Revue d'Evidence-Based Medicine



Importance du fond d’oeil chez les patients hypertendus



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 3 Page 44 - 46

Professions de santé


Analyse de
van den Born BJH, Hulsman CAA, Hoekstra JB, et al. Value of routine funduscopy in patients with hypertension: systematic review. BMJ 2005;331:73-7.


Question clinique
Quelle est la plus-value de la réalisation d’un fond d’oeil en routine chez les patients hypertendus ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que la réalisation d’un fond d’oeil dans le cadre de la mise au point chez un patient hypertendu ne présente aucune plus-value. La variabilité interobservateurs est trop importante, les forces probante et excluante sont trop faibles et aucune conséquence ne peut en être tirée pour la stratégie thérapeutique.


 

Résumé

Contexte

En 1939, Keith, Wagener et Barker ont décrit quatre stades de rétinopathie hypertensive. Depuis lors, le fond d’œil est un des examens de routine dans la mise au point d’une hypertension chez un patient. Sa valeur est actuellement remise en question dans l’hypertension. Les recommandations européennes concernant l’hypertension artérielle les plus récentes 1 en conseillent cependant encore la pratique ; les recommandations belges 2 ne le mentionnent pas.

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

MEDLINE, EMBASE et la Cochrane Library.

Etudes sélectionnées

Les auteurs ont recherché toutes les publications depuis 1990 concernant hypertension et rétinopathie. Les études évaluant la variabilité interobservateurs ont été sélectionnées uniquement si les images de fond d’œil étaient évaluées indépendamment par au moins deux observateurs, avec calcul d’une valeur kappa. Pour ces études de corrélation, la pression artérielle et le risque cardio-vasculaire ne pouvaient être préalablement connus de l’examinateur. Dix-huit études ont été finalement incluses.

Population étudiée

Seules les études incluant des adultes (>18 ans) ont été incluses. Pour l’évaluation de l’association entre rétinopathie et lésion des organes cibles, l’inclusion s’est limitée aux études concernant les hypertendus. Les études concernant les diabétiques ou des patients présentant une crise hypertensive ont été exclues.

Mesure des résultats

Les critères de jugement sont : la variabilité interobservateurs (valeur kappa) dans l’interprétation des images au fond d’œil, la relation entre rétinopathie hypertensive et pression artérielle (sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positive et négative), et le lien entre rétinopathie hypertensive, lésion des organes cibles et risque cardio-vasculaire (odds ratio).

Résultats

Variabilité interobservateurs

Six études évaluent la variabilité interobservateurs sur base de photos de la rétine. Pour l’évaluation des modifications rétiniennes microvasculaires, il y a peu de concordance (kappa de 0,3 à 0,4 pour les rétrécissements artériolaires focaux et kappa de 0,4 à 0,6 pour les croisements artério-veineux). La concordance est, par contre, bonne en ce qui concerne les hémorragies et les exsudats (kappa de 0,7 à 0,9).

Relation entre rétinopathie et pression artérielle

Quatre études analysent la relation entre rétinopathie hypertensive et pression artérielle. Les valeurs prédictives positive et négative pour cette association sont basses, respectivement de 47% à 72% et de 32% à 67%.

Relation entre rétinopathie et lésion des organes cibles

L’odds ratio des résultats sommés pour l’hypertrophie ventriculaire gauche chez les patients présentant une rétinopathie hypertensive (n=996 issus de quatre études) est de 2,22 (IC à 95% de 1,36 à 3,62).

Relation entre rétinopathie et risque cardio-vasculaire

Six études (dont trois études de cohorte prospectives) évaluent la corrélation entre lésions rétiniennes microvasculaires et risque cardio-vasculaire : celle-ci n’est pas constante, sauf pour l’accident vasculaire cérébral (AVC). Dans l’étude de cohorte au long cours (n=2 302 avec un suivi >15 ans), l’odds ratio pour l’AVC est de 3,4 (IC à 95% de 1,0 à 11,3) en cas de rétinopathie modérée à sévère. Dans une autre, l’augmentation de risque d’AVC est identique pour les patients normotendus présentant une rétinopathie.

Conclusion des auteurs

Les auteurs estiment que les preuves sont insuffisantes pour conclure que le fond d’oeil apporte une plus-value dans la prise en charge des patients hypertendus.

