Revue d'Evidence-Based Medicine



N-acétylcystéine pour la BPCO



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 3 Page 34 - 36

Professions de santé


Analyse de
Decramer M, Rutten-van Mölken M, Dekhuijzen PN et al. Effects of N-acetylcysteine on outcomes in chronic obstructive pulmonary disease (Bronchitis Randomized on NAC Cost-Utility Study, BRONCUS): a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2005;365:1552-60.


Question clinique
Quelle est l'efficacité de la N-acétylcystéine versus placebo sur la fonction pulmonaire et sur le nombre d'exacerbations des patients atteints de BPCO?


Conclusion
Cette étude bien construite montre que chez des patients BPCO recevant un traitement chronique, la N-acétylcystéine (600 mg/jour) ne peut freiner la régression de la fonction respiratoire ni réduire le nombre des exacerbations. A ce jour, aucune étude de méthodologie correcte n'a pu montrer le moindre effet d'un tel traitement.


 

Résumé

Contexte

Le stress oxydatif joue un rôle dans la pathogenèse de la BPCO 1 et la N-acétylcystéine présente des propriétés anti-oxydatives 2. Quelques méta-analyses ont montré que la N-acétylcystéine réduit le nombre d'exacerbations de 20 à 30% chez des patients pré-sentant soit une BPCO, soit (et principalement) une bronchite chronique. Une étude rétrospective montre une réduction du nombre de réhospitalisations de patients présentant une BPCO lors d’un traitement par N-acétylcystéine 3. L'effet à long terme sur le nombre d'exacerbations de BPCO et sur la fonction pulmonaire n'a pas encore été évalué dans une étude prospective à grande échelle.

Population étudiée

Dans une dizaine de pays dont la Belgique, les auteurs ont recruté des (ex-)fumeurs âgés de 40 à 70 ans, présentant une forme légère à modérée de BPCO (stades II et III selon les critères de GOLD 4), et ayant connu au moins deux exacerbations durant les deux dernières années. Les critères d'exclusion sont, entre autres, l'usage continu de corticostéroïdes oraux, des antécédents d'asthme, d’une rhinite allergique et/ou d’un eczéma allergique, la présence d'autres maladies pulmonaires ou d’une insuffisance cardiaque d’une classe NYHA d’au moins II et la nécessité de recourir dans un avenir proche à l'oxygénothérapie. Au total 523 patients sont inclus dans l'étude, d’un âge moyen de 62 ans (ET 8), parmi lesquels 79% sont des hommes. Le VEMS (volume expiratoire maximal en une seconde) moyen et le VEMS prédit sont respectivement de 1,65 l (ET 0,38) et de 57% (ET 9). La réversibilité est en moyenne de 4% (ET 4). Parmi les participants, 70% utilisent des corticostéroïdes inhalés, 70% des ß2-agonistes à courte durée d'action, 30% des anticholinergiques à courte durée d'action et 60% des ß2-agonistes à longue durée d'action.

 

Méthodologie

Les patients reçoivent, durant trois ans, dans le cadre de cette étude clinique est réalisée au cours de la phase III. Un nombre important de sujets est alors enrôlé dans l’étude et l’efficacité et la sécurité du produit sont examinées. Elle se déroule la plupart du temps sous forme d’une étude contrôlée randomisée (RCT), dans laquelle les sujets sont répartis aléatoirement dans différents groupes d’évaluation. La comparaison se fait par rapport à un traitement de référence (standard) ou à un placebo.">étude en phase III, en double aveugle, randomisée, contrôlée versus placebo, soit 600 mg de N-acétylcystéine par jour (n=256), soit un placebo (n=267). Les bronchodilatateurs et les corticostéroïdes inhalés peuvent être poursuivis, toutefois leur dosage ne peut être modifié durant l'étude. Les patients sont revus tous les trois mois et une évaluation de la fonction respiratoire est réalisée à cette occasion.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont la régression annuelle de la fonction pulmonaire (mesurée par le VEMS) et le nombre d'exacerbations. Une exacerbation est définie comme étant un épisode, d'au moins trois jours, de dyspnée majorée et/ou de toux avec des changements qualitatifs et quantitatifs de la production de crachats, pour lequel un recours médical est sollicité. La modification de la qualité de vie est considérée comme un critère d'évaluation secondaire et est évaluée tous les six mois au moyen du St. George’s Respiratory Questionnaire et du EuroQol est complémentaire à d’autres instruments de mesure de « qualité de vie » (tel que le SF-36). Il est conçu pour être rempli (en quelques minutes) par le patient lui-même.">questionnaire Euroqol-5D. Les résultats sont analysés en intention de traiter et des analyses en sous-groupes sont prévues pour les usagers versus non usagers de corticostéroïdes d'inhalation et pour les patients au stade GOLD-II versus stade GOLD-III.

