Revue d'Evidence-Based Medicine



Radiothérapie après chirurgie d’épargne mammaire



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 3 Page 43 - 46

Professions de santé


Analyse de
1. Fyles AW, McCready DR, Manchul LA et al. Tamoxifen with or without breast irradiation in women 50 years of age or older with early breast cancer. N Engl J Med 2004;351:963-70. 2. Hughes KS, Schnaper LA, Berry D et al. Lumpectomy plus tamoxifen with or without irradiation in women 70 years of age or older with early breast cancer. N Engl J Med 2004;351:971-7.


Question clinique
1. Quelle est l'efficacité de la radiothérapie combinée au tamoxifène versus tamoxifène seul sur la survie sans récidive et sur la récidive locale chez des femmes âgées de 50 ans ou plus après une chirurgie d'épargne mammaire pour un carcinome mammaire T1 ou T2 associé à des ganglions axillaires négatifs? 2. Quelle est l'efficacité de la radiothérapie combinée au tamoxifène versus tamoxifène seul sur la récidive locale et sur la survie de femmes âgées d’au moins 70 ans, après une chirurgie d'épargne mammaire pour un petit carcinome mammaire avec des récepteurs hormonaux (T1N0M0)?


Conclusion
Ces deux études montrent que l'adjonction de la radiothérapie à un traitement par tamoxifène après chirurgie d'épargne mammaire pour des tumeurs hormonosensibles, réduit le risque de récidive locale, sans impact néanmoins sur la survie. La réduction absolue de récidive locale (3%) pour les femmes âgées de plus de 70 ans avec une tumeur mammaire hormonosensible T1N0, est probablement moins importante sur le plan clinique, vu la morbidité et les coûts liés à la radiothérapie. Des études devraient pouvoir distinguer les sous-groupes qui pourraient tirer un bénéfice de la radiothérapie de ceux auxquels ce traitement pourrait être épargné.


 

Contexte

Le risque de récidive de cancer du sein après une chirurgie d'épargne mammaire peut être réduit par une radio-thérapie postopératoire et/ou par un traitement hormonal et une chimiothérapie. La radiothérapie est coûteuse et influence péjorativement la qualité de la vie. De plus le risque de récidive locale est faible chez les femmes post-ménopausées présentant de petites tumeurs et des ganglions axillaires négatifs. Une étude analysant l'éventuelle plus-value de la radiothérapie par rapport à la seule administration de tamoxifène pour cette population n'avait pas encore été réalisée. Deux publications récentes sur ce sujet sont analysées ici.

 

Fyles AW, McCready DR, Manchul LA et al. Tamoxifen with or without breast irradiation in women 50 years of age or older with early breast cancer. N Engl J Med 2004;351:963-70.

 

Résumé

Question clinique

Quelle est l'efficacité de la radiothérapie combinée au tamoxifène versus tamoxifène seul sur la survie sans récidive et sur la récidive locale chez des femmes âgées de 50 ans ou plus après une chirurgie d'épargne mammaire pour un carcinome mammaire T1 ou T2 associé à des ganglions axillaires négatifs?

Population étudiée

Les femmes de 50 ans ou plus ayant subi une chirurgie d'épargne mammaire pour un adénocarcinome invasif de <5 cm de diamètre (stade T1-T2), présentant des tranches de résection indemnes et des ganglions axillaires négatifs sont incluses dans cette étude. Les critères d'exclusion sont, entre autres, des antécédents de cancer avec une survie de moins de cinq ans sans récidive, un cancer mammaire bilatéral ou multifocal et des métastases. Un total de 769 femmes sont incluses, présentant un âge moyen de 68 ans, une taille tumorale moyenne de 1,4 cm et 80% de présence de récepteurs hormonaux positifs.

