Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est la meilleure stratégie diagnostique pour exclure une embolie pulmonaire?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 4 Page 54 - 56

Professions de santé


Analyse de
Kruip M, Leclercq M, van der Heul C et al. Diagnostic strategies for excluding pulmonary embolism in clinical outcome studies. A systematic review. Ann Intern Med 2003;138:941-51.


Question clinique
Quelle est la meilleure stratégie pour le diagnostic ou l’exclusion d’une embolie pulmonaire?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre l’exactitude de différents examens en première intention pour le diagnostic de l’embolie pulmonaire: l’artériographie pulmonaire, la scintigraphie pulmonaire de perfusion et les D-dimères. L’exactitude de l’angioscanner reste à établir. En pratique, la détermination du risque d’embolie pulmonaire reste la première étape. En cas de risque faible, une détermination des D-dimères est le premier examen à faire. Si le taux est normal, les investigations peuvent s’arrêter. Si ce taux est élevé, une mise au point complémentaire est nécessaire, comme dans le cas d’un risque initial modéré ou élevé. Dans ce cas, une scintigraphie pulmonaire est souvent l’examen performant le plus facilement accessible.


 

Résumé

Contexte

Si l’incidence d’une embolie pulmonaire est faible dans la patientèle du médecin généraliste (0,5 pour 1 000 patients sur un an 1), cette pathologie représente une mortalité élevée (26%) et une morbidité également importante (26% d’embols récurrents) sans traitement anticoagulant.Le diagnostic d’embolie pulmonaire ne peut reposer sur des données cliniques seules, celles-ci étant non spécifiques. L’angiographie pulmonaire est toujours considérée comme la méthode de référence (gold standard). Sa faisabilité est cependant faible et son coût élevé. Dès lors, différentes stratégies ont été proposées associant plusieurs investigations techniques non invasives ou invasives avec des paliers successifs associant ces différentes techniques: angiographie pulmonaire, angiographie pulmonaire avec CT scan, scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion, radiographie du thorax,radio CT scan thoracique,radio CT scan spiralé (avec injection intraveineuse de produit de contraste, appelé angioscanner), échographie (ultrasonographie + Doppler) des membres inférieurs, phlébographie, phlébographie avec CT scan spiralé, dosage des D-dimères, Résonance Magnétique Nucléaire (RMN), pléthysmographie par impédancemétrie, mesure des gaz artériels, électrocardiogramme.

Methodologie

Sources consultées

Les auteurs ont recherché, dans les bases de données Medline (entre 1966 et février 2003), EMBASE et DARE (Cochrane Library), les études publiées en langue anglaise.

Sélection des études

Ils ont sélectionné les études répondant aux critères suivants: études prospectives incluant des patients successifs, avec stratégie diagnostique définie a priori, arrêt du traitement anticoagulant après exclusion de l’embolie pulmonaire, description détaillée de la méthode de suivi, suivi d’au moins trois mois avec moins de 10% de sortie d’études, description détaillée de la stratégie diagnostique chez les patients présentant des symptômes récurrents de thrombo-embolie veineuse. Des 77 études identifiées, 25 répondent aux critères de sélection.

Population étudiée

Plus de 7 000 patients inclus dans les 25 études sélectionnées étaient tous pris en charge dans un hôpital, certains dans un hôpital de référence (tertiaire) ou un service spécialisé dans la gestion des thrombo-embolies. Certaines études sont multicentriques. La majorité des patients n’étaient pas hospitalisés avant référence. Les caractéristiques précises de ces patients ne sont pas données.

Mesures des résultats

L’exactitude des différentes stratégies diagnostiques est évaluée par le nombre d’événements thrombo-emboliques (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire) survenant lors d’un suivi d’au moins trois mois sans traitement anticoagulant chez des patients pour lesquels une embolie pulmonaire était préalablement exclue par examen. Les études ont été regroupées selon le nombre d’étapes diagnostiques successives pour exclure le diagnostic d’embolie pulmonaire: exclusion d’une embolie pulmonaire chez tous les patients référés, stratégies diagnostiques après une première étape diagnostique et stratégie après deux étapes diagnostiques.

Résultats

Pour l’exclusion d’une embolie pulmonaire chez tous les patients référés, l’analyse de 19 études (4 111 patients) montre un intérêt plus grand de l’angiographie pulmonaire (faux négatifs 0,8%; limite de confiance supérieure à 95% de 2,1), de la scintigraphie pulmonaire de perfusion (faux négatifs 0,9%; limite de confiance supérieure à 95% de 2,3), de la scintigraphie pulmonaire combinée à une exploration (échographie avec compression ou pléthysmographie par impédancemétrie) des membres inférieurs (faux négatifs 0,6% si deux examens normaux; limite de confiance supérieure à 95% de 1,2) ou d’une stratégie associant la détermination des D-dimères (faux négatifs 0,0%; limite de confiance supérieure à 95% de 1,8).

