Revue d'Evidence-Based Medicine



Associer du dipyridamole à l’aspirine post événement ischémique cérébral?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 8 Page 114 - 116

Professions de santé


Analyse de
Halkes PHA, van Gijn J, Kappelle LJ et al for the ESPRIT Study Group. Aspirin plus dipyridamole versus aspirin alone after cerebral ischaemia of arterial origin (ESPRIT): randomised controlled trial. Lancet 2006;367:1665-73.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité sur la survenue d’un événement vasculaire et la sécurité relatives de l’association dipyridamole plus aspirine versus aspirine seule post événement ischémique cérébral?


Conclusion
Cette étude montre que l’ajout de dipyridamole à libération prolongée à l’aspirine pourrait apporter un bénéfice complémentaire à un nombre probablement restreint de patients ayant présenté un AVC mineur ou un AIT, en termes de morbidité cardiovasculaire mais pas en termes de mortalité cardiovasculaire ni de mortalité totale. Le fait que l’étude soit en protocole ouvert et l’absence de prise en compte des traitements associés rendent cependant ses conclusions plus fragiles. La prévention cardiovasculaire secondaire, après AVC ou AIT, doit comporter mesures hygiéno-diététiques, arrêt du tabagisme, prise en charge des autres facteurs de risque et administration d’aspirine dont le bénéfice est bien établi.


 

Résumé

Contexte

Des patients ayant présenté un accident ischémique transitoire ou un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique non invalidant présentent un risque annuel d’incident cardiovasculaire estimé à 4-16% dans des études 1,2 et de 9% sur enquête de population 3. L’administration d’une dose d’aspirine de 30 à 300 mg par jour préviendrait 13 à 22% de ces complications vasculaires 4. L’administration de l’association de dipyridamole à l’aspirine semble, dans une méta-analyse de toutes les études précédentes 5, plus efficace que l’aspirine seule dans la prévention d’événements vasculaires après un événement ischémique cérébral. Ce bénéfice n’a, en fait, été montré que dans une seule étude6 et avec une dose faible d’aspirine (50 mg par jour).

Population étudiée

Cette étude inclut 2 763 patients référés dans un des hôpitaux participants (étude internationale, 14 centres), ayant présenté un accident ischémique transitoire (cécité monoculaire transitoire incluse) ou un accident ischémique cérébral mineur (grade ≤3 sur l’échelle de Rankin modifiée) d’origine artérielle probable (non embolique). Les sujets inclus ont un âge moyen de 63 ans, sont en majorité des hommes (65 à 66%), avec souvent d’autres pathologies (diabète 18-19%, infarctus du myocarde 7%, hypertension artérielle 59-60%) et d’autres facteurs de risque (hyperlipémie 46-47%, tabagisme en cours 36-37%). Sont exclus, les patients avec: étiologie embolique cardiaque possible (FA par exemple), ischémie cérébrale avec sténose carotidienne de haut grade et intervention prévue, trouble de la coagulation, contre-indication à la prise d’aspirine ou de dipyridamole, espérance de vie limitée.

Protocole d'étude

Etude randomisée contrôlée, pragmatique, ouverte, sur une durée totale de huit ans. L’étude ESPRIT répartit les patients soit dans un groupe anticoagulant, soit dans un groupe aspirine + dipyridamole, soit dans un groupe aspirine seule (schéma à 3 bras). Une randomisation uniquement dans les groupes dipyridamole + aspirine ou aspirine était cependant effectuée pour les patients présentant une contre-indication à ou une non faisabilité d’un traitement anticoagulant (schéma à 2 bras). Cette publication-ci de l’étude ESPRIT ne rapporte pas les résultats du groupe de patients sous anticoagulants. Un groupe (n=1 375) est traité par dipyridamole (2 x 200 mg par jour) de préférence sous forme à libération prolongée et dose fixe d’aspirine en association fixe ou libre. L’autre groupe (n=1 388) reçoit une dose fixe d’aspirine. Un CT scan ou une résonance magnétique était demandée pour tous les patients et un contrôle clinique était demandé tous les six mois, à défaut un contact téléphonique. Après une présence de cinq ans dans l’étude, le dossier d’un patient pouvait être clôturé. L’analyse est faite en intention de traiter. Des analyses en sous-groupes étaient initialement prévues (selon âge, sexe, ischémie coronarienne connue ou non, type d’ischémie cérébrale, région atteinte).

