Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement médicamenteux des symptômes neuropsychiatriques de la démence



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 2 Page 23 - 26

Professions de santé


Analyse de
Sink KM, Holden KF, Yaffe K. Pharmacologic treatment of neuropsychiatric symptoms of dementia. A review of the evidence. JAMA 2005;293:596-608.


Question clinique
Quelle est l'efficacité d’un traitement médicamenteux des symptômes neuropsychiatriques de la démence?


Conclusion
La revue Minerva a précédemment conclu à une insuffisance de preuves pour préférer les neuroleptiques atypiques aux neuroleptiques typiques dans le traitement des troubles du comportement des patients déments. Cette synthèse ajoute la question de l'efficacité d’un traitement médicamenteux sur les symptômes neuropsychiatriques chez des patients atteints de démence.


 

Résumé

Contexte

Les symptômes neuropsychiatriques tels que l'agitation, l'agressivité, les idées délirantes, les hallucinations, les cris répétitifs et la déambulation sont fréquents chez les personnes démentes. Ils représentent une lourde charge pour les soignants et conduisent souvent à une institutionnalisation précoce du patient. Même si les interventions non pharmacologiques constituent un premier choix, un recours à un éventail de médicaments pour le traitement des symptômes neuropsychiatriques de la démence est observé.

Méthode

Synthèse de littérature disponible.

Sources consultées 

Medline (1966 à juillet 2004), Cochrane Database of Systematic Reviews et les listes de références des publications pertinentes.

Etudes sélectionnées

Sont incluses les RCTs ou les méta-analyses de RCTs réalisées en double aveugle, contrôlées versus placebo, qui évaluent l'efficacité des médicaments sur les symptômes neuropsychiatriques des patients atteints de démence. Les études concernant des médicaments non disponibles aux Etats-Unis sont exclues. Au total 25 RCTs et 4 méta-analyses sont incluses (voir tableau).

 

Tableau: Aperçu des études disponibles évaluant des neuroleptiques typiques, des neuroleptiques atypiques, des antidépresseurs, des antiépileptiques et des inhibiteurs des cholinestérases dans le traitement des symptômes neuropsychiatriques de la démence.  

 

Nombre d'études

Produits évalués

Durée de l'étude

Neuroleptiques typiques

2 méta-analyses (de 12 RCTs) + 2 RCTs

halopéridol, thioridazine, thiothixène, chlorpro-mazine, trifluopérazine, acétophénazine

17 jours à

16 semaines

Neuroleptiques atypiques

6 RCTs

rispéridone, olanzapine

24 heures à

12 semaines

Antidépresseurs

5 RCTs

sertraline, fluoxétine, citalopram, trazodone

17 jours à

16 semaines

Antiépileptiques

3 RCTs

valproate, carbamazépine

3 à 6 semaines

Inhibiteurs des cholinestérases

2 méta-analyses

+ 6 RCTs

rivastigmine, donépézil, galantamine, métri-fonate, tacrine, velnacrine, physostigmine

6 semaines à

4 années

 

Population étudiée

Les patients souffrant de démence modérée à sévère selon les critères du DSM-IV. Le type de démence est variable: Alzheimer, vasculaire, de type mixte ou démence à corps de Lewy. La plupart des patients sont institutionnalisés.

Méthodologie

La recherche utilise plusieurs critères de jugement évaluant l'effet des médicaments sur les symptômes neuropsychiatriques.

Résultats

Neuroleptiques typiques

Selon les études disponibles, aucune preuve solide n'existe quant à l'efficacité des neuroleptiques typiques comme traitement des symptômes neuropsychiatriques de la démence. Il n'y a pas de différence d'efficacité ni d'effets indésirables (effets extrapyramidaux, sédation) entre les différents neuroleptiques. Les auteurs s’interrogent sur la pertinence de l'effet statistiquement significatif de l'halopéridol sur l'agressivité repris dans une synthèse Cochrane.

Neuroleptiques atypiques 

L'olanzapine (5 à 10 mg/jour) et la rispéridone (1 mg/jour) sont modérément efficaces dans le traitement des symptômes neuropsychiatriques des patients présentant une démence d'Alzheimer ou une démence vasculaire. L'incidence de symptômes extrapyramidaux est faible, mais la sédation reste un problème. Un risque majoré d'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique est montré dans une étude.

Antidépresseurs

A l'exception d'une étude évaluant le citalopram, aucun effet favorable n'est observé sur les symptômes neuropsychiatriques des démences.

Antiépileptiques

Le valproate n'est pas efficace dans le traitement des symptômes neuropsychiatriques de la démence et l'efficacité de la carbamazépine est insuffisamment montrée.

