Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement anti-reflux pour la toux chronique ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 4 Page 61 - 63

Professions de santé


Analyse de
Chang AB, Lasserson TJ, Kiljander TO, et al. Systematic review and meta-analysis of gastro-oesophageal reflux interventions for chronic cough associated with gastro-oesophageal reflux. BMJ 2006;332:11-7.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement anti-reflux chez des adultes et chez des enfants présentant une toux chronique sans pathologie sous-jacente du système respiratoire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse d’études randomisées, cliniquement très hétérogènes et de petites tailles, permet de conclure qu’un traitement anti-reflux n’a pas d’effet significatif chez des adultes et chez des enfants présentant une toux chronique aspécifique associée à un reflux gastro-oesophagien.


 

Résumé

Contexte

Des études de cohorte auprès d’adultes ont montré que le reflux gastro-oesophagien (RGO) est l’étiologie de la toux chronique aspécifique dans 21 à 41% de l’ensemble des cas1. Certains guides de bonne pratique recommandent un traitement empirique du RGO dans la toux chronique 2,3.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

Cochrane Library, MEDLINE et EMBASE, listes de références des publications pertinentes et contacts écrits avec les auteurs.

Etudes sélectionnées

Etudes contrôlées randomisées évaluant l’efficacité d’un traitement anti-reflux auprès d’adultes et d’enfants présentant une toux chronique (>3 semaines) aspécifique (sans pathologie des voies respiratoires sous-jacente). Finalement onze études incluant un total de 383 patients sont sélectionnées.

Population concernée

Trois études concernent des enfants (n=200) et deux d’entre elles incluent des nourrissons (≤ 2 ans). Huit études sont réalisées auprès d’adultes (n=149). A l’exception d’une étude, le RGO est confirmé par une exploration complémentaire.

Mesure des résultats

Le critère d’évaluation primaire est le nombre de patients qui ne guérit pas totalement durant le traitement (failure to cure). Les critères d’évaluation secondaires sont : le nombre de patients qui ne connaissent pas d’amélioration notable, la différence moyenne en fréquence de toux et le score de toux à la fin de l’étude ainsi que le nombre d’effets indésirables et de complications.

Résultats

Chez les enfants

Aucune des trois études auprès d’enfants ne montre une influence significative du traitement anti-reflux (épaississement de la nourriture, mesures anti-reflux conservatrices, cisapride et dompéridone) sur la toux.

Chez les adultes

Dans une étude en permutation, contrôlée versus placebo, une amélioration significative du score de la toux est trouvée après deux semaines de traitement avec de la ranitidine. Dans une étude comparative entre cisapride, mesures diététiques, et placebo et alimentation normale, durant quatre mois, aucune différence n’est observée pour le score de la toux. Cinq études contrôlées versus placebo analysent l’efficacité des différents IPPs utilisés à des doses variables ; une étude compare l’oméprazole à la ranitidine. Seule une étude rapporte une différence significative de l’amélioration du score de la toux après huit semaines de traitement avec l’oméprazole comparé au placebo. Les données d’analyse en intention de traiter pour le critère d’évaluation primaire (failure to cure) ne sont disponibles que dans trois études. Après sommation, l’odds ratio (OR) est de 0,24 (IC à 95% de 0,04 à 1,27) en faveur du traitement par IPP. Les méta-analyses des critères d’évaluation secondaires ne montrent pas de différence entre les différents IPPs et le placebo.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’utilisation d’IPP n’a d’effet favorable que chez certains adultes présentant de la toux chronique associée au RGO. L’efficacité est moins fréquente que ce qui est suggéré dans certains guides de bonne pratique et la taille de l’effet est incertaine.

Financement

Cochrane Child Health Field.

Conflits d’intérêt

Le premier auteur a reçu un financement de Glaxo pour une étude sur l’asthme. Un autre auteur est consultant pour AstraZeneca et a reçu des honoraires comme conférencier pour AstraZeneca, Wyeth, Pfizer et Boehringer Ingelheim. Un autre auteur a reçu des honoraires pour des conférences d’AstraZeneca.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La sélection des études, l’évaluation de leur qualité méthodologique et l’extraction des données ont été réalisées par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Cette recherche a livré onze études cliniques très hétérogènes. Elles diffèrent fort entre elles, tant pour les critères d’inclusion que pour les critères d’exclusion. Trois études concernent des patients présentant « une laryngite symptomatique » (dans une étude, seuls 50% des participants présentent une toux chronique), un RGO n’est pas objectivé de façon standardisée et, dans les études réalisées dans des services ORL, les critères d’exclusion ne sont guère suffisants pour éliminer des affections respiratoires. De nombreux médicaments différents sont utilisés et, de plus, avec des dosages et posologies très variables. La toux a été mesurée d’une façon subjective. Enfin, quatre des onze études sont de mauvaise qualité méthodologique (score de Jadad < 3) et le nombre de patients inclus est < 30 dans toutes les études.

