Revue d'Evidence-Based Medicine



Thrombolyse intraveineuse versus traitement endovasculaire pour l’AVC ischémique aigu



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 7 Page 82 - 83

Professions de santé


Analyse de
Broderick JP, Palesch YY, Demchuk AM, et al; Interventional Management of Stroke (IMS) III Investigators. Endovascular therapy after intravenous t-PA versus t-PA alone for stroke. N Engl J Med 2013;368:893-903.


Question clinique
En cas d’AVC ischémique aigu, l’ajout d’un traitement endovasculaire après administration intraveineuse d’activateur tissulaire du plasminogène recombinant (t-PA) est-il plus efficace que l’administration seule de t-PA en termes de capacités fonctionnelles à 90 jours post incident ?


Conclusion
Les études IMS III, SYNTHESIS et MR-RESCUE n’ont pas montré de supériorité du traitement endovasculaire par rapport au traitement standard (thrombolyse par administration intraveineuse d’altéplase). Ces conclusions n’étayent pas l’intime conviction de beaucoup de cliniciens de la supériorité du traitement IA. Celle-ci est basée sur des « surrogate endpoints », comme un taux de recanalisation supérieur. Ces études n’ont pas suffisamment évalué la dernière génération de cathéters de thrombectomie, les stent-retrievers. Ceux-ci devraient être évalués dans des essais randomisés contrôlés, en minimisant le plus possible le délai d’intervention.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Contexte 

A ce jour, le seul traitement ayant prouvé son efficacité dans le traitement de l’AVC ischémique aigu est l’administration d’altéplase (t-PA) en intraveineux (IV) (1). Son grand avantage est qu’il peut rapidement être administré après examen clinique et scanner cérébral. Un traitement intra-artériel (IA) permet de recanaliser des grosses artères en occlusion, plus fréquemment et plus rapidement que l’altéplase en IV (2). Un traitement IA (seul ou en ajout) n’avait jusqu’à présent pas montré sa supériorité versus traitement par altéplase IV dans un essai randomisé contrôlé.

 

Résumé

Population étudiée

  • patients âgés de 18-82 ans, ayant reçu du t-PA IV < 3 heures après le début des symptômes, avec un AVC ischémique modéré à sévère (avec un National Institute of Health Stroke Scale (NIHSS) ≥ 10) au début du traitement
  • après un amendement du protocole initial, des patients avec un National Institutes of Health Stroke Scale (NIHSS) de 8-9, mais avec preuve sur CT-angiographie d’une occlusion d’une grosse artère de la base du crâne, ont pu être également inclus
  • 900 patients prévus, dans un rapport 2 (endovasculaire) à 1 (t-pA)
  • critères d’inclusion et d’exclusion correspondant à la routine clinique.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en protocole ouvert, avec évaluation des critères de jugement en aveugle
  • intervention : traitement par t-PA IV suivi d’un traitement IA (IV/IA, n = 434) avec le traitement standard par t-PA IV (IV, n = 222) ; t-PA IV initié dans les 3 heures dans les 2 groupes ; traitement IA choisi par le radiologue neuro-interventionnel et pouvant comporter l’administration IA de t-PA par différents dispositifs (approuvés progressivement par la FDA et le steering comité) ; procédure angiographique devant être initiée dans les 5 heures et terminée dans les 7 heures après le début des symptômes.

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : au jour 90, score ≤ 2 sur l’échelle de Rankin modifiée (mRS) (3), signifiant une indépendance fonctionnelle
  • critères de jugement secondaires :
    • sécurité de l’approche IV/IA par rapport au traitement t-PA IV seul : mortalité à 3 mois, hémorragie intracrânienne symptomatique confirmée par CT ou RMN
    • efficacité de l’approche IV/IA par rapport au traitement t-PA IV seul, par paramètres indirects d’efficacité comme le score TICI (Thrombolysis in Cerebral Infarction) (4) évaluant le degré de recanalisation artérielle et de reperfusion tissulaire en fin de procédure angiographique, et la perméabilité vasculaire intracrânienne à 24 heures en CT-angiographie (CTA)
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • 656 patients randomisés sur les 900 prévus pour futilité observée lors d’une analyse intermédiaire (prévue dans le protocole initial) ; 100 patients (24%) alloués au traitement IA en ajout ne l’ont finalement pas reçu, leurs résultats ne pouvant influencer les résultats moyens finaux
  • critère de jugement primaire, proportion de patients avec un mRS ≤ 2 : pas de différence statistiquement significative entre le groupe IV/IA et le groupe IV t-PA seul : 40,8% et 38,7%, différence absolue ajustée de 1,5%, avec IC à 95% de -6,1 à 9,1 ; pas de différence statistiquement significative pour les sous-groupes prédéfinis (sévérité de l’AVC, âge, présence d’une fibrillation auriculaire, rapidité du traitement)
  • critères de jugement secondaires :
    • décès, taux d’hémorragies intracrâniennes symptomatiques ou taux d’hématomes parenchymateux : pas de différence significative à 7 et à 90 jours
    • taux de recanalisation et de reperfusion en fin d’angiographie inversement corrélés avec la taille de l’artère : avec un score TICI de 2b-3 (reperfusion de ≥ 50% - 100% dans le lit vasculaire de l’artère occluse) plus de chance d’obtenir un mRS ≤ 2 à 90 jours ; taux de recanalisation en CTA à 24 heures (si mesure initiale et à 24 heures) nettement plus élevés dans le groupe IA pour les occlusions des grandes artères (artères carotide interne et cérébrale moyenne) que dans le groupe IV t-PA.  

