Revue d'Evidence-Based Medicine



Chirurgie de l’obésité: dix ans de suivi



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 10 Page 150 - 152

Professions de santé


Analyse de
Sjöström L, Lindroos A, Peltonen M et al. Lifestyle, diabetes, and cardiovascular risk factors 10 years after bariatric surgery. N Engl J Med 2004;351:2683-93.


Question clinique
Quelles modifications des facteurs de risque cardiovasculaires peut-on constater lors d'un suivi de deux et de dix ans d'une population de patients obèses traités soit par intervention chirurgicale, soit de façon conventionnelle? Les deux groupes diffèrent-ils en ce qui concerne l'apport calorique et les activités physiques?


Conclusion
Cette étude montre que les différentes formes de chirurgie de l'obésité, après un suivi de dix ans et versus traitement conventionnel, ont un effet positif sur la réduction du poids et de la comorbidité. Une réduction de poids, un effet positif sur les facteurs de risque et sur l'amélioration de la comorbidité (surtout du diabète) sont montrés de façon significative après dix ans de suivi, quoique moindres qu'après deux ans de suivi. Comme les données concernant le critère de jugement primaire, la mortalité, et les effets indésirables à long terme font défaut, des recommandations pour la pratique ne peuvent pas encore être formulées. Les recherches doivent être poursuivies pour définir les critères précis de sélection pour la chirurgie de l'obésité, afin d'optimiser l'obtention de résultats durables après cette chirurgie.


 

Résumé

Contexte

La perte de poids chez des patients obèses procure à court terme une amélioration des facteurs de risque cardiovasculaires et métaboliques. L'éventuelle persistance de ces effets à plus long terme reste non connue. Certaines études d'observation ont montré une mortalité accrue (cardiovasculaire ou non) en association avec la perte de poids.

Population étudiée

Au sein d'un groupe initial de 8 966 personnes ayant marqué leur intérêt lors d'un recrutement via une campagne médiatique, 4 047 patients obèses sont sélectionnés. Les patients doivent être âgés de 37 à 60 ans et avoir un indice de masse corporelle (IMC) minimal de 34 pour les hommes et de 38 pour les femmes. Les critères d'exclusion sont réduits au minimum et uniquement destinés à ne pas incorporer des sujets qui ne toléreraient pas une intervention chirurgicale. Même les patients ayant présenté un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral (AVC) il y a plus de six mois sont inclus. Un suivi sur une durée de deux ans a été possible pour 1 845 patients opérés et 1 660 patients contrôles et sur une durée de dix ans pour 641 patients opérés et 627 patients contrôles. L'âge moyen est d'environ 48 ans, près de 31% sont des hommes et l'IMC moyen est de 41. Le poids dans le groupe opéré se situe 3 kg plus haut (119 kg versus 116 kg; p<0,001). Davantage de fumeurs parmi les opérés (25,4% versus 19,5%; p<0,05). La répartition pour les caractéristiques sexe, taille, pression artérielle, glycémie, valeurs lipidiques et acide urique est semblable dans les deux groupes.

Protocole d'étude

L'étude SOS (Swedish Obese Subjects) est une étude d'intervention prospective, non randomisée chez des patients obèses. Chaque patient opéré est apparié à un patient obèse traité de façon conventionnelle. Dix-huit variables de base différentes sont prises en considération. Tant le patient que le chirurgien doivent marquer leur accord pour l'opération. Les interventions chirurgicales suivantes sont pratiquées: anneaux gastriques fixes ou réglables, gastroplastie verticale ou by pass de l'estomac. Le traitement conventionnel varie de modifications sophistiquées des habitudes de vie (non détaillées) à absence de thérapie; il est dépendant du centre participant à l'étude. Le suivi dans les deux groupes débute au moment de l'opération. Les contrôles ont lieu six mois et un, deux, trois, quatre, six, huit et dix ans après l'inclusion.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire de l'ensemble de l'étude SOS est la mortalité. Les critères d'évaluation secondaires sont mentionnés dans cet article: modification du poids corporel, facteurs de risque, apport calorique et activité physique. L'évolution des facteurs de risque a, à chaque fois, été comparée entre les groupes à deux ans et dix ans, aussi bien pour les patients avec présence ou qu’avec absence de facteurs de risque au début de l'étude.

