Revue d'Evidence-Based Medicine



Simplifier l’initiation d’un traitement chronique par allopurinol dans la goutte ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 9 Page 106 - 107

Professions de santé


Analyse de
Taylor TH, Mecchella JN, Larson RJ, et al. Initiation of allopurinol at first medical contact for acute attacks of gout: a randomized clinical trial. Am J Med 2012;125,1126-34.


Question clinique
Chez des adultes souffrant de crises de goutte pour lesquelles un traitement chronique par allopurinol est envisagé, une instauration de ce traitement pendant une crise est-elle aussi sûre qu’une initiation différée de 10 jours en termes d’intensité douloureuse de cette crise et de risque de récidive à distance ?


Conclusion
Cette petite étude sur une population très prudemment sélectionnée suggère que, quand il est associé à un traitement par colchicine à dose prophylactique, l’introduction d’un traitement chronique par allopurinol lors de la consultation pour une crise aiguë de goutte (traitée elle-même par anti-inflammatoires oraux) n’est pas plus à risque en termes d’intensité douloureuse de la crise et de risque de récidive le premier mois que son introduction à 10 jours de distance.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Contexte

Malgré la rareté et la pauvreté des études cliniques, le traitement de la goutte fait l’objet de recommandations précises (1). Pour traiter la crise de goutte, les recommandations sont AINS ou corticostéroïdes (2), colchicine en cas d’échec (3). En cas de crises répétées (plus de 3 par an), l’instauration d’un traitement continu à base d’un inhibiteur de la xanthine-oxydase est recommandée, en première intention l’allopurinol. Il est classiquement recommandé de ne pas instaurer ce traitement durant la crise aiguë (4). Puisque les patients consultent préférentiellement à l’occasion d’une crise et seraient particulièrement motivés pour adhérer à un traitement chronique durant cette période (5), cette précaution de prescription, en sollicitant une consultation supplémentaire à distance de la crise, est susceptible de diminuer l’efficacité et l’efficience globale du suivi. La question de la pertinence de cette précaution est donc légitime.

 

Résumé

Population étudiée 

  • 57 hommes (51 avec un résultat évaluable), d’un âge moyen de 54 ans, recrutés dans un centre médical pour vétérans dans le Vermont (USA), entre 1998 et 2009 ; inclusion de tous les patients éligibles
  • critère d’inclusion : crise de goutte aiguë (< 7 jours) prouvée par la présence de cristaux à la ponction articulaire (et autres critères de l’American College of Rheumatology), indépendamment du nombre de crises antérieures
  • critère d’exclusion : goutte secondaire ou tophacée (en raison de la difficulté d’interprétation de l’efficacité), insuffisance rénale (créatininémie > 1,3 mg/dl, avec donc contre-indication pour l’indométacine) ou cardiaque congestive, prise d’un anticoagulant ou de colchicine, d’un uricosurique, d’un stéroïde, d’une chimiothérapie ou d’un immunosuppresseur dans les 6 mois précédents.

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée en double aveugle, monocentrique,étude de non-infériorité tente de démontrer qu’un traitement en expérimentation n’est pas moins efficace qu’un traitement de référence. L’hypothèse nulle est, dans ce cas, que la différence observée entre les deux traitements est plus importante qu’une valeur précisée au préalable. S’il y a moins de 5% de risque que la différence observée soit supérieure à la valeur précisée, le traitement expérimenté est jugé non inférieur."> de non-infériorité
  • intervention :
    • tous les patients reçoivent du J1 au J10, comme traitement de la crise, de l’indométacine (50 mg 3x/j) et du J1 au J90 une dose prophylactique de colchicine (0,6 mg 2x/j) ainsi que de l’allopurinol 300 mg/j en protocole ouvert du J11 à J90
    • groupe allopurinol précoce (n = 26) : allopurinol (300 mg 1x/j) dès la première consultation
    • groupe contrôle (n = 25 sujets) : placebo du J1 au J10.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : douleur au niveau de l’articulation atteinte, mesurée sur une échelle visuelle analogique (EVA) ; différences moyennes au départ et au J10 et différences moyennes quotidiennes du J1 au J10 ; nouvelle crise de goutte rapportée au niveau de n’importe quelle articulation du J1 au J30
  • critères de jugement secondaires : taux d’acide urique, tests hépatiques, fonction rénale et formule sanguine ainsi que la VS et la CRP (à partir de 2005)
  • données récoltées lors de visites de contrôle au J3, J10 et J30
  • analyse par protocole et en intention de traiter
  • analyse en sous-groupes suivant une première crise de goutte vs récidive.

