Revue d'Evidence-Based Medicine



Les ß-bloquants toujours un premier choix en cas d’hypertension primaire?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 5 Page 66 - 68

Professions de santé


Analyse de
Lindholm LH, Carlberg B, Samuelsson O. Should β blockers remain first choice in the treatment of primary hypertension? A meta-analysis. Lancet 2005;366:1545-53.


Question clinique
Quel est l’effet de différents β-bloquants sur l’incidence d’accidents vasculaires cérébraux, d’infarctus du myocarde et sur la mortalité de patients présentant une hypertension artérielle non compliquée?


Conclusion
Cette méta-analyse évaluant l’utilisation de β-bloquants chez des patients présentant une hypertension primaire non compliquée présente des lacunes méthodologiques importantes. Principalement, l’hétérogénéité très importante des populations évaluées et l’absence de correction des résultats en fonction des chiffres tensionnels obtenus ne permettent pas d’en tirer des conclusions valides. Il semble donc indiqué de s’en tenir aux résultats de précédentes méta-analyses bien élaborées. Les diurétiques thiazidiques et les β-bloquants restent un bon premier choix pour traiter une hypertension primaire non compliquée. Chez les personnes âgées, la prudence est recommandée avec l’hydrophile aténolol.


 

Résumé

Contexte

Depuis trente ans, les β-bloquants sont recommandés comme traitement de première ligne pour l’hypertension essentielle non compliquée, dans plusieurs guides de pratique 1,2. Des RCTs correctement réalisées et des méta-analyses récentes n’ont pu montrer une supériorité des «nouveaux antihypertenseurs» 3-7. Les méta-analyses de Messerli 8 et de Carlberg 9,10 nous amènent à douter de l’utilité de l’aténolol. Lindholm et coll tentent dans leur méta-analyse d’évaluer l’efficacité des β-bloquants dans le traitement de l’hypertension artérielle.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse.

Sources consultées

Les auteurs ont recherché, dans la Cochrane Library et dans PubMed, les synthèses méthodiques et les RCTs concernant le traitement de l’hypertension par des β-bloquants.

 

Sélection des études

Toutes les RCTs incluant au moins pour la moitié des patients recevant un β-bloquant en traitement de première ligne d’une hypertension primaire et évaluant son efficacité sur la mortalité totale et sur la morbidité cardiovasculaire ont été prises en considération pour une inclusion. Ce sont finalement treize études (n=105 951) qui ont été retenues, dont sept (n=27 433) comparent l’efficacité d’un β-bloquant versus placebo ou versus absence de traitement.

 

Population étudiée

L’âge moyen des patients varie de 45 à 76 ans et la pression artérielle initiale oscille entre 150/87 mm Hg et 195/102 mm Hg. La durée du suivi est comprise entre 2,1 et 10 ans.

Mesure des résultats

Deux méta-analyses sont effectuées. La première inclut les études comparant les β-bloquants à d’autres antihypertenseurs, la deuxième les études versus placebo ou absence de traitement. Dans ces deux analyses, l’incidence de la mortalité totale, d’accident vasculaire cérébral (AVC) et d’infarctus aigu du myocarde est calculée pour tous les traitements par β-bloquants et pour trois sous-groupes: les patients prenant un β-bloquant autre que l’aténolol, les patients recevant un β-bloquant ou un diurétique comme traitement de première ligne, si dans 50% des cas au moins c’est un β-bloquant, et les patients sous aténolol. L’effet sur l’insuffisance cardiaque et les décès cardiovasculaires n’est finalement pas analysé, plusieurs études ne mentionnant que des données incomplètes à ce propos. En cas d’hétérogénéité statistiquement significative, l’analyse est faite par modèle d’effet aléatoire.

