Revue d'Evidence-Based Medicine



Bénéfice cardio-vasculaire d’une prise en charge intensive du diabète de type 1



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 10 Page 153 - 156

Professions de santé


Analyse de
The Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (DCCT/EDIC) Study Research Group. Intensive diabetes treatment and cardiovascular disease in patients with type 1 diabetes. N Engl J Med 2005;353:2643-53.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une prise en charge intensive versus prise en charge conventionnelle sur les événements cardio-vasculaires à long terme en cas de diabète de type 1 ?


Conclusion
Cette étude montre qu’un traitement intensif du diabète chez des patients présentant un diabète de type 1, peut réduire, à long terme, l’incidence des événements cardio-vasculaires. Outre les effets favorables déjà montrés sur les complications microvasculaires et la neuropathie, ces données constituent un argument supplémentaire pour réaliser une prise en charge intensive aussi tôt que possible chez les patients présentant un diabète de type 1.


 

Résumé

Contexte

Le diabète de type 1 est associé à des complications microvasculaires et à une neuropathie. L’étude Diabetes Control and Complications Trial (DCCT) 1 avec la recherche complémentaire Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (DCCT/EDIC) Study2 ont pu montrer qu’une prise en charge intensive freine la survenue et la progression de la rétinopathie 1,2, de la néphropathie 1,2 et de la neuropathie 3. Parallèlement, certaines études ont «suggéré» une relation entre l’hyperglycémie et les lésions cardio-vasculaires 4. La preuve qu’une thérapie intensive et prolongée du diabète dans le diabète de type 1 et 2 pouvait entraîner une réduction des événements cardio-vasculaires n’avait pas encore été apportée.

Population étudiée

Dans l’étude DCCT originale, sont inclus 1 441 hommes diabétiques (au Canada et aux E.-U.), âgés de 13 à 40 ans. Une moitié de ceux-ci présente un diabète depuis 1 à 5 ans sans signe de rétinopathie ni de néphropathie et l’autre moitié présente un diabète depuis 1 à 15 ans, associé à des signes légers de rétinopathie et/ou de néphropathie. Sont exclus les patients présentant des antécédents cardio-vasculaires, une hypertension (>140/90 mm Hg) et une hypercholestérolémie (>3 ET au delà de la moyenne liée à l’âge et au sexe). Après une durée d’étude moyenne de 6,5 ans, 1 394 patients (97%) sont suivis durant 11 ans dans l’étude EDIC. Il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes, ni au début du DCCT, ni à la fin du DCCT, ni à la fin de l’étude EDIC, en ce qui concerne les valeurs de lipides et de pression artérielle ou de nombre de fumeurs.

Protocole d’étude

L’étude EDIC est une étude d’observation, multicentrique, qui suit l’étude DCCT. Dans cette première étude, les patients sont randomisés soit dans un groupe qui reçoit un traitement intensif du diabète (≥3 injections d’insuline par jour ou pompe à insuline avec des valeurs cibles de glycémie à jeun <120 mg/dl, de glycémie postprandiale <180 mg/dl et d’HbA1c <6,05%), soit dans un groupe qui reçoit un traitement conventionnel du diabète (sans valeurs cibles spécifiques de glycémie). Dès l’inclusion dans l’étude EDIC, tous les patients reçoivent un traitement intensif.                            

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est le délai de survenue du premier événement cardio-vasculaire parmi les suivants : infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral non fatal, mort de cause cardio-vasculaire, infarctus du myocarde subclinique, angor prouvé par l’observation de signes ischémiques lors d’une épreuve d’effort ou par la présence de sténoses cliniquement significatives à la coronarographie, nécessité de CABG (pontage) ou de PTCA (dilatation par voie percutanée). L’analyse se fait en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter sur base de l’inclusion dans l’étude DCCT.      

Résultats

Au terme des 17 ans, 46 événements cardio-vasculaires sont survenus auprès de 31 patients dans le groupe de traitement intensif initial, versus 98 chez 52 patients dans le groupe de traitement conventionnel initial (p=0,007). Une analyse séparée des différents événements cardio-vasculaires ne montre pas de différences significatives. La réduction absolue de risque de 52 événements chez environ 590 personnes sur une période de 17 ans correspond à un NST de 10 pour éviter un événement sur une période de 20 ans.

