Revue d'Evidence-Based Medicine



Le millepertuis moins efficace que la paroxétine pour la dépression modérée à sévère?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 2 Page 21 - 23

Professions de santé


Analyse de
Szegedi A, Kohnen R, Dienel A et al. Acute treatment of moderate to severe depression with hypericum extract WS 5570 (St John’s wort): randomised controlled double blind non-inferiority trial versus paroxetine. BMJ 2005;330:503-7.


Question clinique
Le millepertuis est-il moins efficace que la paroxétine chez des adultes présentant une dépression modérée à majeure?


Conclusion
Les auteurs de cette étude comparative effectuée chez des patients présentant une dépression modérée à sévère concluent que le millepertuis n’est pas moins efficace que la paroxétine, et provoque moins d’effets indésirables que celle-ci. Cette étude de non infériorité ne remplit cependant pas toutes les conditions nécessaires au point de vue méthodologie. Nous en concluons donc qu’il n’y a actuellement pas de place pour le millepertuis dans le traitement des formes modérées à sévères de la dépression majeure.


 

Résumé

Contexte

Différentes études ont montré une efficacité du millepertuis (hypericum) chez des adultes présentant une dépression légère à modérée. Une étude effectuée chez des patients atteints d’une dépression modérée à majeure a comparé l’efficacité du millepertuis par rapport à celle de l’imipramine, mais sa puissance était trop faible pour montrer une non infériorité.

Population étudiée

Dans 21 centres psychiatriques de première ligne de soins en Allemagne, des patients âgés de 18 à 70 ans ont été recrutés s’ils présentaient un premier épisode ou une récidive de dépression unipolaire modérée à majeure. Ils présentent un score minimum de 22 au score de dépression d’Hamilton 17 items (HAMD-17) dont au moins 2 points pour l’item «humeur dépressive». Les critères d’exclusion sont: schizophrénie, trouble anxieux aigu, trouble d’adaptation, trouble bipolaire, pathologie mentale organique, syndrome de stress post-traumatique aigu, abus de médicaments, augmentation du risque suicidaire, résistance au traitement, diminution de plus de 25% au score HAMD-17 durant la phase d’inclusion de l’étude. Finalement 251 patients d’un âge moyen de 45 à 49 ans (de 68 à 70% de femmes) sont inclus dans l’étude, présentant de 160 à 127 jours de dépression. Le score d’Hamilton est comparable dans les deux groupes, de 23,1 et de 22,7 de moyenne.

Protocole d’étude

Cette étude randomisée, contrôlée, en double placebo, de non infériorité, répartit ses sujets soit dans un groupe recevant quotidiennement trois doses de 300 mg d’extrait de millepertuis WS (n=125) soit dans un groupe recevant chaque jour 20 mg de paroxétine (n=126). L’extrait de millepertuis utilisé est un extrait hydroalcoolique contenant de manière standardisée de 3 à 6% d’hyperforine et de 0,12 à 0,28% d’hypericine. Les doses peuvent être portées à trois fois 600 mg d’extrait de millepertuis ou 40 mg de paroxétine en cas d’absence de diminution d’au moins 20% observée après deux semaines au score de dépression. Les patients sont revus après une, deux, quatre et six semaines.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la diminution en valeur absolue sur le score Hamilton six semaines après la randomisation. Les critères d’évaluation secondaires sont: le MADRS évalue la gravité de la dépression par le biais d'un entretien semi-structuré à 10 items (score maximal de 60 points).">Montgomery-Åsberg depression rating scale (MADRS), le Clinical Global Impression (CGIS) et le Beck Depression Inventory (BDI). La sécurité et la tolérance sont également évaluées grâce aux notifications spontanées, à un interview semi-structuré, à un examen clinique et à des analyses biologiques. En cas de diminution au score d’Hamilton non inférieure de 2,5 points pour le millepertuis par rapport à la paroxétine, il pouvait être déclaré «non moins efficace» que la paroxétine. Une analyse par protocole est faite tout comme une analyse en intention de traiter.