Résultats

L’ensemble des β-bloquants provoquent, versus autres traitements, une augmentation du risque d’AVC de 16% (RR 1,16; IC à 95% de 1,04 à 1,30), d’infarctus aigu du myocarde non significative (RR 1,02; IC à 95% de 0,93 à 1,12). Pour la mortalité totale, il n’y a pas de différence significative non plus entre β-bloquants et les autres traitements (RR 1,03; IC à 95% de 0,99 à 1,08). L’augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral est la plus élevée avec l’aténolol (RR 1,26; IC à 95% de 1,15 à 1,38). Dans les études «non aténolol» par contre, les résultats concernant les AVC ne sont guère concluants au vu de leur faible incidence. Pour l’ensemble des β-bloquants versus placebo, le risque d’AVC diminue de 19% (RR 0,81; IC à 95% de 0,71 à 0,93). Il n’y a pas de différence entre β-bloquants et placebo en ce qui concerne les infarctus aigus du myocarde et la mortalité totale.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les β-bloquants comparés aux autres antihypertenseurs augmentent le risque d’AVC et que, pour cette raison, ils ne doivent plus être considérés comme un traitement de première ligne pour les patients présentant une hypertension primaire ni comme traitement de référence pour de futures RCTs.

Financement

L’étude est financée par une bourse de recherche attribuée par la province Västerbotten, en Suède.

Conflits d’intérêt

Lindholm est le président de l’ISH (International Society of Hypertension) et a fait partie du comité directeur de fort nombreuses études concernant l’hypertension. Carlberg est coordinateur associé de l’étude ASCOT. Tous les auteurs siègent dans le groupe de travail Moderately Elevated Blood Pressure 2001-4 du Swedish Council on Technology Assessment in Health Care.

 

Discussion

 

Les cliniciens se posent plusieurs questions cruciales quant à l’utilisation des β-bloquants dans le traitement de l’hypertension et attendent d’urgence des réponses claires. Quelle est la place actuelle des β-bloquants dans le traitement de l’hypertension? Un traitement par aténolol est-il moins favorable chez les personnes âgées, et si oui, dans quels sous-groupes ou situations spécifiques? Un effet éventuellement défavorable de l’aténolol peut-il être généralisé à tous les β-bloquants? Examinons la méta-analyse sous cet angle de vue.

Hétérogénéité clinique des études incluses

Les critères d’inclusion sont, d’évidence, particulièrement imprécis, pour ainsi dire inexistants. La population incluse est donc très hétérogène en ce qui concerne l’âge (sans calcul d’un âge moyen ni de chiffres de pourcentage des sexes), le grade d’hypertension (pas de données), la sévérité de la comorbidité et des pathologies associées (pas de mention systématique), les diminutions de pression observées (mentionnées uniquement pour les études individuellement), le protocole d’étude (quatre études ouvertes, six études contrôlées versus placebo et seize études comparatives) et les antihypertenseurs utilisés (cinq études avec trois diurétiques thiazidiques différents, sept études avec six antagonistes calciques différents, trois études avec un IEC chaque fois différent et une étude avec un sartan). Par rapport à la précédente méta-analyse, de Carlberg et coll, l’étude INVEST 11 est incluse. Carlberg l’avait exclue en raison de son protocole de comparaison d’associations d’antihypertenseurs. C’est également le cas de l’autre étude ajoutée, l’étude ASCOT 12. Comme si cet assemblage d’études n’était déjà pas assez perturbant, les auteurs y joignent un groupe de quatre “études mixtes” évaluant différentes classes médicamenteuses de première ligne avec pour seul critère d’inclusion dans la méta-analyse qu’au moins 50% des sujets recevaient un β-bloquant. Parmi ces quatre études, trois sont ouvertes. L’étude NORDIL 13 est protocolée pour comparer le diltiazem aux autres antihypertenseurs. Dans l’étude CONVINCE 14, les chercheurs pouvaient fixer eux-mêmes leur choix entre vérapamil, aténolol ou hydrochlorothiazide!

Il est donc évident que cette méta-analyse est cliniquement fort hétérogène. L’hétérogénéité statistique est également significative à plusieurs reprises, par exemple, pour le résultat le plus important, un score moins bon des β-bloquants pour la prévention des AVC. Tirer une conclusion fondée d’un tel fourre-tout de raretés n’est pas une sinécure. Les auteurs y cèdent pourtant sans problème.

