Revue d'Evidence-Based Medicine



Amiodarone ou défibrillateur interne en cas d’insuffisance cardiaque chronique?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 3 - 6

Professions de santé


Analyse de
Bardy G, Lee K, Mark D et al. Amiodarone or an implantable cardioverter-defibrillator for congestive heart failure: the Sudden cardiac Death in Heart Failure Trial (SCD-HeFT). N Engl J Med 2005;352:225-37.


Question clinique
Quel est l’effet de l’amiodarone ou d’un défibrillateur interne à synchronisation automatique (DISA) versus placebo sur la mortalité de patients présentant une insuffisance cardiaque légère à modérée?


Conclusion
Cette étude montre que l’administration d’amiodarone n’améliore pas la survie de patients présentant une insuffisance cardiaque de classe II ou III et une fraction d’éjection ventriculaire ≤35%. L’amiodarone n’a donc plus sa place dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique légère à modérée. Les défibrillateurs internes à synchronisation automatiques (DISAs) peuvent réduire la mortalité pour cette catégorie de patients mais la détermination du type de patient tirant un intérêt maximal de ce traitement par rapport à son coût le plus favorable doit encore faire l’objet d’études.


 

Résumé

Contexte

Les patients qui présentent une insuffisance cardiaque chronique ont un mauvais pronostic. La principale cause de décès est, dans ce cas, la mort subite. L’effet de l’amiodarone et des DISA sur la mortalité a principalement été étudié chez des patients après un infarctus du myocarde mais sans insuffisance cardiaque.

Population étudiée

Sont inclus, des patients âgés de plus de 18 ans, présentant une insuffisance cardiaque légère à modérément sévère (classes NYHA II et III) suite à une cardiopathie ischémique ou non et avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) ≤ 35%. La population d’étude compte 2 521 patients d’un âge moyen de 60 ans, dont 77% d’hommes. A l’initiation de l’étude, la FEVG médiane est de 25%, 70% des patients sont classés NYHA II et 30% NYHA III, une cardiopathie ischémique est à la base de l’insuffisance cardiaque dans 52% des cas. Quasi tous les patients reçoivent le traitement de référence en cas d’insuffisance cardiaque chronique: 97% sont sous IEC ou inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine II et 69% sous β-bloquant.

Protocole d’étude

Cette étude randomisée, contrôlée, répartit ses patients dans trois bras. Dans les deux premiers, les sujets sont traités en double aveugle par amiodarone (n=845) ou par placebo (n=847). La dose moyenne d’amiodarone atteint 300 mg en cours d’étude. Dans le troisième groupe, un DISA à une chambre est implanté en ambulatoire. Les patients sont suivis trimestriellement, en alternance lors d’une visite médicale et d’un contact téléphonique.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la mortalité globale. L’effet de l’amiodarone est comparé versus placebo et celui de DISA versus placebo, en analyse en intention de traiter.

Résultats

Sur une période médiane de suivi de 46 mois, 29%, 28% et 22% des personnes décèdent, respectivement dans les groupes placebo, amiodarone et DISA. Par rapport au groupe placebo, le risque de décès est similaire dans le groupe amiodarone (HR 1,06; IC à 97,5% de 0,86 à 1,30; p=0,53) et diminue de 23% dans le groupe DISA (HR 0,77; IC à 97,5% de 0,62 à 0,96; p=0,007). Après quatre ans, la réduction de risque absolue est de 7% dans le groupe DISA versus groupe placebo, avec un NNT = 1/RAR *100.">NST de 14.

Il n’y a pas de lien entre la cause de l’insuffisance cardiaque (ischémique ou non) et l’effet de l’amiodarone ou du DISA versus placebo. L’effet des deux traitements est cependant dépendant de la classe NYHA d’insuffisance cardiaque: les patients de classe NYHA III traités par amiodarone ont, versus placebo, un risque accru de décès (HR 1,44; IC à 97,5 de 1,05 à 1,97). Dans le groupe DISA, la réduction de la mortalité versus placebo n’est significative que pour les patients avec une classe NYHA II (HR 0,54; IC à 97,5% de 0,40 à 0,74) et non pour les sujets présentant une classe NYHA III (HR 1,16; IC à 97,5 de 0,84 à 1,61).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, chez des patients présentant une insuffisance cardiaque légère à modérément sévère et une FEVG ≤ 35%, l’implantation d’un DISA réduit la mortalité de 23%, tandis que l’administration d’amiodarone ne montre pas d’effet sur la mortalité.

Financement

National Heart Lung and Blood Institute, National Institutes of Health, Medtronic, Wyeth-Ayerst Laboratories et Knoll Pharmaceuticals.

Conflits d’intérêts

Différents auteurs ont reçu des fonds de recherches ou ont été sollicités comme orateurs ou consultants par Medtronic, Wyeth-Ayerst Laboratories, Guidant et/ou St. Jude Medical.