Protocole d'étude

Dans cette étude prospective randomisée contrôlée, les participantes sont réparties soit dans un groupe qui reçoit une radiothérapie suivie d'une dose journalière de 20 mg de tamoxifène durant cinq ans (n=386) soit dans un groupe qui reçoit uniquement du tamoxifène (n=383). Les patientes sont suivies tous les trois mois durant trois ans et ensuite tous les six mois. Une mammographie est faite annuellement.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survie sans récidive, définie comme la période jusqu'à l'échec thérapeutique (dans le sein ipsilatéral, dans les ganglions axillaires ou à distance) ou le décès (si pas de récidive). Les critères de jugement secondaires sont la récidive dans le sein ipsilatéral ou l'aisselle et la survie globale. Selon le protocole de non infériorité, les deux traitements sont considérés comme équivalents lorsque la différence, en survie sans récidive, entre les deux groupes n'excédait pas 7% sur une durée de cinq ans. L'analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Après cinq ans, la survie sans récidive est de 84% dans le groupe tamoxifène versus 91% dans le groupe radiothérapie plus tamoxifène. Ce qui correspond à une différence de 7%, mais la limite supérieure de l'intervalle de confiance à 95% pour cette différence est de 11,9%. Ceci signifie que la survie sans maladie est significativement meilleure dans le groupe radiothérapie plus tamoxifène. L'incidence de la récidive ipsilatérale dans le sein et l'aisselle est moindre dans le groupe radiothérapie plus tamoxifène. Pas de différence entre les deux groupes quant aux métastases à distance et quant à la survie globale (voir tableau 1). Trente femmes se plaignent de bouffées de chaleur dans le groupe tamoxifène plus radiothérapie versus 23 dans le groupe tamoxifène. Dans le groupe radiothérapie, quatre femmes signalent de la fatigue et quatre un érythème cutané versus aucune dans le groupe tamoxifène.

 

Tableau 1: Différence après cinq années, en termes de survie sans récidive, de récidive locale, de métastases à distance et de survie globale, entre le groupe radiothérapie plus tamoxifène et le groupe tamoxifène.

 

Radiothérapie plus tamoxifène (n=386)

Tamoxifène (n=383)

Valeur-p

Survie sans récidive

91%

84%

0,004

Récidive dans le sein ipsilatéral

0,6%

7,7%

<0,001

Récidive dans les ganglions ipsilatéraux

0,5%

2,5%

0,049

Métastases à distance

4,5%

4,0%

0,69

Survie globale

92,8%

93,2%

0,83

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu'un traitement associant le tamoxifène à la radiothérapie, comparé avec un traitement avec le tamoxifène seul, diminue significativement le risque de récidive locale après chirurgie d'épargne mammaire chez des femmes présentant un petit carcinome mammaire avec des récepteurs hormonaux positifs et sans atteinte des ganglions axillaires.

Financement

Ministry of Health and Long-Term Care (Ontario), Canadian Breast Cancer Foundation British Columbia and Yukon Chapter et Princess Margaret Hospital Foundation.

Conflits d'intérêt

Non mentionnés.

 

Hughes KS, Schnaper LA, Berry D et al. Lumpectomy plus tamoxifen with or without irradiation in women 70 years of age or older with early breast cancer. N Engl J Med 2004;351:971-7.

Résumé

Question clinique

Quelle est l'efficacité de la radiothérapie combinée au tamoxifène versus tamoxifène seul sur la récidive locale et sur la survie de femmes âgées d’au moins 70 ans, après une chirurgie d'épargne mammaire pour un petit carcinome mammaire avec des récepteurs hormonaux (T1N0M0)?

Population étudiée

Les femmes d’au moins 70 ans qui, en raison d'un adénocarcinome mammaire invasif de ≤2cm de diamètre (stade T1), avaient subi une chirurgie d'épargne mammaire avec des tranches de section négatifs et des ganglions axillaires négatives sont sélectionnées pour l'inclusion. Les femmes ayant une anamnèse de cancer avec moins de cinq années de survie sans récidive sont exclues. Au total, 636 femmes, dont 55% ont plus de 75 ans, sont incluses. 98% présentaient une tumeur de <2 cm et 78% des tumeurs présentent des récepteurs hormonaux.

Protocole d’étude

Dans cet essai prospectif randomisé et contrôlé, les participantes sont réparties soit dans un groupe qui reçoit une radiothérapie et ensuite une dose quotidienne de 20 mg de tamoxifène durant cinq ans (n=317), soit dans un groupe qui reçoit uniquement du tamoxifène (n=319). Les femmes sont suivies tous les quatre mois.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont la survenue d'une récidive locorégionale (ganglion sus- et sous-claviculaire, ganglion axillaire et sein ipsilatéral), la fréquence de mastectomie pour récidive, la survie spécifique pour le cancer du sein, les métastases à distance et la survie globale. Les critères de jugement secondaires sont les effets indésirables et l'aspect esthétique du sein traité, évalués tant par la patiente que par le médecin traitant.