Résultats

Un total de 169 patients ne termine pas l'étude. Les sorties d'étude sont significativement plus fréquentes dans le groupe placebo (37%) que dans le groupe N-acétylcystéine (27%). La régression annuelle du VEMS est de 54 (ET 6) ml dans le groupe N-acétylcystéine versus 47 (ET 6) ml dans le groupe placebo. Ceci correspond à une différence moyenne de régression de -8 ml (IC à 95% de -25 à 10). Pas davantage de différence significative dans le nombre d'exacerbations entre les deux groupes: 1,25 jours (ET 1,35) dans le groupe N-acétylcystéine versus 1,31 (ET 1,39) dans le groupe placebo; HR 0,99 (IC à 95% de 0,89 à 1,10; p=0,85). Chez les patients qui n'utilisent pas de corticostéroïdes inhalés, une diminution significative des exacerbations est observée dans le groupe N-acétylcystéine versus groupe placebo. La qualité de vie évolue de façon comparable dans les deux groupes; une amélioration significative est mentionnée par tous durant la première année. Les effets indésirables surviennent aussi fréquemment dans les deux groupes et ne sont pas attribués à l'usage de la médication.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la N-acétylcystéine n'est pas efficace en prévention des exacerbations ou de la régression de la fonction pulmonaire chez des patients atteints de BPCO.

Financement

Groupe Zambon, producteur de la N-acétylcystéine.

Conflits d'intérêt

Tous

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Nous sommes en présence de la première étude de bonne qualité, prospective, à long terme, évaluant l'intérêt clinique de la N-acétylcystéine dans le traitement de la BPCO. Les résultats pour les critères de jugement primaires sont fiables et peuvent servir de fil conducteur. La qualité de vie, critère d'évaluation secondaire, est évaluée d'une façon méthodologiquement moins fiable, vu que tous les patients inclus n'ont pas été interrogés de façon uniforme. Il est donc difficile de se prononcer à ce sujet. Les sorties d'études sont assez nombreuses, tant dans le groupe traité que dans le groupe placebo. Toutes les personnes incluses sont fumeuses ou ex-fumeuses, ce qui correspond bien au profil du patient BPCO moyen.

Attentes concernant l'efficacité

C'est surtout depuis la parution d'une méta-analyse 5 sur les mucolytiques oraux, principalement la N-acétylcystéine, lors des exacerbations de la BPCO, qu’une attention plus soutenue est réservée à ces médicaments. Les auteurs ont cru pouvoir montrer que l'utilisation des mucolytiques oraux est justifiée pour les personnes atteintes de bronchite chronique et de BPCO présentant des exacerbations récidivantes, prolongées ou sévères. Ce traitement devrait permettre d’obtenir, notamment, une diminution du nombre et de la sévérité des exacerbations. Le gain est cependant minime et sans doute sans rapport coût/efficacité favorable. L'hétérogénéité des études reprises dans cette méta-analyse ainsi que la qualité médiocre de certaines ont été précédemment décrites 6, engendrant un doute sur la valeur de cette méta-analyse. De plus, ce sont surtout des études avec des patients présentant une bronchite chronique qui sont reprises, ce qui ne correspond pas nécessairement à la définition d’une BPCO. Les termes de BPCO couvrent un groupe d'affections pulmonaires avec une diminution du flux respiratoire, une dilatation plus ou moins sévère des alvéoles pulmonaires, de l'inflammation des voies aériennes et une destruction du tissu pulmonaire. L'emphysème et la bronchite chronique sont les formes les plus courantes de la BPCO. La bronchite chronique est définie comme une inflammation des bronches caractérisée par une formation abondante de mucus et une toux productive durant au moins trois mois par an sur au moins deux années consécutives.