Discussion

Plus de place pour l’amiodarone?

L’effet de l’amiodarone sur la mortalité totale de patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique est controversé. Deux grandes études randomisées, datant d’une époque précédant l’utilisation courante de β-bloquants, montrent des résultats contradictoires 1. En tenant également compte des effets indésirables possibles, il n’y plus guère de place pour une utilisation préventive de l’amiodarone, cette étude SCD-HeFT ne montrant aucune différence entre traitement amiodarone et placebo. Son utilisation dans le traitement des arythmies symptomatiques supraventriculaires et ventriculaires reste de mise 2.

Un DISA pour tous les patients en insuffisance cardiaque?

Depuis la publication de la première étude en prévention3, l’effet du DISA a été évalué dans des populations de plus en plus larges. Initialement, seuls des patients à haut risque, avec des cardiopathies ischémiques et des arythmies ventriculaires étaient inclus; L’étude SCD-HeFT inclut des patients avec insuffisance cardiaque chronique, quelle que soit la cardiopathie sous-jacente et sans facteur de risque additionnel de mort subite. Au vu de la réduction de risque significative montrée versus placebo, nous pourrions conclure qu’une implantation d’un DISA pourrait être justifiée chez tout patient présentant une insuffisance cardiaque de classe II ou III et une FEVG £ 35%. Les conséquences pratiques et financières d’une telle conclusion, liées à la constatation d’un nombre limité (21%) de patients sous DISA et ayant bénéficié d’un choc «nécessaire» dans le suivi de cette étude SCD-HeFT, nous incitent à demeurer critiques dans l’indication de traitement.

Sécurité

Depuis que les DISAs ne sont plus mis en place lors d’une thoracotomie mais par voie intraveineuse, la mortalité périopératoire est descendue à moins d’un pourcent4. Les complications inhérentes à la mise en place de tout pacemaker (pneumothorax, perforation myocardique, déplacement ou infection de l’électrode ou de la batterie, thrombose veineuse,…) et les cas de dysfonction du DISA sont heureusement très rares 4,5. Aux côtés des conséquences psychologiques difficilement évaluables des chocs «appropriés», existe le problème des chocs «non appropriés». Il s’agit, entre autres, des chocs délivrés pour une tachycardie supraventriculaire non dangereuse considérée à tort par l’appareil comme une arythmie ventriculaire. Le risque de ces chocs inappropriés est plus important en cas d’utilisation d’un DISA canal unique. L’incidence exacte des chocs non appropriés dans l’étude SCD-HeFT n’est pas mentionnée. Seule figure la mention de 68% de chocs nécessaires pour les 259 patients ayant reçu un choc (défini comme un choc visant à arrêter une tachycardie ou une fibrillation ventriculaire). Une crainte d’un problème d’insuffisance cardiaque accrue est soulevée, l’étude MADIT II ayant montré une incidence plus importante d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque dans son groupe DISA 6. Ce problème pourrait être expliqué par le remplacement du rythme sinusal propre et lent du patient par un rythme ventriculaire moins physiologique entraîné par le DISA. Dans l’étude SCD-HeFT, les auteurs ont tenté de remédier à cette faille en plaçant le seuil de stimulation ventriculaire à 34 battements à la minute. Enfin, après plusieurs années, il existe un risque non négligeable (d’environ 10%) de défectuosité des électrodes; la pile comme les électrodes doivent donc être changées 7.

Le tarif?

Dans un article récent, Sanders calcule le rapport coût/efficacité de l’implantation d’un DISA, à partir de huit études d’intervention publiées 8. Le surcoût d’un traitement avec DISA varie entre 56 000 et 102 000$. En fonction d’une réduction relative de la mortalité d’environ 30% dans la majorité des études, le prix par année de vie gagnée est principalement déterminé par la mortalité dans le groupe contrôle. Pour les études incluant principalement des patients à haut risque telles les études MADIT I et MUST), le surcoût par année de vie gagnée est estimé à environ 25 000$. Dans l’étude SCD-HeFT, le risque de décès dans le groupe contrôle est moins important et le prix par année gagnée grimpe à 51 000$. Malgré que ces montants soient inférieurs à la barre magique de 100 000$ par année de vie gagnée (le prix d’un an d’hémodialyse), nous devons cependant recourir sélectivement à ce traitement onéreux.

Qui exclure?

