Revue d'Evidence-Based Medicine



Les voyages en avion augmentent-ils le risque de thrombo-embolie veineuse?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 5 Page 76 - 78

Professions de santé


Analyse de
Adi Y, Bayliss S, Rouse A, Taylor RS. The association between air travel and deep vein thrombosis: Systematic review and meta-analysis. BMC Cardiovascular Disorders 2004;4:7.


Question clinique
Le risque de thrombo-embolie veineuse (TEV) est-il augmenté après un voyage en avion?


Conclusion
Cette synthèse méthodique et les études complémentaires n’apportent pas de preuve d’une augmentation de risque de thrombo-embolie lors d’un voyage en avion. Plusieurs études livrent cependant des arguments d’une augmentation de risque en cas de voyage prolongé (> 8 heures), particulièrement chez des passagers présentant d’autres facteurs de risque. Les mesures d’hygiène sont à recommander surtout chez ce type de passagers. L’intérêt du port de bas de contention ou de l’administration préventive d’anticoagulants est insuffisamment démontré.


 

Résumé

Contexte

C’est Homans qui a, le premier, établi un lien entre un voyage en avion et une thrombo-embolie veineuse 1. Le nombre de voyages en avion progressant sans cesse (estimation de deux milliards en 2005 au niveau mondial), une faible augmentation du risque signifie cependant un accroissement important du nombre absolu de thrombo-embolies veineuses.

Méthodologie

 

Sources consultées

Les auteurs ont exploré MEDLINE, EMBASE, la Cochrane Library et le National Research Register. Ils ont également pris en compte les études figurant en référence et les synthèses. Des experts ont également été consultés.

Sélection des études

 Ils ont inclus deux types d’études. En premier lieu, les «études d’incidence», c’est-à-dire les études bâties sur tout protocole sauf les rapports de cas, évaluant l’incidence de thrombo-embolie veineuse symptomatique ou non, sur base d’un examen clinique ou diagnostique, chez des personnes ayant effectué un voyage en avion. Ensuite les «études comparatives», de tout protocole également, et avec le même objectif et les mêmes moyens que les précédentes, comparant voyageurs et non voyageurs. Ils ont isolé 254 références, six répondant à leurs critères d’inclusion pour la recherche de l’incidence et quatre pour leurs critères de comparaison. Ils ont distingué les études avec thrombose veineuse profonde (TVP) symptomatique de celles reprenant les TVP asymptomatiques.

Population incluse

Toute personne ayant effectué un voyage en avion, indépendamment du sexe, de l’âge ou des facteurs de risque.

Mesure des résultats

Les résultats des différentes études ont été sommés et ensuite exprimés en cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">odds ratio.

Résultats

Incidence de TVP symptomatiques (2 études)

L’incidence varie entre 0% dans la première étude (quatre semaines de suivi de 83 congressistes ayant effectué un vol de >5 heures) à 0,28% dans l’autre étude (incluant 9 775 pilotes suivis durant dix ans).

Incidence de TVP asymptomatiques (4 études)

L’incidence varie dans ce cas entre 0% et 10,34%.

Risque de TVP symptomatique (2 études)

Deux études cas-témoin semblables comparent le nombre de sujets présentant une thrombo-embolie veineuse confirmée (échographie avec compression – échographie et détermination des D-dimères) ainsi que le nombre de sujets avec une suspicion pour ce diagnostic, sans confirmation. Ces sujets avaient effectué un vol d’au moins trois heures dans les quatre années précédentes. L’odds ratio de thrombo-embolie veineuse est de 1,11 (IC à 95% de 0,64 à 1,94) après un long voyage en avion.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de preuve qu’un long voyage en avion (> 3 heures) conduise à une augmentation du risque de TVP. Des voyages durant plus de 8 heures augmenteraient cependant le risque en cas de présence de facteurs de risque.

Financement

National Health Service (R.U.).

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Existe-t-il un lien entre TEV et un voyage en avion?

