Revue d'Evidence-Based Medicine



Résultats à long terme du donépézil en cas d'Alzheimer



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 7 Page 112 - 114

Professions de santé


Analyse de
AD2000 Collaborative Group. Long-term donepezil treatment in 565 patients with Alzheimer’s disease (AD2000): randomised double-blind trial. Lancet 2004;363:2105-15.


Question clinique
Chez des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer légère à modérée, quelle est l’efficacité du donépézil, versus placebo, sur leurs capacités fonctionnelles, leur autonomie, leurs symptômes psychiques et leurs comportements, sur le bien-être psychique des soignants et sur le délai d’institutionnalisation?


Conclusion
Cette étude conclut que le bénéfice potentiel d’un traitement par donépézil chez des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer légère à modérée n’est pas pertinent et n’apporte pas d’amélioration de leurs capacités fonctionnelles, ni une meilleure qualité de vie, ni un plus long délai pour une institutionnalisation nécessaire. Le donépézil n’est donc pas recommandé dans le traitement de la démence d’Alzheimer légère à modérée.


 

Résumé

Contexte

Des études ont montré un intérêt possible des inhibiteurs de la cholinestérase après trois à six mois, intérêt limité dans des évaluations cognitives et globales dans la maladie d’Alzheimer1. Ces études apportent cependant une vue biaisée par des sorties d’étude sélectives et du fait d’un suivi fort court; elles ne montrent également aucune amélioration de la qualité de vie. Des questions demeurent: durée d’un traitement, dosage optimal, importance de facteurs génétiques dans le pronostic de réponse après douze semaines et qui peut, finalement, tirer un bénéfice d’un traitement par donépézil?

Population étudiée

Ont été inclus, des patients présentant une maladie d’Alzheimer sur diagnostic clinique suivant les critères du DSM-IV, avec ou sans diagnostic complémentaire de démence vasculaire. Les autres critères nécessaires pour une inclusion étaient l’absence d’institutionnalisation et le fait de disposer d’un soignant stable. Ont été exclus, les patients utilisant déjà un inhibiteur de la cholinestérase ou présentant une contre-indication à la prise de donépézil. Finalement, 565 patients de 76 ans d’âge moyen (46-93) dont 60% de femmes ont été retenus. Le score MMSE moyen est de 19 (10-26) à l’initiation de l’étude. Environ 16% des sujets souffrent de démence vasculaire, 4% de parkinsonisme et 10% manifestent des symptômes psychotiques. Ces caractéristiques générales ne sont pas significativement différentes entre groupe intervention et groupe contrôle.

Protocole d’étude

Cette étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, répartit ses sujets soit dans un groupe donépézil 5 mg par jour, soit dans un groupe placebo. Les 486 patients encore suivis après une phase d’inclusion de douze semaines, ont été évalués pendant un plus long laps de temps (trois fois 48 semaines), après nouvelle randomisation soit dans un groupe placebo (n=244), soit dans un groupe donépézil 5 ou 10 mg (n=242) par jour. Les trois périodes de traitement de 48 semaines ont été séparées par des intervalles de wash-out de quatre à six semaines.

Mesure des résultats

Les deux critères de jugement primaires sont l’institutionnalisation et l’augmentation des limites physiques, définie par la perte de deux des quatre activités de base et de six des onze activités instrumentales du score BADLS. Les décès liés à la maladie d’Alzheimer, les effets indésirables du traitement, les sorties d’étude sont également rapportés. Une évaluation économique est livrée en sus.

