Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention des chutes chez les personnes âgées : efficacité et adhérence à des programmes d’exercices au domicile



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 9 Page 108 - 109

Professions de santé


Analyse de
Simek EM, McPhate L, Haines TP. Adherence to and efficacy of home exercise programs to prevent falls: a systematic review and meta-analysis of the impact of exercise program characteristics. Prev Med 2012;55:262-75.


Question clinique
Quelle est l’adhérence à et l’efficacité de (avec le lien entre les deux) différents programmes d’exercices au domicile visant la prévention des chutes chez des personnes âgées ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique ne peut pallier les nombreuses limites méthodologiques des RCTs qu’elle inclut ; elle montre une adhérence globale faible à des programmes d’exercices physiques au domicile pour la prévention des chutes chez les personnes âgées d’au moins 60 ans, adhérence variable selon le type d’exercices proposé, mais sans lien montré entre l’adhérence au traitement et la prévention des chutes.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Contexte

Pour la prévention des chutes chez les personnes âgées demeurées à leur domicile, plusieurs types d’intervention ont montré leur efficacité (1-3), particulièrement des programmes d’exercices physiques, notamment le programme Otago (4,5).

L’adhérence des personnes âgées d’au moins 60 ans à ces programmes d’exercices physiques peut être variable suivant le type d’exercices. Une évaluation de l’efficacité des différentes interventions proposées en fonction d’une plus ou moins grande adhérence des patients à celles-ci n’avait pas encore été publiée.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • base de données Ovid, MEDLINE, CINAHL plus, Cochrane Central Register of Controlled Clinical Trials, EMBASE au 23 novembre 2011
  • publications en anglais uniquement
  • auteurs des études originales sélectionnées si données d’adhérence manquantes.

Études sélectionnées

  • RCTs avec intervention de prévention des chutes pouvant être appliquée à une large population, incluant au moins 80 % de personnes âgées d’au moins 60 ans, avec des données d’adhérence
  • critères d’exclusion : intervention initiée non à domicile, intervention simultanée, durée d’intervention non concordante entre sujets, publication double ou pour un groupe de sujets ayant participé à une autre recherche incluse dans cette synthèse
  • sélection finale de 23 RCTs.

Population étudiée

  • sujets âgés d’au moins 60 ans, avec ou sans chute récente
  • l’intervention est classée selon la présence ou l’absence d’exercices de force, d’équilibre, de souplesse, de Tai Chi, de marche, de programme en groupe, d’évaluation des risques du domicile, d’éducation à la prévention des chutes, d’intervention multifactorielle avec spécifications de durée des sessions, de leur nombre et fréquence
  • le niveau d’aide au sujet (fréquence des visites, des contacts téléphoniques) est spécifié : faible si < 1 visite ou appel téléphonique par mois et < 2 visites au total, modéré si < 1 visite ou appel téléphonique par mois et > 2 visites au total, élevé si > 1 visite ou appel téléphonique par mois et > 2 visites au total.

Mesure des résultats

  • critère primaire : relation entre les caractéristiques des programmes d’exercices et l’adhérence des adultes plus âgés aux interventions avec exercices au domicile en prévention des chutes, l’adhérence complète étant définie comme la réalisation par le sujet de l’ensemble des sessions d’exercices au domicile prévues, l’adhérence partielle comme étant proche de 50 %
  • critères secondaires : adhérence des adultes plus âgés aux interventions avec exercices au domicile en prévention des chutes et relation entre adhérence et efficacité pour la prévention des chutes
  • analyse en modèle d’effets aléatoires.

