Revue d'Evidence-Based Medicine



Les neuroleptiques atypiques ont-ils une place dans le traitement de la démence?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 3 Page 43 - 45

Professions de santé


Analyse de
Lee PE, Gill SS, Freedman M et al. Atypical antipsychotic drugs in the treatment of behavioural and psychological symptoms of dementia: systematic review. BMJ 2004;329:75-8.


Question clinique
Quelle est la place des neuroleptiques dans le traitement des troubles du comportement et des symptômes psychologiques de la démence?


Conclusion
Cette synthèse méthodique semble montrer qu’il n’existe pas d’argument scientifique pour préférer les neuroleptiques atypiques aux neuroleptiques typiques pour le traitement des troubles comportementaux et symptômes psychologiques des personnes âgées souffrant de démence.


 

Résumé

Contexte

Les neuroleptiques atypiques sont de plus en plus utilisés dans le traitement des personnes âgées démentes présentant des troubles du comportement. Les neuroleptiques atypiques ont la réputation d’être plus efficaces et de provoquer moins d’effets indésirables extrapyramidaux que les neuroleptiques typiques. La littérature concernant leur efficacité et sécurité chez les personnes âgées est cependant peu fournie.

Méthodologie

Sources consultées

Les chercheurs ont recherché les études dans Medline (de 1966 jusqu’en septembre 2003), dans Embase (de 1980 jusqu’en septembre 2003), dans la Cochrane Library (Issue 1, 2003), dans les listes de références de ces études et auprès d’experts cliniciens.

Etudes sélectionnées

Les auteurs ont inclus les RCTs en double aveugle évaluant les neuroleptiques atypiques oraux (clozapine, rispéridone, olanzapine et quétiapine) versus placebo et versus neuroleptiques typiques, dans le traitement des troubles du comportement et symptômes psychologiques chez les patients déments. Chaque étude est évaluée de manière standardisée par deux chercheurs indépendants.

Population étudiée

Cette synthèse inclut un total de 1 570 patients déments présentant des troubles du comportement et des symptômes psychologiques tels qu’agressivité verbale et physique, symptômes psychotiques (hallucinations et délire), troubles du sommeil et déambulation. Plus de 96% des participants sont institutionnalisés, 76,3% souffrent d’une maladie d’Alzheimer et leur âge moyen (pondéré) est de 82,3 ans.

Mesure des résultats

Les échelles de mesure d’efficacité et de sécurité ainsi que les définitions de réponse clinique varient selon les études.

Résultats

Cinq RCTs en double aveugle sont finalement incluses: quatre études évaluant la rispéridone (versus placebo dans deux études, versus halopéridol dans une étude et versus placebo et halopéridol dans une étude). L’olanzapine n’a été évaluée que dans une seule étude contrôlée versus placebo. Dans deux des trois études comparant la rispéridone (dose d’1 mg par jour en moyenne) au placebo, sur une période de douze mois, une petite amélioration significative pour l’échelle BEHAVE-AD est observée à l’avantage de la rispéridone. Une étude montre une augmentation des symptômes extrapyramidaux, dose dépendante, à partir d’un seuil de 2 mg par jour. Les deux études comparant halopéridol (dose moyenne d’environ 1 mg par jour) et rispéridone (dose moyenne d’environ 1 mg par jour) ne montrent pas de différence après 12 mois sur l’échelle BEHAVE-AD. La rispéridone provoque cependant moins de symptômes extrapyramidaux. L’olanzapine (5 et 10 mg par jour) montre, versus placebo, une amélioration significative sur l’échelle NPI-NH. Cette efficacité n’est pas observée pour une dose de 15 mg par jour. L’olanzapine provoque plus de somnolence et de troubles de la marche.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le recours à des neuroleptiques atypiques pour le traitement des troubles du comportement chez les patients déments est peu évalué, et que les preuves d’une efficacité et d’une sécurité supérieures par rapport aux neuroleptiques typiques sont faibles.

Financement

La synthèse est financée par des crédits provenant des Canadian Institutes of Health Research (CIHR) et par une bourse du CIHR Chronic Disease New Emerging Team.

Conflits d’intérêt

La bourse d’étude du premier auteur est partiellement financée par la firme Eli Lilly. Un co-auteur a reçu des honoraires de Janssen-Ortho, Pfizer et Novartis.Toutes les études incluses ont été financées par des firmes pharmaceutiques.

Discussion

Peu d’études

Le fait que seules cinq RCTs ont été incluses dans cette synthèse méthodique est non seulement une preuve de la rareté des études concernant la population des patients déments mais aussi d’un manque d’études de haute qualité dans le domaine de la psychopharmacologie en général. Il n’existe pas d’étude comparative pour l’olanzapine versus neuroleptiques typiques, ni, non plus, d’étude comparative entre les différents neuroleptiques atypiques. Les conclusions concernant la sécurité et l’efficacité relatives des différents neuroleptiques atypiques reposent donc sur des preuves peu solides. Une récente synthèse dans Clinical Evidence sur les troubles du comportement chez les personnes démentes inclut les mêmes études et arrive aux mêmes conclusions 1. La qualité des cinq RCTs incluses est bonne, comme le montre le score de Jadad qui évalue la randomisation, le respect du double aveugle, les abandons de traitement. Le secret de l’attribution n’est décrit que dans deux études, ce qui ne permet pas d’exclure des biais d’attribution dans les autres études. Une autre raison de prudence est le fait que toutes les études concernant les neuroleptiques atypiques sont financées et initiées par les firmes pharmaceutiques.