Résultats

Aucun résultat n'est fourni pour ce qui concerne le critère de jugement primaire, la mortalité. Après deux ans, une réduction pondérale de 23,4% est observée dans le groupe opéré versus une prise de poids de 0,1% dans le groupe traitement conventionnel (p<0,001). Après dix ans, la perte de poids est de 16,1% dans le groupe opéré versus prise de poids de 1,6% dans le groupe contrôle (p<0,001). La réduction pondérale est la plus importante après une opération de by pass (-25 ±11% versus -13,2 ±13% pour les opérations avec mise en place d'un anneau). Après dix ans, les incidences de diabète, d'hypertriglycéridémie et d'hyperuricémie sont plus favorables pour les opérés. Les incidences de HDL-cholestérolémie, d'hypertension et d'hypercholestérolémie ne sont pas significativement différentes entre les deux groupes. Des résultats plus favorables pour un diabète, une hypertriglycéridémie, des valeurs basses de HDL-cholestérol, une hypertension et une hyperuricémie sont significativement plus souvent obtenus dans le groupe opéré (voir tableau). L'ingestion calorique moyenne est plus faible (différence de 11,6%; IC à 95% de 8,1 à 15,0) et le nombre de participants physiquement actifs est plus élevé dans le groupe intervention durant toute la période de suivi. Cinq des 2 010 personnes opérées meurent de complications peu après l'opération et 13% présentent des complications postopératoires (saignement, thrombo-embolie, infection de plaie ou infection profonde, complications pulmonaires). Une reprise chirurgicale est nécessaire chez 2,2% des opérés.

Tableau: Incidence et amélioration de la comorbidité après 10 ans de suivi (OR avec IC à 95%).

Comorbidité  

Nouveaux cas

Amélioration

Diabète

0,25 (0,17-0,38)

3,45 (1,64-7,28)

Hypertension

0,75 (0,52-1,08)

1,68 (1,09-2,58)

Hyperuricémie

0,49 (0,34-0,71)

2,37 (1,61-3,47)

Hypertriglycéridémie

0,61 (0,39-0,95)

2,57 (1,85-3,57)

HDL-cholestérol bas

0,57 (0,29-1,15)

2,35 (1,44-3,84)

Hypercholestérolémie

1,16 (0,69-1,95)

1,30 (0,92-1,83)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, versus prise en charge traditionnelle, la chirurgie de l'obésité est une option valable de traitement de l'obésité sévère, qui entraîne une réduction de poids à long terme, une amélioration du mode de vie et des facteurs de risque à l'exception de l'hypercholestérolémie.

Conflits d'intérêt

Un auteur possède des actions d'Astra Zeneca.

Financement

Swedish Medical Research Council et des bourses provenant de Hoffmann-La Roche et Bristol-Meyers Squibb.

 

Discussion

Points forts et points faibles

Cette recherche est une étude d'intervention contrôlée, sans randomisation ni mise en aveugle, conditions difficilement applicables en raison de considérations pratiques et éthiques. Les patients obèses retenus pour participer à l'étude déterminent eux-mêmes s'ils souhaitent une opération, mais c'est le chirurgien qui prend finalement la décision de l'opération et de la technique opératoire. Les critères qui déterminent ce choix ne sont pas mentionnés. L'avantage de cette façon de procéder est qu'elle reflète bien la réalité; l'inconvénient est qu'un biais de sélection peut favoriser de meilleurs résultats en cas d'interventions chirurgicales. Pour pallier cet inconvénient, les auteurs ont opté pour le maintien dans le groupe contrôle des patients qui, dans le décours du suivi, ont quand même été opérés (34/627). Cette étude souffre également d'hétérogénéité, tant dans le groupe intervention chirurgicale que dans celui d'une intervention non chirurgicale. Les techniques chirurgicales comportent des mises en place d'anneaux, une gastroplastie verticale ou des opérations de by pass plus invasives. De plus, les techniques opératoires ont évolué au cours de ce suivi de dix années. Le groupe contrôle est soumis à des accompagnements non spécifiés, des régimes ou une absence de traitement. Des valeurs initiales différentes d'IMC sont utilisées pour les hommes (>34) et pour les femmes (>38); la raison de cette discrimination n'est pas précisée. Il faut noter que le groupe intervention contient significativement plus de fumeurs, élément dont il n'a pas été tenu compte dans le calcul de la réduction de poids. Cette absence de correction peut avoir augmenté l'effet de l'intervention.

Effet sur la mortalité?

Les auteurs mentionnent la mortalité comme étant le critère de jugement primaire, mais ne rapportent aucun chiffre, promettant de le faire ultérieurement. C'est sans doute en rapport avec le fait que la puissance initialement prévue n'a pu être atteinte. Au lieu de 2 000 participants dans chaque bras d'étude, ne subsistent, après dix ans, que 641 participants dans le groupe intervention et 627 dans le groupe contrôle. En raison de l'âge relativement jeune (<50 ans), la mortalité est très faible et seule la mortalité postopératoire est en défaveur de l'intervention. D'autres études ont cependant pu montrer une réduction de la mortalité: 5,5% de réduction absolue du risque après cinq années de suivi du groupe opéré 1.