Importance de la non reprise dans l’analyse de la diminution des chiffres tensionnels

Une autre limite importante est l’absence de corrections des données en fonction de la diminution des chiffres tensionnels obtenue. La méta-analyse de Staessen et coll5 présentait cet avantage principal de corriger la comparaison entre différentes stratégies de traitement en fonction de la baisse tensionnelle obtenue avec chacun des traitements. Deux conclusions s’imposaient alors: les «nouveaux» antihypertenseurs ne sont pas supérieurs aux «anciens» et c’est la diminution de la pression par elle-même qui détermine les résultats observés. Toute diminution de 2 mm Hg correspond à une réduction de 15% d’AVC, quel que soit l’antihypertenseur! Staessen ne pouvait hélas pas se prononcer sur l’efficacité des β-bloquants en tant que groupe, ces médicaments étant toujours évalués en association avec les diurétiques. Les auteurs de la présente méta-analyse ne se donnent pas la peine de corréler les résultats à la diminution de pression artérielle observée. Ils doivent cependant concéder que c’est dans les deux études montrant une différence substantielle pour la diminution de la pression artérielle que l’efficacité thérapeutique des β-bloquants est la meilleure.

Méta-analyse versus grandes études précédentes sur l’hypertension

Au changement de siècle, trois méta-analyses importantes 3-5 ont, avec quelques nuances cependant, convaincu tout sceptique que les «nouveaux» antihypertenseurs (antagonistes calciques, IEC) n’étaient pas supérieurs aux médicaments «plus anciens» (diurétiques thiazidiques à faible dose et β-bloquants). La méta-analyse de Psaty 6 montre, enfin, une absence de différence significative entre β-bloquants et faibles doses de diurétiques en ce qui concerne la mortalité totale, la mortalité liée à des affections cardiovasculaires, l’ischémie coronarienne et l’AVC. Pour la prévention de l’insuffisance cardiaque elle-même, les diurétiques ne sont pas plus efficaces (RR 0,83; IC à 95% de 0,68 à 1,01). De faibles doses de diurétiques ne sont supérieures aux β-bloquants que pour ce qui concerne la totalité des événements cardiovasculaires (RR 0,89; IC à 95% de 0,86 à 0,98). Remarquons aussi que dans l’étude de Psaty les β-bloquants sont supérieurs au placebo dans tous les domaines évalués tandis que dans la méta-analyse de Lindholm cette supériorité n’apparaît que pour la prévention de l’AVC. De précédentes méta-analyses 8,9 attirent l’attention sur un effet limité à défavorable de l’aténolol chez les personnes âgées. Les études sur lesquelles ces méta-analyses se basent sont assemblées à tort et ne permettent pas de conclure pour des patients d’âge moyen présentant une hypertension non compliquée. Chez les personnes âgées, seul l’hydrophile aténolol est étudié. En raison de la grande hétérogénéité des études, aucune conclusion n’est également possible concernant la place des β-bloquants en cas d’hypertension compliquée. C’est une question importante d’autant plus que des études ont montré un effet favorable, en termes de mortalité et d’hospitalisation, de l’ajout de β-bloquants au traitement existant chez des patients présentant une insuffisance cardiaque ou en post-infarctus 15,16.

Du neuf avec cette méta-analyse?

Pratiquement pas, cette méta-analyse reprenant en majorité des études avec l’aténolol (n=67 409 ou 68%) et l’analyse des β-bloquants non aténolol aurait pu être plus fouillée. Il y a cependant un nombre trop peu élevé de patients (n=9 004) et donc d’événements cardiovasculaires observés (77 AVC). Les β-bloquants lipophiles (propranolol, mésoprolol, bisoprolol, carvédilol, nébivolol, métoprolol) sont-ils plus efficaces que l’hydrophile aténolol? La question demeure sans réponse. Une hypothèse donne un avantage aux lipophiles: ces β-bloquants lipophiles franchissent plus facilement la barrière hémato-encéphalique et pourraient ainsi exercer pleinement leur effet β-bloquant. Il devrait à tout le moins exister une explication à leur effet favorable en post infarctus du myocarde 11 et comme traitement adjuvant chez les patients en insuffisance cardiaque 12.

Cette méta-analyse ne nous fait guère progresser. Elle ne nous apprend rien concernant l’utilisation des β-bloquants en cas d’hypertension essentielle non compliquée. Elle ne nous apprend également rien concernant d’éventuelles indications dans des groupes spécifiques de patients (jeunes, personnes avec une circulation hyperkinétique, personnes âgées, post infarctus, insuffisance cardiaque, etc.). Nous ne savons toujours pas si les éventuels problèmes observés lors d’un traitement par aténolol sont transposables pour les autres β-bloquants. Toutes les questions initiales restent sans réponse et d’autres recherches sont d’urgence nécessaires pour pouvoir y répondre. En attendant, nous pouvons toujours estimer que les β-bloquants sont un premier choix, après les diurétiques thiazidiques à faible dose, chez des patients présentant une hypertension primaire non compliquée. Chez les personnes âgées,un traitement β-bloquants peut être pris en considération pour certains groupes spécifiques de patients (post infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque stabilisée) avec une préférence probable pour une substance lipophile.

