Revue d'Evidence-Based Medicine



Rimonabant : le nouveau médicament contre l’obésité ?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 10 Page 146 - 148

Professions de santé


Analyse de
1. Van Gaal LF, Rissanen AM, Scheen AJ et al. Effects of the cannabinoid-1 receptor blocker rimonabant on weight reduction and cardiovascular risk factors in overweight patients: 1-year experience from the RIO-Europe study. Lancet 2005;365:1389-97. 2. Pi-Sunyer FX, Aronne LJ, Heshmati HM et al. Effect of rimonabant, a cannabinoid-1 receptor blocker, on weight and cardiometabolic risk factors in overweight or obese patients. JAMA 2006;295:761-75.


Question clinique
Quel est l’effet du rimonabant versus placebo sur le poids corporel et sur les facteurs de risque cardio-vasculaire, chez des patients obèses ?


Conclusion
Ces deux études montrent qu’un traitement par 20 mg quotidiens de rimonabant permet d’obtenir, dans un cadre contrôlé (avec un suivi intensif), une diminution de poids limitée à environ 4 kg après un an, versus placebo. Ce bénéfice s’évanouit à l’arrêt du traitement. La poursuite du traitement durant une deuxième année, permet d’obtenir une perte de poids supplémentaire de 1,1 kg seulement. L’importance du bénéfice sur les facteurs de risque cardio-vasculaire est difficile à évaluer après deux ans ; ce bénéfice disparaît également à l’arrêt du traitement. Le taux de sortie d’étude est élevé (jusqu’à 49% durant la première année) et 80% des sujets rapportent des effets indésirables. La survenue d’effets indésirables psychiques (angoisse et dépression) invite à la poursuite de l’observation. Le rimonabant n’est pas «une révélation dans le traitement de l’obésité» et ne peut prétendre, tout comme l’orlistat et la sibutramine, qu’à une place limitée dans la prise en charge de l’obésité.


 

Résumé

Contexte

L’incidence de l’obésité augmente à l’échelle mondiale. Peu de médicaments efficaces et sûrs pour la réduction du poids sont disponibles. En Belgique, il y a deux médicaments enregistrés en thérapie adjuvante du traitement de l’obésité : la sibutramine et l’orlistat. Ces deux médicaments permettent d’obtenir une perte de poids limitée de respectivement 4,5 et 2,9 kg après un an de traitement 1,2. Le système cannabinoïde endogène, récemment découvert, régulerait, par activité centrale et grâce à des récepteurs périphériques, la balance énergétique, l’apport alimentaire et le métabolisme lipidique et glucidique. Des recherches sur des animaux obèses ont montré que le rimonabant, un inhibiteur sélectif du récepteur cannabinoïde 1, pouvait réduire le poids et améliorer des troubles métaboliques. Une étude a été élaborée, en Europe comme aux Etats-Unis, pour évaluer l’efficacité du rimonabant chez des patients obèses, l’étude RIO (Rimonabant In Obesity)-Europe et l’étude RIO-Amérique du Nord.

Population étudiée

Les deux études incluent des personnes ≥18 ans avec un IMC >30 ou un IMC >27 et une hyperlipidémie non traitée et/ou une hypertension. Les critères d’exclusion sont, entre autres : plus de 5 kg de variation du poids corporel dans les derniers trois mois, troubles endocriniens tels que diabète sucré, pathologie cardiaque, respiratoire, hépatique ou rénale connue, problèmes neurologiques ou psychiatriques (dont des antécédents de dépression ou de tentative de suicide), prise de médicament pouvant influencer le poids, antécédent de chirurgie bariatrique ou intention d’arrêter de fumer dans un proche avenir. Finalement, 1 507 personnes sont incluses dans l’étude RIO-Europe, âgées en moyenne de 45 ans (80% de femmes), avec un poids moyen de 100 kg et un tour de taille moyen de 108 cm. Dans l’étude RIO-Amérique du Nord, ce sont 3 045 personnes qui sont incluses, d’un âge moyen de 45 ans (80% de femmes), avec un poids moyen de 104 kg et un tour de taille moyen de 106 cm (dont 84% de race blanche et 11% de race noire).