Résultats

La rechute locorégionale après cinq ans est de 1% dans le groupe radiothérapie plus tamoxifène versus 4% dans le groupe tamoxifène. Ceci revient à une survie sans récidive locorégionale, de 96% dans le groupe tamoxifène versus 99% dans le groupe tamoxifène plus radiothérapie. La fréquence de mastectomie, la survenue de métastases à distance et la survie globale ne sont pas différentes entre les deux groupes (voir tableau 2). Durant les deux premières années de suivi, les médecins ont mentionné davantage d'effets indésirables et une esthétique moins bonne pour le sein traité chez les patientes du groupe radiothérapie plus tamoxifène. Cette différence s’estompe après quatre ans. Les patientes du groupe radiothérapie plus tamoxifène signalent plus de douleurs mammaires durant l’ensemble du suivi de l'étude.

 

Tableau 2: Différence (nombre), après cinq ans, pour les récidives locorégionales, les métastases, la mortalité totale et la mortalité par cancer du sein, entre le groupe radiothérapie plus tamoxifène et le groupe tamoxifène.

 

Tamoxifène + radiothérapie (n=317)

Tamoxifène (n=319)

Total (n=636)

Récidive locorégionale

2

16

18

dans les ganglions axillaires

0

2

2

dans le sein ipsilatéral

2

13

15

dans le sein ipsilatéral + métastases

0

1

1

Métastases

7

6

13

Mortalité totale

54

53

107

Mortalité par cancer du sein

3

3

6

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la chirurgie d'épargne mammaire suivie d'un traitement à base de tamoxifène seul est un choix justifié pour des femmes d’au moins 70 ans présentant un petit carcinome mammaire avec des récepteurs hormonaux.

Financement

National Cancer Institute (E.U.).

Conflits d'intérêt

Les auteurs n'ont pas tenu compte du point de vue officiel du National Cancer Institute.

 

Discussion

Contexte des études

La chirurgie d'épargne mammaire suivie de radio-thérapie est le traitement de référence pour les femmes présentant un petit carcinome mammaire. Cette prise en charge permet un bon contrôle local sans effet défavorable sur la survie. Plusieurs études ont montré que la radiothérapie permet d’obtenir une bonne réduction du risque de récidive locale, mais n'influence pas la survie globale. La plus importante de ces études, la NSABP B-06, montre, après un suivi de vingt ans, une récidive locale chez 39% des patientes traitées avec la seule chirurgie contre 14% pour les patientes qui ont bénéficié de la radiothérapie en postopératoire 1. Les techniques radiothérapeutiques et chirurgicales se sont fort améliorées ces dernières années et l'usage du tamoxifène ou des inhibiteurs des aromatases pour les tumeurs hormonosensibles est devenu un traitement de référence. Ces progrès diminuent le risque de récidive locale et améliorent la survie 2. C'est dans ce contexte que doivent être évaluées ces deux études.

Femmes étudiées

Les résultats de l'étude de Fyles et coll. chez des femmes d’au moins 50 ans, présentant un carcinome mammaire limité, ressemblent aux résultats d'études antérieures et cela en dépit de l'utilisation du tamoxifène et de la précaution de tranches de section indemnes d’envahissement. Les femmes qui ne subissent pas de radiothérapie ont un risque significativement plus élevé de présenter une récidive locale, sans influence par contre sur la survenue de métastases ni sur la survie. Cette étude inclut les femmes présentant des tumeurs allant jusqu'à 5 cm, ce qui peut prêter à discussion. De surcroît, la présence de récepteurs hormonaux positifs n'est pas un critère d'inclusion. Seuls 80% des femmes présentaient des récepteurs hormonaux; pour les 20 autres pour cent, ils sont absents ou non connus. Une analyse en sous-groupe, prévue dans le protocole, des femmes présentant une tumeur hormonosensible de <2 cm montre, malgré tout, une différence statistiquement significative et cliniquement pertinente en termes de récidive locale en faveur de la radiothérapie. Ceci est en concordance avec les résultats de l'étude NSABP B-21, qui montrent que la radiothérapie réduit le risque de récidive locale aussi pour les tumeurs hormonosensibles de <1 cm 3.

L'étude de Hughes et coll. possède des critères d'inclusion plus restrictifs. Seules les femmes d’au moins 70 ans avec des tumeurs hormonosensibles de ≤2 cm sont admises dans l'étude. Ce type de cas représente un très important groupe de patientes (annuellement 40 000 femmes aux E.U.) et les résultats de cette étude pourraient avoir un très grand impact sur les coûts des soins de santé. Il est assez paradoxal que les femmes de plus de 70 ans soient exclues de la plupart des études. Cette étude montre également une réduction du risque de rechute locorégionale après radiothérapie, mais la différence absolue après cinq ans n'est que de 3% (4% versus 1%). En outre, il n'y a pas de différence en ce qui concerne la nécessité de recourir à la mastectomie, ni le risque de métastases, ni la survie.