Résultats

Durant la phase d’inclusion de douze semaines, davantage de patients sous donépézil quittent l’étude (11% versus 5%; p=0,007) en raison d’effets indésirables.Pendant les deux premières années, une amélioration moyenne est enregistrée pour la cognition de 0,8 point (IC à 95% de 0,5 à 1,2; p<0,0001) pour le MMSE, et de 1,0 point (IC à 95% de 0,5 à 1,6; p<0,0001) pour les limites physiques au score BADLS. Après trois ans, aucune différence n’est observée entre les groupes donépézil et placebo en termes d’institutionnalisation (42% versus 44%; p=0,4), ni en termes de limites physiques (58% versus 59%; p=0,4).Pas de différence non plus en ce qui concerne les troubles psychiques et comportementaux, le bien-être psychique du soignant principal, les coûts des soins, le temps des soins non rémunérés, les effets indésirables et les décès liés à la maladie d’Alzheimer. Aucune différence entre les dosages de 5 et de 10 mg de donépézil. Une analyse multivariée montre une réponse cognitive moins bonne en cas de score NPI est un questionnaire destiné à évaluer la fréquence et la gravité des problèmes comportementaux. Le score maximum est 144. Plus le score est élevé, plus les problèmes comportementaux sont importants.">NPI initial plus élevé (p=0,01) et en cas d’absence d’une composante vasculaire (p=0,02). La réponse fonctionnelle est moindre pour les patients souffrant également d’une maladie de Parkinson (p=0,008). L’analyse des coûts ne montre pas d’économie pour le groupe donépézil.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement par donépézil n’est pas d’un bon rapport coût/efficacité et n’offre pas de bénéfice clinique pertinent.Pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, des traitements plus efficaces que les inhibiteurs de la cholinestérase sont nécessaires.

Financement

NHS Executive R&D (West Midlands) et Health Authorities de West-Midlands, East Lancashire, Iechyd Morgannwg et North Nottingham.

Conflits d’intérêt

Le sponsor n’est pas impliqué dans le protocole d’étude, la récolte, l’analyse et l’interprétation des résultats ni dans leur publication. Eisai et Pfizer, les firmes auxquelles les médicaments ont été achetés, ne sont pas partie prenante dans l’étude ni dans sa publication. Deux chercheurs ont cependant été financés par ces firmes pour des participations à des congrès.

 

Discussion

Une recherche indépendante

Environ 6% des personnes âgées de plus de 65 ans et 30% de celles de plus de 90 ans souffrent d’une forme ou l’autre de démence. La démence est rare avant l’âge de 60 ans.Les démences d’Alzheimer et vasculaire (y compris la démence «mixte») sont responsables de 35–50% de toutes les démences 2. Le projet des auteurs était ambitieux: réaliser une importante étude, permettant d’évaluer la réalité quotidienne et d’apporter des réponses à différentes questions encore en suspens. Pour ces raisons, cette étude est différente des RCTs réalisées auparavant 1,3. Une importante différence est le financement indépendant des producteurs de donépézil, ce qui a permis un protocole, une analyse et une publication indépendants. Mais, parallèlement, ce choix a porté préjudice à la puissance de cette étude. Les chercheurs espéraient pouvoir inclure trois mille patients Alzheimer durant deux à trois ans. Ils ont dû se résoudre, pour différentes raisons, à se limiter à 565. Le motif principal est un manque de collaboration du fabricant du donépézil qui a retardé la livraison des médicaments de l’étude. L’étude n’a cependant pu être poursuivie, tous les patients Alzheimer ayant la possibilité de se voir prescrire du donépézil après la publication du guide de pratique NICE en 2001. Un inconvénient de cette population d’étude limitée (combinée au taux important de sortie d’étude) est la limite des possibilités d’analyse en sous-groupe. L’importance d’un financement suffisant pour une recherche indépendante est, en tout cas, à retenir.

