Revue d'Evidence-Based Medicine



Plaintes de claudication : facteur prédictif d’artérite périphérique ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 1 Page 6 - 8

Professions de santé


Analyse de
Wang J, Criqui M, Denenberg J et al. Exertional leg pain in patients with and without peripheral arterial disease. Circulation 2005;112:3501-8.


Question clinique
Existe-t-il une différence pour les douleurs dans les membres inférieurs entre des personnes souffrant ou non d’artérite périphérique (AP) ? Existe-t-il un lien entre ces douleurs à l’effort chez des sujets présentant une artérite périphérique et un diabète, un accident vasculaire cérébral (AVC), un IMC élevé, ou un tabagisme ?


Conclusion
Cette étude diagnostique montre qu’aucun type de douleur liée à l’effort n’est suffisamment sensible ou spécifique pour confirmer ou exclure une artérite périphérique. De nombreux patients avec artérite périphérique ne sont pas diagnostiqués en raison de l’absence de plaintes de claudication « classiques ». Le diagnostic d’une artérite périphérique peut être posé par un médecin généraliste au moyen d’un index cheville-bras (ICB). Un ICB normal se situe entre 1,00 et 1,39. La mesure de l’ICB est utile chez des patients présentant une douleur dans les membres inférieurs survenant à l’effort. Les facteurs de risque cardio-vasculaire tels que le tabagisme, l’hypertension, le diabète et les dyslipidémies doivent être pris en charge. Un dépistage général par cet ICB, ne peut être recommandé sur base des preuves dont nous disposons actuellement.


 

Résumé

Contexte

Une claudication intermittente est considérée comme un signe « classique » d’artérite périphérique. Dans l’étude PARTNER 1 cependant, seuls 10% des personnes souffrant d’AP présentaient des plaintes typiques de claudication. Un tiers des sujets ne se plaignait d’aucune douleur et les 55% restant manifestaient des symptômes atypiques. La douleur à l’effort liée à une artérite périphérique peut être interprétée, à tort, comme une douleur articulaire ou comme une sciatalgie. D’autre part, une activité physique réduite (par exemple en raison d’une co-morbidité) peut masquer des douleurs ne survenant qu’à l’effort.

Population étudiée

Des sujets de trois études sont inclus dans cette publication :

1. La San Diego Veterans Administration Study recrute 508 personnes ayant consulté le service vasculaire au cours des dix années précédentes. L’âge moyen des sujets est de 69 (ET 9) ans, 88% sont des hommes, 30% fument, 66% ont une AP, 31% un diabète, 18% ont fait un AVC et 27% un infarctus du myocarde aigu.

2. La Chicago Study recrute 740 personnes dans un service vasculaire et dans une pratique de médecine générale. Leur âge moyen est de 71 (ET 8) ans, 56% sont des hommes, 16% fument, 62% ont une artérite périphérique, 28% un diabète, 10% ont présenté un AVC et 23% un infarctus du myocarde aigu.

3. La San Diego Population Study inclut 2 401 personnes précédemment employées par l’Université de Californie, âgées en moyenne de 59 (ET) ans. Parmi celles-ci, seuls 4% présentent une artérite périphérique, 6% fument, 5% ont un diabète, 1% a fait un AVC et 2% un infarctus du myocarde aigu.

Protocole d’étude

Cette étude transversale évalue le lien entre le type de douleur liée à l’effort (pas de douleur, douleur lors ou sans effort, douleur dans le mollet soit absente, soit atypique, soit claudicante classique). Une artérite périphérique est définie par un index cheville-bras (ICB) <0,91 ou par une chirurgie vasculaire précédente.

Mesure des résultats

Le lien entre ICB et type de douleur est évalué, ainsi que l’influence de quelques facteurs de risque sur la douleur observée à l’effort.

