Revue d'Evidence-Based Medicine



Substitution hormonale: non efficace sur l’incontinence urinaire?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 8 Page 120 - 122

Professions de santé


Analyse de
Hendrix S, Cochrane B, Nygaard I et al. Effects of estrogen with and without progestin on urinary incontinence. JAMA 2005;293:935-48.


Question clinique
Quel est l’effet d’un traitement hormonal substitutif (estrogène seul ou associé à un progestagène) sur l’incidence d’une incontinence urinaire et sur la sévérité d’une incontinence préexistante?


Conclusion
Cette étude sur une population importante montre une aggravation d’une incontinence existante et la survenue plus fréquente d’une incontinence urinaire chez des femmes ménopausées prenant un traitement hormonal substitutif (estrogènes conjugués équins seuls ou associés à de la médroxyprogestérone). Une efficacité éventuelle d’autres estrogènes, par voie systémique ou autre, dans des types d’incontinence bien précisés par examen urodynamique reste à étudier.


 

Résumé

Contexte

Les RCTs évaluant l’efficacité des estrogènes dans le traitement de l’incontinence urinaire donnent des résultats contradictoires, surtout en ce qui concerne l’incontinence d’effort. Les dernières recommandations officielles 1 ne se prononcent pas clairement sur la place de ce traitement dans la stratégie de la prise en charge de l’incontinence urinaire, mais plusieurs présentations de ces molécules possèdent l’indication incontinence urinaire dans leur notice (mais non les estrogènes conjugués équins) et sont utilisées dans cette indication en Belgique.

Population étudiée

Les 27 347 femmes en post ménopause enrôlées dans l’étude Women’s Health Initiative (WHI) 2 ont été recrutées, par annonce dans les media et envoi postal, dans 40 centres cliniques américains si elles avaient entre 50 et 79 ans. Cette étude se limite aux femmes pour lesquelles des données initiales et à un an sont disponibles en ce qui concernent leurs symptômes urinaires (23 296 soit 93,6%). Etaient exclues, les femmes présentant un cancer du sein, un autre cancer invasif dans les 10 dernières années, une thrombo-embolie veineuse, une hypertriglycéridémie, une maladie potentiellement mortelle dans les 3 ans, opposées à une randomisation ou à la prise d’un placebo, présentant des symptômes sévères de ménopause à la fin de la période initiale de wash out de 3 mois. Parmi les femmes incluses, un tiers est âgé de 50 à 60 ans, 45% ont entre 60 et 69 ans, 85% sont de race blanche, un tiers présente un IMC normal et 50% n’ont jamais fumé. Un tiers des femmes ne présente pas de plaintes urinaires initiales, 26,7% manifestent une incontinence d’effort, 22,5% une incontinence urinaire d’urgence et 15% une incontinence mixte. Trois quarts des patientes n’ont jamais pris de substitution hormonale.

Protocole d’étude

Les femmes ont été réparties, suivant qu’elles avaient ou non subi une hystérectomie, dans deux études en double aveugle différentes. Dans l’étude Estrogène + Progestagène (n=16 608), elles reçoivent soit 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins et 2,5 mg de médroxyprogestérone (n=8 506) soit un placebo (n= 8 102). Dans l’étude Estrogène seul (n=10 739), elles reçoivent soit 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins (n=5 310) soit un placebo (n=5 429). Une récolte des résultats est faite à un an pour l’ensemble des participantes et à trois ans pour un échantillon de 8,6% d’entre elles. L’incontinence urinaire est établie sur questionnaire. Des scores de fréquence, d’abondance de l’incontinence, de son retentissement sur les activités de la vie quotidienne, sont également complétés. Une régression logistique suivant le type d’incontinence et d’autres caractéristiques (dont l’âge, l’existence de certaines pathologies, l’utilisation de certains médicaments) était protocolée dès le départ.

Mesure des résultats

Les critères de jugement sont l’incidence à un an de nouvelle incontinence urinaire et la sévérité de l’incontinence urinaire à un an pour les femmes en présentant une au départ. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Pour les femmes ne présentant pas d’incontinence urinaire initiale, le traitement hormonal substitutif augmente le risque d’incidence d’incontinence urinaire à un an pour l’ensemble des incontinences et pour ses différents types sauf le traitement combiné sur l’incontinence d’urgence (voir tableau 1). Pour les femmes présentant une incontinence initiale, la fréquence de celle-ci augmente quel que soit le traitement (voir tableau 2). A trois ans de traitement, l’incontinence présente à un an persiste dans la majorité des cas (environ 70%) et de nouvelles incontinences sont observées (avec différence significative versus placebo uniquement pour le traitement combiné).

 

Tableau 1: Risque Relatif (avec IC à 95%), versus placebo, d’incidence d’incontinence à un an suivant le traitement hormonal substitutif (Estrogène + Progestagène ou Estrogène seul) suivant le type d’incontinence.

Type d’incontinence

E + P

E seul

effort

1,87 (1,61 - 2,18)

2,15 (1,77 - 2,62)

urgence

1,15 (0,99 - 1,34)

1,32 (1,10 - 1,58)

mixte

1,49 (1,10 - 2,01)

1,79 (1,26 - 2,53)

 

Tableau 2: Risque Relatif (avec IC à 95%), versus placebo, d’évolution à un an des caractéristiques de l’incontinence urinaire initiale suivant le traitement hormonal substitutif (Estrogène + Progestagène ou Estrogène seul).

Caractéristique de l’incontinence

E + P

E seul

abondance

1,20 (1,06 - 1,36)

1,59 (1,39 - 1,82)

fréquence

1,38 (1,28 - 1,49)

1,47 (1,35 - 1,61)

retentissement

1,18 (1,06 - 1,32)

1,29 (1,15 - 1,45)

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement hormonal substitutif avec estrogène seul ou combiné (estrogène plus progestagène) augmente le risque de survenue d’incontinence et aggrave une incontinence urinaire initiale à un an de traitement. Ils recommandent de ne pas prescrire d’estrogènes conjugués équins associés ou non à un progestagène pour la prévention ou le traitement d’une incontinence urinaire.

Financement

The National Heart, Lung, and Blood Institute, qui est intervenu à tous les stades de l’étude. La firme Wyeth- Ayerst a fourni les médicaments de l’étude mais n’est aucunement impliquée dans celle-ci.

Conflits d’intérêt

S. Hendrix déclare avoir reçu des fonds pour des recherches de la firme Lilly. Les autres auteurs ne mentionnent aucun conflit d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette publication est une des nombreuses sous études de la Women Health Initiative Study 2 qui évalue les bénéfices et les risques d’un traitement par estrogènes conjugués équins par voie orale, associés ou non à un progestagène. Elle ne peut donc apporter de réponse quant à l’efficacité d’autres estrogènes et/ou d’autres voies d’administration. Cette étude exclut les femmes présentant des symptômes ménopausiques sévères.

Elle inclut une population présentant, au départ, une incidence importante d’incontinence urinaire, 64%, alors que les données épidémiologiques indiquent des incidences généralement plus faibles: 30 à 40% pour les femmes d’âge moyen, 30 à 50% pour les femmes plus âgées3. Les auteurs de cette étude signalent cependant d’autres études donnant des incidences similaires à celle qu’ils ont enregistrée et leur analyse de sensibilité en fonction d’un seuil d’incidence ne montre pas de modification des résultats observés. Une étude récente sur une population de 6 000 femmes américaines 4 donne une prévalence augmentant avec l’âge: de 28% de 30 à 39 ans jusqu’à 55% de 80 à 90 ans.

Le respect du double aveugle peut être mis en doute, particulièrement dans le groupe traitement combiné qui enregistre un taux de sortie d’étude plus important (9,7%) que dans le groupe placebo correspondant (6,6%) principalement pour saignements vaginaux. Il est possible que d’autres patientes présentant de pareils saignements n’aient pas arrêté l’étude mais aient consulté un gynécologue avec une prise en charge plus importante d’une éventuelle incontinence urinaire3. Ceci aurait cependant dû être favorable pour les résultats du groupe traité, mais comme ils ne sont pas meilleurs, ce biais n’a très probablement pas d’influence sur les résultats (non sur la direction mais peut-être sur l’ampleur de la différence). Le retentissement sur les activités de la vie quotidienne est différent suivant les groupes d’âge: pour la tranche d’âge de 50 à 59 ans, la gêne occasionnée par l’incontinence n’est pas jugée significativement péjorative sur les activités de la vie quotidienne.L’utilisation d’échelles validées sur la qualité de vie aurait été plus adéquate. Cette étude n’a réalisé aucun bilan urodynamique systématique; le diagnostic de type d’incontinence repose uniquement sur l’interrogatoire.

Par rapport aux autres études

Une première méta-analyse 5 évalue l’efficacité des estrogènes (n=374) versus placebo (n=344) dans l’incontinence urinaire (d’effort, d’urgence ou mixte) de femmes ménopausées, sur diagnostic symptomatique ou urodynamique: une amélioration globale ou une guérison est calculée pour 50% des femmes traitées, par rapport à 25% pour le placebo, avec une efficacité supérieure en cas d’incontinence d’urgence. L’adjonction d’un progestagène, dans une étude, montre une efficacité alors inférieure à celle du placebo. Une deuxième méta-analyse 6 inclut onze RCTs publiées ou présentées lors de congrès, comparant l’efficacité des estrogènes versus placebo chez des femmes ménopausées (n=466) présentant des symptômes d’hyperactivité vésicale (avec, y compris, des épisodes d’incontinence) sur des durées de trois à vingt-six semaines. Les estrogènes étudiés sont nombreux et une seule RCT concerne les estrogènes conjugués équins; différentes voies d’administration sont utilisées. Les estrogènes évalués améliorent la fréquence des mictions diurnes, la fréquence des mictions nocturnes (sauf les estrogènes administrés par voie systémique qui l’aggravent), les urgences, les épisodes d’incontinence, la première envie d’uriner et la capacité vésicale.L’étude Women’s Health Initiative (WHI) remet ces résultats en cause.

Incontinence et bilan urodynamique

La lecture des deux méta-analyses et de l’étude WHI invite à penser que les résultats pourraient être différents suivant le type d’estrogène ou sa voie d’administration. L’efficacité pourrait aussi être variable suivant le type d’incontinence. L’absence d’étude de puissance suffisante, avec critère de diagnostic urodynamique pour le type d’incontinence, ne nous permet cependant pas d’affirmer l’efficacité d’un estrogène précis, sous une voie d’administration déterminée, dans un type d’incontinence prouvé. La seule certitude actuelle est l’aggravation des symptômes ou leur survenue chez des femmes recevant des estrogènes conjugués équins associés ou non à des progestagènes.

Autres traitements de l’incontinence urinaire

Des exercices musculaires sont le premier choix de traitement en cas d’incontinence d’effort ou mixte 1. D’autres médicaments que les hormones peuvent être envisagés, soit dans l’incontinence d’effort (la duloxétine, un antidépresseur non encore sur le marché belge) en complément d’autres traitements, soit dans le syndrome d’urgence avec ou sans incontinence (oxybutinine, propivérine, toltérodine) en titrant bien ces molécules non dénuées d’effets indésirables1. Certaines interventions chirurgicales ont également montré une efficacité dans des types d’incontinence précis 7.

 

Conclusions

Cette étude sur une population importante montre une aggravation d’une incontinence existante et la survenue plus fréquente d’une incontinence urinaire chez des femmes ménopausées prenant un traitement hormonal substitutif (estrogènes conjugués équins seuls ou associés à de la médroxyprogestérone). Une efficacité éventuelle d’autres estrogènes, par voie systémique ou autre, dans des types d’incontinence bien précisés par examen urodynamique reste à étudier.

 

Références

  1. SIGN. Management of urinary incontinence in primary care. A national clinical guideline. December 2004.
  2. Rossouw JE,Anderson GL,Prentice RL et al;Writing Group for the Women’s Health Initiative Investigators. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women: principal results from the Women’s Health Initiative randomized controlled trial. JAMA 2002;288:321-33.
  3. DuBeau C. Estrogen treatment for urinary incontinence. Never, now, or in the future? JAMA 2005;293:998-1001.
  4. Melville J,Katon W, Delaney K et al.Urinary incontinence in US women. A population-based study. Arch Intern Med 2005;165:537-42.
  5. Moehrer B, Hextall A, Jackson S. Oestrogens for urinary incontinence in women (Cochrane Review). The Cochrane Database of Systematic Reviews 2003, Issue 2.
  6. Cardozo L, Lose G, McClish D et al. A systematic review of the effects of estrogens for symptoms suggestive of overactive bladder. Acta Obstet Gynecol Scand 2004;83:892-7.
  7. Onwude J. Stress incontinence. Clin Evid 2004;13: 2463-80.
 
 
 

 

 

 

Noms de marque

duloxétine: non commercialisée en Belgique

oxybutinine: Ditropan®,Driptane®,Oxybutinin(e)®

propivérine: non commercialisée en Belgique

toltérodine: Detrusitol®

Substitution hormonale: non efficace sur l’incontinence urinaire?



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