Pour les stratégies diagnostiques après une première étape diagnostique (scintigraphie pulmonaire anormale ou non contributive, probabilité clinique modérée ou modérée à élevée) (3 376 patients), c’est l’angiographie pulmonaire (faux négatifs 1,3%; limite de confiance supérieure à 95% de 2,8) et des examens en série (sur 10 jours) des membres inférieurs par pléthysmographie (faux négatifs de 1,7% avec limite de confiance supérieure à 95% de 2,8) ou échographie avec compression (faux négatifs 0,5% avec limite de confiance supérieure à 95% de 1,3) qui donnent les meilleurs résultats.

Pour la stratégie après deux étapes diagnostiques préalables (685 patients), c’est l’association d’une échographie avec compression et d’une angiographie pulmonaire normales qui est la plus exacte (faux négatifs 0,8% avec limite de confiance supérieure à 95% de 4,2) chez des patients avec D-dimères élevés, scintigraphie pulmonaire normale et risque modéré à élevé.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent à l’intérêt, en première intention, d’une scintigraphie pulmonaire de perfusion ou de l’association D-dimères normaux et probabilité clinique faible. En deuxième intention (après un premier test diagnostique), une angiographie ou une scintigraphie pulmonaire est, pour eux, une méthode diagnostique fiable.

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique a exploré trois bases de données différentes, mais s’est limitée aux publications en langue anglaise. Les études incluses présentent des stratégies diagnostiques différentes, avec des étapes successives non semblables. Les comparaisons sont donc difficiles, d’autant plus que cette synthèse méthodique ne décrit pas avec précision les patients inclus dans les différentes études: la probabilité de risque de thrombo-embolie de départ n’est que rarement précisée.Les auteurs mentionnent que la prévalence générale d’embolie pulmonaire est cependant relativement semblable dans les différentes études (à quelques exceptions près). Le critère d’exactitude choisi (événement thrombo-embolique confirmé,TVP ou embolie pulmonaire) certifié dans les trois mois de suivi est pertinent au point de vue clinique, d’autant plus qu’il faut considérer la maladie thrombo-embolique dans son ensemble et non seulement les embolies pulmonaires. Une comparaison avec le golden standard d’exclusion d’une embolie pulmonaire (angiographie pulmonaire classique) semble également impossible à réaliser de manière systématique (pour des raisons de faisabilité et de sécurité) et,d’autre part, ne permet pas d’évaluer l’ensemble du problème clinique (maladie thrombo-embolique). Cette synthèse inclut des études publiées entre 1983 et 2002, avec, donc, une rigueur méthodologique et des moyens techniques variables selon l’époque d’investigation. Les différences entre les tests de D-dimères utilisés, de spécificité et de valeur prédictive négative différentes 2, ne sont, en particulier pas mentionnées. L’amélioration des techniques de CT scan spiralé (multibarettes) n’est également pas prise en compte dans cette synthèse. Aucune étude incluse n’a directement comparé l’efficacité de deux stratégies.

Choix de la stratégie diagnostique

Les auteurs reprennent dans leur discussion, les stratégies présentant un risque de taux d’échec (faux négatifs) inférieur à 3% (avec limite de confiance supérieure à 95%). Il s’agit bien des méthodes permettant d’exclure une embolie pulmonaire. En première intention se trouvent ainsi: l’angiographie pulmonaire normale, la scintigraphie pulmonaire normale, la scintigraphie pulmonaire normale associée à des résultats normaux au niveau des membres inférieurs, un taux de D-dimères normal, un taux de D-dimères normal associé à une probabilité clinique faible. Il faut noter un résultat moins favorable dans l’étude de Ferreti3 pour une échographie avec compression normale combinée à un CT scan spiralé normal chez des patients à risque faible à modéré (faux négatifs de 5,5% avec limite de confiance supérieure à 95% de 11,6).La différence est très probablement liée à la moindre fiabilité d’un seul examen échographique avec compression par rapport à la répétition de celui-ci: la fiabilité de cet examen étant également opérateur dépendante. Dans une étude plus récente 4, un seul examen échographique duplex (avec Doppler couleur) de l’ensemble du membre inférieur s’est révélé plus efficace pour exclure une TVP: dans les trois mois de suivi après un examen négatif, trois patients sur 375 ont développé une thrombose veineuse symptomatique (0,80%; IC à 95% de 0,16 à 2,33). Cet examen était cependant effectué dans un hôpital tertiaire par des techniciens chevronnés et interprétés par des chirurgiens vasculaires. L’étude de Ferreti est également plus ancienne (CT scanner moins performant à l’époque). Une étude plus récente montre des résultats plus performants du CT scan hélicoïdal unibarette 5: en cas d’examen négatif (n=248, 48,6%) ou non conclusif (n=8, 1,6%), des examens échographiques répétés ont montré 2 cas de TVP (deux immédiatement et zéro après quatre et sept jours), et une thrombo-embolie s’est déclarée chez 0,4% (IC à 95% de 0 à 2,2%) de ces patients dans les trois mois de suivi. A noter également, un moins bon résultat de la scintigraphie pulmonaire de perfusion combinée à une probabilité clinique faible ou de D-dimères normaux avec probabilité clinique faible (limite de confiance supérieure à 95% de 7,4 et 6,7 respectivement). Aucune indication n’est donnée sur la sécurité de ces différentes stratégies en termes d’iatrogénécité.

