Revue d'Evidence-Based Medicine



Sibutramine et changement de mode de vie dans l’obésité



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 10 Page 149 - 151

Professions de santé


Analyse de
Wadden TA, Berkowitz RI, Womble LG et al. Randomized trial of lifestyle modification and pharmacotherapy for obesity. N Engl J Med 2005;353:2111-20.


Question clinique
Quelle est l’efficacité sur la perte de poids chez les patients obèses, après un an, d’un traitement associant sibutramine et conseils de mode de vie dispensés en groupe versus sibutramine seule, sessions de groupe seules ou sibutramine et conseils de mode de vie individuels brefs lors d’un contact avec le médecin traitant ?


Conclusion
Cette étude montre qu’une association de changement de mode de vie (régime, activité physique et thérapie comportementale) avec la sibutramine chez des patients obèses (IMC 30-45) permet d’obtenir une perte de poids plus importante que celle atteinte avec les interventions séparées. La perte de poids atteinte est cependant limitée. La médication n’a qu’une place adjuvante et ne remplace jamais la prise en charge de base. Les études visant à déterminer chez quels patients obèses et dans quelle phase du traitement la combinaison apporte le plus de bénéfice pour un minimum de coût doivent être poursuivies.


Contexte

L’obésité est prise en charge, en premier lieu, de façon multidisciplinaire, en groupe ou individuellement, par des conseils de mode de vie concernant le régime, le comportement alimentaire et l’activité physique 1. La thérapie comportementale peut également contribuer à une baisse de poids si elle est combinée à des conseils alimentaires et à des activités physiques 2. L’efficacité et la sécurité de la sibutramine et de l’orlistat, à long terme, ont déjà fait l’objet d’études. La sibutramine a déjà été suffisamment évaluée versus placebo 3, mais l’efficacité de son association avec les conseils de mode de vie dispensés en groupe ou des conseils individuels de mode de vie brefs, lors d’une consultation chez le médecin traitant, n’avait pas encore été étudiée.                                    

Population étudiée

Au moyen d’une petite annonce, 404 adultes âgés de 18 à 65 ans avec un IMC de 30 à 45 sont invités pour une entrevue de sélection chez un psychologue et pour un examen médical chez leur médecin traitant. Sont exclus, les patients présentant une hypertension, une morbidité vasculaire cérébrale ou cardiaque, une maladie rénale ou hépatique et/ou un diabète. D’autres critères d’exclusion sont fixés : femmes enceintes ou allaitantes, prise d’ISRS ou d’une autre médication pouvant influencer le poids corporel, perte de poids d’au moins 5 kg dans les six derniers mois ainsi que des contre-indications psychosociales telles que la boulimie, un abus de drogues, une dépression et des soins psychiatriques. Finalement, 224 personnes (180 femmes et 44 hommes) d’un âge moyen de 43,6 ans (ET 10) et avec un IMC moyen de 37,9 (ET 4) sont incluses.

Protocole d’étude

Dans cette étude randomisée, contrôlée, ouverte, 224 patients sont répartis dans un des quatre bras suivants : sibutramine seule (n=55), conseils de mode de vie dispensés en groupe par des psychologues entraînés (n=55), une association des deux (n=60) et une combinaison de sibutramine avec des conseils brefs de mode de vie donnés par le médecin traitant au cours d’une consultation (n=54). La dose de sibutramine est augmentée, par paliers de trois semaines, de 5 mg vers 10 mg et finalement vers 15 mg. Après randomisation, tous les patients ont reçu un régime hypocalorique équilibré (1200-1500 kcal/jour ; 15% de protéines et <30% de graisses) ainsi que des conseils d’exercices (30 minutes d’activité physique (marche) par jour). Dans les trois groupes avec conseils de mode de vie, les patients sont également invités à noter quotidiennement leurs ingestions de nourriture et leur activité physique. Les patients sont vus régulièrement et les paramètres sont mesurés après 18, 40 et 52 semaines.