Protocole d’étude

Les études RIO-Europe et RIO-Amérique du Nord sont multicentriques, en double aveugle, contrôlées versus placebo et randomisées. Après une période d’inclusion de quatre semaines, les participants sont répartis, suivant un ratio 1:2:2 et par blocs de cinq patients par centre, dans trois bras de traitement : un groupe reçoit durant un an un placebo, un groupe 5 mg de rimonabant et un groupe 20 mg de rimonabant par jour. Une stratification est effectuée en fonction de la perte de poids durant la période d’inclusion. Le traitement est associé avec un régime hypocalorique et une augmentation du niveau d’activités. Dans l’étude RIO-Amérique du Nord, les sujets sont, à nouveau, randomisés sur base d’un ratio 1:1 après un an. Les personnes ayant reçu du rimonabant durant la première année sont réparties soit dans un groupe poursuivant la même dose de rimonabant, soit dans un groupe recevant un placebo. Le groupe recevant initialement un placebo, poursuit le même traitement. Le poids et le périmètre abdominal sont mesurés mensuellement. Un examen clinique, une biologie (glucose, insuline, lipides, hématologie, enzymes hépatiques) et un électrocardiogramme sont effectués tous les trois mois.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la modification absolue de poids observée un an après randomisation, en analyse en intention de traiter. Le nombre de participants montrant une diminution de leur poids de 5% et de 10% est également évalué. Dans l’étude RIO-Amérique du Nord, la prévention d’une prise de poids durant la deuxième année par rapport à la première est également considérée comme un deuxième critère de jugement primaire. Les critères secondaires sont : périmètre abdominal, taux de glucose, d’insuline, de HDL-cholestérol et de triglycérides.

Résultats

Après la période d’inclusion avec placebo, la perte de poids moyenne dans les études RIO-Europe et RIO-Amérique du Nord est de 1,9 kg et la diminution moyenne du périmètre abdominal est respectivement de 1,5 (ET 3,5) et 2,1 (ET 0,08) cm. Dans les deux études, les traitements par 5 mg et 20 mg de rimonabant montrent une diminution du poids et du périmètre abdominal (voir tableau). Les participants de l’étude RIO-Amérique du Nord qui ont poursuivi leur traitement avec 20 mg de rimonabant durant la deuxième année, ont perdu au total 7,4 kg (ET 0,4), tandis que dans le groupe passant durant la deuxième année à un traitement placebo le poids est devenu identique à celui du groupe sous placebo durant deux ans. Dans le groupe traité par 20 mg de rimonabant, le poids moyen est réduit de 3,3 kg (IC à 95% de -4,3 à -3,0) versus groupe placebo et le périmètre abdominal également de 2,8 cm (IC à 95% de -3,6 à -2,0). Dans le groupe rimonabant 5 mg, aucune différence n’est observée versus placebo après deux ans.

Dans les deux études, une augmentation significative de la HDL-cholestérolémie et une diminution significative de la triglycéridémie, de la glycémie et de l’insulinémie à jeun sont observées dans le groupe rimonabant 20 mg versus groupe placebo. Dans l’étude RIO-Amérique du Nord, la HDL-cholestérolémie est augmentée et l’insulinémie diminuée dans le groupe rimonabant 5 mg. Seule la poursuite d’un traitement par 20 mg de rimonabant assure le maintien de cette augmentation de la HDL-cholestérolémie. Aucune différence significative n’est observée entre les groupes rimonabant et placebo pour la cholestérolémie totale, la LDL-cholestérolémie, les pressions artérielles systoliques et diastoliques. Des effets indésirables sont observés avec une incidence pratiquement semblable dans tous les groupes, pour plus de 80% des personnes incluses. Des nausées, des troubles de l’équilibre, de la diarrhée et des arthralgies sont plus fréquents avec le rimonabant, des céphalées et de la fatigue avec le placebo et des troubles psychiatriques avec le rimonabant 20 mg. Dans ce dernier groupe, des sorties d’étude plus fréquentes sont observées en raison d’angoisse, de dépression, de nausées, de vomissements et de diarrhée. Le taux global de sortie d’étude ne diffère pas entre les groupes et atteint de 39 à 49% après un an, encore augmenté de 28% après deux ans.

 

Tableau : Perte de poids moyenne, pourcentage de sujets avec une perte de poids de ≥5% et ≥10%, et diminution moyenne du périmètre abdominal sous traitement par 5 et 20 mg de rimonabant versus placebo, dans les études RIO-Europe et RIO-Amérique du Nord.

