Revue d'Evidence-Based Medicine



Ajouter de faibles doses de prednisolone au traitement de l’arthrite rhumatoïde



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 9 Page 135 - 137

Professions de santé


Analyse de
Svensson B, Boonen A, Albertsson K et al. Low-dose prednisolone in addition to the initial disease-modifying antirheumatic drug in patients with early active rheumatoid arthritis reduces joint destruction and increases the remission rate. Arthritis Rheum 2005;52:3360-70.


Question clinique
Après deux ans, quelle est l’efficacité sur la maladie et l’atteinte articulaire, d’une faible dose (7,5mg/jour) de prednisolone ajoutée à un «disease modifying antirheumatic drug (DMARD)» chez des patients présentant une arthrite rhumatoïde débutante (<1 an)?


Conclusion
Cette étude montre qu’une faible dose de prednisolone (7,5 mg/jour), ajoutée à un traitement avec un DMARD, donne, après deux ans, chez des patients atteints d’arthrite rhumatoïde une progression radiologique ralentie, davantage de rémissions et peu d’effets indésirables. Cette étude est conçue en ouvert, de sorte qu’un biais des résultats est possible, mais cette méthodologie pragmatique se prête bien à la pratique quotidienne. Au vu des preuves disponibles actuellement dans la littérature, cette stratégie d’usage de faibles doses de corticostéroïdes et d’un suivi plus intensif de l’activité de la maladie mériterait une implantation plus solide dans la pratique. D’autres études devront préciser les conditions et le moment opportun pour interrompre le traitement corticostéroïde additif.


 

Résumé

Contexte

Il a été suffisamment montré qu’un diagnostic précoce et une lutte contre l’inflammation influencent favorablement le pronostic de l’arthrite rhumatoïde 1. De hautes doses de corticostéroïdes occasionnent cependant, à long terme, d’importants effets indésirables. L’usage temporaire de doses plus élevées de stéroïdes administrées dans le stade précoce de l’arthrite rhumatoïde a un effet positif 2,3. L’effet, à long terme, sur la maladie et sur l’atteinte articulaire, d’une faible dose de corticostéroïdes en monothérapie ou en association avec les DMARD reste l’objet de discussions 4,5.

Population étudiée

Des patients âgés de 18 à 80 ans présentant un diagnostic récent (< 1 an) d’arthrite rhumatoïde active (DAS 28-score >3 d’après les critères de l'American College of Rheumatology) et pour laquelle un DMARD a été prescrit, sont sélectionnés pour inclusion. Les critères d’exclusion sont: contre-indications pour les corticostéroïdes, usage antérieur de cortico-stéroïdes ou de DMARDs, ostéoporose (prouvée par ostéodensitométrie) et des fractures ostéoporotiques. Finalement, 250 patients sont inclus dans l’étude, d’un âge moyen de 51 à 59 ans et 65% sont des femmes. La durée moyenne de la maladie est de 5,8 à 6,5 mois et le score moyen DAS-28 est, pour chacun des groupes, d’environ 5,3 (ET 1,1). Près de 50% des participants ont débuté avec le méthotrexate et environ 35% avec la sulfasalazine.

Protocole d’étude

Les participants de cette étude multicentrique, randomisée, ouverte, sont répartis, durant deux ans, en un bras qui, en plus du DMARD, consomme quotidiennement 7,5 mg de prednisolone (n=119) et un groupe qui ne reçoit que le DMARD (n=131). Tous les patients subissent au début de l’étude, après un an et après deux ans une radiographie des mains et des pieds qui est évaluée d’après le score Sharp. Les patients sont évalués cliniquement après 3, 6, 12, 18 et 24 mois.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la différence, entre les deux groupes, dans le degré d’atteinte articulaire au niveau des mains et des pieds, après deux ans. Les critères de jugement secondaires sont les différences, après deux ans, pour l’activité de la maladie et pour la fonction articulaire mesurées respectivement avec le score DAS 28 et le HAQ (Health Assessment Questionnaire)" data-content="Ce score mesure les difficultés dans l’exécution des activités de la vie quotidienne. Le questionnaire est rempli par le patient lui-même. 8 domaines sont évalués, avec, pour chaque question, 4 réponses possibles. La note 0 correspond à « Sans aucune difficulté », et la note 3, à « Incapable de le faire ». Le total est divisé par 8, ce qui donne un score compris entre 0 et 3 et appelé « indice d’handicap fonctionnel ».">Health Assessment Questionnaire (HAQ). L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Huit participants sont perdus de vue. Dans le groupe prednisolone, huit personnes arrêtent cette médication et sept patients du groupe contrôle débutent quand même la prednisolone. Dans chaque groupe, près de 16% des participants interrompent le DMARD; 44% des sujets dans le groupe prednisolone et 65% dans le groupe contrôle recourent aux AINS. Après deux ans, le score Sharp total est majoré de façon significative dans le groupe contrôle versus groupe prednisolone (+3,5 points (IQR 0,5-10) versus +1,8 (IQR 0,5-6,0); p=0,019). La différence d’aggravation est significative pour l’érosion, mais pas pour le rétrécissement de l’espace articulaire. Au terme des deux ans, 55,5% des patients du bras prednisolone versus 32,8% du groupe contrôle (p<0,0005) obtiennent une rémission (définie comme DAS-28 <2,6). L’index HAQ chute de façon significative dans le bras prednisolone. La densité osseuse évolue de façon équivalente dans les deux groupes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, dans un stade précoce de l’arthrite rhumatoïde, l’adjonction d’une dose faible de prednisolone au DMARD influence favorablement tant l’activité de la maladie que l’atteinte articulaire et ceci sans effet indésirable important.

