Revue d'Evidence-Based Medicine



Analyse coût/bénéfice de la détection de l'HPV dans le dépistage du cancer du col



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 5 Page 75 - 77

Professions de santé


Analyse de
1. Mandelblatt JS, Lawrence WF, Womack SM, Jacobson D et al. Benefits and costs of using HPV testing to screen for cervical cancer. JAMA 2002;287:2372-81. 2. Kim JJ,Wright TC, Goldie SJ. Cost-effectiveness of alternative triage strategies for atypical squamous cells of undetermined significance. JAMA 2002;287:2382-90.


Question clinique
Quel est le bénéfice clinique attendu au niveau de la population cible de différentes stratégies de détection de dépistage systématique du cancer cervical? Quel est le coût de chaque stratégie pour la collectivité et pour le système des soins de santé? Quelle politique de dépistage systématique du cancer cervical peut-on en déduire?


Conclusion
L’utilisation optimale de la détection du Papillomavirus dans le dépistage du cancer du col de l’utérus reste à définir dans le contexte des soins de santé en Belgique. Au vu de ces études réalisées à l’étranger, les stratégies les plus prometteuses sont celles associant un prélèvement en phase liquide avec étalement mono-couche et détection virale HPV avec prélèvement lors d’une visite unique selon différentes modalités de réalisation (pour toutes les patientes d’office ou test HPV conditionnel au résultat cytologique) pour une population ciblée avec une fréquence de dépistage de 2 ans jusqu’à 75 ans. La réalisation d’office d’un test de détection HPV chez les femmes de moins de 30 ans reste sujette à discussion étant donné le taux élevé d’infection régressant spontanément dans cette tranche d’âge.


 

Résumé

Contexte

Deux avancées technologiques sont venues bouleverser la stratégie de dépistage classique du cancer du col de l’utérus basé sur le test de Papanicolaou (PAP). D’une part la mise au point de la cytologie en phase liquide pour la collecte des cellules cervicales et d’autre part la mise au point de tests de détection viraux très sensibles (par PCR ou capture hybride) d’un ensemble de variantes du Human Papillomavirus (HPV). Ces deux avancées ont ainsi fortement élargi l’éventail des stratégies de détection envisageables qu’il convient de comparer de façon systématique. L’intérêt comparatif du frottis classique et du frottis en phase liquide (avec cytologie en couche mince ou «monocouche») est analysé dans un autre article de cette revue 1.

Population de l’étude

L’étude de Mandelblatt utilise un modèle mathématique conçu pour des cohortes hypothétiques de femmes aux E.U. débutant un dépistage à l’âge de 20 ans jusqu’à l’âge de 65 ans ou jusqu’à leur décès. Les données cliniques sont une synthèse issue d’une soixantaine d’études différentes pratiquées dans différents pays du monde.

L’étude de Kim emploie également un modèle mathématique conçu pour une cohorte de femmes aux E.U. à partir de l’âge de treize ans, avec dépistage généralisé à partir de l’âge de dix-huit ans. Les données cliniques sont issues de base de données officielles U.S. ou d’études qui semblent toutes réalisées aux E.U.

Méthodologie de la recherche

L’analyse coût/efficacité de Mandelblatt évalue 3 stratégies de dépistage possibles par test de PAP traditionnel, avec détection conjointe du Papillomavirus (HPV) ou par détection HPV seule en fonction de deux autres paramètres: la fréquence du dépistage (2 ans ou 3 ans) et l’âge maximal du dépistage (65, 75 ans ou à vie). L’analyse coût-efficacité de Kim évalue 4 stratégies possibles en cas de résultat cytologique indéterminé (ASCUS pour atypical squamous cells of undeterminated significance).

Dans les deux études, les auteurs se basent sur la donnée qu’une néoplasie cervicale est la suite naturelle d’une infection à HPV et qu’elle ne survient que rarement (<5%) en dehors d’une contamination par HPV.

Mesure des résultats

Les résultats des deux recherches sont présentées en QALY et en différence de coût-efficacité incrémentée pour chaque stratégie.