Inhibiteurs des cholinestérases

Quelques études montrent une amélioration statistiquement significative des symptômes neuropsychiatriques, mais la pertinence clinique des résultats est faible.

Autres médicaments

Deux études donnent des résultats contradictoires pour ce qui concerne l'efficacité de la mémantine sur les symptômes neuropsychiatriques. Une RCT ne montre pas d'effet favorable, après 24 heures, d’une injection intramusculaire de lorazépam sur les symptômes neuropsychiatriques.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement des symptômes neuropsychiatriques de la démence par des médicaments est peu efficace. L'efficacité de la rispéridone et de l'olanzapine est la mieux montrée; cependant, non seulement les effets sont faibles, ils sont aussi accompagnés d’un risque majoré d'AVC ischémique.

Financement

National Institute on Aging et Paul Beerson Faculty Scholars in Aging Research (U.S.).

Conflits d'intérêt

Deux auteurs mentionnent des conflits d'intérêt. Un auteur a reçu des bourses de Pfizer et Eli Lilly et est consultant pour Novartis.

 

Discussion

Interprétation des résultats des études

L'interprétation et la comparaison des différentes études sont malaisées en raison de l'hétérogénéité des populations examinées d'une part, et des critères d'évaluation cliniques d'autre part. Les études sont exécutées auprès de patients présentant des stades de sévérité différents des symptômes neuropsychiatriques. Elles ne permettent pas de tirer des conclusions concernant l'efficacité des mesures pharmacologiques chez des patients présentant des symptômes sévères. Différentes échelles de mesure ont été utilisées pour évaluer l'efficacité du traitement instauré; il n'est pas évident d’estimer quels changements sur les échelles utilisées correspondent à une modification clinique pertinente. Les effets favorables des inhibiteurs des cholinestérases, par exemple, peuvent bien être statistiquement significatifs, la question de la pertinence clinique se pose. Les différences dans les scores neuropsychiatriques sont, en effet, faibles. De surcroît, de multiples comparaisons ont été exécutées sur plusieurs sous-échelles, ce qui peut mener à des conclusions erronées (notamment admettre une différence de façon indue). Des critères de jugement cliniques pertinents tels que la nécessité d’institutionnaliser en maison de repos, la qualité de vie, le stress et la dépression chez les soignants ont leur importance dans la discussion concernant l'analyse coût/bénéfice d'une prise en charge pharmacologique des symptômes neuropsychiatriques, mais ces critères n’ont pas été à ce jour publiés. Il faut souligner que de nombreuses études ne mentionnent que timidement les critères d'évaluation primaire négatifs, alors que les critères d'évaluation primaire positifs sont mis en exergue. La plupart des études sont sponsorisées et initiées par des firmes pharmaceutiques. Il faut également noter, dans les études contrôlées versus placebo, une amélioration des symptômes neuropsychiatriques dans le groupe placebo. Des hypothèses d’explication de cette observation sont faites: influences non pharmacologiques telles une attention plus particulière réservée aux patients participant à l'étude ou phénomène de la moyenne est le phénomène observé lors de la multiplication des mesures dans une même population : les mesures répétées tendent vers la moyenne. Ce phénomène est responsable d’une diminution globalement plus importante des scores lorsqu’au départ, ils sont plus élevés.">«régression vers la moyenne» au vu d’une initiation habituelle du traitement médicamenteux lorsque les troubles du comportement sont les plus évidents. Les auteurs font remarquer que peu d'études incluent des patients atteints de démence à corps de Lewy, ce qui implique que les résultats de ces études ne peuvent être extrapolés à ces patients.

Neuroleptiques typiques versus neuroleptiques atypiques

Les auteurs concluent que les preuves actuelles suggèrent que, en cas d'échec des mesures non pharmacologiques, les neuroleptiques atypiques tels que la rispéridone et l'olanzapine sont un premier choix dans le traitement des symptômes neuropsychiatriques chez les personnes démentes. Selon eux, les neuroleptiques typiques ne constituent donc plus un premier choix en raison de leur moindre efficacité et de leurs effets indésirables plus fréquents. Cette position est en contradiction avec une analyse publiée précédemment dans la revue Minerva, pour laquelle l'absence d'arguments scientifiques solides ne permet pas de préférer les neuroleptiques atypiques aux neuroleptiques typiques 1,2. L'olanzapine n'a jamais été comparée à un neuroleptique typique dans cette indication et la rispéridone ne l'a été que dans deux études. Les études contrôlées versus placebo ont de surcroît montré que l'incidence des AVC s'accroît d'un facteur trois chez les patients traités par rispéridone ou olanzapine. Une étude de cohorte rétrospective récente, effectuée chez des personnes démentes, montre également que les neuroleptiques typiques augmentent le risque d'AVC ischémique dans le même ordre de grandeur 3.