 

RIO-Europe

RIO-Amérique du Nord

Perte moyenne de poids en kg (ET)

Placebo

-1,8 (6,4)

-1,6 (0,2)

5 mg rimonabant

-3,4 (5,7)*

-2,9 (suivant graphique)*

20 mg rimonabant

-6,6 (7,2)*

–6,3 (0,2)*

% de sujets avec perte de poids  ≥5%

     

Placebo

19,2

20,0

5 mg rimonabant

33,2*

26,1*

20 mg rimonabant

50,9*

48,6*

% de sujets avec perte de poids  ≥10%

     

Placebo

7,3

8,5

5 mg rimonabant

10,1

10,6

20 mg rimonabant

27,4%*

25,2*

Diminution moyenne du périmètre abdominal en cm (ET)

     

Placebo

-1,5 (7,3)

-2,5 (0,3)

5 mg rimonabant

-5,3 (6,4)*

-3 (suivant graphique)

20 mg rimonabant

-8,5 (7,4)*

-6,1 (0,2)*

* différence significative versus placebo

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’administration de 20 mg de rimonabant par jour, en association avec un régime hypocalorique, permet d’obtenir une diminution significative du poids et du périmètre abdominal ainsi qu’un effet favorable sur les facteurs de risque cardio-vasculaire. Dans l’étude RIO-Amérique du Nord, ces effets sont maintenus à deux ans sous traitement par rimonabant 20 mg. Le taux important de sortie d’étude est un facteur confondant et les effets à long terme du traitement doivent encore être évalués.

Financement

Sanofi-Aventis.

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs ont reçu des défraiements pour frais de voyages et des honoraires de la part de Sanofi-Aventis pour leur participation à des réunions ayant trait à l’étude RIO. Sanofi-Aventis a participé à l’élaboration du protocole d’étude, à la collecte des données, à leur analyse et à la rédaction de l’article.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La perte moyenne de poids et la diminution du périmètre abdominal durant la période d’inclusion (régime et placebo) sont étonnamment importantes, respectivement de 1,9 kg (dans les deux études) et de 1,5 cm (Europe) à 2,1 cm (Amérique du Nord). En fonction de l’efficacité finale au terme de deux ans de traitement par un médicament actif, ces chiffres sont élevés. Environ 10% des personnes initialement incluses dans l’étude RIO-Amérique du Nord «failed the run-in» et ont été exclues avant randomisation. La signification de cette exclusion n’est pas claire, ni le type de patients ainsi exclus (non observance ?). Nous ne savons également pas quels auraient été les résultats avec le maintien dans l’étude de tels patients. Les personnes présentant un diabète sucré ou une hépatopathie ont également été exclues. Ce sont précisément les patients pour lesquels une prise en charge de l’obésité peut bénéficier d’une médication additive. Enfin, 80% de la population incluse est constituée de femmes ; l’effet chez les hommes devra donc être interprété avec beaucoup de précaution.

Taux de sortie d’étude important

Le taux de sortie d’étude est notablement élevé dans tous les groupes (environ 1 sujet sur 2 dans l’étude RIO-Amérique du Nord !), également donc dans le groupe placebo, phénomène significatif du sentiment d’impuissance face à des patients obèses (les sorties d’étude ne survenant pas uniquement en raison d’effets indésirables). Les sorties d’étude plus fréquentes pour effets psychiques indésirables (angoisse et dépression) sous rimonabant est un problème qui devra être suivi de près. L’observance dans la pratique quotidienne ne sera sans doute pas supérieure à celle observée dans ce type d’étude, avec gratuité du médicament, suivi rigoureux et avis mensuel donné. Avec un tel taux de sortie d’étude, une analyse en intention de traiter est la seule façon d’approcher tant soit peu la vérité. La méthode d’analyse en «last observation carried forward» a été largement débattue (dans l’étude RIO-Amérique du Nord) et considérée comme la moins mauvaise. Elle a comme conséquence que, en cas de sortie d’étude, les dernières données d’observation disponibles (poids, périmètre abdominal) sont reprises pour l’analyse, tandis qu’une sortie d’étude préférentielle des patients constatant une prise de poids est attendue ; cette prise de poids n’est donc pas prise en considération dans l’analyse.

Le financement des études par le fabricant et le fait que quasiment tous les auteurs sont soit sponsorisés soit employés par la firme, doit être pris en considération. Il faut également noter que de nombreux centres des E.-U. sont inclus dans l’étude RIO-Europe.

