Revue d'Evidence-Based Medicine



Score clinique pour exclure une coronaropathie en cas de douleurs thoraciques ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 8 Page 93 - 94

Professions de santé


Analyse de
Haasenritter J, Bösner S, Vaucher P, et al. Ruling out coronary heart disease in primary care: external validation of a clinical prediction rule. Br J Gen Pract 2012;62:e415-21.


Question clinique
Quelle est la précision diagnostique du score Marburg Heart Score chez les patients qui consultent leur médecin généraliste pour des douleurs thoraciques ?


Conclusion
Cette étude diagnostique transversale, correctement menée sur le plan méthodologique, nous permet de conclure que le score MHS (Marburg Heart Score) est un instrument valide pour exclure en médecine générale une coronaropathie chez les patients adultes présentant des douleurs thoraciques aspécifiques.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Une étude d’observation prospective a montré que la prévalence des douleurs thoraciques en médecine générale est de 0,7 à 2,7 %. Il s’agirait d’un symptôme de coronaropathie dans 12,8 à 14,6 % des cas (1,2). Le diagnostic de syndrome coronarien aigu est probable en présence de douleur rétrosternale oppressive, irradiante et persistante avec dyspnée, nausées/vomissements, pâleur, transpiration abondante, hypotension, bradycardie ; une référence immédiate du patient est alors recommandée (3-6). Lorsque les plaintes sont moins nettes, il est cependant beaucoup plus difficile de poser un diagnostic et d’opter pour un traitement. Comme outil pour exclure une coronaropathie, Bösner et coll. ont développé un score clinique (7) à partir de 5 éléments tirés de l’anamnèse et de l’examen clinique. La validité externe de cette règle de prédiction clinique n’a pas encore été suffisamment montrée.

 

Résumé

Population étudiée

  • 939 patients âgés de plus de 35 ans (âge moyen de 59,5 (ET 13,9) ans) ayant consulté pour douleurs thoraciques un des 56 médecins généralistes de la région de Hesse (Allemagne) participants sur une période de 12 semaines ; 51,5 % étaient de sexe féminin ; 26,2 % avaient des antécédents de maladie cardiovasculaire ; 50,2 % présentaient de l’hypertension ; 13,5 % présentaient un diabète sucré ; 40,5 % avaient une dyslipidémie ; 19,5 % étaient fumeurs
  • critères d’exclusion : douleur thoracique due à un traumatisme, douleur thoracique depuis plus d’un mois ou ayant déjà fait l’objet d’examens complémentaires.

 

Protocole d’étude

  • étude diagnostique transversale
  • les médecins généralistes ont déterminé le score Marburg Heart Score (MHS) (= test-index) chez tous les patients
  • après 6 semaines et après 6 mois, le personnel infirmier de l’étude a téléphoné à tous les patients et à tous les médecins généralistes concernant l’évolution de la douleur, les examens complémentaires réalisés, les traitements reçus, médicaments comme hospitalisations, et les rapports du spécialiste ou de l’hôpital
  • sur la base de ces données, une équipe d’experts (comportant au moins un médecin généraliste) a déterminé si la douleur thoracique était due à une coronaropathie (= test de référence).

Mesure des résultats

  • sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive, valeur prédictive négative, aire sous la courbe ROC (AUC) du score MHS pour le diagnostic d’une coronaropathie
  • analyse de sensibilité des résultats non concluants.