Résultats

  • adhérence complète des participants : de 21 % avec IC à 95 % de 15 à 29 % et écarts de 0 à 68 % avec I2 à 94 % ; en analyse de sensibilité considérant les sorties d’étude comme des sujets adhérents le chiffre est de 26 % avec IC à 95 % de 17 à 35 %
  • proportion d’adhérence totale statistiquement significativement plus élevée pour les programmes comportant des exercices d’équilibre ou de marche, une aide de niveau modéré, exercices dirigés par un physiothérapeute ; significativement moindre pour des exercices de souplesse
  • proportion d’adhérence partielle statistiquement significativement plus élevée pour les interventions comportant visite à domicile ou soutien téléphonique, une approche avec recours du participant à un service de santé ; significativement moindre pour un programme avec aussi un entrainement physique en groupe
  • efficacité en fonction de l’adhérence : pas de lien montré ni pour une adhérence totale (OR de 1,22 ; IC à 95 % de 0,32 à 2,73) ni pour une adhérence partielle (OR de 1,02 ; IC à 95 % de 0,27 à 3,82).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’adhérence à des exercices au domicile pour la prévention des chutes chez les personnes plus âgées est faible et peut être influencée par les caractéristiques du programme. Les preuves d’un lien entre adhérence et efficacité de l’intervention sont absentes.

Financement 

Pas de source de financement.

Conflits d’intérêt 

Le troisième auteur déclare être directeur d’une compagnie responsable d’un programme de prévention des chutes en milieu hospitalier et donner des avis d’expert dans ce domaine, avoir reçu des honoraires comme orateur pour l’Australian New Zealand Falls Prevention Society, comme consultant statisticien pour une firme pour une recherche sur les lombalgies ; les auteurs déclarent ne pas avoir d’autre conflit d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est de bonne facture méthodologique : recherche dans plusieurs bases de données validées, par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Les risques de biais sont évalués, mais curieusement à partir des directives QUADAS pour les études diagnostiques alors qu’il s’agit d’études d’intervention. Les auteurs estiment que cette référence convenait mieux aux critères évalués dans cette synthèse. Les caractéristiques des études sont bien précisées, au contraire des caractéristiques des sujets, également mal décrites dans 8 des 23 études originales selon les auteurs de cette synthèse. Ceux-ci signalent également qu’un contrôle indépendant de l’adhérence n’est mentionné que dans une seule étude.

Les 3 auteurs, dont un est statisticien, effectuent des analyses statistiques élaborées classiques (méta-régression, sensibilité, test I2) mais aussi fort inhabituelles (pour transformer des IC de manière asymétrique pour qu’ils ne contiennent que des valeurs entre 0 et 1).

Interprétation et mise en perspective des résultats

Les auteurs de cette synthèse méthodique commencent la discussion de leur étude en affirmant qu’elle apporte une preuve solide que la nature de l’intervention d’exercices physiques au domicile pour la prévention des chutes peut influencer l’adhérence d’adultes plus âgés. Les résultats statistiques sont en effet favorables pour certains types d’intervention, par exemple les exercices d’équilibre. Des exercices de souplesse ne suscitent par contre pas l’adhérence des sujets. Les auteurs de cette synthèse font appel au modèle de croyance pour la santé (6) pour expliquer cette différence : les bénéfices que le sujet attend d’une intervention sont un facteur essentiel pour son implication (adhérence) à cette intervention. Les personnes plus âgées estimeraient que des exercices d’équilibre sont efficaces pour réduire les chutes alors que des exercices de souplesse ne le seraient pas (pas de référence d’enquête ou de publication donnée par les auteurs). Dans une démarche de recherche de preuves, il est peu acceptable de se contenter d’une telle assertion pour expliquer des faits…

Un autre constat est l’intérêt des interventions quand elles sont supervisées/effectuées par un « physiothérapeute », professionnel de santé. Cette publication ne permet pas de préciser si ce terme couvre les caractéristiques de nos kinésithérapeutes.

Une moindre adhérence partielle est observée quand l’intervention comporte, en plus des exercices au domicile, des exercices en groupe. Les auteurs de cette synthèse se lancent à nouveau dans de nombreuses hypothèses d’explication… sans référence aucune.

Il existe donc dans cette étude une différence flagrante entre la rigueur statistique et l’interprétation clinique des données.

