Revue d'Evidence-Based Medicine



Warfarine plus aspirine après un syndrome coronarien aigu



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 8 Page 116 - 118

Professions de santé


Analyse de
Rothberg M, Celestin C, Fiore L et al. Warfarin plus aspirin after myocardial infarction or acute coronary syndrome: meta-analysis with estimates of risk and benefit. Ann Intern Med 2005;143:241-50.


Question clinique
Quels sont les avantages et les risques d’un traitement associant warfarine et aspirine chez des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu?


Conclusion
Cette méta-analyse montre, chez des patients âgés de moins de 70 ans ayant présenté un syndrome coronarien aigu et n’ayant majoritairement pas bénéficié d’un traitement interventionnel, que l’ajout de warfarine à un traitement par aspirine réduit le risque d’infarctus du myocarde, d’AVC et de revascularisation mais augmente le risque de saignements mineurs ou majeurs. La balance bénéfice cardiovasculaire potentiel versus risque de saignement dépend du risque cardiovasculaire et de saignement initial. Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, d’un score validé permettant d’évaluer le risque cardiovasculaire après un syndrome coronarien aigu, ce qui ne permet pas d’évaluer facilement, dans la pratique, l’intérêt potentiel d’un tel traitement associé.


 

Résumé

Contexte

Les patients qui présentent un syndrome coronarien aigu ont un risque accru d’autres complications thrombo-emboliques, par activation des plaquettes sanguines comme par activation des mécanismes de coagulation. L’intérêt des antiagrégants plaquettaires (aspirine) après un syndrome coronarien aigu est suffisamment montré. Certaines études ont montré une réduction supplémentaire du risque d’incidents cardiovasculaires en cas d’administration d’un antagoniste de la vitamine K en plus de celle d’aspirine. Il n’est pas établi que cet effet antithrombotique complémentaire des antagonistes de la vitamine K contrebalance le risque accru de saignement.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse.

Sources consultées

Medline (de janvier 1990 à octobre 2004).

Etudes sélectionnées

Ont été prises en considération, uniquement les études contrôlées randomisées incluant des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu, traités par aspirine versus association d’aspirine et de warfarine. Ont été exclues, les études avec traitement anticoagulant de faible intensité (valeur cible d’INR <2) et les études avec mise en place d’un stent. Dix études sont finalement incluses, concernant un total de 5 938 patients (dont une étude incluant >2 400 patients et une autre >3 700 sujets) sur une durée de suivi de trois mois à quatre ans (dont quatre études sur au moins 12 mois). Le taux de sorties d’étude est <10%. Deux petites études étaient en double aveugle.

Population étudiée

Sont inclus des patients post syndrome coronarien aigu défini comme étant un angor instable ou un infarctus du myocarde (y compris sans onde Q). L’âge moyen est situé entre 57 et 67 ans et dans six études sur dix plus de 75% des participants sont de sexe masculin.

 

Mesure des résultats

Les auteurs ont calculé leratio de proportions est comparable au risque relatif mais son unité est, contrairement au risque relatif, le nombre d’années-patient ou années-personne de l’observation."> rapport de proportion d’infarctus du myocarde, d’AVC ischémique et hémorragique, de revascularisation, de saignement mineur et majeur et de décès après un an de traitement par aspirine versus aspirine plus warfarine. L’analyse est faite en modèle d’effets aléatoires. Les résultats ont été analysés en fonction d’un risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral (AVC) léger, modéré ou élevé et d’autre part en fonction du risque de saignement pour mieux préciser un risque propre à certaines sous-populations.

Résultats

La dose quotidienne d’aspirine varie de 75 à 325 mg et la valeur cible de l’INR est de 2,0 à 2,5 dans la majorité des études. L’ajout de la warfarine à l’aspirine contribue à diminuer le risque d’un nouvel infarctus du myocarde, d’un AVC ischémique et d’une revascularisation. Il n’y a aucune différence pour la mortalité totale entre les deux groupes. L’association d’aspirine et de warfarine augmente cependant le risque de saignement majeur et mineur (voir tableau).

Pour le groupe de patients présentant un faible risque de survenue de ces événements, le nombre d’infarctus du myocarde et d’AVC ischémique diminue de 25 pour 1 000 patients traités durant un an lors de l’addition de la warfarine à l’aspirine. Pour le groupe avec risque intermédiaire, la diminution est de 53 patients sur 1 000 traités pendant un an en cas d’addition de la warfarine. En cas de risque élevé, la diminution est de 125 patients sur 1 000 patients traités durant un an. La survenue de saignement majeur augmente en fonction du risque initial: de 6 patients sur 1 000 traités par an en cas de risque faible, de 42 sur 1 000 en cas de risque modéré et de 180 sur 1 000 en cas de risque hémorragique élevé.