Mesures des résultats

Le critère de jugement primaire est la perte de poids obtenue après un an. Les critères de jugement secondaires sont les paramètres biochimiques tels que la cholestérolémie totale, la triglycéridémie, la glycémie, l’insulinémie et la résistance à l’insuline, la pression artérielle et le pouls. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Les personnes qui reçoivent un traitement combiné (sibutramine et sessions en groupe) perdent significativement plus de poids que les personnes incluses dans les trois autres groupes, tant après 18, 40 qu’après 52 semaines (p<0,001). De plus, dans ce groupe, un nombre significativement plus élevé de patients présente une perte de poids de plus de 10% (p=0,004) (voir tableau). Dans ce groupe, les patients perdent davantage de poids lorsqu’ils notent régulièrement leur apport alimentaire que lorsqu’ils ne le notent pas (18,1±9,8 kg versus 7,7±7,5 kg ; p=0,04). Dans tous les groupes, une baisse significative de la triglycéridémie, de la cholestérolémie, de la glycémie, de l’insulinémie et de la résistance à l’insuline ainsi qu’une augmentation de la HDL-cholestérolémie sont enregistrées, mais il n’y a pas de différence significative entre les différents groupes. Après un an, la pression artérielle est abaissée dans tous les groupes sans différences significatives entre les groupes. Durant l’étude, la dose de sibutramine a été diminuée de 15 mg à 10 mg chez trente-quatre patients en raison d’une hausse de pression systolique et diastolique de 10 mm Hg. Douze patients arrêtent le traitement en raison d’effets indésirables. Des palpitations et une éruption au niveau du visage disparaissent à l’arrêt du traitement. Le nombre d’effets indésirables n’est cependant pas significativement différent entre les groupes.

 

Tableau : Résultats dans les différents groupes d’études.

 

 

Sibutramine seule

Conseils de mode de vie donnés en groupe

Traitement combiné

Sibutramine et conseils individuels de mode de vie

Perte moyenne de poids (kg) après l an (+ET)

5,0±7,4

6,7±7,9

12,1±9,8†

7,5±8,0

Plus de 10% de perte de poids après l an (%)

26%

29%

52%‡

26%

Enregistrement de l’apport alimentaire après 18 semaines (+ET)

non d’application

88,4±32,7†

91,5±35,9†

61,0±40,0

Pression systolique moyenne après l an

-1,8±13,9

-3,8±13,2

-5,8±15,0

-0,4±10,0

Pression diastolique moyenne après l an

+0,7±9,4

-1,1±8,8

-0,2±9,3

+2,6±7,2

† p<0,001 versus autre(s) groupe(s) ;  ‡ p=0,004 versus autres groupes

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’association de la médication et des conseils pour une modification du mode de vie donnés en groupe, apporte une perte de poids plus importante que les deux interventions effectuées séparément.

Financement

National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases (E.-U.).

Conflits d’intérêt

Quatre des dix auteurs (dont le premier auteur) ont reçu des honoraires d’une ou plusieurs firme(s) pharmaceutique(s), e.a. de Roche et de Knoll Pharmaceutical (producteurs de l’orlistat et de la sibutramine).

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT a été bien construite avec des critères d’inclusion clairs, un bon suivi des patients inclus et une analyse en intention de traiter. Un total de 39 patients (17%) quitte prématurément l’étude, majoritairement en raison d’une insatisfaction vis-à-vis (des résultats) du traitement. Les patients à risque présentant un diabète ou une hypertension ne sont pas repris dans l’étude ; aucune conclusion ne peut donc être tirée pour ce type de patients. Les patients inclus ont été randomisés, ce qui permet une répartition équitable des patients dans les groupes traités. Il n’y a pas d’insu pour les patients et pas de comparaison avec un placebo. Pour l’étude de l’effet combiné du changement de mode de vie et de la médication, il eut été utile d’allouer la médication en aveugle et de la comparer avec un «bras placebo». Ceci nous aurait donné une meilleure vue sur l’efficacité précise de cette prise en charge 4,5. La proposition combinée de thérapie comportementale et de médication comporte en effet des risques et des inconvénients. L’efficacité de la médication peut amener les patients à faire moins d’efforts pour adapter leur comportement alimentaire. De plus, les patients ont tendance à attribuer le succès de leur amaigrissement à l’effet biologique de la médication. Le sentiment d’auto-efficacité du patient s’en trouve donc réduit et il est moins disposé à changer son comportement 5. Cette étude semble cependant plutôt montrer l’inverse. Les patients qui reçoivent une thérapie combinée, semblent faire au moins aussi bien et semblent plus motivés pour noter leurs apports alimentaires (voir tableau), ce qui apporte finalement une perte pondérale majorée. Une question demeure : l’effet de la combinaison est-il uniquement additif ou est-il synergique, c’est-à-dire plus important que la somme des effets séparés ? 5.           

Comment associer médicaments et changements de mode de vie ?

