Revue d'Evidence-Based Medicine



Poursuivre le traitement de la dépression majeure des personnes âgées durant deux ans?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 2 Page 23 - 25

Professions de santé


Analyse de
Reynolds CF, Dew MA, Pollock BG, et al. Maintenance treatment of major depression in old age. N Engl J Med 2006;354:1130-8.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la poursuite d’un traitement par paroxétine et/ou psychothérapie chez des patients âgés de plus de 70 ans en rémission d’une dépression majeure, sur leur risque de récidive ?


Conclusion
Les auteurs de cette étude arrivent à la constatation qu’il est sensé de poursuivre le traitement par paroxétine durant deux ans chez les personnes âgées présentant une dépression majeure pour réduire le risque de rechute. Des insuffisances méthodologiques fondamentales mettent cependant ces résultats en doute. Nous de disposons pas de preuves suffisantes pour une prise en charge de la dépression majeure récidivante chez les personnes âgées. Les guides de pratique reposent donc sur des consensus d’experts. Ils diffèrent dans le choix du traitement optimal mais concordent pour une durée minimale de traitement de deux ans.


 

Résumé

Contexte

Le taux de récidive de dépression, endéans les deux ou trois années, est de 50 à 90% chez les personnes âgées. A ce jour, peu d’études ont évalué l’efficacité d’un traitement d’entretien par antidépresseur et/ou psychothérapie en vue de prévenir une récidive de dépression (majeure) chez des patients de plus de 70 ans.

Population étudiée

Dans un hôpital universitaire, 363 patients âgés de plus de 70 ans ont été interrogés en vue de rechercher la présence d’une dépression majeure (selon les critères du DSM IV). Un score d’au moins 15 sur la Hamilton Rating Scale for Depression (HRSD) comportant 17 items et d’au moins 17 sur le Mini Mental State Examination (MMSE est un instrument de dépistage de la démence qui prend principalement en compte les fonctions cognitives. Le MMSE évalue les items suivants : orientation dans le temps et l’espace, mémorisation et reproduction de 3 mots, attention (par exemple, épeler le mot « monde » ou l’isoler 7 fois parmi 100 mots), langage (nommer des objets, construire une phrase, accomplir une tache, écrire une phrase), et praxie constructive (faire un dessin). Le score peut varier de 0 à 30 points.">MMSE) sont des critères d’inclusion complémentaires. Finalement, un total de 195 patients d’un âge moyen de 77 (ET 5,6) ans (66% de femmes) est inclus dans l’étude. En moyenne, 45% connaissent une récidive de dépression majeure et le score moyen HRSD à 17 items est de 20,5 (ET 3,6).

Méthodologie

Les 195 patients inclus débutent tous le traitement avec une dose quotidienne de 10 mg de paroxétine (titrée progressivement jusqu’à un maximum de 40 mg) et une séance hebdomadaire de psychothérapie. Chez les 151 (77,4%) patients qui présentent une réponse positive (score HRSD à 17 items entre 0 et 10 durant trois semaines consécutives) lors d’une période initiale de huit semaines, le traitement est poursuivi durant seize semaines. Les 116 (76,5%) patients qui continuent à réagir positivement sont ensuite randomisés en quatre groupes : paroxétine + consultation mensuelle (n=35), paroxétine + psychothérapie interpersonnelle mensuelle (PIP) (n=28), placebo + PIP mensuelle (n=35) et placebo + consultation mensuelle (n=18). Le traitement d’entretien est poursuivi durant deux ans et à chaque consultation (ou session de psychothérapie) la pression artérielle, le pouls et le poids sont mesurés et le score HRSD-17 items est évalué.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la différence en survenue de récidive de dépression majeure entre les quatre bras de l’étude, récidive évaluée d’après les critères du DSM IV et un score HRSD-17 items de plus de 15 avec confirmation par une gérontopsychiatre.