Résultats

Après deux semaines de traitement, 57% des membres du groupe millepertuis et 48% de ceux du groupe paroxétine prennent des doses doubles. L’observance (nombre de comprimés pris) est de 96% dans le groupe millepertuis et de 98% dans le groupe paroxétine. Après 42 jours, le score d’Hamilton moyen est diminué, dans le groupe millepertuis de 14,4 (ET 8,8) points soit de 57% (ET 34) par rapport à la valeur initiale. Dans le groupe paroxétine la diminution est de 11,4 (ET 8,6) points, soit une diminution de 45% (ET 34) par rapport à la valeur de départ. En analyse par protocole, le seuil de l’intervalle de confiance (à 97,5%) pour la différence entre le millepertuis et la paroxétine n’atteint pas la valeur de -2,5 et est même positif (0,7) pouvant indiquer, pour ce test statistique-ci, une supériorité du millepertuis. Sur les échelles MADRS et BDI, une amélioration pour le millepertuis versus paroxétine est également observée. Pour les deux items du CGIS (amélioration et efficacité du traitement) aucune différence significative n’est observée entre les deux traitements. Une analyse en sous-groupes montre qu’une double dose de millepertuis apporte une diminution plus importante au score d’Hamilton, ce qui n’est pas le cas pour la paroxétine. Dans le groupe millepertuis, 55% des sujets signalent un total de 172 effets indésirables, pour 76% et 269 effets indésirables dans le groupe paroxétine soit un RR de 1,72 avec un IC à 95% de 1,42 à 2,10 en défaveur de la paroxétine. Les principaux sont gastro-intestinaux et neurologiques. Dans le groupe millepertuis, quatre patients ont quitté l’étude pour effets indésirables contre huit dans le groupe paroxétine.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement d’une dépression modérée à sévère par un extrait de millepertuis WS 5570 est au moins aussi efficace et est mieux toléré que la paroxétine.

Financement

Dr Willmar Schwabe Pharmaceuticals, fabricant du WS 5570.

Conflits d’intérêt

Le premier auteur a reçu des dédommagements de Dr Willmar Schwabe Pharmaceuticals pour consultance, le deuxième auteur est à la tête d’un groupe de recherche impliqué dans des études sur le millepertuis pour le compte de différentes firmes pharmaceutiques. Les deux autres auteurs sont des collaborateurs de Dr Willmar Schwabe Pharmaceuticals.

 

Discussion

La méthodologie utilisée

Il est étonnant qu’une étude de non infériorité 1 concernant le millepertuis soit publiée. Différentes études, chaque fois versus placebo, ont été publiées 2; l’étude versus imipramine manquait de puissance 3, et une étude versus sertraline s’est montrée négative 4. Notre étonnement est d’autant plus grand, au vu de la récente remise en question d’une activité absolument supérieure, entre autres des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) par rapport à un placebo 5. Cette étude présente un protocole de non infériorité et doit donc satisfaire aux deux conditions nécessaires 1. Il faut tout d’abord montrer que les deux molécules comparées sont efficaces dans l’indication; ceci n’est certainement pas le cas du millepertuis, dont l’efficacité dans la dépression majeure sévère n’est pas prouvée. La deuxième condition est respectée, une analyse par protocole étant faite au côté de celle en intention de traiter. Enfin, les quatre auteurs sont tous, d’une manière ou d’une autre, liés à la firme livrant le millepertuis, deux auteurs étant même membres de cette firme et toute correspondance devant leur être adressée. Les auteurs admettent d’ailleurs ce fait et mentionnent que «les résultats convaincants de l’extrait de millepertuis WS 5570 dans cette étude nécessitent une confirmation indépendante par une autre étude» 6.