Les effets indésirables, à moyen et long termes, liés au type d'intervention choisie (tels que la malabsorption d'éléments nutritifs essentiels après opération de by pass gastrique), ne sont pas mentionnés. Pas de mention non plus, à ces termes, de modification de la qualité de vie, pourtant abordée dans un rapport antérieur de l'étude SOS 2. Après deux ans de suivi, la qualité de vie est nettement améliorée, indépendamment de la mesure utilisée et proportionnellement à la perte de poids.

Un point particulièrement important de cette étude est le suivi à dix ans. Après une perte de poids spectaculaire durant la première année après la chirurgie, une reprise de poids progressive est observée durant les années suivantes, mais, après dix ans, la différence reste substantielle entre les groupes prise en charge chirurgicale et conventionnelle. Néanmoins, un certain nombre de patients ont perdu moins de 5% de leur poids initial dix ans après l'opération: 8,8% pour les opérations de by pass gastrique, 13,8% pour les gastroplasties verticales et 25% pour les opérations de mise en place d'un anneau gastrique, versus 72,7% chez les non opérés. Chez les non opérés, après dix ans, 3,8% atteignent une réduction pondérale de 20%, comparés à 73,5% pour les opérés par by pass gastrique, 35,2% pour les gastroplasties verticales et 27,6% pour les opérations par mise en place d'un anneau gastrique.

Effet sur la comorbidité

Les effets sur les affections telles que le diabète et l'hypertension sont confirmés par d'autres études 1,3, qui mentionnent également un effet favorable sur les apnées obstructives du sommeil et sur l'arthrose (surtout des genoux et des hanches). Ce sont surtout les effets sur la prévention et l'amélioration du diabète qui sont spectaculaires 4. Le diabète disparaît complètement après chirurgie de l'obésité chez les trois quarts des patients diabétiques obèses. L'effet est maximal pour les opérations de by pass qui provoquent la malabsorption1. Le choix d'une thérapie élégante et adéquate pour l'obésité morbide reste difficile: les traitements conventionnels (médicaments, régimes ou modifications de style de vie) n'ont pas montré d'efficacité à long terme 5 et la chirurgie semble être une option valable à envisager lorsque l'IMC se situe au-dessus de 40 ou au-dessus de 35 en présence de comorbidité 6. Les opérations de by pass sont plus efficaces que les anneaux gastriques, mais s'accompagnent de davantage de complications et de problèmes nutritionnels. Les interventions de pose d'anneau gastrique sont réversibles et adaptables en post opératoire, mais sont moins efficaces, entraînent plus de réinterventions et sont onéreuses 7,8.

 

Conclusions

Cette étude montre que les différentes formes de chirurgie de l'obésité, après un suivi de dix ans et versus traitement conventionnel, ont un effet positif sur la réduction du poids et de la comorbidité. Une réduction de poids, un effet positif sur les facteurs de risque et sur l'amélioration de la comorbidité (surtout du diabète) sont montrés de façon significative après dix ans de suivi, quoique moindres qu'après deux ans de suivi. Comme les données concernant le critère de jugement primaire, la mortalité, et les effets indésirables à long terme font défaut, des recommandations pour la pratique ne peuvent pas encore être formulées. Les recherches doivent être poursuivies pour définir les critères précis de sélection pour la chirurgie de l'obésité, afin d'optimiser l'obtention de résultats durables après cette chirurgie.

 

Références

  1. Buchwald H, Avidor Y, Braunwald E et al. Bariatric surgery: A systematic review and meta-analysis. JAMA 2004;292:1724-37.
  2. Torgerson JS, Sjostrom L. The Swedish Obese Subjects (SOS) study - rationale and results. Int J Obes Relat Metab Disord 2001;25(Suppl 1):S2-S4.
  3. Sheperd TM. Management of morbid obesity: Bariatric surgery in context. J Fam Pract 2005;54(Suppl):3-9.
  4. Colquitt J, Clegg A, Loveman E, Royle P, Sidhu MK. Surgery for morbid obesity. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 4.
  5. Arterburn D, DeLaet D, Flum D. Obesity. Clin Evid 2005;13:707-25.
  6. Dillon A. Guidance on the use of surgery to aid weight reduction for people with morbid obesity. NICE Technology Appraisal Guidance 2002;46:1-24.
  7. Buchwald H. Management of morbid obesity: Surgical options. J Fam Pract 2005;54(Suppl):S10-S17.
  8. Michiels B, Vermeire E, Peeters M. Chirurgie de l’obésité. MinervaF 2004;3(7):109-12.
 
Chirurgie de l’obésité: dix ans de suivi

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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