Pertinence clinique

La différence de 3% pour les récidives locales a-t-elle une importance clinique si elle ne s'accompagne pas d'une meilleure survie et même pas d'un moindre recours à la mastectomie? Il est évident que la radio-thérapie s'accompagne d'un certain nombre d'effets indésirables tels que la douleur mammaire, la fibrose, l'œdème, un mauvais aspect esthétique et, de plus, un risque majoré de mortalité cardiovasculaire. Ce dernier point annule finalement l'amélioration à long terme de la survie du cancer mammaire. De nouvelles techniques radiothérapeutiques diminueraient les inconvénients sur le plan cardiovasculaire, mais ceci doit encore être prouvé dans des études à long terme 4.

Une récidive locale d'un cancer mammaire peut survenir fort tardivement. Dix-neuf pour cent des récidives locales surviennent entre cinq et dix ans après le traitement et 9% encore au-delà des dix années 1. Le suivi médian de ces deux études est d'environ cinq ans, ce qui pourrait causer une sous-estimation de la différence entre les deux groupes. C'est peut-être moins important pour des femmes de plus de 70 ans, en raison du caractère moins agressif du cancer mammaire à cet âge, d'un moindre risque de récidive locale et d'une espérance de vie quand même plus limitée 5. Les inhibiteurs de l'aromatase, plus récents, réduisent également le risque de récidive locale, le risque de métastase et améliorent la survie sans maladie 6,7,8. Il n'est pas exclu que ces inhibiteurs de l'aromatase puissent, pour les femmes plus âgées avec de petites tumeurs, réduire le risque de récidive en l'absence de radiothérapie. Le problème réside dans l’absence de facteur prédictif individuel de réponse à ce traitement. Il est possible que des marqueurs moléculaires, une analyse génétique précise ou d'autres indicateurs moléculaires pronostiques puissent permettre, à l'avenir, une meilleure thérapie adjuvante individuelle.

 

Conclusion

Ces deux études montrent que l'adjonction de la radiothérapie à un traitement par tamoxifène après chirurgie d'épargne mammaire pour des tumeurs hormonosensibles, réduit le risque de récidive locale, sans impact néanmoins sur la survie. La réduction absolue de récidive locale (3%) pour les femmes âgées de plus de 70 ans avec une tumeur mammaire hormonosensible T1N0, est probablement moins importante sur le plan clinique, vu la morbidité et les coûts liés à la radiothérapie. Des études devraient pouvoir distinguer les sous-groupes qui pourraient tirer un bénéfice de la radiothérapie de ceux auxquels ce traitement pourrait être épargné.

 

Références

  1. Fisher B, Anderson S, Bryant J et al. Twenty-year follow-up of a randomized trial comparing total mastectomy, lumpectomy and lumpectomy plus irradiation for the treatment of invasive breast cancer. N Engl J Med 2002;347:1233-41.
  2. Buchholz TA, Tucker SL, Erwin J et al. Impact of systemic treatment on local control for patients with lymph node-negative breast cancer treated with breast-conservation therapy. J Clin Oncol 2001;19:2240-6.
  3. Fisher B, Bryant J, Dignam JJ et al. Tamoxifen, radiation therapy, or both for the prevention of ipsilateral breast tumor recurrence after lumpectomy in women with invasive breast cancers of one centimeter or less. J Clin Oncol 2002;20:4141-9.
  4. Favourable and unfavourable effects on long-term survival of radiotherapy for early breast cancer. Early Breast Trialists’ Collaborative Group. Lancet 2000;355:1757-70.
  5. Diab SG, Elledge RM, Clark GM. Tumor characteristics and clinical outcome of elderly women with breast cancer. J Natl Cancer Inst 2000;92:550-6.
  6. Cocquyt V. Anastrozol et tamoxifène pour traiter le cancer du sein. MinervaF 2004;3(2):20-2.
  7. Renard V, Cocquyt V. Le rôle de l’exémestane dans le traitement du cancer du sein. MinervaF 2005;4(5):68-70.
  8. Goss PE, Ingle JE, Martino S et al. A randomized trial of letrozole in postmenopausal women after five years of tamoxifen therapy for early-stage breast cancer. N Engl J Med 2003;349:1793-802.

 

Noms de marque

Tamoxifène: Doctamoxifene®, Nolvadex®, Tamizam®, Tamoplex®, Tamoxifen®

Radiothérapie après chirurgie d’épargne mammaire

Auteurs

Cocquyt V.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

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