Financement

Swedish Rheumatism Association, 80-Year Foundation of King Gustaf V, Ugglas Foundation, Börje Dahlins Foundation, Gorthon Foundation et Stiftelsen för Rörelsehindrade i Skane.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés.

 

Discussion

Méthodologie

Cette étude souligne avec insistance l’intérêt d’un traitement précoce et intensif de l’arthrite rhumatoïde à l’aide d’un traitement combiné dont l’efficacité a déjà été montrée de façon incontestable dans des publications antérieures 1. L’inconvénient d’une étude en ouvert, non contrôlée par placebo, doit être opposé au fait que cette méthodologie permet de rester fort proche de la pratique clinique. Ceci augmente la pertinence de l’étude. Le fait que 131 des 840 patients de la cohorte initiale n’aient pu participer à l’étude parce qu’ils avaient eu recours à des stéroïdes prescrits par leur médecin traitant, souligne l’usage courant des stéroïdes dans la pratique quotidienne, non pas dans le cadre d’une stratégie thérapeutique définie, mais en tant qu’intervention d’urgence temporaire ou intermittente pour soulager diverses plaintes. Le fait également que le choix du DMARD (±50% méthotrexate; ±35% sulfasalazine) ne soit pas imposé, illustre le souci de rester en phase avec la pratique quotidienne et augmente la validité externe de la population d’étude. Le recours à davantage de corticostéroïdes intra-articulaires ou d’AINS dans le groupe qui ne reçoit pas de prednisolone, augmente encore la pertinence du résultat. De plus, la radiologie a été évaluée en aveugle, ce qui est un point fort pour l’interprétation du critère de jugement primaire. Nous devons être plus prudents pour l’interprétation des critères de jugement secondaires. Le plus grand défaut, et de la question clinique et du protocole d’étude, est probablement le fait que l’étude se limite à deux ans. D’autres études ont montré que le bénéfice radiologique semble disparaître lorsqu’on arrête les faibles doses de stéroïdes 6. Les résultats de rémission après deux ans ne sont pas des rémissions sans médicaments, vu que les patients reçoivent toujours leur prednisolone. En outre, dans chaque groupe, davantage de patients arrêtent le DMARD plutôt que la prednisolone. Une étude récente de Jacobs et coll 7 suggère cependant un effet persistant sur l’évolution radiologique lorsque des doses faibles de stéroïdes sont arrêtées, mais cette étude inclut peu de patients et le résultat est calculé sur base d’une analyse post-hoc. Comme la dose cumulative de stéroïdes à long terme semble importante pour les effets indésirables, le risque fracturaire reste une donnée à analyser de façon critique. Dans l’ostéoporose due aux corticostéroïdes, la densité osseuse n’est pas le marqueur idéal pour évaluer le risque du critère fort, les fractures. D’autres remarques critiques peuvent être ajoutées: une dose hebdomadaire relativement faible de méthotrexate (±11 mg/semaine) dans les deux groupes et le fait que le DAS-28 n’est certainement pas l’instrument idéal pour mesurer une rémission. Toutefois, les résultats sont importants.

Autres études

L’effet d’un traitement précoce combiné à des corticostéroïdes dans une stratégie d’induction de rémission a déjà été montré dans l’étude COBRA 3. Celle-ci montre qu’une dose élevée temporaire de stéroïdes (arrêtée après six mois de traitement), ajoutée à une combinaison de sulfasalazine (2 000 mg/jour) et d’une faible dose de méthotrexate (7,5 mg/semaine) est nettement supérieure à un traitement à la sulfasalazine seule sur l’activité de la maladie et sur les scores radiologiques. L’effet sur l’atteinte radiologique est encore visible après cinq ans et ceci suggère le principe d’une «fenêtre d’opportunité» dans le traitement précoce de l’arthrite rhumatoïde. Alors que, dans cette étude, les stéroïdes sont arrêtés après six mois, dans l’étude de Svensson et coll, le traitement avec des corticostéroïdes est poursuivi plus longtemps.

