Revue d'Evidence-Based Medicine



Paracétamol et ibuprofène en alternance chez les enfants fébriles ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 1 Page 11 - 13

Professions de santé


Analyse de
Sarrell EM, Wielunsky E, Avner Cohen H. Antipyretic treatment in young children with fever. Arch Pediatr Adolesc Med 2006;160:197-202.


Question clinique
Quelle est l’efficacité du paracétamol et de l’ibuprofène en monothérapie versus administration alternée des deux médicaments chez des enfants, de moins de trois ans, fébriles ?


Conclusion
Cette étude montre que l’administration alternée de paracétamol (12,5 mg/kg/dose) et d’ibuprofène (5 mg/kg/dose) toutes les quatre heures durant trois jours entraîne une chute plus rapide de la température chez les enfants fébriles. Elle présente cependant des limites méthodologiques et d’autres études donnent des résultats contradictoires. Il est important d’apprendre aux parents/soignants que la température d’origine infectieuse n’est pas dangereuse. Le but de l’administration d’antipyrétiques est en premier lieu le confort, l’obtention ou non d’une chute de la température étant d’importance secondaire7. Les preuves sont insuffisantes pour recommander la prescription d’une administration alternée de paracétamol et d’ibuprofène chez des enfants fébriles. En raison d’un meilleur profil de sécurité, le paracétamol reste le premier choix.


 

Résumé

Contexte

La température entraîne souvent de l’irritabilité chez l’enfant et de l’inquiétude chez les parents. Des fébrifuges tels que le paracétamol et l’ibuprofène sont administrés quasi systématiquement. En pratique, les deux remèdes sont aussi administrés de façon combinée alors que peu d’études analysent cette pratique.                                

Population étudiée  

Au sein de trois centres de santé primaire pédiatriques israéliens, sont recrutés des enfants provenant de crèches, âgés de 6 à 36 mois et présentant une température >38,5°C (mesure rectale). Les critères d’exclusion sont : médications fébrifuges ou antibiotiques administrés durant les derniers dix jours, des tests rénaux ou hépatiques perturbés, saignement gastro-intestinal dans les antécédents, allergie aux antipyrétiques ou asthme. Finalement, 480 enfants sont inclus, d’un âge moyen de 19 (ET 9) mois. Le diagnostic retenu dans près de la moitié des cas est « infection des voies respiratoires supérieures » et dans près de 30%, « infection virale ». La température moyenne à l’inclusion est d’environ 40,65°C.

Protocole d’étude

Dans cette étude contrôlée, randomisée, en double aveugle, les enfants sont répartis en trois groupes : un groupe reçoit 12,5 mg/kg/dose de paracétamol toutes les six heures (n=160), un deuxième groupe reçoit 5 mg/kg/dose d’ibuprofène toutes les huit heures (n=160) et un troisième groupe reçoit toutes les quatre heures 12,5 mg/kg/dose de paracétamol alternés avec 5 mg/kg/dose d’ibuprofène (n=160). Dans chaque groupe d’étude, une moitié des enfants reçoit une dose d’attaque de 25 mg/kg de paracétamol et l’autre moitié une dose initiale d’attaque de 10 mg/kg d’ibuprofène. Il est demandé aux parents de mesurer au moins trois fois par jour la température rectale à l’aide d’un thermomètre à mercure. La température rectale, le recours à des médicaments, le nombre de jours d’arrêt de travail et le NCCPC stress score sont notés par les parents dans un journalier. Le suivi consiste également en un entretien téléphonique après 24 et 48 heures et des consultations de suivi au jour 3, 5 et 7. Les paramètres des fonctions rénale et hépatique et la recherche de sang occulte dans les selles sont effectués au départ, aux jours 3 et 5 et ensuite toutes les deux semaines sur un total de douze semaines.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la température corporelle mesurée aux jours 1, 2 et 3. Les autres critères de jugement sont le NCCPC stress score, la quantité d’antipyrétiques administrée, le nombre de jours d’arrêt de travail des parents, la récidive de la fièvre et le nombre de consultations ou d’admissions en urgence endéans les dix jours après l’inclusion dans l’étude, les paramètres des fonctions hépatique et rénale, la survenue d’un saignement gastro-intestinal.