Deux études ont récemment montré chez quels patients la mise en place d’un DISA n’était pas bénéfique 9,10. L’étude CABG-PATCH (n=900) ne montre pas de différence de mortalité entre les patients présentant une FEVG £ 35% et subissant un pontage au cours duquel un DISA était ou non implanté9. L’étude DINAMIT, incluant 674 patients ayant récemment (jusqu’à 40 jours) présenté un infarctus, ne montre pas de différence de survie en cas d’implantation ou non d’un DISA10. Dans l’étude SCD-HeFT également, la mortalité n’est pas significativement diminuée dans le sous-groupe de classe III d’insuffisance cardiaque en cas de mise en place d’un DISA. Pour les patients de classe NYHA IV aucune preuve clinique d’un intérêt d’un DISA n’est montré. Malgré qu’ils présentent le pronostic de loin le plus sévère, le risque d’un décès à court terme des suites d’une insuffisance cardiaque progressive est tellement important que le bénéfice d’une implantation est probablement des plus limités et en tout cas seulement temporaire.

Qui inclure?

Le patient idéal est celui qui présente, en dehors d’un risque très élevé de décès brutal, un bon pronostic. L’art consiste à identifier ce type de patient parmi le groupe important de sujets avec une fonction ventriculaire gauche systolique diminuée (FEVG £ 35%) et une insuffisance cardiaque symptomatique (classes NYHA II et III). Une mise en commun et une analyse des données des différentes études et de leurs enregistrements pourra, sans doute, nous indiquer quels paramètres (étiologie de l’insuffisance cardiaque, durée du QRS, FEVG) peuvent le mieux nous guider dans ce choix 11. Les DISAs sont d’un apport important dans le traitement de patients atteints d’insuffisance cardiaque. La difficulté est de prédire qui tirera le meilleur parti de ce traitement onéreux qui a incontestablement un certain nombre d’effets indésirables. Il reste donc indispensable, pour poser l’indication individuelle, de le faire en concertation entre spécialiste de l’insuffisance cardiaque et électrophysiologiste 12.

 

Conclusions

Cette étude montre que l’administration d’amiodarone n’améliore pas la survie de patients présentant une insuffisance cardiaque de classe II ou III et une fraction d’éjection ventriculaire ≤35%. L’amiodarone n’a donc plus sa place dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique légère à modérée. Les défibrillateurs internes à synchronisation automatiques (DISAs) peuvent réduire la mortalité pour cette catégorie de patients mais la détermination du type de patient tirant un intérêt maximal de ce traitement par rapport à son coût le plus favorable doit encore faire l’objet d’études.

 

Références

  1. Amiodarone Trials Meta-analysis Investigators. Effect of prophylactic amiodarone on mortality after acute myocardial infarction and in congestive heart failure: meta-analysis of individual data from 6.500 patients in randomised trials. Lancet 1997;350:1417-24.
  2. Swedberg K, Cleland J, Dargie H et al. Guidelines for the diagnosis and treatment of chronic heart failure: executive summary (update 2005): The task force for the Diagnosis and Treatment of chronic heart failure of the European Society of cardiology. Eur Heart J 2005;26:1115-40.
  3. Ezekowitz JA, Armstrong PW, McAlister FA. Implantable cardioverter defibrillators in primary and secondary prevention: a systematic review of randomized, controlled trials. Ann Intern Med 2003;138:445-52.
  4. Glikson M, Friedman PA. The implantable cardioverter defibrillator. Lancet 2001;357:1107-17.
  5. Maisel WH. Safety issues involving medical devices: implications of recent implantable cardioverter-defibrillator malfunctions. JAMA 2005;294:955-8.
  6. Moss AJ, Zareba W, Hall WJ et al. Prophylactic implantation of a defibrillator in patients with myocardial infarction and reduced ejection fraction. N Engl J Med 2002;346:877-83.
  7. Kutalek SP. Pacemaker and defibrillator lead extraction. Curr Opin Cardiol 2003;19:19-22.
  8. Sanders GD, Hlatky MA, Owens DK. Cost-effectiveness of implantable cardioverter-defibrillators. N Engl J Med 2005;353:1471-80.
  9. Bigger JT Jr, for the Coronary artery bypass graft (CABG) Patch Trial Investigators. Prophylactic use of implanted cardiac defibrillators in patients at high risk for ventricular arrhythmias after coronary-artery bypass graft surgery. N Engl J Med 1997;337:1569-75.
  10. Hohnloser SH, Kuck KH, Dorian P et al. Prophylactic use of an implantable cardioverter-defibrillator after acute myocardial infarction. N Engl J Med 2004;351:2481-8.
  11. McClellan MB, Tunis SR. Medical coverage of DISAs. N Engl J Med 2005;352:222-4.
  12. Gehi A, Haas D, Fuster V. Primary prophylaxis with the implantable cardioverter-defibrillator: the need for improved risk stratification. JAMA 2005;294:958-60.
 
Amiodarone ou défibrillateur interne en cas d’insuffisance cardiaque chronique?

Auteurs

Van Cleemput J.
Dienst Cardiologie, UZ Gasthuisberg, Leuven
COI :

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