Le contexte

Quelle est la place actuelle du millepertuis dans l’arsenal thérapeutique du médecin? Sur la base de deux synthèses méthodiques, l’efficacité du millepertuis dans les formes légères à modérées de la dépression majeure a été reconnue 2. Dans ces présentations, les alternatives non médicamenteuses sont également efficaces 2. Pour la dépression majeure, une étude manque de puissance 3 et l’étude précitée est méthodologiquement insuffisante. Cette étude montre, par contre, de nombreux effets indésirables avec le millepertuis. Même s’ils le sont moins qu’avec la paroxétine, ils sont fréquents: 55% des patients. Il s’agit le plus souvent de plaintes gastro-intestinales, de céphalées, d’agitation, d’instabilité, de fatigue, de bouche sèche, de photosensibilisation, de pollakiurie, d’anorgasmie, de sudation et d’œdème. Une activité du millepertuis sur le cytochrome P450 est également connue, ce qui peut interférer avec l’activité d’autres médicaments; des interactions sont ainsi décrites avec, entre autres, les contraceptifs, les anticoagulants et certains antiépileptiques. Son utilisation pendant la grossesse ou l’allaitement maternel est déconseillée en l’absence de données de sécurité. La dose la plus adéquate n’est pas déterminée, des différences existant entre les produits et les extraits. Dans l’étude comparative avec l’imipramine, des doses de 1 800 mg par jour (LI 160) ont été utilisées; dans l’étude versus sertraline, des doses de 900 à 1 500 mg par jour (extrait WS 5570). Cette étude utilise 900 mg par jour de l’extrait WS 5570. Il n’y a donc pas de dose ou d’extrait consensuel. Avant de réaliser d’autres études, il est nécessaire d’établir la correspondance et de pouvoir ainsi proposer un produit standardisé 2,7. Nous ne possédons, enfin, que peu ou pas de données quant au risque suicidaire des patients sous millepertuis. A la lumière des débats actuels sur la sécurité des ISRS, ce risque doit aussi être évalué dans les études sur le millepertuis 8,9. Il n’y a pas d’études à long terme, ce que les auteurs réclament également. Pour toutes ces raisons, différents auteurs se demandent s’il est encore permis de laisser le millepertuis en vente libre 2,4,7. Le millepertuis est disponible en tant que supplément alimentaire!

 

Conclusion

Les auteurs de cette étude comparative effectuée chez des patients présentant une dépression modérée à sévère concluent que le millepertuis n’est pas moins efficace que la paroxétine, et provoque moins d’effets indésirables que celle-ci. Cette étude de non infériorité ne remplit cependant pas toutes les conditions nécessaires au point de vue méthodologie. Nous en concluons donc qu’il n’y a actuellement pas de place pour le millepertuis dans le traitement des formes modérées à sévères de la dépression majeure.

 

Références

  1. van Driel M, Chevalier P. Evaluation de nouveaux médicaments: «supérieurs», «équivalents» ou «non inférieurs»? MinervaF 2006;5(1):1.
  2. Butler R, Carney S, Cipriani A et al. Depressive disorders. Clin Evid 2005;13:1238-76.
  3. Vorbach EU, Hübner WD, Arnoldt KH. Effectiveness and tolerance of the hypericum extract LI 160 in comparison with imipramine: randomized double-blind study with 135 outpatients. J Geriatr Psychiatry Neurol 1994;7(suppl 1):S19-23.
  4. De Meyere M. Le millepertuis est-il efficace dans la dépression majeure? MinervaF 2002;1(3):35-6.
  5. Moncrieff J, Kirsch I. Efficacy of antidepressants in adults. BMJ 2005;331:155-7.
  6. Melander H, Ahlqvist-Rastad J, Meijer G, Beermann B. Evidence b(i)ased medicine-selective reporting from studies sponsored by pharmaceutical industry: review of studies in new drug applications. BMJ 2003;326:1171-3.
  7. Prodigy Guidance. Depression.
  8. Fergusson D, Doucette S, Glass KC et al. Association between suicide attempts and selective serotonin reuptake inhibitors: systematic review of randomised controlled trials. BMJ 2005;330:396-9.
  9. Gunnell D, Ashby D. Antidepressants and suicide: what is the balance of benefit and harm? BMJ 2004;329:34-8.

 

Noms de marque

Paroxétine: Aropax®, Merck-paroxetine®, Paroxetine Bexal®, Paroxetine EG®, Paroxetine-Ratiopharm®, Paroxetine Sandoz®, Seroxat®.

Le millepertuis moins efficace que la paroxétine pour la dépression modérée à sévère?



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