Revue d'Evidence-Based Medicine



Le raloxifène diminue-t-il le risque de cancer du sein chez les femmes ostéoporotiques?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 5 Page 72 - 74

Professions de santé


Analyse de
Martino S, Cauley JA, Barrett-Connor E et al. Continuing Outcomes Relevant to Evista (CORE): Breast cancer incidence in postmenopausal women in a randomized trial of raloxifene. J Natl Cancer Inst 2004;96:1751-61.


Question clinique
Quel est l’effet d’un traitement d’une durée de quatre ans avec du raloxifène, versus placebo, sur l’incidence du cancer mammaire invasif chez des femmes ménopausées présentant de l’ostéoporose et qui prennent depuis quatre ans déjà du raloxifène en prévention de fractures ostéoporotiques?


Conclusion
L’étude CORE montre que, chez des femmes ménopausées traitées durant huit années par du raloxifène, à raison de 60 mg/jour dans les quatre dernières années, l’incidence des fractures vertébrales diminue mais aussi celle des cancers du sein invasifs et des cancers avec récepteurs sensibles aux estrogènes. Les femmes incluses présentent, en plus de l’ostéoporose, un risque de base élevé de cancer mammaire et, en comparaison avec le placebo, une augmentation du nombre de thromboembolies est observée. La prévention et le traitement du cancer du sein ne sont pas des indications pour le raloxifène.


 

Résumé

Contexte

L’étude MORE (Multiple Outcomes of Raloxifene Evaluation) 1 a étudié l’effet de la prise de 60 à 120 mg de raloxifène durant quatre années, versus placebo, sur l’incidence de fractures vertébrales (critère de jugement primaire) chez des femmes ménopausées présentant de l’ostéoporose 2. Au terme de trois ans, l’incidence des carcinomes mammaires invasifs aux récepteurs estrogéniques positifs (critère de jugement secondaire) avait chuté de 76% dans les deux groupes prenant du raloxifène 3 et de 72% après 4 ans 4.

 

Population étudiée

Toutes les femmes ayant participé à l’étude MORE pouvaient être incluses dans l’étude CORE et 4 011 femmes ont été disposées à le faire. Les femmes présentant un cancer mammaire étaient exclues. Finalement 3 996 femmes sont incluses, avec un âge moyen de 65,8 ans (ET 6,8), dont 80% de plus de 60 ans. Elles ont atteint la ménopause depuis 17,9 ans (ET 8) en moyenne, leur IMC moyen est de 25,2 (ET 3,9) et 16% fument. Douze pourcent présentent des antécédents familiaux de cancer mammaire et un quart a eu recours à un moment donné à la substitution hormonale.

Protocole d’étude

L’étude CORE n’a en rien modifié la randomisation et la mise en aveugle de l’étude MORE: 2 725 femmes traitées par 60 mg ou 120 mg de raloxifène ont continué à prendre 60 mg de raloxifène et 1 286 femmes ont continué à prendre un placebo. L’étude MORE avait en effet montré que l’administration de 60 mg de raloxifène est efficace en prévention des fractures vertébrales et que la différence entre 60 et 120 mg pour la prévention du cancer mammaire est peu élevée. Les femmes qui présentent des tumeurs malignes hormono-sensibles du sein ou de l’utérus, une thromboembolie veineuse, sous traitement à base de cholestyramine, raloxifène, tamoxifène, ou substitution hormonale peuvent participer à l’étude, mais ne peuvent pas prendre la médication évaluée dans l’étude. La prise de bisphosphonates ou de calcitonine est autorisée durant l’étude CORE, et toutes les participantes reçoivent du calcium et de la vitamine D. Les patientes sont suivies durant quatre années par mammographie (à l’initiation, après deux et quatre ans), par anamnèse et par examen clinique (annuel) du sein.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l’incidence du carcinome mammaire invasif et le critère de jugement secondaire est l’incidence du carcinome mammaire, avec récepteurs estrogéniques positifs, invasif dans le groupe raloxifène versus groupe placebo. L’incidence de carcinome mammaire invasif après huit ans est recherchée chez l’ensemble des 7 705 participantes initiales de l’étude MORE. Les effets indésirables sont uniquement recherchés chez les 4 011 participantes de l’étude CORE. Toutes les analyses sont faites en intention de traiter.