A la fin de l’étude DCCT, l’HbA1c du groupe de traitement intensif est significativement plus basse que celle du groupe traité de façon conventionnelle (7,4 vs 9,1%), mais à la fin de l’étude EDIC, ces différences ne sont plus significatives (7,9 vs 7,8%). Après correction pour la différence en HbA1c durant l’étude DCCT, la réduction d’événements cardio-vasculaires dans le groupe soigné de façon intensive n’est plus significative. La microalbuminurie est significativement plus basse dans le groupe soigné de façon intensive, tant au terme de l’étude DCCT qu’au terme de l’étude EDIC. Après correction pour une microalbuminurie plus basse, la réduction du nombre d’événements cardio-vasculaires reste significative dans le groupe soigné de façon intensive.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement intensif du diabète de type 1 apporte un effet favorable à long terme sur le risque de survenue de pathologies cardio-vasculaires.

Financement

National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases et National Center for Research Resources (E.-U.).

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Premiers résultats à long terme pour le diabète de type 1

L’absence de RCT montrant un effet protecteur, sur le système cardio-vasculaire, d’un traitement intensif du diabète, contraste fortement avec les preuves apportées quant à l’effet protecteur des interventions hypolipidémiantes (HPS, CARDS etc.) et antihypertensives (UKPDS, HOT, Systeur etc.) sur les risques cardio-vasculaires des diabétiques. L’étude Diabetes Control and Complications Trial (DCCT) inclut de jeunes patients (âge moyen : 27 ans à l’inclusion) dont le diabète est de survenue récente (en moyenne 5 ans) et chez qui les risques cardio-vasculaires absolus sont forcément bas. Une absence de démonstration de différences significatives après une durée d’étude de 6,5 ans était donc prévisible, la puissance de l’étude ne le permettant pas. De plus, personne ne présente d’hypertension ni d’hyperlipidémie au départ de l’étude DCCT (critères d’exclusion), et seuls 3% présentent de l’hypertension et 28% de l’hyperlipidémie après 6,5 ans. C’est néanmoins à partir de ce moment précis qu’une réduction non significative de 41% (p=0,06) des problèmes cardio-vasculaires (surtout artéritiques) est constatée 5.

Effet protecteur du contrôle de la glycémie ?

Alors que les deux cohortes de l’étude DCCT (prise en charge intensive ou conventionnelle du diabète) reçoivent dès l’inclusion dans l’étude EDIC, un même traitement (= intensif en routine) et présentent une HbA1c comparable, dès 2000, un effet protecteur sur la rétinopathie et sur la néphropathie est observé, se maintenant après quatre ans 2. En 2006, des résultats analogues en ce qui concerne la neuropathie sont publiés, huit ans après la fin de l’étude DCCT. Un soi-disant «effet de mémoire» du bon contrôle métabolique a été avancé. Cet effet prolongé est donc également observé actuellement sur les complications cardio-vasculaires durant une période de suivi beaucoup plus étendue (17 ans!). Ceci est très important. C’est en effet la première fois qu’un effet bénéfique de cette prise en charge du diabète sur les critères de jugement cardio-vasculaires est observé. La pertinence clinique est d’autant plus grande que ces complications surviennent chez des patients diabétiques de type 1 à un âge relativement jeune, lorsqu’ils sont encore les plus productifs et ont des responsabilités familiales importantes. Même si ces avantages semblent plutôt faibles de façon absolue (environ 0,5 incident par an), ils doivent être cumulés aux avantages déjà connus sur le plan des complications microvasculaires et neuropathiques. En outre, ces avantages doivent être multipliés par la longue période de perte en années en bonne santé, lorsque la maladie cardio-vasculaire ou le décès survient dès un âge moyen. Une spéculation reste également possible : ce bénéfice aurait pu être beaucoup plus important si, durant l’étude EDIC, la différence en contrôle de glycémie de la DCCT entre les deux groupes de traitement avait été maintenue (procédé inacceptable sur le plan éthique!). Cette différence n’a donc été implémentée que durant les cinq premières années d’une durée totale de 17 ans.

Une question persiste : l’effet protecteur provient-il du contrôle de la glycémie ou d’un des différents aspects du traitement intensif (par exemple la prise en charge diététique dans le groupe intensif de l’étude DCCT) ? Nous n’avons pas de réponse définitive, mais tout semble indiquer que ce serait le contrôle de la glycémie. Les autres facteurs de risque cardio-vasculaire sont, en effet, largement similaires dans les deux groupes (l’IMC est même plus élevé dans le groupe intensif). L’analyse en régression suggère que la valeur de l’HbA1c peut expliquer la plus grande partie du gain. L’absence d’une microalbuminurie a également de l’importance dans la protection contre les maladies cardio-vasculaires, mais le contrôle glycémique semble bien être le facteur le plus important (suivi par la pression artérielle) pour éviter les lésions rénales liées au diabète de type 1. Le mécanisme «effet de mémoire», qui semble être montré tant pour les problèmes micro que macrovasculaires, fera encore l’objet de nombreux débats et d’études complémentaires.