Résultats

  • parmi les 939 patients recrutés, 853 entraient en ligne de compte pour le calcul du score MHS (test-index), 59 ont refusé de participer, 15 avaient des douleurs thoraciques dues à un traumatisme, 12 n’ont pas pu être suivis (le patient et/ou le médecin traitant n’ayant pu être contacté par téléphone)
  • le score MHS n’a pas pu être calculé chez 9 patients ; le diagnostic final (= test de référence) était non concluant chez 12 patients
  • parmi les 832 patients chez qui le score MHS était connu et chez qui le diagnostic était également concluant, 92 (11 %) avaient une coronaropathie, et, parmi eux, 12 (1,4 %) avaient un syndrome coronarien aigu
  • 10 patients ayant un score MHS < 3 avaient quand même une coronaropathie (faux négatifs), et, parmi eux, 4 avaient un syndrome coronarien aigu
  • 270 patients ayant un score MHS ≥ 3 n’avaient en fait pas de coronaropathie (faux positifs) ; parmi eux, 28 (10,4 %) avaient été envoyés aux urgences, et 67 (24,8 %) avaient été adressés à un spécialiste
  • avec une valeur seuil de 3, l’AUC pour le score MHS était de 0,84 (IC à 95 % de 0,80 à 0,88), la sensibilité était de 89,1 % (IC à 95 % de 81,1 à 94,0), la spécificité était de 63,5 % (IC à 95 % de 60,0 à 66,9), la valeur prédictive positive était de 23,3 % (IC à 95 % de 19,2 à 28,0), la valeur prédictive négative était de 97,9 % (IC à 95 % de 96,2 à 98,9), le rapport de vraisemblance positif était de 2,44 (IC à 95 % de 2,17 à 2,75), et le rapport de vraisemblance négatif était de 0,17 (IC à 95 % de 0,10 à 0,31).

Conclusion

Les auteurs concluent que le score MHS peut être recommandé pour la pratique clinique en raison de sa précision diagnostique, de la possibilité de le généraliser et de son confort d’utilisation.

 

Financement 

Ministère fédéral de l’enseignement et de la recherche.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Sur le plan méthodologique, cette étude diagnostique est de bonne qualité. Les médecins participants ont déterminé le score MHS, qui est le test-index, chez tous les patients qui se présentaient consécutivement avec des douleurs thoraciques. Une équipe d’experts a ensuite déterminé si les patients avaient ou non une coronaropathie en s’appuyant sur les données des examens et les traitements, renseignements obtenus lors d’entretiens téléphoniques menés par des assistants de recherche auprès des patients eux-mêmes et auprès de leur médecin de famille. Au besoin, les spécialistes et les hôpitaux ont été contactés directement. Ce type de test de référence « différé » est accepté pour ce type d’examen en médecine générale en cas de maladie de faible prévalence et lorsque le gold standard (comme la coronarographie) est trop invasif ou n’est pas disponible (8). Vu la méthode suivie, les experts de l’équipe n’étaient donc pas en insu pour le test-index. Les chercheurs justifient ce choix en affirmant que s’ils n’avaient pas eu accès aux données de base, il y aurait eu trop de classifications erronées et de diagnostics non concluants pour que les résultats soient fiables. Le nombre de patients sortis de l’étude (n = 12), de ceux chez qui le score MHS n’était pas possible (n = 9) et de ceux chez qui le diagnostic final n’était pas concluant (n = 12) est clairement mentionné et était relativement faible (seulement 3,5 %). Les patients sortis de l’étude ont été exclus et on ne sait pas bien combien, parmi eux, avaient un syndrome coronarien aigu. Les patients chez qui le score MHS n’a pas pu être déterminé n’ont pas été pris en compte pour l’analyse, mais le suivi a tout de même été effectué. Un seul patient avait une coronaropathie. La précision diagnostique ne s’est presque pas modifiée en tenant compte d’une analyse de sensibilité intégrant les 12 diagnostics non concluants.

 

Interprétation des résultats

Dans une étude transversale chez des patients présentant des douleurs thoraciques, 5 éléments issus de l’anamnèse et de l’examen clinique ont été sélectionnés au moyen d’une analyse à variables multiples par régression logistique pour constituer la base du score MHS (7). Avec une valeur seuil de 3, l’AUC pour le score MHS est de 0,87 (IC à 95 % de 0,83 à 0,91). La validation externe a été réalisée avec les données cliniques rétrospectives d’une population suisse composée de 672 patients âgés de 16 ans et plus qui avaient consulté 58 médecins généralistes pour des douleurs thoraciques. Dans cette population, l’AUC était de 0,90 (IC à 95 % de 0,87 à 0,93) (7). La fiabilité de cette étude de validation est limitée par le fait que, pour déterminer l’item « Le patient pense que les douleurs thoraciques ont une origine cardiaque » du score MHS, la question posée était différente, à savoir « Les douleurs thoraciques vous inquiètent-elles ? ». La présente étude de validation externe, dont la qualité méthodologique est bonne (voir plus haut), confirme bien la précision du score MHS. L’AUC de 0,84 (IC à 95 % de 0,80 à 0,88) diffère peu de celle de l’étude de dérivation et de la première étude de validation (7).