Mesure des résultats

Le critère de jugement principal est composite: premier incident parmi décès de toute cause vasculaire, AVC non fatal, infarctus du myocarde non fatal, complication hémorragique majeure. Les critères secondaires sont: décès de toute cause, décès de cause vasculaire, décès de cause vasculaire et AVC non fatal, événement ischémique majeur, événement vasculaire, complications hémorragiques majeures.

Résultats

La durée moyenne de suivi est de 3,5 ans. Soixante-trois pour cent des patients ont été enrôlés via le schéma 2 bras et 37% via le schéma 3 bras. Un tiers avait présenté un AIT. Le critère primaire est observé chez 12,7% des patients recevant l’association médicamenteuse pour 15,7% de ceux recevant l’aspirine seule, ce qui correspond à un HR 0,80 (IC à 95% de 0,66 à 0,98), à une RAR de 1,0% par an (IC à 95% de 0,1 à 1,8) et à un NST de 104 (IC à 95% de 55 à 1006) par an. Une complication hémorragique majeure est plus souvent observée dans le groupe aspirine seule (pas d’analyse statistique), un saignement mineur plus fréquemment dans le groupe traitement associé (Rapport de Risques 1,03; IC à 95% de 0,84 à 1,25). Il n’y a pas de différence significative pour la mortalité totale. Les analyses en sous-groupes ne montrent pas de différence significative.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de leur étude, combinés avec ceux des études précédentes, montrent des preuves suffisantes pour préférer l’association de dipyridamole avec l’aspirine versus aspirine seule comme traitement antithrombotique après un événement ischémique cérébral d’origine artérielle.

Financement

L’étude est financée par différentes organisations publiques européennes ou nationales qui ne sont intervenues à aucun des stades de la recherche.

Conflits d’intérêt

Aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est randomisée, contrôlée mais en protocole ouvert pour mieux évaluer les traitements réellement appliqués dans la réalité, disent les auteurs. L’évaluation des événements est cependant validée de manière centrale sans connaissance du traitement pris. La puissance de l’étude, sur base d’un seuil de 80% et d’une réduction de 20-25% des événements sous traitement associé versus aspirine sur un suivi de trois ans, nécessite l’inclusion de 3 000 patients, soit 9 000 années-patients, en tenant compte d’une incidence d’événements repris pour le critère primaire de 6/100 années-patients dans le groupe aspirine. Le nombre de sujets n’est pas atteint, mais la durée de présence dans l’étude excède en moyenne trois ans, ce qui amène à un nombre suffisant d’années-patients. En fonction d’une différence d’incidence du critère primaire se manifestant après deux à trois ans, cette «manipulation» nous semble fausser l’interprétation possible. L’incidence est également moins importante que prévue dans le groupe aspirine et la différence d’incidents entre les deux groupes n’atteint pas les 20-25% de réduction relative de risque fixés (en fait 12,7% versus 15,7% soit 19% de RRR). Les résultats ne sont accompagnés d’aucune valeur p. Les critères diagnostiques de tous ces événements sont décrits avec précision et contrôlés par la coordination centrale, ce qui correspond à une évaluation «en aveugle» des résultats; faut-il encore qu’ils aient été tous notifiés!

Cette étude inclut une majorité de patients (63%) pour lesquels un traitement anticoagulant était contre-indiqué ou non possible, ce qui a peut-être constitué un biais de sélection. Il serait intéressant de pouvoir disposer des résultats de l’étude trois bras (dipyridamole + aspirine, aspirine seule, anticoagulants) pour comparaison. Le protocole en ouvert de l’étude provoque une hétérogénéité de traitement à la fois pour la forme galénique de dipyridamole (83% de prise de forme à libération prolongée de dipyridamole en fait), et, surtout pour la dose d’aspirine.

