Revue d'Evidence-Based Medicine



ADN spécifique versus sang occulte dans les selles pour le dépistage du cancer colorectal



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 7 Page 100 - 102

Professions de santé


Analyse de
Imperiale TF, Ransohoff DR, Itzkowitz SH et al. Fecal DNA versus fecal occult blood for colorectal-cancer screening in an average risk population, N Engl J Med 351;26:2704-14.


Question clinique
Dans le cadre du dépistage des personnes à risque de cancer colorectal, la détection d’ ADN spécifique anormal dans les selles de patients asymptomatiques âgés d’au moins 50 ans, améliore-t-elle de façon satisfaisante la sensibilité des tests non invasifs?


Conclusion
Cette étude montre une sensibilité d’un test de recherche d’ADN anormal spécifique dans les selles supérieure à celle de l’Hémoccult pour la recherche d’un cancer colorectal dans une population asymptomatique à risque moyen. Ce test est cependant fort cher. Cette étude ne permet pas de déterminer une place éventuelle pour ce test ADN dans une stratégie de dépistage.


 

Résumé

Contexte

L’Hémoccult II, test détectant la présence de sang occulte dans les selles, est le seul test non invasif disponible dans le dépistage du cancer colorectal. Ce test diminue l’incidence 1 et le risque de décès par cancer colorectal 2. Cependant, sa sensibilité est faible, particulièrement pour le dépistage des adénomes, parce que les lésions recherchées ne saignent pas ou peu. La mise au point d’un test non invasif améliorant tant la sensibilité que la spécificité du dépistage du cancer colorectal pour des patients ne voulant pas recourir à un test beaucoup plus sensible mais invasif telle la coloscopie, est pertinente.

Population étudiée 

Quatre-vingt-un sites participent à l’étude. Des 5 486 patients, recrutés de août 2001 à mars 2003, 4 404 termineront le suivi de l’étude. La population cible est constituée de patients de 50 ans ou plus, asymptomatiques et à risque moyen de cancer colorectal. L’âge moyen est de 69,5 ans; à peine 8,4% ont moins de 60 ans; 44,5% sont des hommes et 87% sont de race blanche; 13, 9% ont une histoire familiale de cancer colorectal. Sont exclus les patients ayant présenté une hémorragie gastro-intestinale dans le mois écoulé, une modification des selles, une douleur abdominale récente, un antécédent de cancer colorectal ou de polypes intestinaux ou ayant subi une résection colique; sont également exclus les patients développant un autre cancer de l’appareil digestif ou une anémie ferriprive.

Protocole d’étude

Chaque patient de la population cible réalise trois Hemoccult II, une recherche d’ADN spécifique anormal dans les selles et une coloscopie. Les trois tests sont analysés en aveugle. La recherche d’ADN anormal spécifique est effectuée sans connaître les résultats de l’Hemoccult II ou de la coloscopie. La coloscopie est réalisée sans connaître les résultats de la recherche d’ADN spécifique anormal. Les résultats de l’Hemoccult II peuvent être potentiellement connus si la coloscopie est effectuée sur le même site.

Mesure des résultats

L’évaluation porte sur la sensibilité de la détection d’ADN spécifique anormal dans les selles versus Hémocult II pour le dépistage de l’adénocarcinome et d’autres dysplasies avancées colorectaux diagnostiqués par coloscopie. Elle porte aussi sur la spécificité de la détection d’ADN anormal spécifique dans les selles et de celle de l’hémocult II versus coloscopie.

 

Résultats 

Parmi les patients enrôlés, 19,7% ne suivent pas l’entièreté de l’étude et leurs résultats ne peuvent donc pas être évalués; 31 adénocarcinomes invasifs sont diagnostiqués, soit une prévalence de 0,7%; 4 perforations coliques sont à déplorer, soit une prévalence de 0,09% (voir tableaux 1 et 2).

