Revue d'Evidence-Based Medicine



Lithium en prévention du suicide en cas de trouble dépressif



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 4 Page 57 - 59

Professions de santé


Analyse de
Cipriani A, Pretty H, Hawton K, Geddes JR. Lithium in the prevention of suicidal behavior and all-cause mortality in patients with mood disorders: a systematic review of randomized trials. Am J Psychiatry 2005;162:1805-19.


Question clinique
Quelle est l’efficacité du lithium, versus placebo et versus autres traitements actifs, en matière de prévention du suicide et de la mortalité globale chez des patients présentant un trouble dépressif ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre une efficacité du lithium en prévention du suicide, de l’atteinte à sa propre personne et des décès de toutes causes chez des patients présentant un trouble dépressif. Sur base de cette étude, il n’est pas possible de conclure à l’indication du lithium dans tous les troubles dépressifs. Chez les sujets traités par lithium, un suivi soigneux des fonctions rénale et thyroïdienne est à réaliser, ainsi qu’une recherche de signes toxiques éventuels.


 

Résumé

Contexte

Un meilleur traitement et une prévention de la rechute de troubles dépressifs semblent représenter une stratégie adéquate de prévention du suicide. Des études randomisées, contrôlées, semblent montrer qu’un traitement médicamenteux (entre autres le lithium) diminue le risque de rechute en cas de trouble dépressif. Les études ayant individuellement une puissance insuffisante pour pouvoir tirer des conclusions concernant des critères relativement rares comme le suicide ou la mortalité globale, une méta-analyse était la bienvenue.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

Cochrane Collaboration Depression, Anxiety and Neurosis Controlled Trials Register, MEDLINE, EMBASE, PsycINFO et CINAHL. D’autres articles pertinents et des traités concernant les troubles dépressifs ont été recherchés, les auteurs ont été contactés ainsi que des experts et des producteurs de lithium ou produits comparés.

Etudes sélectionnées

Sont incluses, les RCTs évaluant l’efficacité d’un traitement à long terme (≥ 3 mois) avec du lithium versus placebo ou versus autre médicament actif sur les troubles dépressifs dont la dépression unipolaire, le trouble bipolaire, les troubles schizo-affectifs, la dysthymie et le « rapid cycling » (changement d’humeur ≥ quatre fois par an), diagnostic effectué selon les critères du DSM et de l’ICD. Sur 727 références possibles, 32 RCTs ont été incluses.

Population étudiée

Un total de 1 389 patients traités par lithium a été inclus, ainsi que 2 069 traités par un autre médicament actif ou par placebo. Dans trois études, les patients étaient déjà traités par lithium depuis un an. Deux études n’incluent que des femmes ; une, uniquement des hommes ; deux, rien que des personnes âgées.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont le suicide, l’atteinte à sa propre personne (tentative de suicide non fatale incluse) et la mortalité globale. A priori, un critère composite regroupant suicides et atteintes à sa propre personne était également déterminé.

Résultats

Sept études mentionnent des suicides. Deux des patients traités par lithium versus onze traités par placebo ou par un autre médicament actif (amitriptyline, carbamazépine, lamotrigine) se sont suicidés dans ces études : OR 0,26 ; IC à 95% de 0,09 à 0,77; p=0,01. Sept cas d’atteinte à sa propre personne ont été observés, mais sans différence significative entre les groupes lithium et contrôle. Pour le critère de jugement composite (suicide et atteinte à sa propre personne), moins de cas sont observés dans le groupe lithium : OR 0,21 ; IC à 95% de 0,08 à 0,50; p=0,0005. Dans onze études, neuf décès sont observés dans le groupe lithium versus 22 dans le groupe contrôle : OR 0,42 ; IC à 95% de 0,21 à 0,87; p=0,02. Une analyse post hoc ne montre pas de différence significative entre les études avec placebo versus celles avec un autre médicament actif, ni entre les patients présentant une dépression unipolaire versus sujets atteints d’un trouble bipolaire.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le lithium est efficace dans la prévention du suicide, de l’atteinte à sa propre personne et de la mortalité globale chez des patients présentant un trouble dépressif.