Traitement intensif précoce

En tout cas, il semble sensé de cibler un bon contrôle glycémique aussi tôt que possible dans le déroulement de l’affection. Cet article ne précise cependant pas les objectifs thérapeutiques à atteindre. Il est probable que la plupart des cliniciens, au vu des données livrées par cette étude, vont tendre, encore plus que par le passé, vers une prise en charge intensive du diabète de type l, ciblant une valeur de HbA1c <7%, à condition que ceci puisse être atteint sans exposer le patient à des hypoglycémies gênantes et sans entamer sa qualité de vie de façon trop importante. Pour implanter cette approche, il faudra, comme dans l’étude DCCT, une prise en charge multidisciplinaire incluant le diabétologue, le médecin traitant, l’infirmier(e) spécialisé(e) pour le diabète, la diététicienne et le(a) patient(e). Ceci est un défi difficile mais faisable. L’«Initiative pour la Promotion de la Qualité et Epidémiologie du Diabète» (IPQED), à laquelle 130 centres du diabète belges conventionnés participent, a pu montrer que c’était possible6. Un échantillon aléatoire a montré qu’environ un quart des diabétiques de type l atteint une HbA1c ≤7% et que la valeur médiane d’HbA1c pour tous les patients diabétiques de type l était de 7,9% (ce qui est comparable aux résultats de l’étude EDIC, mais, ici, dans une population non sélectionnée, «real life»). Ces résultats ont été obtenus grâce à des équipes multidisciplinaires (diabétologues, infirmier(e)s spécialisé(e)s en diabète, diététiciennes), en collaboration avec le médecin traitant, et avec l’aide d’une éducation au diabète et à un autocontrôle de la glycémie. En tenant compte du fait (au contraire de ce qui est fait dans les études commentées) qu’aucune sélection de patients n’a eu lieu ici (non seulement les patients motivés, mais bien tous les patients, avec les «cas désespérés»!) et que les mesures de soutien sont forcément plus limitées que lors des études, un contrôle correct de la glycémie semble donc possible dans la pratique quotidienne, dans un cadre multidisciplinaire.

 

Conclusion

Cette étude montre qu’un traitement intensif du diabète chez des patients présentant un diabète de type 1, peut réduire, à long terme, l’incidence des événements cardio-vasculaires. Outre les effets favorables déjà montrés sur les complications microvasculaires et la neuropathie, ces données constituent un argument supplémentaire pour réaliser une prise en charge intensive aussi tôt que possible chez les patients présentant un diabète de type 1.

 

Références

  1. Diabetes Control and Complications Trial Research Group. The effect of intensive treatment of diabetes on the development and progression of long-term complications in insulin-dependent diabetes mellitus. N Engl J Med 1993;329:977-86.
  2. Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications Research Group. Retinopathy and nephropathy in patients with type 1 diabetes four years after a trial of intensive therapy. N Engl J Med 2000;342:381-9.
  3. Martin CL, Albers J, Herman WH et al; DCCT/EDIC Research Group. Neuropathy among the diabetes control and complications trial cohort 8 years after trial completion. Diabetes Care 2006;29:340-4.
  4. Coutinho M, Gerstein HC, Wang Y, Yusuf S. The relationship between glucose and incident cardiovascular events. A metaregression analysis of published data from 20 studies of 95,783 individuals followed for 12.4 years. Diabetes Care 1999;22:233-40.
  5. Diabetes Control and Complications Trial Research Group. Effect of intensive diabetes management on macrovascular disease and risk factors in the Diabetes Control and Complications Trial. Am J Cardiol 1995;75:894-903.
  6. Debacker N, Nobels F, Scheen A et al. Initiative pour la promotion de la qualité et epidémiologie du diabète sucré (IPQED). Institut scientifique de Santé Publique. IPH/EPI reports nr. 2005-002.
Bénéfice cardio-vasculaire d’une prise en charge intensive du diabète de type 1

Auteurs

Van Crombrugge P.
Dienst Endocrino-diabetologie, O.L. Vrouwziekenhuis, Aalst
COI :

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