Financement

Aucun.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

 

Méthodologie

Il est étonnant de constater que, dans un domaine aussi largement étudié (2 869 articles isolés par la recherche !), seul un nombre limité d’articles peut être inclus dans une synthèse méthodique se focalisant sur des questions de recherche bien précises. Etant donné le manque de critères de jugement standardisés, les calculs statistiques ont peu de sens. Les auteurs se limitent donc, à raison, à une synthèse de la littérature pour de nombreux critères. La relation entre hypertrophie ventriculaire gauche à l’échographie et rétinopathie fait exception, quatre études non hétérogènes permettant une sommation de leurs résultats. Au vu de l’absence d’une description précise des caractéristiques des études incluses, il reste difficile, au-delà de cette absence d’analyse statistique, de tirer des conclusions. Le flou est total : comment sont constituées les populations d’étude (âge, sexe, comorbidité, grade d’hypertension, première ou deuxième ligne de soins, …), processus pour la réalisation du fond d’œil (par un ophtalmologue ou par un médecin de première ligne, avec ou sans dilatation, avec quel appareillage ? …) et pourquoi une telle divergence dans la terminologie descriptive des images rétiniennes ? Pour toutes ces raisons, les conclusions de cette synthèse méthodique ont un niveau de preuve limité. Quelques constatations importantes sont cependant à souligner.

Précision du fond d’œil en cas d’hypertension

Il existe, tout d’abord, une importante variabilité dans l’interprétation de photographies d’images rétiniennes (un œil par patient !). La concordance n’est suffisante que pour les lésions sévères (hémorragies et exsudats). Nous ignorons si les examinateurs étaient expérimentés dans ce domaine et si ces constatations sont identiques en cas d’observation directe du fond d’œil. C’est cependant la première donnée qui nous invite à la réflexion. N’est-ce pas au stade débutant de l’hypertension, et surtout si les chiffres tensionnels sont peu éloignés des seuils jugés anormaux, qu’un examen technique complémentaire pourrait guider le praticien dans sa décision d’instaurer un traitement rigoureux ? Le fond d’œil n’est donc pas un recours possible dans cette situation, uniquement en raison de sa reproductibilité non fiable. Il y a plus. Parmi 100 patients hypertendus, seuls 3 à maximum de 21 semblent présenter une rétinopathie (sensibilité). Les études ne mentionnent pas le grade d’hypertension, mais nous pouvons supposer qu’il s’agit des formes les plus sévères. Cette faible sensibilité illustre donc le fait que la rétinopathie est une constatation peu fréquente chez les patients hypertendus. D’autre part, la valeur prédictive positive pour la rétinopathie est faible : moins de la moitié des lésions rétiniennes sont associées à une hypertension. C’est également le cas pour les lésions les plus sévères, telles que les hémorragies et les exsudats (47% à 72% prédisent une hypertension) ! Les auteurs auraient dû mentionner le rapport de vraisemblance positive (ou force probante), qui tient moins compte de la prévalence de l’affection. Nous calculons un LR+ situé entre 1,83 et 2,0, donc fort bas. De nombreux autres facteurs sont, en effet, associés à une rétinopathie « hypertensive » : tabagisme, ethnicité, épaississement de l’intima, plaques athéromateuses carotidiennes, cholestérolémie, diabète, IMC 3. D’autre part, la haute spécificité (88% à 98%) indique que peu de sujets normotendus présentent une rétinopathie. La faible valeur prédictive négative (32% à 59% pour le rétrécissement artériel) signifie qu’au moins la moitié des patients ne présentant pas de rétinopathie ont quand même une hypertension. Les LH- sont ici respectivement de 0,93 et 0,91. Cette étude ne nous permet pas de déterminer si la sévérité de la rétinopathie dépend de la durée et du grade d’hypertension.

Corrélation avec le risque cardio-vasculaire

Après cette analyse en expertise médicale, nous pouvons conclure qu’une image rétinienne pathologique nous apprend peu de chose. Pour déterminer la corrélation entre rétinopathie et risque cardio-vasculaire, six études de cohorte sont alignées. Il faut souligner la quasi absence de concordance montrée entre des lésions minimales et la morbimortalité cardio-vasculaire. En cas de rétinopathie sévère, un risque accru de complications est cependant systématiquement observé, surtout pour l’AVC. Ce lien entre rétinopathie et AVC est également présent chez les patients normotendus. Les recommandations belges 2 et celles du NHG-Standaard 4 ne se prononcent pas sur la place du fond d’oeil dans la prise en charge de l’hypertension.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique montre que la réalisation d’un fond d’oeil dans le cadre de la mise au point chez un patient hypertendu ne présente aucune plus-value. La variabilité interobservateurs est trop importante, les forces probante et excluante sont trop faibles et aucune conséquence ne peut en être tirée pour la stratégie thérapeutique.

 

Références

  1. 2003 European Society of Hypertension-European Society of Cardiology guidelines for the management of arterial hypertension. European Society of Hypertension-European Society of Cardiology Guidelines Committee. J Hypertens 2003;21:1011-53.
  2. De Cort P, Phillips H, Govaerts F, Van Royen P. L’hypertension. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG, 2004.
  3. Wong TY, Knudtson MD, Klein R, et al. A prospective cohort study of retinal arteriolar narrowing and mortality. Am J Epidemiol 2004;159:819-23.
  4. Walma EP, Grundmeijer HGLM. NHG-Standaard Hypertensie. Huisarts Wet 2003;46:435-49.
Importance du fond d’oeil chez les patients hypertendus

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires