Revue d'Evidence-Based Medicine



Valsartan versus amlodipine pour l’hypertension



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 6 - 8

Professions de santé


Analyse de
Julius S, Kjeldsen SE, Weber M et al. Outcomes in hypertensive patients at high cardiovascular risk treated with regimens based on valsartan or amlodipine: the VALUE randomised trial. Lancet 2004;363:2022-31.


Question clinique
Quel est l’effet du valsartan versus amlodipine sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires chez des patients hypertendus à risque cardiovasculaire augmenté?


Conclusion
L’étude VALUE ne montre aucune différence entre valsartan et amlodipine en termes de prévention de la morbidité et de la mortalité cardiaques. L’amlodipine y permet d’atteindre un meilleur contrôle tensionnel et les deux molécules ont autant d’effets indésirables. Ces résultats confortent la recommandation de bonne pratique de la WVVH: de faibles doses de diurétiques thiazidés (et les β-bloquants) restent le premier choix pour le traitement de l’hypertension artérielle non compliquée (et compliquée). Les IEC et les inhibiteurs calciques sont un deuxième choix. Les sartans ne sont indiqués qu’en cas de contre-indication ou d’intolérance aux autres molécules.


 

Résumé

Contexte

Des méta-analyses d’études cliniques 1,2,3 incluant entre autres l’étude ALLHAT 4,5, montrent de manière incontestable que les «nouveaux» traitements de l’hypertension n’apportent pas de plus value par rapport à des (doses faibles de) diurétiques et à des ß-bloquants. L’efficacité relative des sartans versus autres antihypertenseurs sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires doit encore faire l’objet d’études.

Population étudiée

Cette étude inclut des patients âgés de plus de 50 ans présentant une hypertension (traitée ou non) et un risque cardiovasculaire accru suivant un algoritme basé sur les facteurs de risque cardiovasculaires (sexe masculin, > 50 ans, diabète, tabagisme, hypercholestérolémie, hypertrophie ventriculaire gauche, protéinurie, créatininémie élevée, anamnèse de pathologie coronarienne, cérébrovasculaire et/ou artéritique périphérique). Les critères d’exclusion sont: sténose artérielle rénale, infarctus du myocarde aigu, PTCA ou CABG, accident vasculaire cérébral dans les trois mois précédents, affection hépatique ou rénale sévère, insuffisance cardiaque sévère nécessitant un traitement par IEC, monothérapie avec un ß-bloquant aussi bien pour une ischémie coronarienne que pour une hypertension. Finalement, 15 245 patients (58% d’hommes) d’un âge moyen de 67 ans sont inclus. A l’initiation de l’étude, la pression artérielle moyenne est environ de 154,5/87,5 mm Hg, 46% des sujets présentent une ischémie coronarienne et 92% font usage d’un antihypertenseur.

Protocole d’étude

Cette étude d’intervention, randomisée, en double aveugle, multicentrique, répartit ses sujets soit dans un groupe recevant de l’amlodipine (n=7 596), soit dans un groupe recevant du valsartan (n=7 649). Un éventuel traitement antihypertenseur en cours est suspendu et le médicament évalué est graduellement augmenté jusqu’à obtenir des chiffres tensionnels cibles de 140/90 mm Hg. La dose quotidienne médiane dans cette étude est de 152 mg pour le valsartan et de 8,5 mg pour l’amlodipine.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est le délai de survenue d’un événement cardiaque soit mortel (par décès brutal, infarctus du myocarde, durant une revascularisation coronarienne, par insuffisance cardiaque) soit morbide (hospitalisation pour insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde non fatal, interventions d’urgence préventives de l’infarctus du myocarde). Les critères de jugement secondaires sont: infarctus du myocarde fatal ou non, insuffisance cardiaque fatale ou non, AVC fatal ou non, mortalité totale, survenue d’un diabète sucré. Les analyses sont faites en intention de traiter.