Résultats

  • 5 sorties d’étude dans le groupe allopurinol et 1 dans le groupe placebo
  • critères de jugement primaires :
    • le score douloureux moyen sur EVA : par rapport aux valeurs initiales (allopurinol 6,72 ; placebo 6,28 ; p = 0,37 pour la différence), diminution pour atteindre 0,18 et 0,27 au J10 (p = 0,54 pour la différence) ; différences moyennes du jour 2 au jour 10 de -0,16 cm (IC à 95 % de -0,50 à 0,83, p = 0,62) avec non infériorité montrée
    • récidives au J30 : pas de différence significative : 2 sujets sous allopurinol et 3 sujets sous placebo (puis allopurinol), p = 0,61), toutes sur d’autres articulations
    • critères de jugement secondaires :
    • taux d’acide urique : diminution rapide dans le groupe allopurinol (de 7,8 mg/dl en moyenne au départ à 5,9 mg/dl en moyenne au J3)
    • VS et CRP : absence de différence entre les deux groupes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’initiation d’un traitement par allopurinol pendant une crise aiguë de goutte n’influence pas significativement la douleur de chaque jour, la récurrence de crises ni les marqueurs inflammatoires.

Financement 

Aucun n’est déclaré ; une non-participation de l’industrie pharmaceutique est explicitement précisée.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considération sur la méthodologie

Cette étude semble de bonne qualité méthodologique. Les caractéristiques initiales de la population incluse sont bien décrites, ainsi que la séquence et le secret d’attribution qui sont corrects et respectés. Le choix d’une analyse par protocole est argumenté, ce qui est a priori correct pour une analyse en non infériorité, mais finalement les explications des auteurs sont très peu compréhensibles. La borne de non infériorité ne peut être fixée en fonction d’autres études, aucune différence cliniquement pertinente sur un score EVA n’ayant été déterminé. Les auteurs choisissent, arbitrairement, un seuil de 2 cm sur une EVA de 10 cm comme cliniquement pertinent pour la différence moyenne sur les 10 jours. Ce seuil de 2 cm est choisi en fonction d’un seuil de 1,5 cm dans la reproductibilité d’une mesure sur EVA en cas d’arthrite rhumatoïde. Ce seuil pourrait être choisi pour une étude de supériorité, avec nécessité d’inclure 57 patients pour une puissance de 90 % selon les auteurs, … mais nous sommes en étude de non infériorité et le nombre de patients à inclure dans ce cas (théoriquement supérieur à celui d’une étude de supériorité) n’est pas donné. Seuls les résultats de 51 patients sont évaluables.

Le nombre de patients paraît de toute façon fort faible, sur 11 ans d’étude, mais c’est le cas dans la majorité des études concernant la goutte. La population de départ est assez spécifique (hommes, vétérans, critères d’exclusion sévères) ce qui peut limiter la validité externe de cette étude, par ailleurs effectuée dans un seul centre. Il n’y a, par contre, pas de différences de départ statistiquement significatives entre les deux groupes, notamment en termes de scores douloureux, malgré le nombre réduit de patients inclus.

L’analyse en sous-groupe selon qu’il s’agissait d’une première crise ou d’une récidive, qui ne montre pas différence, manque de puissance et n’est pas fiable au vu d’une absence de stratification initiale pour ce critère.

Mise en perspective des résultats

L’intérêt principal de cette étude réside sûrement dans son objectif : l’optimalisation d’une procédure plutôt que l’évaluation de la valeur intrinsèque d’une molécule ou d’un test diagnostique. Elle s’inscrit dans le champ, peu investi, de la recherche opérationnelle, du « comment faire mieux avec la même chose ».

Il ne s’agit bien dans cette étude que de « lever un frein » à une utilisation plus simple de l’allopurinol. La comparaison des performances en termes d’adhérence au traitement, de dépenses de santé et de morbidité de ses différentes modalités de prescription reste à faire.

Même si cet aspect n’est pas spécifiquement étudié, l’allopurinol est ici prescrit dans les deux groupes à dose directement thérapeutique (non progressive, comme classiquement recommandé) sans que les critères d’évaluation ne diffèrent sensiblement de ce qu’il est généralement observé dans la prise en charge de crises de goutte. C’est une deuxième précaution d’usage qu’il pourrait être utile de questionner.