Interprétation des résultats

Le seul résultat observé est, dans deux analyses post hoc en sous-groupes, une efficacité significativement plus grande de l’« effet sur le score de la toux après traitement par IPP ». L’étude de Kiljander est la seule qui présente un résultat significatif et est incluse dans deux méta-analyses regroupant chaque fois deux seules études 4 . La manière subjective et non validée de mesurer la toux, rend la pertinence clinique de cet « effet positif » impossible à évaluer. Les résultats de cette synthèse méthodique contrastent avec ceux d’études d’observation précédemment publiées. Ceux-ci montraient une amélioration de la toux chez 86 à 100% des patients après 4 à 6 semaines de traitement avec IPP et/ou procinétique 5,6 . Cette disparité en faveur des études non contrôlées peut être expliquée par un effet placebo ou par une disparition spontanée de la toux durant le déroulement de l’étude. Une puissance insuffisante, un diagnostic erroné (la toux pouvant ne pas être provoquée par un RGO chez toutes les personnes incluses) ou l’hypothèse que la toux peut également être provoquée par un reflux non acide 2,3 (rendant les antiacides non efficaces) sont d’autres explications possibles au fait qu’un effet significatif n’a pu être trouvé dans les études contrôlées.

Autres études

Une RCT récente incluant 146 personnes présentant une laryngite 7 n’ajoute rien à la mise à jour de cette synthèse méthodique 8. Le manque de RCTs contrôlées versus placebo valides, n’empêche cependant pas des groupes de consensus européens et américains de recommander un traitement empirique anti-reflux chez des personnes souffrant de toux chronique. D’après eux, il n’est pas nécessaire d’objectiver le RGO comme cause possible de la toux chronique, si les affections du système respiratoire ont pu être éliminées sur des bases cliniques, et si des IPPs et d’éventuels procinétiques ne se montrent pas efficaces après un à trois mois, l’indication chirurgicale anti-reflux serait à prendre en considération 2,3. Sachant qu’il n’existe même pas d’étude sur le traitement anti-reflux dans la toux chronique sans RGO et que l’efficacité d’une chirurgie anti-reflux lors de toux chronique avec RGO n’est pas encore démontrée, il est incompréhensible que de telles recommandations validées reçoivent l’étiquette « Evidence-Based Clinical Practice Guidelines ».

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique et méta-analyse d’études randomisées, cliniquement très hétérogènes et de petites tailles, permet de conclure qu’un traitement anti-reflux n’a pas d’effet significatif chez des adultes et chez des enfants présentant une toux chronique aspécifique associée à un reflux gastro-oesophagien.

 

Références

  1. Irwin RS, Curley FJ, French CL. Chronic cough. The spectrum and frequency of causes, key components of the diagnostic evaluation, and outcome of specific therapy. Am Rev Respir Dis 1990;141:640-7.
  2. Irwin RS, Baumann MH, Bolser DC, et al; American College of Chest Physicians (ACCP). Diagnosis and management of cough: ACCP evidence-based clinical practice guidelines. Chest 2006;129:1S-292S.
  3. Morice AH, Fontana GA, Sovijarvi AR, et al; ERS Task-force. The diagnosis and management of chronic cough. Eur Respir J 2004;24:481-92.
  4. Kiljander TO, Salomaa ER, Hietanen EK, Terho EO. Chronic cough and gastro-oesophageal reflux: a double-blind placebo-controlled study with omeprazole. Eur Respir J 2000;16:633-8.
  5. Habermann W, Kiesler K, Eherer A, Friedrich G. Short-term therapeutic trial of proton pump inhibitors in suspected extraesophageal reflux. J Voice 2002;16:425-32.
  6. Poe RH, Kallay MC. Chronic cough and gastroesophageal reflux disease: experience with specific therapy for diagnosis and treatment. Chest 2003;123:679-84.
  7. Vaezi MF, Richter JE, Stasney CR, et al. Treatment of chronic posterior laryngitis with esomeprazole. Laryngoscope 2006;116:254-60.
  8. Chang AB, Lasserson TJ, Gaffney J, et al. Gastro-oesophageal reflux treatment for prolonged non-specific cough in children and adults. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 4.
Traitement anti-reflux pour la toux chronique ?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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