Revue d'Evidence-Based Medicine



Alendronate: dix ans d'expérience



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 10 Page 163 - 165

Professions de santé


Analyse de
Bone HG, Hosking D, Devogelaer JP et al. Ten years’ experience with alendronate for osteoporosis in postmenopausal women. N Engl J Med 2004;350:1189-99.


Question clinique
Quelle est l'efficacité à long terme (10 ans) de l'alendronate dans le traitement de l'ostéoporose de la femme ménopausée?


Conclusion
Cette analyse de deux études prolongées conclut qu'un traitement ininterrompu par alendronate durant dix ans chez des femmes en post-ménopause présentant une ostéoporose (T-score <-2,5) est bien supporté. En l'absence de critères de jugement forts, l'incidence de fracture ne peut être correctement évaluée dans cette étude et le gain clinique ajouté d'un traitement prolongé (>5 ans) reste imprécis. La prévention des chutes reste la mesure préventive la plus importante en cas d'ostéoporose.


 

Résumé

Contexte

Différentes RCTs et études de cohorte ont montré qu'un traitement par alendronate poursuivi durant sept ans diminue le risque de fracture vertébrale et d'autre fracture chez les femmes ménopausées 1-4.

Population étudiée

Les deux études originales ont inclus un total de 994 femmes en post-ménopause sur la base d'un score T ou T-score indique de combien d’écarts-types une valeur s’écarte de la moyenne dans une population en bonne santé. Le T-score de la masse corporelle par exemple est la masse corporelle exprimée en écarts-types par rapport à la moyenne de la masse corporelle qu’un adulte doit atteindre. Les masses corporelles des hommes et des femmes sont différentes. Pour les personnes âgées, le T-score est souvent négatif et devient de plus en plus négatif au fur et à mesure que la personne avance en âge.">T-score < -2,5 à l'ostéodensitométrie de la colonne vertébrale. Ces femmes étaient âgées de 63 ans en moyenne (ET 7,0) et ménopausées depuis 16 ans en moyenne (ET 8,2). Les critères d'exclusion étaient: ostéoporose causée par des glucocorticoïdes, maladie de Paget, déficience en vitamine D, hyperparathyroïdie, ainsi qu'un ulcère à l'estomac, une fonction hépatique ou rénale altérée, des anomalies de la colonne lombaire, une anamnèse de fracture de hanche, un traitement par diphosphonate, par oestrogène ou progestagène, par calcitonine, par fluoride ou par stéroïde anabolisant3.

Protocole d'étude

Deux études randomisées, en double aveugle, contrôlées versus placebo,multicentriques, d'un suivi de trois ans, ont été prolongées jusqu'à une durée totale de dix ans. Les groupes ayant reçu 5 et 10 mg d'alendronate durant les trois années initiales ont poursuivi le même traitement (n=78 et n=86). Le groupe ayant initialement reçu 20 mg d'alendronate pendant 2 ans, a diminué sa dose à 5 mg pour les 3 nouvelles années et a reçu, ensuite, un placebo de l'année six à l'année dix de cette nouvelle étude (n=83). Le groupe original sous placebo (n=397) n'a plus été suivi à partir de l'année six.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la modification de densité minérale osseuse de la colonne lombaire mesurée à l'aide d'une "dual-energy x-ray absorbtiometry" avec lecture en insu. L’analyse de ce critère est faite en intention de traiter.Les critères de jugement secondaires sont: modification de la densité minérale osseuse du col fémoral, du trochanter, du fémur proximal en totalité, du corps entier et des avant-bras ainsi que des modifications des marqueurs biochimiques de la résorption et de l'ossification. Les fractures vertébrales mises en évidence par un examen morphométrique et la taille corporelle, considérées comme indices de sécurité, sont comparées entre les différents groupes.

Résultats

Dans le groupe poursuivant un traitement par alendronate 5 mg et dans celui arrêtant un traitement par alendronate 20 mg après six ans, la densité minérale osseuse moyenne de la colonne lombaire est augmentée de 9,3% (IC à 95% de 7,5 à 11,2). Dans le groupe sous alendronate 10 mg durant dix ans, l'augmentation est de 13,7% (IC à 95% de 12,0 à 15,5) pour la colonne lombaire. La densité minérale osseuse du col fémoral, de la totalité de la hanche et des avant-bras n'est pas significativement modifiée entre la 6ème et la 10ème années pour les groupes 5 et 10 mg; elle diminue cependant significativement dans le groupe interrompant le traitement. Les paramètres biologiques demeurent inchangés pour les groupes 5 et 10 mg. L'incidence de fractures, de l'année six à l'année dix, n'est pas différente selon les groupes. Les paramètres concernant la sécurité ne sont également pas différents, de l'année huit à l'année dix.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l'efficacité thérapeutique et la sécurité d'un traitement par alendronate sont maintenus après dix ans. L'arrêt du traitement après cinq ans entraîne une diminution lente de l'effet sur la densité minérale osseuse.

Financement

L'étude est financée par la firme Merck Research Laboratories.