Résultats

Le pourcentage de rechute est différent dans les quatre groupes : 35% pour paroxétine et PIP, 37% pour paroxétine et consultation, 68% pour placebo et PIP et 58% pour placebo et consultation. Paroxétine + PIP présente un score meilleur que placebo + PIP (p=0,03) et que placebo + consultation (p=0,05). Paroxétine + consultation est meilleur que placebo + PIP (p=0,03) mais non supérieur à placebo + consultation (p=0,06). Après correction pour PIP, le NST pour éviter une rechute grâce l’administration de paroxétine est de 4 (IC à 95% de 2,3 à 10,9). Le RR est de 2,4 (IC à 95% de 1,4 à 4,2) pour une rechute avec placebo versus paroxétine. Lors des six semaines de traitement initial, dix personnes parmi les 195 (5,1%) arrêtent le traitement en raison d’une hyponatrémie, d’une éruption cutanée, de nausées, d’orthostatisme, de trouble de la marche, de confusion ou de paresthésies. Durant les seize semaines de la période d’entretien, cinq patients (3,3%) décrochent en raison de dysfonction sexuelle (n=2), de symptômes gastro-intestinaux (n=2) et de tremblements (n=1). Sur la période totale traitement initial + période d’entretien, deux patients meurent d’infarctus du myocarde. Aucun suicide n’est observé et les effets indésirables ne sont pas mentionnés.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les patients âgés de plus de 70 ans présentant une dépression majeure et qui réagissent bien à un traitement initial par paroxétine et par psychothérapie, courent moins de risque de présenter une rechute s’ils continuent le traitement d’entretien avec paroxétine durant deux ans. Le traitement d’entretien par psychothérapie mensuelle ne diminue pas le nombre de récidives.

Financement

National Institute of Mental Health et National Center for Minority Health and Health Disparaties. GlaxoSmithKline a fourni les comprimés de paroxétine.

Conflits d’intérêt

Deux auteurs ont reçu un soutien de GlaxoSmithKline pour une précédente recherche.

Discussion

Considérations dur la méthodologie

Pas mal de réserves s’imposent quant à la méthodologie et à la réalisation de cette étude. La population a été recrutée dans une polyclinique psychiatrique, ce qui ne correspond pas à la population moyenne de pratique générale. Il est surprenant que 69 patients aient reçu une médication complémentaire, telle que bupropion, nortriptyline ou lithium, durant la période d’inclusion. Parmi ces 69 patients, 38 sont repris dans l’étude randomisée. Les auteurs nous livrent comme seul renseignement que, parmi eux, 19 reçoivent de la paroxétine et 19 le placebo, mais sans préciser le traitement additif qui leur est administré (« clinical management » ou psychothérapie). Tous ces médicaments sont arrêtés chez les 19 patients inclus dans le groupe placebo, tandis que les 19 patients sous paroxétine peuvent continuer à prendre leurs deux autres antidépresseurs, ce qui a probablement accentué la différence de résultats entre les deux groupes, en faveur de la paroxétine. Tout cela ressemble à de la manipulation. Ce fait à lui seul nous indique que les résultats de l’étude ne sont pas fiables. Le résumé ne mentionne pas ces éléments. Tout aussi inacceptable est le fait qu’aucune mention des effets indésirables survenus chez des patients qui sont malgré tout restés deux années dans l’étude ne soit faite. A l’occasion de la dernière conférence de consensus concernant l’usage rationnel des antidépresseurs dans la dépression, les chercheurs ont plaidé pour la réalisation d’études prolongées 2. Cette étude-ci assure, il est vrai, un suivi assez long, mais des données importantes telles que les effets indésirables, sont absentes. Enfin, seul le groupe qui a réagi positivement au traitement de base avec paroxétine et PIP est randomisé. L’autre groupe est donc resté en rade. Le groupe initial (n=195) connaît 44 sorties d’étude (22%) et seuls 116 sujets réagissent au double traitement parmi les 151 restants. Seuls 40% de la population totale réagissent donc au traitement. En supposant que la conclusion de l’étude soit correcte, elle ne serait valide que pour environ 60% de la population âgée présentant une dépression majeure.