 

Tableau 1: Sensibilité des tests ADN spécifique et Hémocult II pour le dépistage de lésions constatées par coloscopie 

Pathologie

Sensibilité ADN spécifique

(IC à 95%)

Sensibilité Hémoccult II

(IC à 95%)

Valeur p

Adénocarcinomes:

TNM I, II, III (n=31)

51,6% (34,8 à 68,0)

12,9% (5,1 à 28,9)

0,003

Adénomes avec dysplasie de haut grade (n=40)

32,5% (20,1 à 48,0)

15,0% (7,1 à 29,1)

non mentionné

Néoplasies avancées* (n=418)

18,2%

10,8%

0,001

*adénome tubulaire d’un diamètre d’au moins 1cm, polype villeux, polype avec dysplasie de haut grade, ou cancer

 

Tableau 2: Spécificité des tests ADN spécifique et Hémocult II versus coloscopie 

Coloscopie normale

Test ADN spécifique faux  positifs

Spécificité ADN anormal spécifique

(IC à 95%)

Test Hémoccult II  faux positifs

Spécificité Hémoccult II

(IC à 95%)

n= 1423

n=79

94,4%

(93,1 à 95,5)

n=68

95,2%

(94,2 à 96,1)

  

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que bien que la majorité des lésions néoplasiques identifiées par la coloscopie ne soient pas détectées par les tests non invasifs, la recherche d’ADN spécifique anormal dans les selles détecte une plus grande proportion de cancers colorectaux invasifs que l’Hemoccult II sans compromettre la spécificité.

Financement

L’étude est sponsorisée par Exact Sciences.

Conflits d’intérêt 

La plupart des auteurs ont (eu) un lien avec Exact Sciences.

 

Discussion

Pertinence de l’étude

Le cancer colorectal est la deuxième cause de décès par cancer chez l’adulte 3. La recherche chimique de sang occulte dans les selles par Hémoccult impose un saignement de la tumeur pour se révéler positif, ce qui n’est pas toujours le cas. La sensibilité médiocre du dépistage annuel (49%) ou bisannuel (38%) et le nombre élevé de faux positifs limitent la faisabilité du dépistage par Hémoccult 4. La coloscopie est reconnue comme la meilleure méthode de détection tant des polypes que des cancers 4. Cependant, cet examen est invasif et nécessite une préparation intestinale plus lourde. De plus, elle comporte un taux de complications relativement élevé: risque de perforation de 0,3 à 0,8% associé à la coloscopie diagnostique et de 0,5 à 1,0% après une polypectomie tandis que le risque d’hémorragie après cette intervention se situe entre 1,4 et 2,0% 4. La mise au point d’un test non invasif spécifique et sensible est donc pertinente.

Le protocole d’étude est bien décrit, les examens diagnostiques doivent répondre à des critères de qualité importants et les procédures d’analyse des résultats sont bien définies. Les critères d’inclusion ne sont malheureusement pas décrits. Vingt pour cent des patients sont exclus des résultats de l’étude parce qu’ils n’ont pas fourni de selles ou n’ont pas voulu passer de coloscopie.

Population à risque

Les pathologies ou prédispositions héréditaires considérées à risque sont: la polypose rectocolique familiale, les syndromes de Lynch I & II (sans polypose), un antécédent de cancer colique familial sporadique, les femmes ayant présenté un cancer de l’ovaire, du corps de l’utérus ou du sein avant 45 ans, un antécédent personnel d’adénome ou de cancer colique, et, enfin, la RCUH et la maladie de Crohn (risque controversé) 3. Tous les auteurs ne décrivent pas les mêmes populations 4,5. Il est donc regrettable que les auteurs n’aient pas pris la peine de mentionner la population qu’ils considèrent à risque. Soulignons également que les guides de pratiques actuels fondent leurs recommandations sur les résultats d’études descriptives: les avantages que présente le dépistage sur le plan de la survie sont extrapolés à partir du risque éventuellent accru de cancer plutôt que sur la foi de preuves attestant de l’efficacité du dépistage 6.