Résultats

Les patients sont suivis sur une période moyenne de 4,2 ans, ce qui correspond à un suivi de 63 631 années-patients. Dans les deux bras d’étude, les sorties sont d’environ 25%. Un contrôle tensionnel significativement meilleur est atteint dans le groupe amlodipine: après le premier mois de traitement, la pression systolique est en moyenne de 4 mm Hg inférieure, la pression diastolique de 2,1 mm Hg inférieure (p<0,0001). Une différence respective de 2 et de 1,6 mm Hg persiste après le sixième mois jusqu’à la fin de l’étude (p<0,001). Pour le critère de jugement primaire, aucune différence n’est observée entre les groupes: 10,6% dans le groupe valsartan versus 10,4% dans le groupe amlodipine (HR 1,04; IC à 95% de 0,94 à 1,15; p=0,49). Pour les critères secondaires, un infarctus du myocarde est plus souvent observé dans le groupe valsartan (HR 1,19; IC à 95% de 1,02 à 1,38; p=0,02), mais il n’y a pas de différence en ce qui concerne l’insuffisance cardiaque, l’AVC fatal ou non, l’ensemble des événements cardiovasculaires et la mortalité totale. La survenue de diabète est moindre dans le groupe valsartan: 32,1 cas versus 41,1 par 1 000 années-patients (p<0,0001).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de différence entre les deux traitements en ce qui concerne la mortalité et la morbidité cardiaques. Les quelques différences observées pourraient s’expliquer par la différence dans les chiffres tensionnels.

Financement

Novartis Pharma AG.

Conflits d’intérêt

Cinq auteurs sont des collaborateurs de Novartis; les autres auteurs ont été consultants ou ont reçu des financements de Novartis et d’autres firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est signée et orchestrée par des superspécialistes dans le domaine, et est de qualité quasi irréprochable. Il faut souligner que les sponsors font savoir très ouvertement leur présence dans chacune des phases de l’étude. Ils sont présents, non seulement en tant que membres du comité d’avis et exécutif, mais gèrent également la base de données et les analyses nécessaires pour les calculs. Il n’est donc pas étonnant de trouver cinq collaborateurs directs de Novartis parmi les coauteurs de cette publication. Toutes les conditions pour une RCT sérieuse semblent par ailleurs satisfaites. L’ajout, aux étapes trois et quatre, de 12,5 et 25 mg d’hydrochlorothiazide n’est pas effectué en aveugle, mais étant donné qu’il est semblable dans les deux bras d’étude, c’est de moindre importance. L’absence d’une phase d’inclusion (par ailleurs éthiquement non acceptable) n’a probablement pas exercé d’influence sur les résultats observés initialement dans l’étude. Le taux de sortie d’étude est relativement élevé: 25,5% des patients dans le groupe valsartan et 23,9% de ceux dans le groupe amlodipine ne terminent pas l’étude en fonction du respect du protocole. L’analyse étant effectuée en intention de traiter, ce taux reste acceptable. Les patients sous valsartan prennent leur médicament (dose moyenne de 152 mg par jour) durant une moyenne de 3,6 ans, tout comme les patients sous amlodipine (moyenne de 8,5 mg). Il faut noter que le «groupe critères d’évaluation» a rejeté de nombreuses notifications en les considérant comme erronées: 12% des diagnostics de «décès d’origine cardiaque», 19% des «morbidités cardiaques» et 30% des AVC ont été refusés.

La place des sartans dans l’hypertension

L’efficacité des sartans dans l’hypertension n’a été évaluée que dans des populations électives. L’étude LIFE 6,7 montre, chez des patients hypertendus avec une hypertrophie ventriculaire gauche, un résultat plus favorable pour le losartan versus aténolol en termes de mortalité et de morbidité cardiovasculaires. L’étude SCOPE 8, par contre, ne montre pas, chez 4 964 personnes âgées hypertendues, de bénéfice du candesartan, par rapport à un autre antihypertenseur de libre choix, en ce qui concerne la régression des capacités mentales et la cognition, ni de différence pour ce qui a trait aux critères d’évaluation cardiovasculaires.