Résultats

Après la durée de quatre ans de l’étude CORE, le groupe raloxifène présente une réduction de l’incidence du carcinome mammaire invasif de 59% (RR 0,41; IC à 95% de 0,24 à 0,71) et une réduction du carcinome mammaire invasif à récepteurs estrogéniques positifs de 66% (HR 0,34; IC à 95% de 0,18 à 0,66) en comparaison avec le groupe placebo. Pas de différence d’incidence du carcinome mammaire avec absence de récepteurs estrogéniques entre les deux groupes d’études. Après une durée de huit ans, la réduction cumulée est de 66% (HR 0,34; IC à 95% de 0,22 à 0,50) pour l’incidence du carcinome mammaire invasif et de 76% (HR 0,24; IC à 95% de 0,15 à 0,40) du carcinome mammaire invasif avec récepteurs estrogéniques positifs dans le groupe raloxifène versus groupe placebo. Ceci représente une incidence cumulée de 4,2 cancers mammaires pour 1 000 années-femmes dans le groupe placebo, pour 1,4 dans le groupe raloxifène. Dans l’étude CORE, le risque relatif d’une affection thromboembolique est de 2,17 (IC à 95% de 0,83 à 5,70) et ceci est semblable au risque observé dans l’étude MORE.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une prolongation, après un traitement initial de quatre ans, durant quatre nouvelles années d’un traitement par raloxifène, avec une dose de 60 mg, continue à diminuer le nombre de carcinomes mammaires invasifs durant les quatre années supplémentaires, sans ajout d’effet indésirable, chez des femmes ménopausées ostéoporotiques.

Financement

Eli Lilly and Company.

 

Conflits d’intérêt

Le sponsor de l’étude a établi le protocole de celle-ci et a exécuté les analyses statistiques. Le premier auteur a été payé par Eli Lilly and Company. Tous les auteurs ont des liens financiers avec la firme.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Il faut d’emblée souligner que les auteurs, au départ d’une étude ayant l’ostéoporose comme critère de jugement primaire, remarquant que l’incidence du carcinome mammaire invasif (critère de jugement secondaire) chute, mutent leur étude avec le cancer mammaire invasif en tant que critère de jugement primaire. Une manipulation des critères de jugement en quelque sorte. La puissance de l’étude est-elle suffisante pour ce nouveau critère de jugement? Il est également à noter que dans cette «étude de suivi» de l’étude MORE, l’ostéoporose n’est plus reprise comme critère de jugement!

Dans l’étude CORE, qui a été spécialement conçue pour mesurer l’incidence du cancer du sein, les résultats antérieurs de l’étude MORE ont été confirmés 3,5. La première question est de savoir dans quelle mesure les «femmes CORE» diffèrent des «femmes MORE»? Leurs caractéristiques de base correspondent parfaitement. Une deuxième question concerne la teneur de ces caractéristiques de base: 80% des femmes ont au moins 60 ans, elles ont un IMC moyen de 25,2, 96% sont de race blanche, une sur cinq fume, 25% ont précédemment utilisé une substitution hormonale et 12% présentent une anamnèse familiale de carcinome mammaire. Ces caractéristiques de base influencent-elles les résultats de l’étude?

Une première critique porte sur le fait que pour certaines femmes, l’étude MORE n’était pas encore terminée, lorsqu’elles ont été incluses dans l’étude CORE, ce qui peut provoquer une surpondération des effets de cette dernière. Une deuxième remarque critique est la question de la faisabilité d’un «collage» de deux études pour en faire une seule étude paraissant couvrir une durée de huit ans. En fait, les auteurs nuancent cette construction en avançant prudemment que, même si MORE et CORE n’étaient pas élaborées pour analyser un effet à long terme, une partie de l’effet de l’étude CORE est probablement la conséquence d’un traitement qui a duré plus de quatre ans.