Résultats

Dans l’étude de Mandelblatt, il apparaît que, parmi les 18 stratégies de dépistage possibles, c’est la stratégie asso ciant test de PAP et détection de HPV à une fréquence de 2 ans sans limite d’âge qui est la plus efficace en terme de cas détectés ou de décès évités, mais qui s’avère aussi très coûteuse, avec un coût incrémentiel de $ 76 183 par QALY. La deuxième stratégie la plus efficace est de réaliser le test de PAP seul, tous les 2 ans à vie. Dans tous les cas le fait d’arrêter le dépistage à 75 ans ne réduit cependant que très peu le bénéfice clinique. Les autres options, mis à part le test de PAP effectué tous les 3 ans, sont plus coûteuses pour un bénéfice clinique attendu moindre. Les stratégies basées sur la seule détection du HPV sont aussi efficaces que le dépistage PAP mais beaucoup plus coûteuses (coûts non mentionnés). Outre le coût de la détection du HPV au niveau de la population, c’est surtout la fréquence du dépistage ainsi que les taux de progression entre les différents stades de néoplasie cellulaire qui influencent les résultats. Le fait de considérer un résultat cytologique indéterminé (ASCUS) comme anormal devant être vérifié d’office par colposcopie ou d’utiliser un prélèvement en phase liquide ne change pas fondamentalement les résultats. Il ressort de l’analyse du modèle de Kim que toutes les options impliquant une deuxième visite (selective recall) suite à un premier résultat d’ASCUS pour prélèvement pour un test HPV sont à rejeter car trop coûteuses même en cas d’assiduité à 100%. En terme d’efficacité clinique ce sont les stratégies basées sur une visite initiale unique avec cytologie liquide et analyse HPV (en cas d’ASCUS uniquement) qui sont les meilleures. La stratégie la moins coûteuse mais aussi la moins efficace est de considérer les cas d’ASCUS comme normaux et de ne pas poursuivre les investigations.

Conclusions des auteurs

Mandelblatt et coll concluent qu’un examen tous les deux ans par test de PAP plus une recherche de l’HPV permet de sauver davantage d’années de vie que le PAP test seul et pour un prix acceptable. Limiter le dépistage à un certain âge de la femme permet de limiter les coûts sans grande perte du gain clinique.

Kim et coll concluent que la stratégie de reflex testing avec HPV en cas d’ASCUS est plus efficiente par rapport au coût (même gain clinique mais coût moindre) que les autres stratégies.

Financement

L’étude de Mandelblatt a été financée par le «National Institute of Aging» et par le «Departement of the Army» des États-Unis. Aucun financement par des sources extérieures n’est mentionné dans l’étude de Kim.

Conflits d’intérêts

Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné dans l’étude de Mandelblatt. Un des auteurs de l’étude de Kim a été financé par des fabricants de kits de tests.

Discussion

Données américaines

Le modèle part de la situation existante aux Etats-Unis, semblable à celle de la Belgique, à savoir un dépistage non systématique par test de PAP touchant 80% des femmes. Les résultats cytologiques de type indéterminé (ASCUS) sont considérés dans ce modèle comme étant négatifs et ne donnent pas lieu à une colposcopie de confirmation. Les taux de prévalence d’infection par HPV et de cancer du col sont ajustés par tranche d’âge et la compliance est fixée à 100% pour toutes les stratégies afin de faciliter les comparaisons. En fait étant donné le coût élevé (par rapport au test de PAP) des tests de détection du HPV, ce sont plutôt des stratégies sélectives d’utilisation du test HPV qui sont prometteuses.

D’où l’intérêt de développer des stratégies plus ciblées comme le triage par test HPV en cas ASCUS. C’est ce à quoi s’attache l’étude de Kim. Ici également plusieurs options sont possibles: collecte d’office d’un échantillon supplémentaire lors d’un test PAP traditionnel ou collecte par cytologie en phase liquide d’un seul échantillon pour toutes les patientes lors d’une visite unique (reflex testing) ou rappel pour une deuxième visite avec nouvelle collecte uniquement pour les patientes dont le test PAP est sujet à caution (selective recall). Alternativement les cas d’ASCUS peuvent également être considérés comme négatifs et ne donner alors lieu à aucune suite si ce n’est de poursuivre le cycle de dépistage habituel, soit considérés comme positifs et être suivis d’office par une colposcopie ou encore être suivis par un nouveau prélèvement de confirmation.