 

Tableau: Survenue d’infarctus du myocarde, d’AVC ischémique, de revascularisation, de décès, de saignement mineur ou majeur dans le groupe aspirine + warfarine versus groupe aspirine, exprimée en rapport de proportion (avec IC à 95%) et nombre d’incidents pour milles années-patients. 

 

Rapport de proportion
(IC à 95%)

Nombre d’événements par 1 000 années-patients

Aspirine

Aspirine + Warfarine

Infarctus du myocarde

0,56 (0,46 à 0,69)

41

22

AVC ischémique

0,46 (0,27 à 0,77)

8

4

Revascularisation

0,80 (0,67 à 0,95)

135

115

Décès

0,96 (0,77 à 1,20)

27

26

Saignement mineur

2,65 (2,14 à 3,29)

16

46

Saignement majeur

2,48 (1,67 à 3,68)

6

15

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu, et ayant un risque faible ou modéré d’hémorragie, le bénéfice de l’ajout de warfarine à l’aspirine l’emporte sur le risque hémorragique. Cet avantage est le plus net chez les patients avec un risque élevé de nouvelles complications thromboemboliques. Chez les patients avec risque élevé de saignement, le risque est par contre à ce point élevé qu’un effet antithrombique favorable ne contrebalance pas ce risque d’hémorragie.

Financement

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Interprétation des résultats des études

Dans toutes les études analysées, c’est la warfarine qui a été utilisée. L’acénocoumarol (temps de demi-vie court) et la phenprocoumone (temps de demi-vie plus long) ont le même mécanisme d’action que la warfarine. Une extrapolation des résultats observés avec la warfarine aux autres médicaments soulève cependant des réserves, entre autres en raison de différences possibles au niveau des interactions 1. La valeur cible d’INR située entre 2,0 et 3,0 est généralement admise: des études avec une dose fixe basse de warfarine ou ciblant un INR de 2,0 ou inférieur n’ont pas montré de bénéfice par rapport à l’aspirine; au-delà d’un INR de 3,0 et certainement supérieur à 3,5, le risque de saignement augmente fortement 1.

Dans l’interprétation des résultats, nous devons également tenir compte de l’âge moyen relativement bas des populations étudiées (<70 ans) et du fait qu’un pontage coronarien n’a été effectué que pour les patients d’une seule étude. Pour pouvoir comparer les résultats des différentes études, ceux-ci ont été ramenés à un suivi d’un an. Les auteurs se sont basés pour ce choix sur une étude montrant que plus de la moitié des événements thrombo-emboliques survenant dans la première année suivant un syndrome coronarien aigu se produisaient au cours des trois premiers mois 2.

Risque de thrombo-embolie élevé

Le groupe cible d’un traitement antithrombotique plus soutenu est constitué par les patients présentant un risque élevé de nouveaux événements thrombo-emboliques. Pour estimer le risque cardiovasculaire en prévention primaire (patient asymptomatique), nous disposons de tables en couleur largement utilisées et du nouveau système SCORE. Pour estimer le risque après un syndrome coronarien aigu, nous ne pouvons cependant bénéficier d’aucun modèle universellement admis. Les auteurs de cette méta-analyse déterminent le risque sur base des données d’une étude d’observation de 2 700 patients suivis durant 3,4 ans après une hospitalisation pour un premier infarctus du myocarde 3. En tenant compte de l’âge, de la pression artérielle diastolique, de l’IMC, de la créatininémie, du rapport LDL-cholestérol versus HDL-cholestérol, de la présence d’angor, d’insuffisance cardiaque ou de diabète, ils déterminent l’incidence d’infarctus du myocarde et d’AVC dans différents groupes: score de risque cardiovasculaire bas (risque d’infarctus de 40 pour 1 000 années-patients et de 13 pour un AVC), modéré (risque de 80 pour un infarctus et de 32 pour un AVC) ou élevé (risque de 188 pour un infarctus et de 79 pour un AVC). Ce score de risque n’est cependant pas validé dans un autre contexte. Il est également peu maniable. Il reste donc difficile de déterminer, dans la pratique, le risque de survenue de nouvelles complications thromboemboliques.