Résultats

Parmi les 480 enfants inclus, 466 (96,7%) terminent l’étude. La fièvre est significativement moins élevée, tant au jour 1 et 2 qu’au jour 3, dans le groupe administration alternée des médications versus groupes qui ne reçoivent qu’une des deux médications (p<0,001). Il n’y a pas de différence pour la chute de température entre les groupes paracétamol et ibuprofène. La différence en température au jour 1 entre les groupes traitement combiné versus monothérapie est d’environ 1°C (39,6° vs 40,6°). Le score de stress chute de jour en jour dans tous les groupes, mais significativement plus vite et plus fort dans le groupe traitement combiné (p<0,001). Ce groupe reçoit significativement moins de doses (p<0,001) et l’absentéisme des parents au travail est réduit de près d’un jour (1,7 vs 2,6) versus celui des parents des groupes monothérapie. Pas de différence significative pour le nombre d’admissions en urgence. Des effets indésirables sévères ne sont pas rapportés et aucune différence n’est observée entre les groupes en ce qui concerne les paramètres hépatiques et rénaux. Le médicament utilisé pour la dose d’attaque n’a pas d’influence sur les critères de jugement.                                                  

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une utilisation alternée de paracétamol (12,5 mg/kg/dose) et d’ibuprofène (5 mg/kg/dose) toutes les quatre heures durant trois jours entraîne une chute plus rapide de la température chez les enfants.      

Financement

Aucune mention.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

 

Discussion

Considérations concernant l’étude

Cette étude est pertinente pour le médecin généraliste. Elle a été menée dans un centre de santé primaire pour enfants en Israël, un type d’organisation accueillant les enfants comme ils le sont par le médecin traitant en Belgique. L’étiologie de la température est, comme chez nous, essentiellement les infections des voies respiratoires. Les trois groupes de patients sont similaires en ce qui concerne le sexe, le nombre d’enfants dans la famille, le tabagisme passif, la cause et l’importance de la température. Quelques remarques méthodologiques doivent être faites. Le tableau rapportant les critères de jugement est difficile à lire et sa légende est incomplète. Il rapporte des moyennes de température, de score de douleur et le nombre de doses administrées. Il est cependant peu probable que la répartition de ces mesures soit sur un mode normal, de sorte qu’une médiane ou une différence (range) auraient été plus informatives. Pas d’information sur la proportion d’enfants qui à un moment donné n’ont plus de fièvre ou de douleur.

La pertinence de l’effet

Les différences mesurées pour la fièvre sont statistiquement significatives, mais quelle en est la signification en chiffres absolus ? Il s’agit d’une chute supplémentaire de (maximum) 1°C. Le score de confort est également significativement amélioré dans le groupe traitement combiné, mais la différence absolue la plus importante est de 3,8 points sur une échelle de 81. Toutes ces différences absolues sont donc assez limitées.

Une dose d’attaque d’antipyrétique est administrée, sans que la motivation en soit donnée, et complique, en fait, l’interprétation des résultats d’étude. Ainsi, même dans les groupes monothérapie, la moitié des enfants reçoivent les deux médications le premier jour. Le nombre maximum de doses par jour est différent dans les trois groupes. Le paracétamol est administré toutes les six heures, l’ibuprofène toutes les huit heures et les deux médications en alternance toutes les quatre heures. Les parents reçoivent des instructions de ne pas dépasser ces doses maximales, mais le contexte invite à penser qu’ils ne donnent l’antipyrétique que s’ils le jugent nécessaire. Ceci amène à pointer la réserve principale dans l’interprétation de ces résultats. Alors que le nombre maximal de doses prévu est le plus élevé dans le groupe combiné, c’est dans ce groupe que le nombre de doses réellement administrées est précisément le plus faible, et ceci dès la première journée. Les auteurs interprètent ces constatations comme un signe d’un meilleur effet fébrifuge et n’envisagent pas que les enfants de ce groupe pourraient être moins malades. Nous n’avons, en effet, pour aucun des deux médicaments, de raison de croire qu’ils aient une influence sur la guérison des affections virales. Dans cette même perspective, il y a lieu d’interpréter avec prudence l’observation que les parents d’enfants du groupe combiné présentent un jour d’absentéisme en moins. La conclusion formelle des auteurs est donc excessive. Cette étude montre la possibilité d’un effet antipyrétique plus important d’un traitement combinant le paracétamol à l’ibuprofène, mais la puissance est insuffisante pour recommander une telle pratique.                                               

Autres études

Trois autres études comparent la thérapie combinée à une monothérapie. Une étude indienne ne trouve pas de différence significative entre l’administration simultanée de paracétamol 10 mg/kg et d’ibuprofène 10 mg/kg versus paracétamol en monothérapie toutes les huit heures 1. Une étude britannique, réalisée dans un service d’urgences, compare le paracétamol 15 mg/kg, l’ibuprofène 5 mg/kg ou une association des deux. Elle ne constate pas de différence de température une heure après l’administration 2. La troisième étude, réalisée dans un hôpital libanais, compare l’effet antipyrétique, sur une période de huit heures, d’une dose de 10 mg/kg d’ibuprofène, suivie après quatre heures de 15 mg/kg de paracétamol ou d’un placebo. Après sept et huit heures, la température est plus basse dans le groupe qui reçoit la thérapie combinée en alternance : l’OR pour une température <38,5°C est respectivement de 19,5 (IC à 95% de 3,5 à 108) et 15,3 (IC à 95% de 3,4 à 68,3) 3. Nous ne disposons pas de preuves que le paracétamol présente un effet antipyrétique plus marqué qu’un refroidissement physique 4.

