dépression ?

Un total de 52 participants est jugé dépressif sur l’échelle d’évaluation de la dépression, ce qui représente un participant sur cinq. Néanmoins, les sous-groupes sont trop petits pour pouvoir en tirer des conclusions et les résultats ne peuvent que donner une tendance en faveur du bupropion. D’autres études ont montré que tant le bupropion que la nortriptyline sont efficaces chez les fumeurs avec ou sans antécédent de dépression 4. L’efficacité ne semble pas dépendre de la survenue ou non d’une dépression post sevrage tabagique. L’étude de Wagena et coll. semble montrer que les patients BPCO rechutent plus vite que les patients non BPCO. Raison de plus pour ne pas considérer le pourcentage d’arrêt après six mois comme résultat final.

 

Conclusion

Cette étude montre que le bupropion est une aide efficace pour le sevrage tabagique chez les patients BPCO. Néanmoins, le suivi est de court terme, ce qui ne permet pas de préciser l’efficacité à long terme. Chez les patients à risque de BPCO, les antidépresseurs n’ont pas de plus-value par rapport à une motivation ou un counseling.

 

Références

  1. Wagena EJ, Arrindell WA, Wouters EF, van Schayck CP. Are patients with COPD psychologically distressed? Eur Respir J 2005;26:242-8.
  2. Jiménez-Ruiz CA, Masa F, Miravitlles M, et al. Smoking characteristics: differences in attitudes and dependence between healthy smokers and smokers with COPD. Chest 2001;119:1365-70.
  3. Tashkin D, Kanner R, Bailey W, et al. Smoking cessation in patients with chronic obstructive pulmonary disease: a double-blind, placebo-controlled, randomised trial. Lancet 2001;357:1571-5.
  4. Hughes JR, Stead LF, Lancaster T. Antidepressants for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 1.
Sevrage tabagique avec le bupropion et la nortriptyline en cas de BPCO

Auteurs

De Sutter A.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Glossaire

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