Financement

Oxfordshire Mental Healthcare National Health Service Trust.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse n’inclut que des données issues d’études randomisées, contrôlées. Ce faisant, les auteurs évitent quelques limites présentes dans d’autres études, dans lesquelles, par exemple, les patients sortis du groupe lithium sont utilisés comme contrôle. Il est possible que les patients ne faisant pas preuve de la discipline nécessaire pour un traitement par lithium présentent un risque suicidaire accru. Les auteurs signalent eux-mêmes un ensemble de limites pour leur synthèse. Ainsi, le nombre de suicides et, principalement, le nombre d’atteintes à sa propre personne signalés sont fort faibles, probablement en raison du fait que les personnes présentant un risque élevé de suicide ne sont pas recrutés dans des RCTs et que la recherche d’événements d’atteinte à sa propre personne dans ces études est trop peu systématique et donc trop peu scrupuleuse. De nombreuses études sont, de surcroît, également de (trop) courte durée. Un biais de publication est également possible, les études ne montrant pas d’avantage pour le lithium n’étant pas publiées, mais ceci est peu probable : pour les études récentes, sponsorisées par l’industrie pharmaceutique, un biais de publication serait plutôt à l’avantage des médicaments servant de comparaison (principalement l’amitriptyline, la carbamazépine et la lamotrigine). Les auteurs soulignent aussi l’importante hétérogénéité entre les études incluses, aussi bien en matière de diagnostic (troubles uni- et bipolaires rassemblés) qu’en termes de médicaments utilisés mais ils en tiennent compte dans l’analyse statistique. Cette étude bénéficie d’une puissance suffisante pour pouvoir montrer des interactions entre les variables, telles que la catégorie diagnostique, le médicament de comparaison et l’efficacité du lithium. Les auteurs insistent sur la cohérence des résultats des différentes études. L’effet protecteur du lithium en termes de vie semble indépendant du médicament servant de comparaison. Le critère « mortalité de toute cause » est clair (pas de discussion pour savoir si un décès est lié à un suicide) et également cliniquement pertinent : un effet positif en termes de prévention de suicides peut être contrebalancé par une mortalité accrue liée à une toxicité. Cette étude discute de l’efficacité d’un traitement au lithium sur un type précis de critère : suicide, atteinte à sa propre personne et mortalité totale. D’autres critères d’évaluation, tels que rechute symptomatique ou qualité de vie ne sont pas explorés ici 1-3.

Intérêt d’un traitement avec du lithium

Nous sommes en présence de la première étude, basée sur des RCTs, qui montre qu’un traitement précis peut diminuer le risque de suicide et, notamment, la mortalité liée à un trouble psychiatrique. En ces temps de préoccupations quant à une possibilité que les traitements psychiatriques augmentent le risque d’atteinte à sa propre personne et de suicide 4, c’est une donnée importante. En outre, le fait qu’il s’agisse d’un « vieux » médicament (en prime, bon marché) est à souligner. L’utilisation, en prévention du risque suicidaire chez des patients présentant des troubles dépressifs, d’un médicament potentiellement toxique comme le lithium peut paraître paradoxale. Cette étude étaye cependant cet usage. Un surdosage au lithium est plutôt rare quand le traitement chronique est bien suivi 5. Un suivi attentif du risque d’atteinte à sa personne et de suicide est, ensuite, un autre élément clé de l’accompagnement. La létalité d’un surdosage aigu en lithium semble inférieure à celle des antidépresseurs tricycliques plus anciens et semblable à celle des antidépresseurs modernes, des antipsychotiques et des antiépileptiques 6. Certains praticiens préfèrent d’autres médicaments pour le traitement chronique de troubles dépressifs, écartant le lithium en raison de complications ou d’effets indésirables possibles ; ce choix ne repose pas sur des bases scientifiques solides. L’efficacité et l’efficacité pratique d’un traitement chronique avec du lithium sont mieux étayées en cas de trouble bipolaire qu’en situation de dépression unipolaire 2,3, élément très important à prendre en considération lors du choix médicamenteux. Chez des patients suicidaires adhérents à leur traitement, la mortalité réduite grâce au lithium est un avantage complémentaire. L’initiation et certainement le suivi d’un traitement au lithium d’un trouble bipolaire doivent, de préférence, résulter d’une concertation entre le médecin généraliste et le psychiatre. Les fonctions rénales et thyroïdiennes doivent être suivies. Il faut être attentif à la survenue de signes de neurotoxicité, tels que paresthésies, ataxie, tremor et troubles cognitifs 7.

Conclusion

Cette méta-analyse montre une efficacité du lithium en prévention du suicide, de l’atteinte à sa propre personne et des décès de toutes causes chez des patients présentant un trouble dépressif. Sur base de cette étude, il n’est pas possible de conclure à l’indication du lithium dans tous les troubles dépressifs. Chez les sujets traités par lithium, un suivi soigneux des fonctions rénale et thyroïdienne est à réaliser, ainsi qu’une recherche de signes toxiques éventuels.

Références

  1. Geddes JR, Burgess S, Hawton K, et al. Long-term lithium therapy for bipolar disorder: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Psychiatry 2004;161:217-22.
  2. Burgess S, Geddes J, Hawton K, et al. Lithium for maintenance treatment of mood disorders. Cochrane Database Syst Rev 2001, Issue 3.
  3. Cipriani A, Smith K, Burgess S, et al. Lithium versus antidepressants in the long-term treatment of unipolar affective disorder. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 4.
  4. Pieters G. ISRS et suicide. MinervaF 2006;5(2):18-21.
  5. Baldessarini RJ, Tondo L, Davis P, et al. Decreased risk of suicides and attempts during long-term lithium treatment: a meta-analytic review. Bipolar Disord 2006;8:625-39.
  6. Waddington D, McKenzie IP. Overdose rates in lithium-treated versus antidepressant-treated outpatients. Acta Psychiatr Scand 1994;90:50-2.
  7. National Institute of Health and Clinical Excellence. The management of bipolar disorder in adults, children and adolescents, in primary and secondary care. NICE, 2006.
Lithium en prévention du suicide en cas de trouble dépressif

Auteurs

Pieters G.
em. prof. KU Leuven
COI :

Glossaire

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