La recherche d’ADN anormal spécifique

Un éditorialiste signale qu’en 2000, Alquist et coll. décrivent une sensibilité de ce test de 91% pour la détection du cancer colorectal et de 82% pour les adénomes. Cependant, l’étude d’Ahlquist, comme d’autres par après, concerne des patients ayant déjà présenté un cancer colorectal 7. Dans l’étude présentée ici, la sensibilité relevée du test recherchant l’ADN anormal spécifique est inférieure à ce qui est décrit dans ces autres études, mais elle est la première à ne sélectionner que des patients asymptomatiques.

Le coût de ce test n’est pas négligeable. Un test Hémoccult coûte entre 3 et 40 dollar; le test recherchant l’ADN anormal spécifique dans les selles coûte entre 400 et 800 dollar! Ce prix très élevé ne permet pas de proposer ce test comme une alternative intéressante à l’heure actuelle 5.

La place de ce test dans le dépistage du cancer colorectal 

Dépister une maladie ne consiste pas seulement à apporter une nouvelle technique, plus fiable. Il faut aussi s’interroger sur le bénéfice du dépistage. Il faut donc se placer dans une démarche de qualité définissant la population visée, lui donnant des moyens accessibles et sûrs pour dépister le problème recherché, définissant la fréquence de dépistage et apportant une réponse thérapeutique adéquate tout en augmentant la qualité de vie des patients et en diminuant la mortalité totale. Tout cela doit pouvoir être acceptable pour le patient et le système de soins doit pouvoir garantir un cheminement complet du patient à travers ces différentes étapes 7. Les auteurs eux-mêmes reconnaissent que cette étude ne permet pas de tirer de conclusions quant à la place de ce test dans un dépistage systématique car ce n’était pas le but de cette étude. Des études prenant en compte l’efficience, la faisabilité et l’acceptabilité sont donc indispensables en terme de santé publique. Le fait que près de 20% des patients n’aient pas rempli les conditions de suivi initialement prévues démontre bien la complexité du problème et les limites que les médecins généralistes vont rencontrer.

 

Conclusion

Cette étude montre une sensibilité d’un test de recherche d’ADN anormal spécifique dans les selles supérieure à celle de l’Hémoccult pour la recherche d’un cancer colorectal dans une population asymptomatique à risque moyen. Ce test est cependant fort cher. Cette étude ne permet pas de déterminer une place éventuelle pour ce test ADN dans une stratégie de dépistage.

 

Références

  1. Mandel JS, Church TR, Bond JH et al. The effect of fecal occult-blood screening on the incidence of colorectal cancer. N Engl J Med 2000;343:1603-7.
  2. Mandel JS, Bond JH, Church TR et al. Reducing mortality from colorectal cancer by screening for fecal occult blood: Minnesota Colonoscopy Cancer Control Study. N Engl J Med 1993;328:1365-71. [Erratum, N Engl J Med 1993;329:672.]
  3. Gozy M, Antoine EC, Auclerc G et al. Dépistages et préventions utiles en cancérologie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 2-0110, 1998.
  4. Pignone M, Rich M, Teutsch SM et al. Screening for colorectal cancer in adults at average risk: a summary of the evidence for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2002;137:132-41.
  5. Smith RA, Cokkinides V, Eyre HJ. American Cancer Society Guidelines for the Early Detection of Cancer, 2003. CA Cancer J Clin 2003; 53:27-43.
  6. Solomon M, McLeod R, avec le concours du groupe d'étude canadien sur l'examen médical périodique. Stratégies de dépistage du cancer colorectal. Le médecin du Québec 1996; janvier, supplément: 9-16.
  7. Woolf SH. A smarter strategy? - Reflections on fecal DNA screening for colorectal cancer. [Editorial]. N Engl J Med 2004;351:2755-8.
ADN spécifique versus sang occulte dans les selles pour le dépistage du cancer colorectal

Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
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