 

Conclusion

Cette méta-analyse évaluant l’utilisation de β-bloquants chez des patients présentant une hypertension primaire non compliquée présente des lacunes méthodologiques importantes. Principalement, l’hétérogénéité très importante des populations évaluées et l’absence de correction des résultats en fonction des chiffres tensionnels obtenus ne permettent pas d’en tirer des conclusions valides. Il semble donc indiqué de s’en tenir aux résultats de précédentes méta-analyses bien élaborées. Les diurétiques thiazidiques et les β-bloquants restent un bon premier choix pour traiter une hypertension primaire non compliquée. Chez les personnes âgées, la prudence est recommandée avec l’hydrophile aténolol.

 

Références

  1. European Society of Hypertension-European Society of Cardiology Guidelines Committee. 2003 European Society of Hypertension – European Society of Cardiology guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2003;21:1011-53.
  2. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
  3. Pahor M, Psaty BM, Alderman MH, et al. Health outcomes associated with calcium antagonists compared with other first-line antihypertensive therapies: a meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2000;356:1949-54.
  4. Neal B, MacMahon S, Chapman N; Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration. Effects of ACE-inhibitors, calcium antagonists, and other blood-pressure-lowering drugs: results of prospectively designed overviews of randomised trials. Lancet 2000;356:1955-64.
  5. Staessen JA, Wang JG, Thijs L. Cardiovascular protection and blood pressure reduction: a meta-analysis. Lancet 2001;358:1305-15.
  6. Psaty BM, Lumley T, Fürberg CD, et al. Health outcomes associated with various antihypertensive therapies used as first-line agents: a network meta-analysis. JAMA 2003;289:2534-43.
  7. De Cort P. Les diurétiques restent un premier choix pour traiter l’hypertension artérielle non compliquée. MinervaF 2004;3(3):47-9.
  8. Messerli FH, Grossman E, Goldbourt U. Are beta-blockers efficacious as first-line therapy for hypertension in the elderly? A systematic review. JAMA 1998;279:1903-7.
  9. Carlberg B, Samuelsson O, Londholm LH, et al. Atenolol in hypertension: is it a wise choice? Lancet 2004;364:1684-9.
  10. De Cort P. La place de l’aténolol dans l’hypertension. MinervaF 2005;4(10):160-2.
  11. Pepine CJ, Handberg EM, Cooper-DeHoff RM, et al. A calcium antagonist vs a non-calcium antagonist hypertension treatment strategy for patients with coronary artery disease. The International Verapamil-Trandolapril Study (INVEST): a randomized controlled trial. JAMA 2003;290:2805-16.
  12. Dahlöf B, Sever PS, Poulter NR, et al. Prevention of cardiovascular events with an antihypertensive regimen of amlodipine adding perindopril as required versus atenolol adding bendroflumethiazide as required, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Blood Pressure Lowering Arm (ASCOT-BPLA): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2005;366:895-906.
  13. Hansson L, Hedner T, Lund-Johansen P, et al. Randomised trial of effects of calcium antagonists compared with diuretics and beta blockers on cardiovascular morbidity and mortality in hypertension: the Nordic Diltiazem (NORDIL) study. Lancet 2000;356:359-65.
  14. Black HR, Elliott WJ, Grandits G, et al. Principal results of the Controlled Onset Verapamil Investigation of Cardiovascular End Points (CONVINCE) trial. JAMA 2003;289:2073-82.
  15. Freemantle N, Cleland J, Young P, et al. Beta Blockade after myocardial infarction: systematic review and meta regression analysis. BMJ 1999;318:1730-7.
  16. Effect of metoprolol CR/XL in chronic heart failure: Metoprolol CR/XL Randomised Intervention Trial in Congestive Heart Failure (MERIT-HF). Lancet 1999;353:2001-7.
Les ß-bloquants toujours un premier choix en cas d’hypertension primaire?



Ajoutez un commentaire

Commentaires