Limites des données et des modèles

Au vu de ces deux études, plusieurs éléments cruciaux apparaissent qui déterminent l’efficacité de détection et le coût de la mise en oeuvre de stratégies optimales de détection du cancer cervical. En premier lieu ces études font s’interroger sur le gain clinique attendu d’une fréquence de détection annuelle comme c’est le cas chez une partie de la population féminine actuelle par rapport à une fréquence moins élevée de détection mais systématique tous les 2 ans et sur l’âge maximal de dépistage. Cependant certaines limites des modèles décrits ci-dessus peuvent être mises en exergue. C’est ainsi que l’assiduité aux visites de détection n’est en pratique pas égale à 100%, diffère fortement selon les catégories socioprofessionnelles et culturelles de la population et peut varier selon la stratégie étudiée. Par exemple, dans le cadre d’un rappel annuel, la proportion de femmes ayant eu au moins une visite tous les 2 ans sera probablement plus élevée que dans le cas d’un rappel unique tous les 2 ans. Il est clair cependant que toute stratégie minimisant le nombre de visites et les rappels augmente la compliance et diminue également les coûts.

L’applicabilité directe des résultats de ces études à d’autres contextes n’est pas immédiate notamment à cause des différences de coûts des soins et des habitudes de pratique par rapport aux États-Unis et aussi à cause de la prévalence d’infection par HPV qui peuvent être différentes d’un pays à l’autre 2 . L’amélioration du test de Papanicolaou par la cytologie mono-couche à partir du prélèvement en phase liquide joue également un rôle mais relativement mineur cependant. En effet plus le test de PAP devient performant c’est-à-dire surtout plus sensible, moins il est nécessaire de le complémenter par un autre test. Une évaluation des performances opérationnelles des tests en pratique quotidienne reste donc nécessaire 2.

Par ailleurs le taux élevé d’infection par HPV mais régressant spontanément chez les jeunes femmes jusqu’environ 30 ans génère un taux élevé de (faux) positifs et des coûts importants de suivi dans le cas d’une stratégie par test HPV uniquement ou d’une stratégie de détection combinée pour toutes les patientes. Il serait donc intéressant de combiner des stratégies de dépistage différentes selon la tranche d’âge des patientes.

Enfin il faut distinguer entre prélèvement et analyse. En effet si un prélèvement à des fins de dépistage d’infection virale peut être facilement réalisé lors de chaque visite, le test proprement dit ne doit pas pour cela être réalisé automatiquement mais peut ne l’être conditionnellement que dans certains cas déterminés, par exemple en cas de cytologie indéterminée (ASCUS) ou en cas de test de PAP négatif chez des patientes à risque.

 

Conclusion

L’utilisation optimale de la détection du Papillomavirus dans le dépistage du cancer du col de l’utérus reste à définir dans le contexte des soins de santé en Belgique. Au vu de ces études réalisées à l’étranger, les stratégies les plus prometteuses sont celles associant un prélèvement en phase liquide avec étalement mono-couche et détection virale HPV avec prélèvement lors d’une visite unique selon différentes modalités de réalisation (pour toutes les patientes d’office ou test HPV conditionnel au résultat cytologique) pour une population ciblée avec une fréquence de dépistage de 2 ans jusqu’à 75 ans. La réalisation d’office d’un test de détection HPV chez les femmes de moins de 30 ans reste sujette à discussion étant donné le taux élevé d’infection régressant spontanément dans cette tranche d’âge.

 

Références

  1. Smeets F. Dépistage du cancer du col: étalement fin, test HPV ou PAP? Minerva F 2004;3(5):73-5.
  2. Future directions in epidemiologic and preventive research on human papillomaviruses and cancer. Pro ceedings of a workshop. Bethesda, Maryland, USA, June 2002. J Natl Cancer Inst Monogr 2003;31:1-130.
Analyse coût/bénéfice de la détection de l'HPV dans le dépistage du cancer du col

Auteurs

Crott R.
Health Economics Unit, European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC)
COI :

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