Le rapport du jury de consensus de l’INAMI 6 ne prend pas de position claire dans le débat du choix de la stratégie. Il propose, en première intention, soit le dosage des D-dimères, soit une scintigraphie pulmonaire, soit un CT scan spiralé. Ramzi D et coll. 7 reprennent un guideline de l’Institute for Clinical Systems Improvement (E.U.) qui propose soit un angioscanner soit une scintigraphie pulmonaire de perfusion en premier choix. Les auteurs de la synthèse analysée ici concluent aussi à la nécessité d’un choix non seulement en fonction de l’exactitude du test mais aussi en fonction de l’accessibilité locale et de l’expertise des praticiens.

Pour la pratique du médecin généraliste

Le rôle du médecin généraliste est limité dans la prise en charge de cette pathologie mais essentiel dans l’orientation diagnostique initiale. La détermination de la probabilité d’une embolie pulmonaire est le premier pas. Les critères de Wells 3 sont ici bien utiles. En cas de probabilité faible, une détermination des D-dimères peut orienter la suite de la stratégie diagnostique. En cas de résultat normal des D-dimères, le processus peut être arrêté selon la présente synthèse et d’autres auteurs 8,9. En cas de taux élevé, la mise au point doit se poursuivre, comme en cas de probabilité initiale modérée ou élevée. Le médecin traitant orientera son patient dans le service hospitalier disposant de la possibilité de réaliser immédiatement soit une scintigraphie pulmonaire de perfusion, soit une artériographie pulmonaire et d’autres investigations éventuelles en fonction des résultats de ce premier examen. L’exactitude de l’angioscan reste à établir sur des critères similaires à ceux utilisés dans la présente synthèse.

 

Recommandations pour la pratique

Cette synthèse méthodique montre l’exactitude de différents examens en première intention pour le diagnostic de l’embolie pulmonaire: l’artériographie pulmonaire, la scintigraphie pulmonaire de perfusion et les D-dimères. L’exactitude de l’angioscanner reste à établir. En pratique, la détermination du risque d’embolie pulmonaire reste la première étape. En cas de risque faible, une détermination des D-dimères est le premier examen à faire. Si le taux est normal, les investigations peuvent s’arrêter. Si ce taux est élevé, une mise au point complémentaire est nécessaire, comme dans le cas d’un risque initial modéré ou élevé. Dans ce cas, une scintigraphie pulmonaire est souvent l’examen performant le plus facilement accessible.

La rédaction

 

Références

  1. Bartholomeeusen S, Buntinx F, De Cock L, Heyrman J. Het voorkomen van ziekten in de huisartspraktijk. Resultaten van de morbiditeitsregistratie van het Intego-netwerk. Leuven: Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, 2001.
  2. Michiels J, Schroyens W, De Maeseneer M. Niet-invasieve diagnostiek van diepe-veneuze trombose met de combinatie van een snelle D-dimeertest, klinische score en echografie. Teksten van experten. Consensusvergadering RIZIV, 5 november 2002. Brussel: RIZIV, 2002.
  3. Ferretti G, Bosson J, Buffaz P, et al. Acute pulmonary embolism: role of helical CT in 164 patients with intermediate probability at ventilation-perfusion scintigraphy and normal results at duplex US of the legs. Radiology 1997;205:435-8.
  4. Stevens S, Elliott G, Chan K, et al. Withholding anticoagulation after a negative result on duplex ultrasonography for suspected symptomatic deep venous thrombosis. Ann Intern Med 2004;140:985-91.
  5. Van Stijen M, De Monyé W, Schierek J, et al. Single-detector helical computed tomography as the primary diagnostic test in suspected pulmonary embolism: a multicenter clinical management study of 510 patients. Ann Intern Med 2003;138:307-14.
  6. Het doelmatig gebruik van niet-gefractioneerde heparines, heparines met laag moleculair gewicht en orale anticoagulantia bij de preventie en behandeling van veneuze trombo-embolische aandoeningen. Juryrapport. Consensusvergadering RIZIV, 5 november 2002. Brussel: RIZIV, 2002.
  7. Ramzi D, Leeper K. DVT and pulmonary embolism: Part I. Diagnosis. Am Fam Physician 2004;69:2829-36.
  8. Douketis J. A negative D-Dimer result and low risk clinical status effectively ruled out DVT in symptomatic patients. EBM 2000;5(3):92. Comment on: Aschwanden M, Labs KH, Jeanneret C, et al. The value of rapid D-dimer testing combined with structured clinical evaluation for the diagnosis of deep vein thrombosis. J Vasc Surg 1999;30:929-35.
  9. Lemiengre M, Vanhee L. Quel est le test D-dimères le plus performant pour exclure une TVP ou une embolie pulmonaire?
    Minerva 2005;(4)4:58-60.
 
Quelle est la meilleure stratégie diagnostique pour exclure une embolie pulmonaire?



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