Revue d'Evidence-Based Medicine
ISRS versus ADT en première ligne
Minerva 2004 Volume 3 Numéro 3 Page 45 - 47
Professions de santé
Résumé
Contexte
La plus grande partie des dépressions majeures sont traitées en première ligne, mais le choix du traitement est basé sur des études faites en deuxième ligne. Certaines études indiquent cependant que les dépressions majeures prises en charge en première ligne ont une autre étiologie et un décours naturel différent de celles traitées par la deuxième ligne. Les auteurs réalisent une méta-analyse concernant les patients de première ligne.
Méthode
Méta-analyse
Sources consultées
Les auteurs ont fait usage de la base de données «dépression, anxiety and neurosis group» de la Cochrane Collaboration, et recherché les références manquantes dans les articles sélectionnés. Ils ont également contacté des auteurs et des experts.
Etudes sélectionnées
Au total, 130 études ont été évaluées quant à leur pertinence. Les études chez des enfants ou des personnes âgées ont été exclues. Onze études randomisées, contrôlées, en première ligne, ont répondu aux critères de pertinence fixés. Après évaluation de la qualité méthodologique, six études parmi celles-ci ont été reprises dans une méta-analyse.
Population étudiée
Les 2 295 patients présentent un âge moyen situé entre 40 et 45 ans (18-70) et environ les trois quarts sont de sexe féminin. Au total, 1 247 patients ont été traités par ISRS et 1 048 par ADT.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est l’efficacité du traitement exprimée par la différence moyenne standardisée des scores de dépression sur le Clinical Global Impression score.
Les critères de jugement secondaires sont le nombre de patients arrêtant prématurément l’étude et le nombre de patients arrêtant en raison d’effets indésirables.
Résultats
Aucune différence significative d’efficacité n’est démontrée entre les ATD et les ISRS: différence moyenne standardisée pondérée: 0,07 (IC à 95 % de 0,02 à 0,15; p < 0,11). Davantage de patients arrêtent l’étude dans le groupe ADT (RR: 0,78; IC à 95 % de 0,68 à 0,90; p < 0,0007), également en raison d’effets indésirables (RR: 0,73, IC à 95 % de 0,6 à 0,88; p < 0,0001).
Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent que peu d’études, et de plus de qualité moyenne, permettent de statuer sur l’efficacité (relative) des ADT et ISRS en première ligne.
Financement
L’étude est financée par le «Chief Scientist Office» (Ecosse).
Conflits d’intérêt
Les auteurs déclarent avoir reçu des financements de firmes pharmaceutiques, dont GlaxoSmithKline et Eli-Lilly, pour d’autres activités.
Discussion
Cette étude est importante, parce qu’elle est la première à évaluer l’efficacité et les effets indésirables des antidépresseurs dans des recherches effectuées uniquement en première ligne. Les auteurs abordent, dans ce cadre, la discussion sur les différentes étiologies et le décours naturel de la dépression en première versus deuxième ligne et les conséquences qui en découlent pour les décideurs 1. Assez curieusement, les auteurs soufflent le chaud et le froid.
Le chaud
En première ligne également, les antidépresseurs semblent efficaces dans la prise en charge de la dépression majeure, aussi bien les ADT que les ISRS. En matière de nombre de sorties d’étude, totales aussi bien que liées à des effets indésirables, il existe un avantage significatif des ISRS. Une première méta-analyse 2 des études en première et deuxième lignes ne montrait pas de différence dans les sorties d’étude entre ISRS (32,3 %) et les ADT (33,2 %), tandis qu’une deuxième méta-analyse 3 montrait une proportion plus faible pour les ISRS (29,2 % à 32,4 %) que pour les ADT (31,7 % à 35 %). Dans l’étude analysée ici, un pourcentage de sortie moindre est observé en première ligne: 10 % de moins pour les ISRS et 5,5 % de moins pour les ADT. Dans les études portant sur les ADT plus récents, pour le «deuxième groupe» d’antidépresseurs 4 (dothiépine, miansérine, lofépramine), aucune différence n’est observée versus ISRS.
Le froid
Les auteurs soulignent eux-mêmes les limites méthodologiques de cette méta-analyse. La plupart des études incorporées n’incluent qu’un petit nombre de participants et elles sont toutes financées par l’industrie (l’éditorial du présent numéro de notre revue vous éclairera sur la signification de ce constat) 5. Elles sont également en majorité de faible qualité méthodologique et leurs résultats sont parfois mal mentionnés. Enfin, leur durée est brève, de 6 à 8 semaines, ce qui est vraiment trop peu pour le suivi d’une dépression majeure. Les auteurs ne semblent guère attentifs à l’application curieuse des critères d’inclusion. D’une part, ils imposent le diagnostic de dépression majeure comme critère et d’autre part, ils sélectionnent onze études qui sont relativement hétérogènes: dépression majeure (4 études), dépression et angoisse (2 études) et un mélange de tableaux dépressifs divers (5 études). Pourquoi ne pas s’être limité aux études comportant une dépression majeure avérée comme critère d’inclusion?
Signification et mise en perspective
Dans leurs conclusions finales, les auteurs déclarent qu’il existe trop peu d’études en première ligne, qu’elles sont de moindre qualité, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions claires. Ils plaident pour une prise en compte du contexte de l’étude (première ou deuxième ligne) dans l’évaluation des médicaments. Nous voudrions cependant nous rapprocher encore davantage de la pratique du médecin généraliste.
La conclusion la plus remarquable est l’absence de preuve apportée par de bonnes études en première ligne sur la prise en charge d’une dépression mineure par des antidépresseurs. Ce n’est pas une triste nouvelle, sachant que les interventions psychothérapeutiques ont une efficacité claire dans ce domaine 6 et que les médecins généralistes peuvent également apprendre à maîtriser cette technique 7. Les ADT et les ISRS seraient également efficaces en première ligne. Cette donnée correspond à celles des autres études 6. Pour ce qui est des effets indésirables, cette première métaanalyse en première ligne montre une plus grande sortie d’étude avec les ADT. C’est une contribution importante dans la controverse concernant le choix et la place des anti-dépresseurs dans cette première ligne. Assez curieusement, les auteurs ne détaillent pas les effets indésirables en cause. L’option de fixer un choix sur base des caractéristiques et des risques du patient n’est pas envisagée ici (abord clinique): les ADT en premier choix, sauf en cas de risque anticholinergique ou cardiaque ou de risque suicidaire accru; pas d’ISRS en cas de risque neurologique ou gastro-intestinal 8-11. A ce jour, une thérapie comportementale cognitive reste à préférer pour une dépression mineure.
Conclusion
Cette première méta-analyse concernant l’efficacité et la sécurité des antidépresseurs en première ligne conclut à la pauvreté du nombre d’études, de faible qualité de surcroît. Les ATD et les ISRS seraient aussi efficaces et les effets indésirables seraient moins souvent observés qu’en deuxième ligne. Pour ce motif, nous plaidons avec les auteurs pour d’autres études en première ligne, également ciblées sur la dépression mineure.
Références
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- Bogaert M, Maloteaux J. Répertoire Commenté des Médicaments. Bruxelles. CBIP, 2003.
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- De Meyere M. Depressie in de eerste lijn: pleidooi voor eigen aanpak. Huisarts Nu (Minerva) 2000;29:158-61.
Auteurs
De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
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