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent à des résultats similaires en termes de sécurité et à une absence de différence significative en termes d’indépendance fonctionnelle pour l’ajout d’un traitement endovasculaire à une administration intraveineuse de t-PA versus administration intraveineuse de t-PA seule.

Financement de l’étude 

National Institutes of Health, National Institute of Neurological Disorders and Stroke, Genentech, EKOS, Concentric Medical, Cordis Neurovascular, Boehringer Ingelheim.

Conflits d’intérêt des auteurs 

15 des 29 auteurs déclarent avoir reçu des paiements de firmes pharmaceutiques, des autorités ou d’autres organisations ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La nature des traitements comparés ne permet pas d’autre méthodologie que PROBE (prospective randomized, open, blinded endpoints). Lors du déroulement de l’étude, plusieurs amendements de protocole ont été approuvés, pour qu’elle reste cliniquement pertinente. En effet, pendant les 6 ans de durée de cette étude, plusieurs nouveaux types de cathéters ont été commercialisés, avec des taux de recanalisation supérieurs par rapport à ceux obtenus avec les cathéters utilisés initialement. Sans ces amendements, de plus nombreux patients auraient été traités « en ouvert », hors étude. L’amendement 3 a permis l’utilisation de la CTA afin d’inclure des patients avec un AVC un peu mois sévère, mais avec une occlusion montrée au niveau d’une grosse artère de la base du crâne. Le choix du critère de jugement primaire (mRS2, indépendance fonctionnelle) correspond à ce que la grande majorité des cliniciens estiment comme un seuil cliniquement pertinent. Le choix des sous-groupes préalablement spécifiés est judicieux, par ce qu’il reflète un série de critères couramment utilisés en routine clinique (sévérité du déficit neurologique, l’étendue de la lésion en imagerie, rapidité du traitement, l’artère occluse, ..). Les auteurs s’en sont aussi rigoureusement tenus aux analyses statistiques préalablement protocolées et publiées.

Interprétations des résultats

L’efficacité d’une thrombolyse IV diminue rapidement avec le temps et est moindre en cas de thrombus important ou plus ancien. Le traitement intra-artériel (IA) permet de recanaliser les occlusions des grosses artères plus fréquemment et plus rapidement par rapport au t-PA en IV (2). Son principal désavantage est que cette procédure exige un délai plus important (rappel de l’équipe neuro-interventionnelle, transfert vers une autre institution), avec d’autres limites également : difficulté pour manœuvrer le cathéter jusqu’à l’occlusion, risque de lésion artérielle (perforation, dissection), fragmentation du caillot avec embolisation secondaire et risque lié à une anesthésie (si utilisée). Il comporte, comme le traitement IV, un risque d’hémorragie cérébrale. Le t-PA IV, suivi d’un traitement IA combine l’avantage d’une instauration rapide du traitement avec une probabilité plus grande de recanalisation en cas d’occlusion persistante après le traitement IV.