A souligner, le taux d’arrêt important dans le groupe dipyridamole (34%), principalement en raison d’effets indésirables, versus groupe aspirine (13%). L’étude ne fait aucune mention des autres traitements médicamenteux associés, ce qui est problématique vu l’incidence initiale de patients hypertendus (60%) ou présentant une hyperlipidémie (46%) et ne permet pas de vérifier une éventuelle différence entre les groupes. A lui seul, ce manque de données nous semble remettre la validité des résultats de l’étude en cause.

Résultats et autres études

Le résultat favorable pour le groupe aspirine + dipyridamole s’accompagne d’un large intervalle de confiance à 95%. Outre que la pertinence clinique de l’avantage statistique est ainsi mise à mal, un NST donné sur un an paraît trompeur, le bénéfice n’apparaissant qu’après un certain délai de traitement. Les résultats de l’analyse par protocole ne sont pas meilleurs que ceux en intention de traiter, avec même un IC à 95% non statistiquement significatif. Les auteurs attribuent ce fait au hasard. Une précédente méta-analyse7 sur données individuelles montrait une diminution des récidives d’AVC sous traitement dipyridamole versus contrôle à la limite de la signification statistique (OR 0,82; IC à 95% de 0,68 à 1,00) mais significative pour l’association dipyridamole + AAS vs AAS seul (OR 0,78; IC à 95% de 0,65 à 0,93), vs dipyridamole seul (OR 0,74; IC à 95% de 0,60 à 0,90) ou vs contrôle (OR 0,61; IC à 95% de 0,51 à 0,71). Une synthèse Cochrane8 des études donne des résultats semblables pour l’association avec le dipyridamole versus contrôle: RR 0,90; IC à 95% de 0,82 à 0,97. Les auteurs de l’étude ESPRIT effectuent également une méta-analyse de toutes les études aspirine + dipyridamole versus aspirine post ischémie cérébrale présumée d’origine artérielle, dont l’étude ESPS 2 précédemment analysée dans Minerva9 en incluant les résultats de cette étude ESPRIT. Cette méta-analyse montre un effet favorable de l’association versus aspirine seule sur le critère composite survenue de décès d’origine vasculaire, accident vasculaire cérébral non fatal ou infarctus du myocarde non fatal: Risk Ratio 0,82 (IC à 95% de 0,74 à 0,91). Les deux études montrant un bénéfice pour le traitement associé ne donnent cependant pas de bénéfice significatif en termes de mortalité de toute cause ou liée à une cause vasculaire et sont effectuées avec, soit une dose faible d’aspirine (2 x 25 mg par jour) soit une dose variable de 30 à 325 mg (moyenne de 75 mg).

Dose d’aspirine

La dose d’aspirine prise par les sujets de cette étude est, pour 50% d’entre eux, ≤50 mg par jour. Une étude plus ancienne 10 n’avait pas montré de différence d’efficacité, dans le même type de population et pour le même critère de jugement, d’une dose de 30 mg versus dose de 283 mg par jour d’aspirine. A cette époque, les autres traitements médicamenteux associés étaient différents. Dans leur analyse en sous-groupes pour les différentes doses d’aspirine, les auteurs de l’étude ESPRIT n’observent pas de différence pour les résultats suivant la dose, mais nous connaissons les limites des analyses en sous-groupes 11. Une dose de 75 à 100 mg reste cependant généralement recommandée sur la base d’une méta-analyse reprenant toutes les études en prévention cardiovasculaire chez des patients à haut risque, publication précédemment analysée dans Minerva 12. Une étude comparant dipyridamole associé à l’aspirine versus aspirine seule mais à des doses d’aspirine de 75-100 mg nous semblerait plus adéquate.