Cette étude a été menée dans un contexte de médecine générale. L’incidence du syndrome coronarien aigu est à peu près la même que celle qui est observée dans la pratique du médecin généraliste en Belgique. La proportion de patients envoyés aux urgences ou adressés à un spécialiste est, elle aussi, comparable à celle d’une étude belge (9) dans laquelle 14,8 % des patients chez qui une coronaropathie était suspectée ont été envoyés aux urgences (10,4 % dans cette étude-ci) et 25,8 % ont été référés non en urgence (24,8 % dans cette étude-ci). De ce fait, les résultats peuvent probablement être extrapolés à la pratique de médecine générale en Belgique.

La faible force probante du score MHS, à savoir 2,5, est clairement un obstacle à son utilisation pour démontrer une coronaropathie en médecine générale. En effet, il s’est avéré que 270 patients avec un score ≥ 3 n’avaient en fait pas de coronaropathie (faux positifs). Chez les patients qui ont consulté le médecin généraliste pour des douleurs thoraciques aspécifiques (la prévalence de la coronaropathie étant faible), cette règle de prédiction peut cependant être utile pour exclure une coronaropathie.

La valeur prédictive négative était en effet de 97,9 %, et la force excluante de 6. Dix patients avec un score MHS < 3 avaient quand même une coronaropathie (faux négatifs), et, parmi eux, quatre avaient un syndrome coronarien aigu. Toutefois, aucun de ces dix patients n’est décédé au cours du suivi.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude diagnostique transversale, correctement menée sur le plan méthodologique, nous permet de conclure que le score MHS (Marburg Heart Score) est un instrument valide pour exclure en médecine générale une coronaropathie chez les patients adultes présentant des douleurs thoraciques aspécifiques.

 

Pour la pratique

Tant le guide de pratique du NHG que le guide de pratique du CKS (3,4) préconisent l’exclusion d’emblée d’un syndrome coronarien aigu en s’appuyant sur l’anamnèse et l’examen clinique. Le score MHS peut aider à exclure en médecine générale une coronaropathie chez les patients présentant des douleurs thoraciques aspécifiques. Ce score facile à manier pourrait donc être un outil à ajouter aux recommandations existantes.

 

 

Références

  1. Verdon F, Herzig L, Burnand B, et al. Chest pain in daily practice: occurrence, causes and management. Swiss Medical Weekly 2008;138:340-7.
  2. Bösner S, Becker A, Haasenritter J, et al. Chest pain in primary care: epidemiology and pre-work-up probabilities. Eur J Gen Pract 2009;15:141-6.
  3. Rutten F, Bakx C, Bruins Slot M, et al. NHG-Standaard Acuut coronair syndroom (eerste herziening). Huisarts Wet 2012;55:564-70.
  4. NICE-CKS. Angina. Last revised in May 2012.
  5. Claeys M, Vandekerchove Y, Bossaert L, et al. Richtlijnen over het beleid van acute thoracale pijn. Tijdschr Geneeskd 2002;58:91-7.
  6. Erhardt L, Herlitz J, Bossaert L, et al. Task force of the management of chest pain. Eur Heart J 2002;23:1153-76.
  7. Bösner S, Haasenritter J, Becker A, et al. Ruling out coronary artery disease in primary care: development and validation of a simple prediction rule. CMAJ 2010;182:1295-300.
  8. Knottnerus J, Muris J. Assesment of the accuracy of diagnostic tests: the cross-sectional study. In: Knottnerus J, Buntinx F (eds.). The evidence based of clinical diagnosis: theory and methods of diagnostic research. 2nd edn. Oxford, Hoboken NJ: Wiley-Blackwell Publishers/BMJ Books, 2009: 42/63.
  9. Bruyninckx R, Van den Bruel A, Aertgeerts B, et al. Why does the general practioner refer patients with chest pain not-urgently to the speciales or urgently to the emergency department? Influence of the certainty of the initial diagnosis. Acta Cardiol 2009;64:259-65.
Score clinique pour exclure une coronaropathie en cas de douleurs thoraciques ?



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