Les résultats de cette étude sont une grande déception pour les adeptes du traitement endovasculaire. En effet, la plupart des AVC sont le résultat d’une occlusion artérielle d’origine thrombotique ou embolique. Le but du traitement de l’AVC aigu est donc de recanaliser le plus vite possible cette artère afin de reperfuser le territoire à risque. Pour le seul traitement approuvé pour l’AVC ischémique aigu, le t-PA administré endéans les 4,5 heures après le début des symptômes, des taux de recanalisation faibles, en moyenne de 40%, ont toujours été rapportés. Les taux de recanalisation dans cette étude-ci étaient nettement plus élevés dans le groupe endovasculaire que dans le groupe IV t-PA, néanmoins le résultat fonctionnel à 3 mois n’était pas meilleur. Cette observation trouve probablement son explication dans le fait qu’une recanalisation d’une artère n’apporte pas de bénéfice si elle a lieu trop tard, c'est-à-dire quand le tissu est déjà infarci. Néanmoins, l’étude IMS III ouvre des perspectives pour de futures études. Bien que statistiquement non-significatifs, les résultats de l’analyse des sous-groupes suggèrent un bénéfice si le t-PA IV est administré dans les 2 heures avec un traitement endovasculaire suivant dans les 90 minutes.

Autres études

Dans la même semaine, 2 autres études évaluant le traitement IA ont été publiées : SYNTHESIS (5) et MR-RESCUE (6). La première, comparant un traitement IA avec le t-PA IV, a inclus 362 patients (181 IV et 181 IA). Contrairement à IMS III, des patients avec un déficit léger (pas de limitations du score NIHSS) ont également été inclus. Dans le groupe IV, le traitement a été administré en moyenne 2,75 heures après le début des symptômes et dans le groupe IA 3,75 heures après le début. Cette étude montre que le traitement endovasculaire n’est pas supérieur au traitement IV pour le critère de jugement primaire (mRS 1 : pas de handicap fonctionnel malgré des symptômes neurologiques). MR-RESCUE se différencie des 2 autres études par une imagerie cérébrale plus poussée pour identifier un profil de pénombre favorable (une petite zone centrale irrévocablement infarcie et une grande zone périphérique potentiellement récupérable, la pénombre) ou défavorable. L’espoir était d’identifier des patients qui pourraient bénéficier d’un traitement IA au-delà des 4,5 heures établies. La thrombectomie n’est pas supérieure au traitement standard pour le critère de jugement primaire (mRS ≤ 2), pour les 2 groupes de patients (profil favorable, profil défavorable). Il n’y avait donc pas d’interaction entre le profil d’imagerie et le traitement assigné.

 

Conclusion de Minerva

Les études IMS III, SYNTHESIS et MR-RESCUE n’ont pas montré de supériorité du traitement endovasculaire par rapport au traitement standard (thrombolyse par administration intraveineuse d’altéplase). Ces conclusions n’étayent pas l’intime conviction de beaucoup de cliniciens de la supériorité du traitement IA. Celle-ci est basée sur des « surrogate endpoints », comme un taux de recanalisation supérieur. Ces études n’ont pas suffisamment évalué la dernière génération de cathéters de thrombectomie, les stent-retrievers. Ceux-ci devraient être évalués dans des essais randomisés contrôlés, en minimisant le plus possible le délai d’intervention.

 

Pour la pratique

A l’heure actuelle, un traitement endovasculaire n’a pas montré de supériorité par rapport au t-PA IV pour le traitement de l’AVC aigu qui reste recommandé < 4,5 heures après le début des symptômes d’AVC (1). Un traitement endovsculaire ne peut être envisagé qu’en cas de contre-indication à la thrombolyse IV. Pour tous les autres patients, ce procédé ne devrait être réalisé que dans le cadre de technique d’études randomisées contrôlées.

 

Références

  1. Wardlaw JM, Murray V, Berge E, et al. Recombinant tissue plasminogen activator for acute ischaemic stroke: an updated systematic review and meta-analysis. Lancet 2012;23;379:2364-72.
  2. Meyers PM, Schumacher HC, Connolly ES Jr, et al. Current status of endovascular stroke treatment. Circulation 2011;123:2591-601.
  3. Quinn TJ, Dawson J, Walters MR, Lees KR. Functional outcome measures in contemporary stroke trials. Int J Stroke 2009;4:200-6.
  4. Tomsick T, Broderick J, Carrozella J, et al; Interventional Management of Stroke II Investigators. Revascularization results in the Interventional Management of Stroke II trial. AJNR Am J Neuroradiol 2008;29:582-7.
  5. Ciccone A, Valvassori L, Nichelatti M, et al; SYNTHESIS Expansion Investigators. Endovascular treatment for acute ischemic stroke. N Engl J Med 2013;368:904-13.
  6. Kidwell CS, Jahan R, Gornbein J, et al; MR RESCUE Investigators. A trial of imaging selection and endovascular treatment for ischemic stroke. N Engl J Med 2013;368:914-23.
Thrombolyse intraveineuse versus traitement endovasculaire pour l’AVC ischémique aigu



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