Conflits d'intérêt

Tous les auteurs ont des liens financiers avec des firmes pharmaceutiques, dont Merck Research Laboratories.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les fractures survenant chez les femmes en post-ménopause font la plupart du temps suite à un traumatisme. Le risque est environ de 20% pour une fracture vertébrale, de 15% pour une fracture du poignet et de 18% pour une fracture de hanche. Le T-score est inférieur à -2,5 chez 50% des personnes âgées de plus de 80 ans. Deux tiers des fractures vertébrales ont un décours asymptomatique 5,6. L'alendronate est le premier médicament à avoir montré une efficacité statistiquement significative sur la réduction du nombre de fractures chez les femmes après la ménopause 6 et en cas d'usage prolongé de corticostéroïdes après trois ans de traitement 7. Cette étude de prévention primaire qui est une extension de précédentes études avec l'alendronate 1- 4 veut principalement montrer la relative sécurité d'un traitement par alendronate 5 ou 10 mg durant dix ans. Il manque un groupe placebo réel - le groupe considéré comme contrôle a précédemment reçu de l'alendronate à dose élevée (20 mg) pendant deux ans, puis à dose de 5 mg durant trois ans. Le nombre de sorties d'étude est important: les données ne concernent que 51% des sujets de l'étude initiale. Il est donc difficile de tirer des conclusions fondées sur l'intérêt d'un traitement par alendronate durant dix ans. De plus, seule la densité minérale osseuse est utilisée comme critère d'inclusion le plus important et comme critère de jugement. Il est bien connu qu'elle n'est pas le seul critère de risque de fracture. L'association de différents facteurs de risque tels que l'âge, le poids, le tabagisme, une mobilité réduite, des fractures non traumatiques et une fracture de hanche chez la mère sont plus prédictifs de fracture que la seule densité minérale osseuse 5. L'incidence de fracture (traumatique ou non) n'est pas suivie de manière uniforme dans cette étude. Ce fait nous prive d'un critère de jugement fort pour montrer la pertinence clinique d'un traitement par alendronate poursuivi durant dix ans ainsi que de préciser sa sécurité.

Valeur du critère densité minérale osseuse

Il est important de souligner que le groupe contrôle (arrêt de l'alendronate de l'année six à l'année dix) obtient des résultats semblables à ceux du groupe alendronate 5 mg pour ce qui concerne la densité minérale osseuse. Seule une légère diminution de la densité minérale osseuse est observée après l'arrêt de l'alendronate. L'importance clinique de cette observation n'est pas évidente. D'autres études devront préciser la durée d'un traitement par alendronate pour obtenir un profil coûts/bénéfices optimal.

Le NHG-Standaard 8 et le NICE guidance 9 concernant l'ostéoporose mentionnent tous deux qu'une mesure de la densité minérale osseuse doit être réservée aux femmes ayant déjà présenté une fracture ostéoporotique ou qui consomment des corticostéroïdes au long cours. Ils limitent également le traitement par alendronate aux patientes âgées de moins de 70 ans, présentant un T-score inférieur à -2,5 ou aux patientes âgées de plus de 70 ans avec un Z-score indique de combien de déviations standards (écarts-types) la valeur s'écarte de la valeur moyenne pour le même groupe d'âge. Ce terme est employé entre autres pour exprimer des variables continues comme la taille, le poids mais aussi la densité minérale osseuse.">Z-score inférieur à –0,1 et pour un traitement de trois ans uniquement.

 

Conclusion

Cette analyse de deux études prolongées conclut qu'un traitement ininterrompu par alendronate durant dix ans chez des femmes en post-ménopause présentant une ostéoporose (T-score <-2,5) est bien supporté. En l'absence de critères de jugement forts, l'incidence de fracture ne peut être correctement évaluée dans cette étude et le gain clinique ajouté d'un traitement prolongé (>5 ans) reste imprécis. La prévention des chutes reste la mesure préventive la plus importante en cas d'ostéoporose.

 

Références

  1. Tucci JR, Tonino RP, Emkey RD et al. Effect of three years of oral alendronate treatment in postmenopausal women with osteoporosis. Am J Med 1996;101:488-501.
  2. Devogelaer JP, Broll H, Correa-Rotter R et al. Oral alendronate induces progressive increases in bone mass of the spine, hip, and total body over 3 years in postmenopausal women with osteoporosis. Bone 1996;18:141-50.
  3. Liberman UA, Weiss SR, Broll J et al. Effect of oral alendronate on bone mineral density and the incidence of fractures in postmenopausal osteoporosis. N Engl J Med 1995;333: 437-43.
  4. Tonino RP, Meunier PJ, Emkey R et al. Skeletal benefits of alendronate: 7-year treatment of postmenopausal osteoporotic women. J Clin Endocrinol Metab 2000;85:3109-15.
  5. Vermeire E. Fractuurpreventie: de kracht van evidentie of de impact van optimisme? Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(2):88-93.
  6. Bruyere O, Edwards J, Reginster JY. Fracture prevention in postmenopausal women. Clin Evid 2004;11:1450-67.
  7. Homik JE, Cranney A, Shea B et al. Bisphosphonates for steroid induced osteoporosis. In: The Cochrane Database of Systematic Reviews, 1999, Issue 1.
  8. Elders P, Van Keimpema JC, Petri H et al. NHG-Standaard Osteoporose. Huisarts Wet 1999;42:115-28.
  9. Appraisal Consultation Document:Technologies for the prevention and treatment of osteoporosis and the prevention of osteoporotic fractures in postmenopausal woman. National Institute for Clinical Excellence 2003.
 
Alendronate: dix ans d'expérience

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Glossaire

score T, Z-score

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