La médication doit-elle toujours être ajoutée dès le départ ? Ou plutôt dans le cadre d’une prise en charge progressive, en cas de résultat insuffisant de la thérapie initiale, et suivant un mode continu ou intermittent ? Cette étude a choisi la première option, de sorte que nous ne pouvons pas tirer de conclusion concernant les autres prises en charge possibles. La prise en charge progressive a été évaluée pour la sibutramine6 et également pour la fenfluramine 7,8, médicament ensuite retiré du marché (en 1997) en raison d’effets indésirables sévères. Une autre stratégie consiste à ne rajouter la médication qu’après une période de six mois par exemple, en vue de maintenir la perte de poids obtenue. De nouvelles études devront permettre de déterminer la stratégie la plus efficace ou encore préciser les associations de médicaments et de modifications de mode de vie ayant le meilleur rapport coût-efficacité. Nous ne savons pas, à l’heure actuelle, si certains sous-groupes de patients (répartis selon le sexe, l’âge, la distribution des graisses, le stress et la présence de plaintes émotionnelles, de crises de boulimie, le degré d’obésité et la co-morbidité) répondent mieux à certaines interventions.

Pour la pratique

La recommandation de bonne pratique «Obésité et excès pondéral chez l’adulte» conclut qu’un traitement médicamenteux par orlistat ou par sibutramine ne représente qu’un adjuvant chez des patients présentant un IMC égal ou supérieur à 30 kg/m² ou chez des patients qui présentent une co-morbidité associée à un IMC entre 27 et 29,9 kg/m² 1. L’effet complémentaire attendu sur le poids est limité, c’est-à-dire inférieur à 5% pour les thérapies de longue durée 3. Une perte de poids limitée, de l’ordre de 5 à 10%, s’accompagnerait d’une amélioration des facteurs de risque. Des études de plus longue durée et mieux structurées d’un point de vue méthodologique sont cependant nécessaires pour étayer ces constatations et juger de leur pertinence clinique. Il faut également tenir compte des effets indésirables. La sibutramine peut augmenter la pression artérielle et accélérer le rythme cardiaque. Un traitement complémentaire médicamenteux doit donc toujours être évalué de façon critique. Les interventions pour modifications de style de vie sont fort intensives dans cette étude ; cette démarche n’est pas systématiquement prévue en première ligne, ni en pratique de médecine générale. Nous savons néanmoins, par d’autres études, que ce procédé a tout lieu de trouver place, étant garant de meilleurs résultats 5. Nous pouvons continuer à utiliser les recommandations existantes, tant que des études complémentaires ne nous renseignent pas sur la juste place d’un traitement associé, avec des précisions sur le type de patient et la séquence de mise en œuvre 1. Cette étude montre que l’accent doit être surtout mis sur le changement de mode de vie et que ceci devrait être proposé de façon intensive via des conseils comportementaux brefs et répétés ou via une thérapie de groupe.  

 

Conclusion

Cette étude montre qu’une association de changement de mode de vie (régime, activité physique et thérapie comportementale) avec la sibutramine chez des patients obèses (IMC 30-45) permet d’obtenir une perte de poids plus importante que celle atteinte avec les interventions séparées. La perte de poids atteinte est cependant limitée. La médication n’a qu’une place adjuvante et ne remplace jamais la prise en charge de base. Les études visant à déterminer chez quels patients obèses et dans quelle phase du traitement la combinaison apporte le plus de bénéfice pour un minimum de coût doivent être poursuivies.                        

 

Références

  1. Van Royen P, Bastiaens H, D'hondt A et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: overgewicht en obesitas bij volwassenen in de huisartspraktijk. Huisarts Nu 2006;35(3):118-40.
  2. Shaw K, O'Rourke P, Del Mar C, Kenardy J. Psychological interventions for overweight or obesity. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  3. Padwal R, Li SK, Lau DCW. Long-term pharmacotherapy for obesity and overweight. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  4. Hollon SD, DeRubeis RJ. Placebo-psychotherapy combinations: inappropriate representations of psychotherapy in drug-psychotherapy comparative trials. Psychol Bull 1981;90:467-77.
  5. Phelan S, Wadden TA. Combining behavioral and pharmacological treatments for obesity. Obes Res 2002;10:560-74.
  6. Apfelbaum M, Vague P, Ziegler O et al. Long-term maintenance of weight loss after a very-low-calorie diet: a randomized blinded trial of the efficacy and tolerability of sibutramine. Am J Med 1999;106:179-84.
  7. Craighead LW, Stunkard AJ, O’Brien RM. Behavior therapy and pharmacotherapy for obesity. Arch Gen Psychiatry 1981;38:763-8.
  8. Craighead LW. Sequencing of behavior therapy and pharmacotherapy for obesity. J Consult Clin Psychol 1984;52:190-9.

 

Noms de marque

Sibutramine : Reductil®

Orlistat : Xenical®

Sibutramine et changement de mode de vie dans l’obésité

Auteurs

Van Royen P.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Glossaire

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