Résultats

Parmi la population totale, 24% des sujets présentent une artérite périphérique dans au moins une jambe. Une diminution significative de l’ICB en fonction du type de douleur (voir protocole d’étude) est observée avec une valeur p=0,002. Après stratification suivant la présence d’une artérite périphérique, cette corrélation n’est plus significative. Des personnes présentant un ICB>0,90 et ayant subi une chirurgie vasculaire présentent une claudication dans 15% des cas. En cas d’ICB situé entre 1,00 et 1,39, environ 2% des sujets se plaignent d’une claudication ; en cas d’ICB<0,91, 30% des sujets se plaignent de claudication. Dans ce dernier groupe, 40% des sujets signalent des douleurs à l’effort atypiques et 30% ne mentionnent aucune douleur. En évaluant par cheville, celles avec un ICB normal bas (de 0,91 à 0,99) et élevé (>1,39) présentent plus de claudication (respectivement 8 et 10%) que des chevilles normales (ICB de 1,00 à 1,39). Indépendamment de l’ICB, l’âge, le sexe masculin, le diabète, le tabagisme, un IMC élevé, une anamnèse d’infarctus du myocarde ou de chirurgie vasculaire sont significativement corrélés avec une douleur liée à l’effort.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence d’un type de douleur suffisamment sensible ou spécifique pour prouver ou exclure une artérite périphérique. Des chevilles avec un index cheville-bras normal bas (ICB de 0,91 à 0,99) ou normal haut (>1,39) provoquent probablement une douleur ischémique. L’ICB « normal » se situe entre 1,00 et 1,39. D’autres facteurs que l’ICB sont indépendamment corrélés à une douleur liée à l’effort.

Financement

National Institutes of Health, General Clinical Research Center Program, National Center for Research Sources (E.-U.).

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

L’utilisation de données issues de trois études précédemment réalisées est acceptable, les enregistrements se basant sur des questionnaires identiques et une mesure de l’ICB via un protocole strict. Deux groupes sont constitués de personnes à risque plus élevé d’artérite ; le troisième groupe, avec un risque faible pour cette pathologie, peut être considéré comme un groupe contrôle. Il faut cependant souligner que ce groupe contrôle est nettement plus jeune et féminin, ce qui a entraîné une adaptation des tables de fréquence. La fréquence de diabète, d’AVC, d’infarctus du myocarde aigu, de fumeurs y est plus faible, soit une co-morbidité moins importante. Un index cheville-bras avec un seuil <0,91 pour le diagnostic d’artérite périphérique est également utilisé dans d’autres études et possède une sensibilité de 95% et une spécificité de 99% en référence à un examen angiographique dans le diagnostic d’une artérite périphérique 2. En ajoutant une précédente intervention artérielle périphérique comme « test diagnostique », davantage de patients sont à juste titre considérés comme positifs. Le questionnaire (San Diego claudicatio questionaire) a été utilisé dans d’autres études ; il est résumé dans l’article mais non reproduit dans son entièreté1. Une limite dans l’énumération de données dans cette publication, est l’absence d’intervalle de confiance à 95% tant dans les tableaux reprenant les fréquences que dans ceux rapportant les odds ratios de l’analyse en régression logistique, ce qui ne permet pas de juger de la précision des différences observées.

Diagnostic plus précis

Cette étude montre que des plaintes de claudication « classiques » ne sont présentes que chez environ 30% des patients présentant un artérite périphérique. En se limitant à évoquer une artérite périphérique en présence d’une claudication classique, 70% des patients environ ne sont pas identifiés. Ces résultats confirment un sous diagnostic de l’artérite périphérique observé dans de précédentes études3. Les questions suivantes se révèlent donc pertinentes : l’ICB est-il un meilleur test pour le diagnostic d’une artérite périphérique ? Quelle est la plus-value d’un diagnostic ? Pour quels patients ? En dépistage ?

Un généraliste peut pratiquer ce test s’il possède le tensiomètre et le Doppler adéquats 4,5,6. La plus-value d’un diagnostic exact d’une artérite périphérique est l’exclusion de diagnostics erronés (sciatalgie, douleur articulaire) entraînant des traitements inadéquats (paracétamol, AINS) et, d’autre part, la mise en route d’un traitement approprié. Ce traitement consiste, en premier lieu, en la prise en charge des facteurs de risque (tabagisme, hypertension, diabète, troubles lipidiques), également utile chez des patients non symptomatiques d’artérite périphérique. L’intérêt de l’administration d’antiagrégants plaquettaires n’est pas clair ; par contre, la marche pratiquée trois fois par semaine réduit la perte fonctionnelle. Une référence au chirurgien vasculaire est nécessaire en cas d’altération de la qualité de vie provoquée par la claudication ou en cas de signes d’ischémie sévère (douleur au repos, ulcérations, gangrène) 4-8.