Pour la pratique

La prévention cardiovasculaire secondaire, après AVC, AIT ou autre événement, doit comporter mesures hygiéno-diététiques, arrêt du tabagisme et prise en charge des autres facteurs de risque. L’adjonction d’aspirine à une dose de 75-100 mg par jour est également recommandée. L’ajout de clopidogrel à l’aspirine ne s’est pas montré efficace 13. Le dipyridamole administré seul n’est pas plus efficace que l’aspirine8. L’ajout de dipyridamole à libération prolongée à l’aspirine est recommandé dans certains guidelines 14 durant 2 ans après un AIT ou un AVC ischémique; cette étude-ci ne montre cependant pas de différence significative en faveur du groupe dipyridamole + aspirine dans les deux premières années d’étude (manque de puissance?). Une différence n’apparaît (voir graphiques dans la publication) qu’après 2 à 3 ans de traitement.

 

Conclusion

Cette étude montre que l’ajout de dipyridamole à libération prolongée à l’aspirine pourrait apporter un bénéfice complémentaire à un nombre probablement restreint de patients ayant présenté un AVC mineur ou un AIT, en termes de morbidité cardiovasculaire mais pas en termes de mortalité cardiovasculaire ni de mortalité totale. Le fait que l’étude soit en protocole ouvert et l’absence de prise en compte des traitements associés rendent cependant ses conclusions plus fragiles. La prévention cardiovasculaire secondaire, après AVC ou AIT, doit comporter mesures hygiéno-diététiques, arrêt du tabagisme, prise en charge des autres facteurs de risque et administration d’aspirine dont le bénéfice est bien établi.

 

Références

  1. Antithrombotic Trialists’ Collaboration. Collaborative meta-analysis of randomised trials of antiplatelet therapy for prevention of death, myocardial infarction, and stroke in high risk patients. BMJ 2002;324:71-86.
  2. Algra A, van Gijn J. Aspirin at any dose above 30 mg offers only modest protection after cerebral ischaemia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1996;60:197-9.
  3. Warlow CP. Secondary prevention of stroke. Lancet 1992;339:724-7.
  4. Algra A, van Gijn J. Cumulative meta-analysis of aspirin efficacy after cerebral ischaemia of arterial origin. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1999;66:255.
  5. Algra A, van Gijn J. Koudstaal PJ. Secondary prevention after cerebral ischaemia of presumed arterial origin: is aspirin still the touchstone? J Neurol Neurosurg Psychiatry 1999;66:557-9.
  6. Diener HC, Cunha L, Forbes C et al. European Stroke Prevention Study 2: dipyridamole and acetylsalicylic acid in the secondary prevention of stroke. J Neurol Sci 1996;143:1-13.
  7. Leonardi-Bee J, Bath P, Bousser MG et al. Dipyridamole for preventing recurrent ischemic stroke and other vascular evens. A meta-analysis of individual patient data from randomized controlled trials. Stroke 2005;36:162-8.
  8. De Schryver EL, Algra A, van Gijn J. Dipyridamole for preventing stroke and other vascular events in patients with vascular disease. The Cochrane Database of Systematic Reviews 2006, Issue 2.
  9. Bogaert M. Secundaire preventie na cerebrale ischemie. Huisarts Nu (Minerva) 1999;27(3):318-21.
  10. The Dutch TIA trial study group. A comparison of two doses of aspirin (30 mg vs 283 mg a day) in patients after a transient ischemic attack or minor ischemic stroke. N Engl J Med 1991;325:1261-6.
  11. Lagakos S. The challenge of subgroup analyses – Reporting without distorting. N Engl J Med 2006;354:1667-9.
  12. Boland B. Traitements antiaggrégants et prévention cardiovasculaire. MinervaF 2003;2(7):110-4.
  13. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire. MinervaF 2006;5(6):88-91.
  14. NICE. Clopidogrel and modified-release dipyridamole in the prevention of occlusive vascular events. National Institute for Health and Clinical Excellence Technology Appraisal 90. May 2005.
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