Une recherche plus dynamique, complétant l’étude COBRA, a été rapportée récemment dans l’étude BEST; elle illustre encore davantage la pertinence d’un contrôle intensif et précoce de la maladie et montre qu’une thérapie combinée avec des stéroïdes donne des résultats comparables à une thérapie combinée précoce avec les coûteux inhibiteurs- TNFα 8.

De plus, les résultats de l’étude BEST sont un réquisitoire, d’une part pour l’usage d’un traitement combiné dans une stratégie d’induction de rémission (et donc pour l’abandon d’un traitement unique par DMARD dans une arthrite rhumatoïde précoce). D’autre part, elle fournit le fondement pour l’évaluation minutieuse de l’activité de la maladie durant le suivi et également des arguments pour ne plus se satisfaire d’un contrôle modéré de l’activité de la maladie.

La nécessité d’un traitement intensif précoce de l’arthrite rhumatoïde est connue depuis près de 10 ans; la constatation que ceci ne soit pas encore d’application générale dans la pratique courante est d’autant plus contrastante. La perception des corticostéroïdes et d’une thérapie combinée plus intensive est encore souvent négative, associée à une peur des effets indésirables, tant pour le médecin que pour les patients. Toutes les études montrent cependant que ce sont précisément l’utilisation d’une stratégie d’induction de rémission et le suivi minutieux qui donnent un effet important (déjà clairement montré pour le moyen terme) et sans beaucoup d’effets indésirables. L’étude de la perception des stéroïdes et d’une thérapie intensive précoce par les médecins et par les patients, ainsi que des remèdes à y apporter, mérite de plus amples recherches, mais il n’existe probablement pas de «budget de marketing» pour ce traitement relativement bon marché en comparaison aux nouvelles options plus coûteuses tels les inhibiteurs biologiques et de TNFα.

 

Conclusion

Cette étude montre qu’une faible dose de prednisolone (7,5 mg/jour), ajoutée à un traitement avec un DMARD, donne, après deux ans, chez des patients atteints d’arthrite rhumatoïde une progression radiologique ralentie, davantage de rémissions et peu d’effets indésirables. Cette étude est conçue en ouvert, de sorte qu’un biais des résultats est possible, mais cette méthodologie pragmatique se prête bien à la pratique quotidienne. Au vu des preuves disponibles actuellement dans la littérature, cette stratégie d’usage de faibles doses de corticostéroïdes et d’un suivi plus intensif de l’activité de la maladie mériterait une implantation plus solide dans la pratique. D’autres études devront préciser les conditions et le moment opportun pour interrompre le traitement corticostéroïde additif.

 

Références

  1. Mielants H. Combinatietherapie bij reuma. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(6):216-21.
  2. Boers M, Verhoeven AC, Markusse HM et al. Randomised comparison of combined step-down prednisolone, methotrexate and sulphasalazine with sulphasalazine alone in early rheumatoid arthritis. Lancet 1997;350:309-18.
  3. Landewe RB, Boers M, Verhoeven AC et al. COBRA combination therapy in patients with early rheumatoid arthritis: long-term structural benefits of a brief intervention. Arthritis Rheum 2002;46:347-56.
  4. Capell HA, Madhok R, Hunter JA et al. Lack of radiological and clinical benefit over two years of low dose prednisolone for rheumatoid arthritis: results of a randomised controlled trial. Ann Rheum Dis 2004;63:797-803.
  5. Kirwan JR, and the Arthritis and Rheumatism Council Low-Dose Glucocorticoid Study Group. The effect of glucocorticoids on joint destruction in rheumatoid arthritis. N Engl J Med 1995;333:142-6.
  6. Hickling P, Jacoby RK, Kirwan JR, and the Arthritis and Rheumatism Council Low Dose Glucocorticoid Study Group. Joint destruction after glucocorticoids are withdrawn in early rheumatoid arthritis. Br J Rheumatol 1998;37:930-6.
  7. Jacobs JWG, van Everdingen AA, Verstappen SMM, Bijlsma JWJ. Follow up radiographic data on patients with rheumatoid arthritis who participated in a two-year trial of prednisone therapy or placebo. Arthritis Rheum 2006;54:1422-8.
  8. Goekoop-Ruiterman YP, de Vries-Bouwstra JK, Allaart CF et al. Clinical and radiographic outcomes of four different treatment strategies in patients with early rheumatoid arthritis (the BeSt study): a randomized controlled trial. Arthritis Rheum 2005;52:3381-90.

 

 

Noms de marque

Méthotrexate: Ledertrexate®, Emthexate®

Sulfasalazine: Salazopyrine®

Prednisolone: non disponible en forme orale en spécialité en Belgique

Ajouter de faibles doses de prednisolone au traitement de l’arthrite rhumatoïde



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