Autres études

Les études qui comparent l’antidépresseur au placebo chez les personnes âgées dépressives sont toujours des études au cours desquelles les patients atteignent une rémission. Une méta-analyse reprenant cinq RCTs et 345 patients, provenant principalement de pratiques ambulatoires, évalue le citalopram, la sertraline, la nortriptyline, la désipramine, l’imipramine, l’amitriptyline et le millepertuis 1. Les antidépresseurs semblent, dans des études d’une durée maximale d’un an, efficaces pour prévenir une rechute. En ce qui concerne les classes des tricycliques et des ISRS, prises isolément, les données sont trop limitées. Pas d’évidence concernant la durée optimale de traitement. Les études comparatives entre antidépresseurs et autres thérapies chez des personnes âgées présentant une dépression majeure sont encore plus rares. Un traitement d’entretien durant 2 à 3 ans avec une association d’antidépresseurs et de PIP donne de meilleurs résultats que la prise en charge à l’aide du placebo et de PIP (2 RCTs, 108 patients). Pas de différence entre trois années de thérapie d’entretien avec l’association PIP et antidépresseur versus antidépresseurs seuls (une RCT, 58 patients) 2. Plus récemment est apparue une étude prometteuse réalisée également chez des personnes âgées et qui a montré un effet positif, après un an, d’une prise en charge multidisciplinaire faite de l’implication d’un teammanager, d’un médecin généraliste et d’un psychiatre avec l’application intensive de TCC ou ‘problem solving’, mais aussi d’antidépresseurs chez plusieurs patients 3.     

En pratique

La plupart des guides de bonne pratique recommandent de traiter une première dépression majeure durant six mois 1,3-6. Pour la prise en charge d’une dépression récidivante, le CBO et NICE recommandent de poursuivre le traitement durant un an à deux ans. Le CBO conseille une association avec le TCC, alors que Prodigy 7 recommande de référer vers une équipe spécialisée. Comme décrit dans les études susmentionnées, un choix entre les groupes et les molécules n’est pas possible.

Conclusion

Les auteurs de cette étude arrivent à la constatation qu’il est sensé de poursuivre le traitement par paroxétine durant deux ans chez les personnes âgées présentant une dépression majeure pour réduire le risque de rechute. Des insuffisances méthodologiques fondamentales mettent cependant ces résultats en doute. Nous de disposons pas de preuves suffisantes pour une prise en charge de la dépression majeure récidivante chez les personnes âgées. Les guides de pratique reposent donc sur des consensus d’experts. Ils diffèrent dans le choix du traitement optimal mais concordent pour une durée minimale de traitement de deux ans.

 

Références

  1. National Institute for Health and Clinical Excellence. Depression: management of depression in primary and secondary care. NICE-guideline no 23, 2004.
  2. Project Farmaka / Minerva. L’usage efficient des antidépresseurs dans le traitement de la dépression. Recherche systématique dans la littérature. Document de synthèse. Réunion de Consensus INAMI, Bruxelles 2006 (peut être demandé auprès de l’INAMI).
  3. Hunkeler EM, Katon W, Tang L, et al. Long term outcomes from the IMPACT randomised trial for depressed elderly patients in primary care. BMJ 2006;332:259-63.
  4. CBO. Multidiciplinaire Richtlijn Depressie, 2005. www.cbo.nl/product/richtlijnen/folder20021023121843/rl_depressie_2005.pdf
  5. Van Marwijk HWJ, Grundmeijer HGLM, Bijl D, et al. NHG-Standaard Depressieve stoornis. Huisarts Wet 2003;46:614-33.
  6. ANAES. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge d’un épisode dépressif isolé de l’adulte en ambulatoire. ANAES, mai 2002.
  7. Prodigy Guidance: Depression, 2004.
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Auteurs

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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