Sécurité

Un traitement administré essentiellement pour le confort et qui n’a aucune influence sur la durée de la maladie doit présenter de bonnes garanties concernant sa sécurité. La fièvre ne cause pas, de façon démontrée, de convulsions fébriles chez des enfants non prédisposés (qui convulsent habituellement dans la phase initiale de la montée de la température, au moment où il n’est pas encore évident que l’enfant développe une maladie) et ces convulsions fébriles ne peuvent être évitées par des fébrifuges. Chez des enfants, l’ibuprofène peut également, même si c’est rare, occasionner des saignements gastro-intestinaux, des fasciites nécrosantes et un choc toxique sur varicelle 5. De plus, l’usage d’AINS peut entraîner, lors d’une déshydratation légère (ce qui n’est pas rare lors d’une infection virale), une insuffisance rénale 6. Le paracétamol est hépatotoxique en surdosage. Une intoxication au paracétamol est décrite chez de jeunes enfants de parents « fébrophobiques » qui dépassent la dose recommandée en raison de la persistance de la fièvre. Le paracétamol possède un meilleur profil de sécurité que l’ibuprofène, si les doses recommandées ne sont pas dépassées. Dans cette étude israélienne, aucun effet indésirable n’est décrit lors de l’usage alterné de paracétamol et d’ibuprofène, le nombre de patients (155) est cependant faible et la période d’observation courte. Des effets indésirables rares et sévères ne sont habituellement pas retrouvés dans des RCTs, mais lors de la généralisation d’un avis invitant à alterner le paracétamol avec l’ibuprofène pour faire baisser la température, il faudra tenir compte de ces effets indésirables rares et sévères.

 

Conclusion

Cette étude montre que l’administration alternée de paracétamol (12,5 mg/kg/dose) et d’ibuprofène (5 mg/kg/dose) toutes les quatre heures durant trois jours entraîne une chute plus rapide de la température chez les enfants fébriles. Elle présente cependant des limites méthodologiques et d’autres études donnent des résultats contradictoires. Il est important d’apprendre aux parents/soignants que la température d’origine infectieuse n’est pas dangereuse. Le but de l’administration d’antipyrétiques est en premier lieu le confort, l’obtention ou non d’une chute de la température étant d’importance secondaire 7. Les preuves sont insuffisantes pour recommander la prescription d’une administration alternée de paracétamol et d’ibuprofène chez des enfants fébriles. En raison d’un meilleur profil de sécurité, le paracétamol reste le premier choix 8.  

 

Références

  1. Lal A, Gomber S, Talukdar B. Antipyretic effects of nimesulide, paracetamol and ibuprofen-paracetamol. Indian J Pediatr 2000;67:865-70.
  2. Erlewyn-Lajeunesse MD, Coppens K, Hunt LP et al. Randomised controlled trial of combined paracetamol and ibuprofen for fever. Arch Dis Child 2006;91:414-6.
  3. Nabulsi MM, Tamim H, Mahfoud Z et al. Alternating ibuprofen and acetaminophen in the treatment of febrile children: a pilot study. BMC Med 2006;4:4.
  4. Meremikwu M, Oyo-Ita A. Paracetamol for treating fever in children (Cochrane Review). Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  5. Gare aux AINS chez les enfants fébriles. Rev Prescr 2004;255:30.
  6. Finken MJ, Sukhai RN. Acute nierinsufficiëntie na NSAID-gebruik bij 2 kinderen met subklinische dehydratie. Ned Tijdschr Geneeskd 2006;150:1861-4.
  7. Hay AD, Redmond N, Fletcher M. Antipyretic drugs for children. BMJ 2006;333:3-4.
  8. Fièvre chez l’enfant : paracétamol ou ibuprofène? Folia Pharmacotherapeutica 2005;32:61-2.
Paracétamol et ibuprofène en alternance chez les enfants fébriles ?

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

Van Winckel M.
Kindergastroenterologie, UZ Gent; UGent
COI :

Glossaire

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