Hétérogénéité des résultats

La comparaison entre les cinq études est compliquée par l’hétérogénéité des mesures des résultats cliniques. Cinq échelles de mesure différentes sont utilisées pour évaluer l’efficacité du traitement instauré. Il n’est pas évident non plus qu’une modification dans chacune des échelles de mesure corresponde à une réponse clinique significative. En outre, des comparaisons multiples sont faites sur des sous échelles encore plus nombreuses, ce qui peut induire une inflation de l’erreur de type-I (c’est-à-dire, considérer qu’il existe une différence entre deux interventions, alors que ce n’est pas le cas). Seules trois des cinq études utilisent les méthodes statistiques de correction adéquates. La question de la pertinence clinique peut également être posée à propos des faibles différences observées au moyen de ces sous échelles. Pour l’évaluation des symptômes extrapyramidaux, plusieurs échelles de score sont utilisées et les mêmes remarques sont d’application.

Il faut également noter, dans les études contrôlées versus placebo, l’amélioration des troubles du comportement et des symptômes psychologiques des patients sous placebo. Plusieurs explications de ce phénomène sont possibles. Des facteurs non pharmacologiques tels qu’une attention plus grande aux patients peuvent jouer un rôle. Une “régression vers la moyenne” peut également être évoquée, étant donné que les neuroleptiques sont en général initiés quand les troubles du comportement sont les plus manifestes.

Sécurité

Les études se déroulent principalement chez des patients institutionnalisés, ce qui rend plus difficile une extrapolation des résultats pour le domicile. La durée d’étude pour les cinq RCTs atteint au maximum douze semaines, ce qui ne nous permet pas de conclure quant à la sécurité et à l’efficacité des neuroleptiques atypiques à long terme. Dans ce cadre, il est prudent de rappeler que nous avons des indications, issues d’études randomisées, contrôlées versus placebo, d’un risque accru d’accident cérébro-vasculaire et de décès lors de l’utilisation d’olanzapine et de rispéridone pour des troubles du comportement chez des personnes démentes. Suite à ces observations, plusieurs instances déconseillent l’utilisation d’olanzapine et de rispéridone pour traiter les troubles du comportement chez les personnes démentes 2,3. Aucune réponse, vu l’absence d’étude, ne peut être apportée à la question d’un moindre risque d’accident cérébro- vasculaire et de mortalité avec les neuroleptiques typiques qu’avec les atypiques. Des raisons complémentaires de prudence sont les preuves qui s’accumulent pour les neuroleptiques atypiques, de troubles métaboliques tels que des perturbations du métabolisme du glucose et une hyperlipidémie 4.

Place de la prise en charge non médicamenteuse

En dehors de la prise en charge médicamenteuse des troubles comportementaux et psychologiques des personnes démentes, il est important de mentionner les interventions non médicamenteuses. Un exemple en est l’orientation dans la réalité qui se montre efficace aussi bien dans la prévention que dans le traitement de l’agitation chez les personnes démentes 5. Il faut également insister sur l’intérêt d’un arrêt des neuroleptiques en cas de démence. Des études ont en effet montré que cet arrêt ne causait pas d’augmentation des troubles du comportement et permettait une amélioration des fonctions cognitives et affectives 6,7. Le succès de campagnes systématiques réalisées aux Pays-Bas pour une diminution de la prescription des neuroleptiques dans les maisons de repos montre qu’il s’agit d’une stratégie réalisable dans la pratique clinique quotidienne.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique semble montrer qu’il n’existe pas d’argument scientifique pour préférer les neuroleptiques atypiques aux neuroleptiques typiques pour le traitement des troubles comportementaux et symptômes psychologiques des personnes âgées souffrant de démence.

 

Références

  1. Warner J, Butler R, Arya P. Dementia. Clin Evid 2004;11:1250- 77.
  2. EMEA public statement on the safety of olanzapine, 9 March.
  3. Committee on Safety of Medicines urgent message on atypical antipsychotic drugs and stroke, 9 March 2004.
  4. Lindenmeyer JP, Czibor P,Volavka J. Changes in glucose and cholesterol levels in patients with schizophrenia treated with typical or atypical antipsychotics. Am J Psychiatry 2003;160:290-6.
  5. Spector A, Orrell M, Davies S, Woods B. Reality orientation for dementia (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 4, 2004. Chichester, John Wiley & Sons, Ltd.
  6. Avorn J, Soumerai SB, Everitt DE et al. A randomized trial of a program to reduce the use of psychoactive drugs in nursing homes. N Engl J Med 1992;327:168-73.
  7. Van Reekum, Clarke D, Conn D et al. A randomized, placebocontrolled trial of the discontinuation of long-term antipsychotics in dementia. Int Psychogeriatr 2002;14:197-210.
 

Noms de marque

Clozapine = Leponex®

Halopéridol = Haldol®

Olanzapine = Zyprexa®

Rispéridone = Risperdal®

Quétiapine = Seroquel®

Les neuroleptiques atypiques ont-ils une place dans le traitement de la démence?



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