Les résultats à la loupe

Les résultats sont positifs et la sécurité semble satisfaisante, mais une lecture des chiffres en valeur absolue donne une autre image que celle de la seule signification statistique. Après un an de traitement avec 20 mg de rimonabant par jour, enregistrer une perte de poids de 4,8 kg en plus versus placebo, est-ce la révélation tant attendue quand le poids initial est de 100 kg environ ? Une autre observation décevante est la reprise de poids un an après l’arrêt d’un traitement par rimonabant 20 mg, avec atteinte d’un poids semblable à celui des personnes sous placebo durant deux ans. Les auteurs en concluent que «nous devrons donc traiter l’obésité durant la vie entière, comme, par exemple, l’hypertension», interprétation curieuse qui ravira plus d’un fabricant mais qui ne convaincra pas tout le monde. Etre significativement meilleur, avec une valeur p<0,001, ne suffit pas, dans ce domaine également. Maintenir un traitement durant deux ans avec 20 mg quotidiens de rimonabant n’apporte qu’un faible bénéfice durant la deuxième année : 1,1 kg en moyenne en moins (diminution de 6,3 kg durant la première année, diminution de 7,4 kg au terme des deux ans). Durant cette deuxième année, les patients traités par placebo durant les deux ans ont donc maigri davantage que ceux du groupe rimonabant 20 mg (respectivement 2,2 kg versus 1,1 kg). Sous 20 mg de rimonabant, la perte de poids est de 7,4 kg après deux ans et la différence entre les groupes rimonabant 20 mg et placebo est de 3,6 kg. Sous placebo, la perte est de 1,6 kg après un an, de 3,8 kg (7,4-3,6 kg) après deux ans, donc une diminution de 2,2 kg (3,8-1,6 kg) durant la deuxième année. En d’autres circonstances, un gain relatif de 100% serait annoncé.

L’influence significativement positive sur les critères de jugement intermédiaires (valeurs des lipides et de la glycémie) est potentiellement intéressante mais pas davantage 3,4, surtout en raison de l’observation d’une réduction de l’effet durant la deuxième année et de sa disparition à l’arrêt du médicament. Dans l’introduction de l’étude RIO-Amérique du Nord, les auteurs mentionnent que les interventions sur le style de vie ont un effet «modeste» de 5 à 10% et que le bénéfice à long terme est limité. Ils auraient pu reprendre ces termes comme conclusion de leur étude avec un traitement par rimonabant. Les 20% de fumeurs dans l’étude RIO-Europe et les 9% dans l’étude RIO-Amérique du Nord pourraient tirer plus de bénéfice au point de vue santé en arrêtant de fumer plutôt que de prendre du rimonabant durant deux ans. 

 

Conclusion

Ces deux études montrent qu’un traitement par 20 mg quotidiens de rimonabant permet d’obtenir, dans un cadre contrôlé (avec un suivi intensif), une diminution de poids limitée à environ 4 kg après un an, versus placebo. Ce bénéfice s’évanouit à l’arrêt du traitement. La poursuite du traitement durant une deuxième année, permet d’obtenir une perte de poids supplémentaire de 1,1 kg seulement. L’importance du bénéfice sur les facteurs de risque cardio-vasculaire est difficile à évaluer après deux ans ; ce bénéfice disparaît également à l’arrêt du traitement. Le taux de sortie d’étude est élevé (jusqu’à 49% durant la première année) et 80% des sujets rapportent des effets indésirables. La survenue d’effets indésirables psychiques (angoisse et dépression) invite à la poursuite de l’observation. Le rimonabant n’est pas «une révélation dans le traitement de l’obésité» et ne peut prétendre, tout comme l’orlistat et la sibutramine, qu’à une place limitée dans la prise en charge de l’obésité.

 

Références

  1. Li Z, Maglione M, Tu W et al. Meta-analysis: pharmacological treatment of obesity. Ann Intern Med 2005;145:532-46.
  2. Van Royen P, Bastiaens H, D’hondt A et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Overgewicht en obesitas bij volwassenen in de huisartspraktijk. Huisarts Nu 2006;35:118-40.
  3. Rimonabant dans l’obésité: tenir compte des incertitudes. Folia Pharmacotherapeutica 2006;33:79-80.
  4. Rimonabant. Rev Prescr 2006;26:405-9.

 

Noms de marque

Orlistat : Xenical®

Rimonabant : non enregistré en Belgique;

Sibutramine : Reductil®

Rimonabant : le nouveau médicament contre l’obésité ?

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

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