Dans l'étude BRONCUS, un dosage de 600 mg par jour est utilisé, ce qui est identique au dosage repris dans les deux méta-analyses qui auraient montré une efficacité 5,7. Dans la méta-analyse de Grandjean et coll 7, 83,6% des patients sont traités par 600 mg de N-acétylcystéine par jour. Les auteurs incluent des patients présentant une «affection bronchopulmonaire chronique», ce qui correspond à la définition de la bronchite chronique, donc nullement synonyme de BPCO. Un des auteurs de cette méta-analyse est, de plus, lié professionnellement au producteur de N-acétylcystéine.

En dépit de ces preuves douteuses, certains guides de bonne pratique recommandent de faire un traitement d'épreuve avec la N-acétylcystéine chez des patients BPCO présentant des «exacerbations fréquentes» 8 ou une toux productive chronique 9. Les conditions de remboursement qui prévalent actuellement en Belgique sont également basées sur ces faibles preuves. Le guide de pratique GOLD 4 reste évasif: «un usage courant de N-acétylcystéine ne peut être actuellement recommandé, dans l’attente des résultats d'études en cours».

Efficacité non prouvée

L'étude BRONCUS donne, pour le moins, une indication quant à la place de la N-acétylcystéine dans le traitement de la BPCO. Les auteurs s’interrogent sur l’inefficacité de la N-acétylcystéine sur les critères de jugement évalués. Ils estiment que le fait qu’une large majorité des patients inclus, donc également dans le groupe placebo, reçoit déjà un traitement (dont des b2-mimétiques à longue durée d'action et des corticostéroïdes d'inhalation) peut jouer un rôle. Ils avancent que la dose de 600 mg par jour de N-acétylcystéine, était peut-être insuffisante. Alors que deux méta-analyses 5,7 considèrent cette dose comme la plus efficace, Decramer et al proposent néanmoins de réaliser des études avec des doses plus élevées.

 

Conclusion

Cette étude bien construite montre que chez des patients BPCO recevant un traitement chronique, la N-acétylcystéine (600 mg/jour) ne peut freiner la régression de la fonction respiratoire ni réduire le nombre des exacerbations. A ce jour, aucune étude de méthodologie correcte n'a pu montrer le moindre effet d'un tel traitement.

 

Références

  1. Repine JE, Bast A, Lankhorst I. Oxidative stress in chronic obstructive pulmonary disease. Am J Respir Crit Care Med 1997;156:341-57.
  2. Dekhuijzen PNR. Antioxidant properties of N-acetylcysteine: their relevance in relation to chronic obstructive pulmonary disease. Eur Respir J 2004;23:629-36.
  3. Gerrits CMJM, Herings RMC, Leufkens HGM, Lammers JWJ. N-acetylcysteine reduces the risk of re-hospitalisation among patients with chronic obstructive pulmonary disease. Eur Respir J 2003;21:795-8.
  4. http://www.goldcopd.com
  5. Poole PJ, Black PN. Oral mucolytic drugs for exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease: systematic review. BMJ 2001;322:1271-4.
  6. Orale mucolytica en chronische luchtwegaandoeningen: een storm in een glas mucus? Geneesmiddelenbrief 2001;3:15-9.
  7. Grandjean EM, Berthet P, Ruffman R, Leuenberger P. Efficacy of oral long-term N-acetylcysteine in bronchopulmonary disease: a meta-analysis of published double-blind placebo-controlled clinical trials. Clin Ther 2000;22:209-21.
  8. Geijer RMM, van Schayck CP, van Weel C et al. NHG-Standaard: COPD Behandeling. Huisarts Wet 1997;40:430-42. Update 2001.
  9. Chronic obstructive pulmonary disease. National clinical guideline on management of chronic obstructive pulmonary disease in adults in primary and secondary care. Thorax 2004;59(Suppl 1):1-232.

 

 

Noms de marque

N-acétylcystéine: Acetylcysteine®, Acetyphar®, Docacetyl®, Lysomucil®, Lysox®, Mucovics®, Nactop®

N-acétylcystéine pour la BPCO



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