La conclusion principale de l’étude VALUE est la reconnaissance du valsartan en tant qu’antihypertenseur à part entière pour des patients présentant une hypertension compliquée, avec une réduction des critères de jugement primaires, mortalité et morbidité cardiovasculaires. D’autre part, la réponse à notre question clinique initiale est claire: remplacer l’amlodipine par du valsartan n’apporte aucun bénéfice au patient. Rappelons-nous aussi que cette étude concerne presque toujours une association de ces produits avec d’autres antihypertenseurs, en premier lieu avec l’hydrochlorothiazide. Les résultats sont donc valides pour ces associations (fixes).

Efficacité sur les chiffres tensionnels

Etonnamment, une dose de 10 mg d’amlodipine semble plus puissante que 160 mg de valsartan pour faire diminuer la pression artérielle, ce qui n’était pas prévu avant l’élaboration de cette étude. Cette observation a suscité des spéculations: les résultats finaux auraient pu être meilleurs en cas de contrôle plus sévère des chiffres tensionnels sous valsartan. La réduction du nombre d’AVC aurait particulièrement pu être sensiblement différente. C’est une des explications possibles de la disparition progressive d’une prévention significativement meilleure des AVCs avec l’amlodipine après un mois: cet avantage s’amenuise au fil de la diminution de la différence pour la tension artérielle systolique, différence qui passe de 3,8 mm Hg à 1,4 mm Hg. Les résultats d’une précédente recherche sont ainsi confirmés9. La prévention de l’AVC est, principalement, dépendante de l’importance de la diminution de la pression artérielle et un effet «spécifique au médicament» est moins important. Ceci est en opposition avec la prévention des affections coronariennes avec des traitements antihypertenseurs. La même réduction de pression artérielle apporte une prévention moins importante au point de vue coronarien qu’au point de vue cérébral ce qui incite à trouver le médicament qui aurait ce «plus» permettant d’améliorer ce résultat. Cet avantage n’a cependant pas encore pu être montré pour une classe médicamenteuse en particulier. Les sartans ne semblent également pas, au vu de cette étude, être le supermédicament espéré pour la prévention coronarienne! Au contraire, dans cette recherche, les patients traités par valsartan ont significativement plus de risque de présenter un infarctus du myocarde que ceux qui sont soignés par amlodipine.

Efficacité sur l’insuffisance cardiaque

Après trois ans de traitement, quand les différences observées entre pressions systoliques et diastoliques sont les plus petites, le valsartan score mieux que l’amlodipine pour la prévention des hospitalisations suite à une insuffisance cardiaque. Même en cas d’une moins bonne atteinte des valeurs cibles de pression artérielle, ce sartan est supérieur à l’inhibiteur calcique dans le traitement de l’hypertension artérielle chez des patients présentant une insuffisance cardiaque sévère. Cette observation rappelle fortement les résultats observés avec les IEC. Dans l’analyse la plus récente de l’étude ALLHAT 10, livrant séparément les résultats pour les sujets de race blanche et noire, un traitement par lisinopril, au contraire d’un traitement par amlodipine, est aussi efficace que la chlorthalidone dans la prévention de l’insuffisance cardiaque. Le valsartan, médicament intervenant également dans le système rénine-angiotensine, devrait présenter les mêmes caractéristiques.

Sartans versus inhibiteurs calciques

Prétendre qu’un sartan possède les mêmes propriétés qu’un IEC, mais sans ses effets indésirables, est-ce exact? En ce qui concerne des propriétés «identiques», les sartans bénéficient du doute, étant donné l’absence d’une comparaison scientifique d’une même efficacité. Pour ce qui a trait aux effets indésirables, cette étude apporte quelques éléments: le valsartan semble avoir autant d’effets indésirables que l’amlodipine, en partie différents. Des vertiges (16,5% des patients), des céphalées (15%), de la fatigue (10%), une diarrhée (9%), des plaintes d’angor (9%) et des syncopes (2%) sont significativement plus fréquents avec le valsartan qu’avec l’amlodipine! La légende d’un médicament «sans effets indésirables» n’est plus de mise!