Les résultats des deux études de cohorte reprises dans cette synthèse méthodique sont peu pertinents pour répondre à cette question. Johnston a évalué l’incidence de TEV chez des pilotes «sains», mais la méthode diagnostique utilisée pour affirmer la présence d’une TVP n’est pas claire 2. Arfvidsson a suivi 83 congressistes «sains» durant une période courte 3. Etonnament, une autre étude de cohorte, rétrospective, effectuée à l’aéroport «Charles de Gaulle», répondant aux critères d’inclusion de cette synthèse, n’a pas été incluse dans celle-ci. Cette étude mentionne 0,4 cas d’embolie pulmonaire par million d’arrivées par an 4, chiffre similaire à celui d’une étude ultérieure effectuée à Madrid 5. Ces études ne prennent pas en compte les symptômes d’embolie pulmonaire ou de TVP apparaissant un à plusieurs jours après l’arrivée, sous-estimant probablement ainsi l’incidence par rapport à celle de la population générale. La variation d’incidence en fonction de la durée de vol ou de la distance parcourue (0 pour des vols <6 heures; 0,25 (IC à 95% de 0 à 0,75) pour des vols durant de 6 à 8 heures; 1,65 (IC à 95% de 0,81 à 2,49) pour >8 heures) est la seule conclusion à tirer de ces études. Une autre étude de cohorte (néo-zélandaise) a observé 878 passagers au moyen d’un examen clinique et de D-dimères en série, avant leur départ jusqu’à trois mois après leur retour 6. Une TEV sur critère radiologique a été observée chez neuf (1%) des passagers ayant effectué plus de 24 heures de vol au cours de six semaines (quatre embolies pulmonaires, trois TVP proximales et une distale). Ces passagers avaient, en moyenne, 40 heures de vol dans les six semaines précédentes, 17% portaient des bas de contention et 31% prenaient de l’aspirine. Les résultats de cette étude ne peuvent donc pas être comparés à ceux d’autres recherches.

Le lien entre voyage en avion et TEV a également été examiné dans des études cas-témoin. Deux études semblables n’ont pu montrer de différence entre un groupe de sujets présentant une TVP prouvée et ayant voyagé en avion par rapport à un groupe contrôle - avec suspicion de TVP 7,8. Les auteurs de la synthèse méthodique trouvent ce résultat prévisible. Ils calculent, en effet, la nécessité de suivre plus d’un million de voyageurs par avion (et contrôles éventuels) pour pouvoir montrer un doublement du risque de TEV (OR 2) après un vol. Aucune étude n’a inclus une telle population.

Malgré une absence de pertinence clinique, les auteurs mentionnent l’incidence de TEV asymptomatique. Les chiffres d’incidence observés sont divergents, dépendants du profil de risque de la population concernée et de la durée totale de vol. Dans l’étude sur une population à faible risque LONFLIT 9 et dans la recherche de Scurr 10, l’incidence est fort différente, probablement en fonction d’une interprétation différente de l’échographie avec compression. Aucune comparaison avec un groupe contrôle n’est également disponible. L’étude de Schwarts et coll. 11, compare l’échographie avec compression de 964 passagers ayant volé pendant plus de huit heures avec celle d’un groupe contrôle (1 213 personnes).

Dans le groupe des voyageurs, 27 cas (2,8%) de TEV ont été découverts pour 12 (1%) dans le groupe contrôle, soit un RR de 2,83 (IC à 95% de 1,46 à 5,49). Pour respectivement 20 (2,1%) et 10 (0,8%) de ces cas, il s’agit d’une thrombose isolée au niveau des muscles du mollet, sans symptomatologie. En raison du traitement immédiat de ces sujets par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), le lien entre cette découverte et une TVP (symptomatique) après quatre semaines n’était plus possible. Une occasion ratée donc de montrer la pertinence clinique de la mise en évidence d’une TVP asymptomatique. Si un lien pouvait être établi entre une TVP symptomatique et une TVP asymptomatique, les études qui s’ensuivraient devraient inclure moins de sujets.

D’autres facteurs de risque?

Dans toutes les études mentionnées ci-dessus, la majorité des patients présentant une TEV après un voyage en avion avaient également d’autres facteurs de risque de TVP, particulièrement une anamnèse positive de TEV et la présence d’une thrombophilie. L’étude cas-témoin de Martinelli 12 montre, par rapport à des personnes sans thrombophilie et n’ayant pas voyagé, un risque sextuplé en cas de présence de thrombophilie, doublé en cas de voyage en avion et multiplié par seize en cas d’association des deux facteurs de risque. L’utilisation d’une contraception orale quadruple le risque et le multiplie par quatorze en cas de voyage en avion 12.