Proche de la pratique quotidienne

Les critères d’inclusion représentent une autre différence par rapport aux précédentes études: cette étude opte pour une inclusion sur base de signes cliniques (critères du DSM-IV),un CT-scan n’est pas exigé. En raison d’une non institutionnalisation, le groupe est hétérogène, avec un score MMSE variant de 10 à 26 (Alzheimer léger à modéré), la démence vasculaire n’étant pas exclue.Le but des chercheurs était de rester aussi proche que possible de la réalité. Une éventuelle dilution de l’efficacité, liée à un bénéfice de traitement par donépézil limité à certains des patients seulement parmi les inclus, est analysée dans une étude de sous-groupes. Les précédentes RCTs tentaient de cibler une population plus homogène. Une troisième différence est le recours à des critères de jugement différents. Cette étude évalue principalement un report de l’institutionnalisation et une amélioration des capacités fonctionnelles et des limites physiques.Les autres RCTs se centraient sur l’amélioration cognitive et clinique (sur base du jugement du médecin traitant). Cette étude montre également une amélioration statistiquement significative pour la cognition mais la différence est faible et cliniquement non pertinente. Elle s’intéresse aussi à la qualité de vie du patient et de son aidant principal, critères de jugement insuffisamment évalués dans les RCTs précédentes. Une évaluation économique est, de plus, défavorable au donépézil. Une quatrième différence est le suivi plus long (jusqu’à trois ans environ par rapport aux 54 semaines maximum dans les autres RCTs), avec un suivi plus important des patients sortis de l’étude. Ces sorties d’étude sont significatives et liées à différents facteurs comme les décès, l’institutionnalisation, les effets indésirables trop importants. Des 565 participants, seuls 20 sont restés dans l’étude jusqu’au terme des trois ans (sorties d’étude comparables dans les deux groupes).

Apport de preuves complémentaires

Les résultats de cette étude confirment des points de vue déjà exprimés. Une synthèse Cochrane1 et Clinical Evidence 4 mentionnent que le donépézil peut apporter une stabilisation ou, au mieux, une légère amélioration des fonctions cognitives, mais qu’il n’est pas recommandé d’initier sans réserve ce traitement chez tous les patients Alzheimer en raison d’un manque de données sur des critères complémentaires tels que qualité de vie, fonctionnement dans la vie quotidienne, évaluation économique et de nombreux effets indésirables.Le guide de pratique NICE 2001 5 a été adapté au vu des résultats de cette étude AD2000: le donépézil n’est plus recommandé pour le traitement des formes légères à modérées d’Alzheimer 6.Le NHG-standaard 7 recommande également de ne pas utiliser les inhibiteurs de la cholinestérase dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Les conclusions figurant dans les messages clés du numéro de Minerva ayant pour thème la démence 8,9 sont ainsi confirmées par cette étude: réserve pour la prescription d’inhibiteurs de la cholinestérase, soutien pour les aidants naturels, limitation du recours aux psycholeptiques.

 

Conclusions

Cette étude conclut que le bénéfice potentiel d’un traitement par donépézil chez des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer légère à modérée n’est pas pertinent et n’apporte pas d’amélioration de leurs capacités fonctionnelles, ni une meilleure qualité de vie, ni un plus long délai pour une institutionnalisation nécessaire. Le donépézil n’est donc pas recommandé dans le traitement de la démence d’Alzheimer légère à modérée.

 

Références

  1. Birks JS, Harvey R.Donepezil for dementia due to Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Reviews 2003, Issue 3.
  2. Lobo A, Launer LJ, Fratiglioni L et al. Prevalence of dementia and major subtypes in Europe: A collaborative study of population- based cohorts. Neurology 2000;54(11 Suppl):S4-9.
  3. Lanctot KL, Herrmann N, Yau KK et al. Efficacy and safety of cholinesterase inhibitors in Alzheimer’s disease: a metaanalysis. CMAJ 2003;169:557-64.
  4. Warner J, Butler R, Arya P. Dementia. Effects of treatments on cognitive symptoms. Clin Evid 2004;12:1366-80.
  5. National Institute of Clinical Exellence.Guidance on the use of donepezil, rivastigmine and galantamine for the treatment of Alzheimer’s disease. NICE 2001. Technology Appraisal Guidance, no 19.
  6. National Institute of Clinical Exellence.Appraisal Consultation Document: Alzheimer’s disease - donepezil, rivastigmine, galantamine and memantine (review). NICE 2005.
  7. Wind AW,Gussekloo J,Vernooij-Dassen MJFJ et al. NHG Standaard Dementie (tweede herziening). Huisarts Wet 2003;46:754-67.
  8. Rédaction. Déménce. Messages clés. MinervaF 2002;1(1):14.
  9. Roland M. Donépézil. MinervaF 2002;1(1): 5-6.
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