Cette étude montre que la mesure de l’ICB est certainement nécessaire chez tous les patients présentant une douleur au niveau des membres inférieurs liée à un effort ; elle ne permet pas de conclusions pour d’autres groupes de sujets.

Valeur de l’ICB

L’ICB possède une force probante (LR+) très forte, de 95, et une force excluante forte, de 20 (LR- de 0,05). La prévalence est estimée à 25 pour 1 0004. En cas de résultat de test positif, le risque a posteriori est de 72% (valeur prédictive positive). En cas de résultat de test négatif, le risque a posteriori est de 0,1% (valeur prédictive négative de 99,9%). Avec de bonnes caractéristiques pour un test, un faible désagrément pour le patient, un prix peu élevé, l’ICB est un instrument adéquat pour le dépistage en cas de non atteinte d’une diminution du risque dans le cadre de la gestion globale du risque cardio-vasculaire. Si ce but est par contre atteint, un dépistage d’une artérite périphérique au moyen d’un ICB n’apportera aucune plus-value. Si l’ICB se révèle utile pour établir le score de risque cardio-vasculaire, il pourra cependant y être intégré.

Conclusion

Cette étude diagnostique montre qu’aucun type de douleur liée à l’effort n’est suffisamment sensible ou spécifique pour confirmer ou exclure une artérite périphérique. De nombreux patients avec artérite périphérique ne sont pas diagnostiqués en raison de l’absence de plaintes de claudication « classiques ». Le diagnostic d’une artérite périphérique peut être posé par un médecin généraliste au moyen d’un index cheville-bras (ICB). Un ICB normal se situe entre 1,00 et 1,39. La mesure de l’ICB est utile chez des patients présentant une douleur dans les membres inférieurs survenant à l’effort. Les facteurs de risque cardio-vasculaire tels que le tabagisme, l’hypertension, le diabète et les dyslipidémies doivent être pris en charge. Un dépistage général par cet ICB, ne peut être recommandé sur base des preuves dont nous disposons actuellement.

 

Références

  1. Hirsch AT, Criqui MH, Treat-Jacobson D et al. Peripheral arterial disease detection, awareness, and treatment in primary care. JAMA 2001;286:1317-24.
  2. Resnick HE, Lindsay RS, McDermott MM et al. Relationship of high and low ankle brachial index to all-cause and cardiovascular disease mortality: The Strong Heart Study. Circulation 2004;109:733-9.
  3. McDermott MM, Kerwin DR, Liu K et al. Prevalence and significance of unrecognized lower extremity peripheral arterial disease in general medicine practice. J Gen Intern Med 2001;16:384-90.
  4. Bartelink ML, Stoffers HEJH, Boutens EJ et al. NHG-Standaard Perifeer arterieel vaatlijden.
  5. McDermott MM, Greenland P, Liu K et al. The ankle brachial index is associated with leg function and physical activity: the Walking and Leg Circulation Study. Ann Intern Med 2002;136:873-83.
  6. Schainfeld RM. Management of peripheral arterial disease and intermittent claudicatio. J Am Board Fam Pract 2001;14:443-50.
  7. Hooi J, Stoffers H, Kester A et al. Risk factors and cardiovascular diseases associated with asymptomatic peripheral arterial disease. The Limburg PAOD Study. Peripheral Arterial Occlusive Disease. Scand J Prim Health Care 1998;16:177-82.
  8. McDermott MM, Liu K, Ferrucci L et al. Physical performance in peripheral arterial disease: a slower rate of decline in patients who walk more. Ann Intern Med 2006;144:10-20.
Plaintes de claudication : facteur prédictif d’artérite périphérique ?



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