Risque de saignement faible

Il est évident qu’il est souhaitable d’éviter d’administrer des antagonistes de la vitamine K à des patients présentant un risque élevé d’hémorragie. L’évaluation de ce risque est également difficile dans le groupe de patients ici concernés. Les auteurs proposent d’utiliser le Outpatient Bleeding Risk Index (OBRI) 4. Sur un suivi d’étude d’un an, le risque de saignement majeur atteint 30 et même 48% dans le groupe avec le risque le plus élevé. De plus, le score OBRI évalue le risque chez des patients ne prenant pas d’aspirine. Il est donc clair que la présence d’un risque de saignement élevé est une contre-indication formelle à l’utilisation d’antagonistes de la vitamine K 4.

Concurrence sérieuse

D’autres stratégies antithrombotiques que l’association d’aspirine avec un antagoniste de la vitamine K sont actuellement proposées et plus en vogue: l’association d’aspirine avec une thiénopyridine (principalement le clopidogrel à ce jour). Nous savons que cette association est plus efficace que l’association aspirine et warfarine dans le groupe des patients, de plus en plus important, ayant bénéficié de la mise en place d’un stent 5. En cas de syndrome coronarien aigu, nous ne disposons pas d’étude comparative entre les deux associations. L’étude CURE a montré, dans cette indication, que l’association d’aspirine avec 75 mg de clopidogrel diminuait, à un an, le risque de survenue d’un nouvel événement cardiovasculaire de 11,4 à 9,3% (RR 0,80; IC à 95% de 0,72 à 0,90) par rapport à l’aspirine en monothérapie 6. Dans cette étude également, l’association augmente le risque de saignement majeur de 2,7 à 3,7% (RR 1,38; IC à 95% de 1,13 à 1,67). Il n’y a pas d’étude publiée comparant traitement anticoagulant et clopidogrel.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre, chez des patients âgés de moins de 70 ans ayant présenté un syndrome coronarien aigu et n’ayant majoritairement pas bénéficié d’un traitement interventionnel, que l’ajout de warfarine à un traitement par aspirine réduit le risque d’infarctus du myocarde, d’AVC et de revascularisation mais augmente le risque de saignements mineurs ou majeurs. La balance bénéfice cardiovasculaire potentiel versus risque de saignement dépend du risque cardiovasculaire et de saignement initial. Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, d’un score validé permettant d’évaluer le risque cardiovasculaire après un syndrome coronarien aigu, ce qui ne permet pas d’évaluer facilement, dans la pratique, l’intérêt potentiel d’un tel traitement associé.

 

Références

  1. Hirsh J, Fuster V, Ansell J, Halperin JL. American Heart Association/American College of Cardiology Foundation. Guide to warfarin therapy. Circulation 2003;107:1692-711.
  2. Fiore LD, Ezekowitz MD, Brophy MT et al. Department of Veterans Affairs Cooperative Studies Program Clinical Trial comparing combined warfarin and aspirin with aspirin alone in survivors of acute myocardial infarction: primary results of the CHAMP study. Circulation 2002;105:557-63.
  3. Kaplan RC, Heckbert SR, Furberg CD, Psaty BM. Predictors of subsequent coronary events, stroke and death among survivors of first hospitalized myocardial infarction. J Clin Epidemiol 2002;55:654-64.
  4. Beyth RJ, Quinn LM, Landefeld CS. Prospective evaluation of an index for predicting the risk of major bleeding in outpatients treated with warfarin. Am J Med 1998;105:91-9.
  5. Leon MB, Baim DS, Popma JJ et al. A clinical trial comparing three antithrombotic-drug regimens after coronary artery stenting. N Engl J Med 1998;339:1665-71.
  6. Yusuf S, Zhao F, Mehta SR et al; Clopidogrel in Unstable Angina to Prevent Recurrent Events Trial (CURE) Investigators. Effects of clopidogrel in addition to aspirin in patients with acute coronary syndromes without ST-segment elevation. N Engl J Med 2001;345:494-502.
  7. Wallentin L, Wilcox RG, Weaver WD et al; ESTEEM investigators. Oral ximelagatran for secondary prophylaxis after myocardial infarction: the ESTEEM randomised controlled trial. Lancet 2003;362:789-97.

 

 

Noms de marque

Acénocoumarol: Sintrom®

Phenprocoumone: Marcoumar®

Warfarine: Marevan®

Warfarine plus aspirine après un syndrome coronarien aigu



Ajoutez un commentaire

Commentaires