Mesures préventives

L’efficacité des mesures d’hygiène, telles que le port de vêtements larges, de se lever toutes les heures et de marcher si possible, de bouger les jambes, de boire suffisamment, de ne pas consommer d’alcool ni de tabac, est insuffisamment démontrée, mais ces directives n’étant guère lourdes, elles bénéficient du doute. Il en va autrement du port de bas de contention et de l’administration préventive d’anticoagulants.Les auteurs de cette synthèse n’abordent pas ce problème, tout en incluant des études d’intervention dans leur analyse. L’intérêt du port de bas de contention est montré dans l’étude LONFLIT 2. L’incidence de TVP dans une population de 833 passagers présentant un risque élevé de TEV et volant en moyenne douze heures, est de 0,24% dans le groupe portant des bas de contention pour 4,5% dans le groupe n’en portant pas 9. Dans l’étude de Scurr incluant des patients à faible risque, aucune TVP n’a été mise en évidence dans le groupe avec port de bas 10, chiffres confirmés dans l’étude LONFLIT 4 13. Il s’agit cependant d’une étude à petite échelle, non en double aveugle, avec diagnostic échographique de TVP sans symptôme clinique. Pour ces mêmes raisons, les résultats de l’étude LONFLIT 3 14 incluant 300 personnes à haut risque de TVP réparties aléatoirement dans trois groupes (pas de prophylaxie, 400 mg d’aspirine durant trois jours ou une dose d’énoxaparine) ne permettent pas de tirer un enseignement pratique robuste.

 

Conclusions

Cette synthèse méthodique et les études complémentaires n’apportent pas de preuve d’une augmentation de risque de thrombo-embolie lors d’un voyage en avion. Plusieurs études livrent cependant des arguments d’une augmentation de risque en cas de voyage prolongé (> 8 heures), particulièrement chez des passagers présentant d’autres facteurs de risque. Les mesures d’hygiène sont à recommander surtout chez ce type de passagers. L’intérêt du port de bas de contention ou de l’administration préventive d’anticoagulants est insuffisamment démontré.

 

Références

  1. Homans J. Thrombosis of the deep leg veins due to prolonged sitting. N Engl J Med 1954;250:148-9.
  2. Johnston RV, Evans ADB. Venous thromboembolic disease in pilots. Lancet 2001;358:1734.
  3. Arfvidsson B, Eklof B, Kistner RL, et al. A prospective evaluation of the risk for venous leg thrombosis associated with prolonged air travel: A pilot study. Cardiovascular Surgery 2001;9:455-7.
  4. Lapostolle F, Surget V, Borron SW, et al. Severe pulmonary embolism associated with air travel. N Engl J Med 2001;345:779-83.
  5. Perez-Rodriguez E, Jimenez D, Diaz G, et al. Incidence of air travel-related pulmonary embolism at the Madrid-Barajas airport. Arch Intern Med 2003;163:2766-70.
  6. Hughes RJ, Hopkins RJ, Hill S, et al. Frequency of venous thromboembolism in low to moderate risk long distance air travellers: the New Zealand Air Traveller’s Thrombosis (NZATT) study. Lancet 2003;362:2039-44.
  7. Arya R, Barnes JA, Hossain A, et al. Long-haul flights and deep vein thrombosis: A significant risk only when additional factors are also present. Br J Haematol 2002;116:653-4.
  8. Kraaijenhagen RA, Haverkamp D, Koopman MMW, et al. Travel and risk of venous thrombosis. Lancet 2000;1356:1492-3.
  9. Belcaro G, Geroulakos G, Nicolaides AN, et al. Venous thromboembolism from air travel: the LONFLIT Study. Angiology 2001;52:369-74.
  10. 10.  Scurr JH, Machin SJ, Bailey-King S, et al. Frequency and prevention of symptomless deep vein-thrombosis in long-haul flights: a randomised trial. Lancet 2001;357:1485-9.
  11. Schwartz T, Siegert G, Oettler W, et al. Venous thrombosis after long-haul flights. Arch Intern Med 2003;163:2759-64.
  12. Martinelli I, Taioli E, Battaglioli T, et al. Risk of venous thromboembolism after air travel. Interaction with thrombophilia and oral contraceptives. Arch Intern Med 2003;163:2771-4.
  13. Belcaro G, Cesarone MR, Shah SS, et al. Prevention of edema, flight microangiopathy and venous thrombosis in long flights with elastic stockings. A randomised trial: the LONFLIT 4 Concorde Edema-SSL Study. Angiology 2002;53:635-45.
  14. Cesarone MR, Belcaro G, Nicolaides AN, et al. Venous thrombosis from air travel: the LONFLIT 3 study-prevention with aspirin vs low-molecular-weight heparin (LMWH) in high-risk subjects: a randomised trial. Angiology 2002;53:1-6.
Les voyages en avion augmentent-ils le risque de thrombo-embolie veineuse?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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