L’étude VALUE montre une réduction relative de risque de 23% dans la survenue de diabète. Un traitement par thiazidé n’interfère pas avec cette observation, 24% des sujets dans les deux bras prenant ce diurétique. La réduction absolue de risque n’est que de 33%, autrement dit, le NNT est de 30 pour une durée de 4,2 ans. Une réduction semblable du risque de diabète a été observée dans l’étude ALLHAT et, de manière moins importante, dans l’étude ALLHAT II 10, observation également valable pour le lisinopril. Un effet métabolique globalement positif de ces médicaments agissant sur l’axe rénine-angiotensine (sartans comme IEC) est retenu comme hypothèse pour expliquer cette observation.

 

Recommandations pour la pratique

L’étude VALUE ne montre aucune différence entre valsartan et amlodipine en termes de prévention de la morbidité et de la mortalité cardiaques. L’amlodipine y permet d’atteindre un meilleur contrôle tensionnel et les deux molécules ont autant d’effets indésirables.

Ces résultats confortent la recommandation de bonne pratique de la WVVH 11: de faibles doses de diurétiques thiazidés (et les β-bloquants) restent le premier choix pour le traitement de l’hypertension artérielle non compliquée (et compliquée). Les IEC et les inhibiteurs calciques sont un deuxième choix. Les sartans ne sont indiqués qu’en cas de contre-indication ou d’intolérance aux autres molécules.

La rédaction

 

Références

  1. Psaty BM, Lumley T, Furberg CD et al. Health outcomes associated with various antihypertensive therapies used as first-line agents. A network meta-analysis. JAMA 2003;289:2534-43.
  2. De Cort P. Les diurétiques restent un premier choix pour traiter l’hypertension artérielle non compliquée. MinervaF 2004;3(3):47-9.
  3. Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration. Effects of different blood-pressure-lowering regimens on major cardiovascular events: results of prospectively-designed overviews of randomised trials. Lancet 2003;362:1527-35.
  4.   ALLHAT Collaborative Research Group. Major outcomes in high-risk hypertensive patients randomised to angiotensine converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs diuretic. The Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to prevent Heart Attack Trial (ALLHAT). JAMA 2002;288:2981-97.
  5. De Cort P. L’étude ALLHAT: les diurétiques en premier choix pour traiter l’hypertension artérielle. MinervaF 2003;2(5):73-6.
  6. Dahlöf B, Devereux RB, Kjeldsen SE et al. Cardiovascular morbidity and mortality in the Losartan Intervention For Endpoint reduction in hypertension study (LIFE): a randomised trial against atenolol. Lancet 2002;359:995-1003.
  7. De Cort P. Losartan ou aténolol pour l’hypertension: résultats de l’étude LIFE. MinervaF 2003;2(2):20-3.
  8. Lithell H, Hansson L, Skoog I et al. The Study on Cognition and Prognosis in the Elderly (SCOPE): principal results of a randomized double-blind intervention trial. J Hypertens 2003;21:875-86.
  9. Collins R, Peto R, MacMahon S et al. Blood pressure, stroke, and coronary heart disease. Part 2, short-term reductions in blood pressure: overview of randomised drug trials in their epidemiological context. Lancet 1990;335:827-39.
  10. Wright JT Jr, Dunn JK, Cutler JA et al. Outcomes in hypertensive black and nonblack patients treated with chlorthalidone, amlodipine and lisinopril. JAMA 2005;293:1595-1607.
  11. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
 
Valsartan versus amlodipine pour l’hypertension

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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