Raloxifène versus tamoxifène

Il est important de constater que le SERM raloxifène n’a d’effet ni sur les carcinomes mammaires non invasifs ni sur ceux qui ne présentent pas de récepteurs estrogéniques. Cette observation était prévisible du fait du mécanisme d’action du raloxifène: il se lie au récepteur estrogénique, et contrecarre ainsi la prolifération induite par les estrogènes. Sur ce plan, l’effet du raloxifène ressemble à celui du tamoxifène. Selon une méta-analyse, le tamoxifène à 20 mg/j réduit l’incidence du cancer mammaire invasif de 36% et celui du cancer mammaire avec récepteurs estrogéniques positifs de 48% chez des femmes pré- et postménopausées présentant un haut risque de développer un cancer mammaire 6. D’après la plus grande étude incluse dans cette méta-analyse, le tamoxifène réduit le risque de cancer mammaire invasif et de cancer mammaire invasif à récepteurs estrogèniques positifs, respectivement de 49% et de 69% après un suivi de près de 55 mois. Le tamoxifène ne réduit également pas le risque de cancer mammaire invasif sans récepteurs estrogéniques. Contrairement au raloxifène, le tamoxifène réduit cependant bien le risque de cancer mammaire non invasif de 50%. Les auteurs des études MORE et CORE expliquent cette différence par un nombre insuffisant de cancers mammaires non invasifs dans leurs études. De plus, les femmes incluses dans les études MORE et CORE sont différentes des femmes incluses dans les autres études. Seules les femmes ménopausées présentant de l’ostéoporose sont incluses, tandis que les autres études incluent également des femmes en préménopause et en post ménopause sans ostéoporose. La prévention et le traitement du cancer mammaire ne sont pas des indications pour le raloxifène; des études contrôlées d’une durée de quatre ans montrent une protection importante à court terme, mais un effet protecteur possible à long terme doit encore être confirmé 7.

Le risque de base

Une dernière question concerne le risque de base de cancer mammaire chez les femmes incluses dans cette étude. Il est connu que le tamoxifène réduit l’incidence du cancer mammaire chez des femmes qui ont un risque de base élevé de cancer mammaire (risque à 5 ans ≥1,67% chez des femmes >35 ans). Un risque de cancer mammaire bas, en raison de l’hypothèse d’une imprégnation estrogénique basse, était attendu pour la population de femmes incluses dans l’étude CORE; elles présentent, au contraire, un risque élevé, de 1,94%. Le nombre de cancers mammaires du groupe placebo est en effet plus élevé que dans la population générale!

Le fait que les femmes de cette étude peuvent utiliser des bisphosphonates et de la calcitonine comme traitement de leur ostéoporose n’a probablement pas eu d’influence sur les résultats. Ces produits n’ont, en effet, jamais montré d’effet préventif sur le cancer mammaire. En dépit de ses effets positifs, réduction du nombre de fractures vertébrales et de carcinomes mammaires invasifs, le raloxifène est responsable d’un grand nombre d’incidents thromboemboliques. L’accroissement important de thromboembolies constaté dans l’étude MORE, est retrouvé également dans l’étude CORE (RR 2,17; IC à 95% de 0,83 à 5,70), mais l’augmentation n’est plus significative.

 

Conclusion

L’étude CORE montre que, chez des femmes ménopausées traitées durant huit années par du raloxifène, à raison de 60 mg/jour dans les quatre dernières années, l’incidence des fractures vertébrales diminue mais aussi celle des cancers du sein invasifs et des cancers avec récepteurs sensibles aux estrogènes. Les femmes incluses présentent, en plus de l’ostéoporose, un risque de base élevé de cancer mammaire et, en comparaison avec le placebo, une augmentation du nombre de thromboembolies est observée. La prévention et le traitement du cancer du sein ne sont pas des indications pour le raloxifène.

 

Références

  1. Cummings SR, Eckert S, Grady D et al. The effect of raloxifene on risk of breast cancer in postmenopausal women: results from the MORE randomized trial. JAMA 1999;281:2189-97.
  2. Ettinger B, Black DM, Mitlak BH et al. Reduction of vertebral fracture risk in postmenopausal women with osteoporosis treated with raloxifene: results of a 3-year randomised clinical trial. JAMA 1999;282:637-45.
  3. Vermeire E. Raloxifen en het risico op borstkanker. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30:84-7.
  4. Cauley J, Norton L, Lippman ME et al. Continued breast cancer risk reduction in postmenopausal women treated with raloxifene: 4-year results from the MORE trial. Breast Cancer Res Treat 2001;65:125-34.
  5. Vermeire E, van Maeckelenbergh A, Van Pyenbroeck K et al. Les traitements adéquats pour la prévention des fractures liées à l’ostéoporose. Synthèse de la littérature. Réunion de Consensus, 26 mai 2005. Bruxelles: INAMI, 2005.
  6. Cuzick J, Powles T, Veronesi U et al. Overview of the main outcomes in breast-cancer trials. Lancet 2003;261:296-300.
  7. Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique. www.cbip.be
Le raloxifène diminue-t-il le risque de cancer du sein chez les femmes ostéoporotiques?

Auteurs

Vermeire E.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Glossaire

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