L’allopurinol est administré, dans cette étude, en sus d’un AINS (indométacine orale qui n’est plus disponible en Belgique) durant 10 jours et de colchicine durant 90 jours.

Le nombre moyen de crises de goutte avant instauration de l’allopurinol était dans cette étude de 3,6 (chiffre global, sans chiffre donné par année) mais 13 patients se sont vus prescrire de l’allopurinol (ou placebo) dès la première crise. Cette pratique peut être mise en question en fonction du consensus en vigueur chez nous (initiation d’un traitement par allopurinol en cas de présence de plus de 3 crises par an). L’analyse en sous-groupe n’a pas trouvé de différence pour les critères de jugement retenus selon qu’il s’agissait d’une première crise ou non, mais cette analyse est peu fiable (voir paragraphe précédent).

Effets indésirables

Le traitement de la crise de goutte administré dans cette étude est relativement lourd : indométacine 3 x 50 mg par jour, colchicine 2 x 0,6 mg par jour pendant 10 jours et n’est certainement pas sans risque chez des personnes âgées, surtout en cas de fonction rénale déficiente. En cas de clairance de la créatinine inférieure à 50 ml/min (ce qui peut être précipité par la prise d’un AINS), la dose de colchicine ne peut dépasser 0,5 mg par jour (1/2 comprimé à 1 mg en Belgique) (1) et la dose d’allopurinol doit également être adaptée (voir RCP).

Même en ne faisant pas partie des critères d’évaluation, les effets indésirables sont rapportés dans cette étude. Il s’agit principalement des effets indésirables connus de la colchicine et d’une réaction d’hypersensibilité à l’allopurinol au J30 dans le groupe placebo (ayant nécessité l’arrêt du traitement), ceci malgré le nombre très faible de participants dans cette étude.

Rappelons que la colchicine comme l’allopurinol peuvent provoquer une agranulocytose (6) et que l’allopurinol peut provoquer une gingivo-stomatite avec aphtose (7). Une atteinte des muqueuses peut dans certains cas être l’un des signes d’un syndrome de Lyell ou de Stevens-Johnson, syndromes décrits en lien avec l’allopurinol (7), avec un taux de mortalité plus élevé pour cet effet indésirable sous allopurinol (27 %) que sous autre médicament (10 %) dans les données de 5 états des USA (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette petite étude sur une population très prudemment sélectionnée suggère que, quand il est associé à un traitement par colchicine à dose prophylactique, l’introduction d’un traitement chronique par allopurinol lors de la consultation pour une crise aiguë de goutte (traitée elle-même par anti-inflammatoires oraux) n’est pas plus à risque en termes d’intensité douloureuse de la crise et de risque de récidive le premier mois que son introduction à 10 jours de distance.  

 

Pour la pratique

Les recommandations actuelles (1) n’envisagent un traitement continu par allopurinol en cas d’hyperuricémie que dans les cas où plus de 3 crises de goutte surviennent par an, et en instaurant ce traitement à distance de la crise (4). Cette étude semble montrer que ce traitement pourrait être instauré durant la crise de goutte mais une prescription plus large d’allopurinol (dans une population non sévèrement sélectionnée) qu’elle soit précoce ou non, comporte des risques importants.

 

 

Références

  1. Janssens HJ, Lagro HA, Van Peet PG, et al. NHG-Standaard Artritis (Eerste versie). Huisarts Wet 2009;52:439-53.
  2. Poelman T. Prednisolone pour la crise de goutte ? MinervaF 2009;8(8):112-3.
  3. Poelman T. Crise de goutte : une faible dose de colchicine suffisante ? MinervaF 2011;10(3):32-3.
  4. Inhibiteurs de la xanthine-oxydase. Répertoire Commenté des Médicaments. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique. [consulté le 9/05/13]
  5. Sarawate CA, Brewer KK, Yang W, et al. Gout medication treatment patterns and adherence to standards of care from a managed care perspective. Mayo Clin Proc. 2006;81:925-34.
  6. Neutropénies sévères et agranulocytoses d’origine médicamenteuse. Rev Prescr 2011;328:110-5.
  7. Communiqué par le Centre de Pharmacovigilance. Allopurinol et gingivo-stomatite. Folia Pharmacotherapeutica 2010;37:108.
  8. Kim SC, Newcomb C, Margolis D, et al. Severe cutaneous reactions requiring hospitalization in allopurinol initiators : a population-based cohort study. Arthritis Care Res (Hoboken) 2013;65:578.
Simplifier l’initiation d’un traitement chronique par allopurinol dans la goutte ?



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