Par contre, aucun lien entre l’adhérence au traitement et une efficacité en termes de prévention des chutes n’est observé. L’explication provient sans doute de l’adhérence globalement faible dans cette synthèse : 21 % d’adhérence totale, majoritairement évaluée par les patients et non contrôlée. Les auteurs de cette synthèse soulignent une adhérence plus importante dans la synthèse méthodique de Thomas (5) sur le programme Otago, synthèse que nous avions présentée dans la revue Minerva (4). Dans cette synthèse de 6 RCTs, une adhérence de 36,7 % (même mode de calcul que celui de Simek et coll.) à 12 mois est observée, avec, rappelons-le, une diminution de la fréquence des chutes (RR de 0,68 ; IC à 95 % de 0,56 à 0,79), sans réduction significative des lésions sévères cependant, et une diminution de la mortalité à 12 mois.

Outre les remarques déjà formulées, les limites de cette synthèse sont nombreuses, principalement liées aux études incluses (publiées entre 1997 et 2011) : données d’adhérence non vérifiées de façon indépendante (sauf dans une seule étude sur 15 semaines), manquantes (45 % non communiquées à 10 mois d’une étude sur 12 mois et non mention de l’adhérence à 12 mois), possibilité d’un biais de déclaration pour une enquête à remplir en fin d’étude, durée réelle des sessions d’exercices rarement rapportée, caractéristiques des patients très peu (ou pas) mentionnées avec possibilité d’hétérogénéité clinique importante, etc.

Rappelons que la synthèse méthodique de l’U.S. Preventive Services Task Force publiée en 2010 (3) montrait que la sommation des résultats de 16 RCTs évaluant l’efficacité d’exercices ou de traitements physiques montrait une réduction du risque de chute : RR de 0,87 avec IC à 95 % de 0,81 à 0,94. Une analyse en méta-régression pour le nombre d’heures d’activité physique suggérait que les interventions avec activité physique plus intensive apportent une réduction faible mais significative du risque de chuter.

Le plus récent programme Otago, commenté ci-dessus semble également plus efficace sur des critères cliniquement pertinents.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique ne peut pallier les nombreuses limites méthodologiques des RCTs qu’elle inclut ; elle montre une adhérence globale faible à des programmes d’exercices physiques au domicile pour la prévention des chutes chez les personnes âgées d’au moins 60 ans, adhérence variable selon le type d’exercices proposé, mais sans lien montré entre l’adhérence au traitement et la prévention des chutes.

 

Pour la pratique

La RBP belge concernant la prévention des chutes chez la personne âgée (1,2) recommande, pour les personnes vivant au domicile, certaines interventions multidisciplinaires, multifactorielles, avec dépistage des facteurs de risque de santé et environnementaux et des programmes d’intervention sur ces facteurs, ou une référence ; les interventions les plus complètes semblent plus efficaces. Certains programmes de renforcement musculaire et d’exercices d’équilibre sont également efficaces.

Cette synthèse méthodique montre que l’adhérence à des programmes d’exercices physiques effectués au domicile pour la prévention des chutes est faible. Elle n’apporte pas d’argument pour modifier les présentes recommandations.

 

 

Références

  1. Chevalier P. Prévention des chutes chez les personnes âgées. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG 2000.
  2. Chevalier P. Prévention des chutes chez les personnes âgées. Recommandations de Bonne Pratique. Synthèse de la mise à jour (mars 2008). SSMG 2008.
  3. Michael YL, Whitlock EP, Lin JS, et al; US Preventive Services Task Force. Primary care-relevant interventions to prevent falling in older adults: a systematic evidence review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2010;21;153:815-25.
  4. Chevalier P. Réduction des chutes chez les personnes âgées : intérêt du programme Otago ? Minerva online 28/06/2011.
  5. Thomas S, Mackintosh S, Halbert J. Does the 'Otago exercise programme' reduce mortality and falls in older adults?: a systematic review and meta-analysis. Age Ageing 2010;39:681-7.
  6. Hochbaum GM. Public participation in medical screening programs: a socio-psychological study. Public Health Publication no.572. Washington DC.
Prévention des chutes chez les personnes âgées : efficacité et adhérence à des programmes d’exercices au domicile



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