Versus autres options médicamenteuses

Une RCT, récemment publiée, compare la quétiapine, un neuroleptique atypique, avec la rivastigmine ou avec un placebo, dans le traitement de l'agitation liée à la démence. Ni la quétiapine, ni la rivastigmine ne sont efficaces, et en comparaison avec le placebo, la quétiapine provoque une régression cognitive plus importante 4. L'effet des inhibiteurs des cholinestérases sur les symptômes neuropsychiatriques est faible et la question d’une pertinence clinique s'impose. Leur bonne tolérance et leur effet bénéfique sur le fonctionnement cognitif constituent, pour les auteurs de cette recherche, des arguments suffisants pour la poursuite actuelle de leur utilisation dans cette indication. La plupart des patients inclus dans ces études présentent cependant des symptômes neuropsychiatriques minimes, de sorte que l'extrapolation aux patients présentant des symptômes sévères n'est pas possible. En ce qui concerne les benzodiazépines, la seule RCT disponible montre un effet favorable sur les symptômes neuropsychiatriques sans majoration significative des effets indésirables. Elles ne sont cependant pas recommandées dans cette indication en raison du risque de dysfonctionnement cognitif accéléré, d'agitation paradoxale et de chutes 5.

Approche non médicamenteuse 

Les auteurs insistent sur l'importance des interventions non pharmacologiques telles que la réorientation dans la réalité ou la musicothérapie pour le traitement des symptômes neuropsychiatriques. L'arrêt des neuroleptiques et des benzodiazépines doit également toujours être envisagé. Des études montrent, en effet, que cet arrêt ne provoque pas de recrudescence des problèmes comportementaux et s'accompagne même d'une amélioration des fonctions cognitive et émotionnelle 6.

 

Conclusion

La revue Minerva a précédemment conclu à une insuffisance de preuves pour préférer les neuroleptiques atypiques aux neuroleptiques typiques dans le traitement des troubles du comportement des patients déments 1. Cette synthèse ajoute la question de l'efficacité d’un traitement médicamenteux sur les symptômes neuropsychiatriques chez des patients atteints de démence.

 

Références

  1. De Paepe P. Les neuroleptiques atypiques ont-ils une place dans le traitement de la démence? MinervaF 2005;4(3):43-5.
  2. Warner J, Butler R, Arya P. Dementia. Clin Evid 2005;13:1230-7.
  3. Gill SS, Rochon PA, Herrmann N et al. Atypical antipsychotic drugs and risk of ischaemic stroke: population based retrospective cohort study. BMJ 2005;330:445-50.
  4. Ballard C, Margallo-Lana M, Juszczak E et al. Quetiapine and rivastigmine and cognitive decline in Alzheimer’s disease: randomised double blind placebo controlled trial. BMJ 2005;330:874-8.
  5. Ancill RJ, Carlyle WW, Liang RA, Holliday SG. Agitation in the demented elderly: a role for benzodiazepines? Int Clin Psychopharmacol 1991;6:141-6.
  6. Roland M. Approches thérapeutiques non médicamenteuses. MinervaF 2002;1(1):9-11.

 

Noms de marque

Acétophénazine: non disponible en Belgique

Carbamazépine: Tégretol®

Chlorpromazine: non disponible en Belgique

Citalopram: Cipramil®

Donépézil: Aricept®

Fluoxétine: Prozac®, Fontex®

Galantamine: Reminyl®

Halopéridol: Haldol®

Métrifonate: non disponible en Belgique

Olanzapine: Zyprexa®

Physostigmine: non disponible en Belgique

Quétiapine: Seroquel®

Rispéridone: Risperdal ®

Rivastigmine: Exelon®

Sertraline: Serlain®

Tacrine: non disponible en Belgique

Thioridazine: Melleril®

Thiothixène: non disponible en Belgique

Trazodone: Trazolan®

Trifluoperazine: non disponible en Belgique

Valproate: Depakine®

Velnacrine: non disponible en Belgique

Traitement médicamenteux des symptômes neuropsychiatriques de la démence

Auteurs

De Paepe P.
Dienst Spoedgevallen, UZ Gent
COI :

Petrovic M.
sectie Geriatrie, vakgroep Inwendige Ziekten en Pedatrie, Universiteit Gent
COI :

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