Résumé

Contexte

La peur de la douleur est, dans 87% des cas, la raison de refus des femmes pour la réalisation d’un frottis de dépistage du cancer. L’emploi d’une faible quantité de gel hydrosoluble peut faciliter l’introduction d’un spéculum. La majorité des traités de gynécologie déconseillent cependant l’emploi d’un lubrifiant pour éviter une interférence avec la qualité du frottis.

Population étudiée

L’étude de Harer et coll. inclut 182 femmes d’âge moyen de 35 ans, consultant pour un frottis de col dans une clinique pour femmes en Californie (E.U.). Les facteurs d’exclusion sont: cancer du col non traité et saignement actif. L’étude d’Amies et coll. se déroule dans cinq cliniques de Seattle (E.U.) et inclut 2 906 femmes d’un âge moyen de 23 ans consultant également pour un frottis.

Méthodologie des études

Les deux études cliniques sont randomisées, en aveugle et contrôlées. Dans l’étude de Harer, le spéculum est enduit de 2-3 cc d’un gel hydrosoluble (Surgilobe®) pour 93 des femmes. Pour les 89 autres femmes, de l’eau est employée comme seul lubrifiant. Dans l’étude d’Amies, durant 6 mois, un gel hydrosoluble (HR Lubricating Jelly®) est utilisé dans 3 cliniques pour 1 441 femmes lors de l’examen au spéculum, tandis que dans 3 autres cliniques (1 466 femmes), seule de l’eau courante est utilisée. Dans les deux études, les frottis sont effectués au départ d’une spatule d’Ayre et d’une cytobrosse. Les frottis sont analysés par des pathologistes ignorant l’utilisation éventuelle d’un gel hydrosoluble.

Mesure des résultats

Dans les deux études, le nombre de frottis Papanicolaou de qualité insatisfaisante est comparé entre les deux groupes (avec ou sans lubrifiant). Dans l’étude d’Amies, les résultats cytopathologiques sont, de surplus, comparés entre les cliniques utilisant ou pas un gel hydrosoluble, dans les 6 mois avant, durant et dans les 6 mois après l’examen.

Résultats

Dans les deux études, aucune différence significative n’est observée, dans le pourcentage de frottis PAP de qualité insatisfaisante, entre le groupe intervention et le groupe contrôle (voir tableau). Dans l’étude d’Amies, aucune différence n’est identifiée pour les cellules squameuses atypiques ou de signification non déterminée (ASCUS), les lésions intra-éphithéliales de bas et de haut grades (LSIL et HSIL) et les cellules glandulaires atypiques ou de signification indéterminée (AGCUS) entre les cliniques utilisant ou non le gel hydrosoluble, et ceci durant les six mois avant, les six mois pendant et les six mois après l’utilisation du gel.

Tableau: Nombre (%) de frottis Papanicolaou (PAP) de qualité insatisfaisante lors de l’utilisation ou non d’un lubrifiant

Conclusions des auteurs

Les auteurs des deux études concluent que l’utilisation d’une petite quantité de gel hydrosoluble sur le spéculum n’influence pas la qualité du frottis.

Financement

Deux auteurs de l’étude d’Amies ont reçu une aide financière du «National Institute of Health» (US). Aucune information concernant le financement n’est mentionnée dans l’étude de Harer.

Conflits d’intérêt

Non mentionnés dans les deux articles.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les échantillons de population des deux études sont suffisamment importants pour permettre d’obtenir des résultats fiables. Dans l’étude d’Amies, une puissance de 80% est atteinte pour pouvoir montrer un Odds Ratio de 2,0, c’est-à-dire, un doublement du nombre de frottis de mauvaise qualité. Harer et coll. affirment n’avoir que rarement un frottis de mauvaise qualité et calculent, en milieu d’étude, une puissance de 70% pour mettre en évidence une différence de 5%. Sur base de cette donnée, ils ont arrêté l’étude quand ils ont eu les résultats de 182 femmes.

Les résultats des deux RCTs sont cohérents. La population étudiée dans les deux recherches est constituée de femmes jeunes, en âge de procréer. Dans ce groupe, peu de frottis PAP anormaux sont découverts. Des femmes à haut risque de cancer du col ne sont pas incluses dans ces études.

En pratique, un frottis PAP est parfois combiné à un prélèvement pour analyse de la flore ou pour une recherche d’une MST. Les études analysées n’évaluent pas le niveau d’interférence du gel sur un prélèvement pour une culture ou pour un examen microscopique. D’autres études n’apportent également pas de preuve de l’influence d’un lubrifiant dans ce domaine.

Considérations pratiques

Ces études ne nous permettent pas de conclure quant à la quantité maximale de gel pouvant être utilisée sans modifier la qualité cytologique. Aussi bien Amies que Harer parlent d’une «petite quantité». Dans l’étude d’Amies, les composants du gel utilisé sont décrits (eau, propylèneglycol, hydroxypropyl, méthylcellulose, car bomère 934P, méthylparabène, propylparabène et hydroxide de sodium). Une extrapolation des résultats de ces études pour d’autres compositions de lubrifiant n’est pas évidente. Dans les deux études, les prélèvements sont faits avec la spatule d’Ayre et la cytobrosse et un étalement de référence est fait sur une lame, avec fixation et envoi dans une boîte. Ce type de prélèvement procure une bonne qualité de frottis 1,2. Les deux études sont donc fiables à ce point de vue.

Meilleure compliance?

La peur de la douleur peut être un motif de non participation de femmes à un examen préventif. Porter une attention plus grande au confort de l’examen gynécologique sans nuire à la qualité du prélèvement est donc un défi que les médecins doivent relever. Les résultats de ces deux RCTs montrent donc clairement que l’emploi d’une petite quantité d’un lubrifiant hydrosoluble sur le spéculum ne modifie pas la qualité du frottis. Cette méthode peut donc être appliquée, si indiquée, dans la pratique. En pratique, cette méthode est la plus adaptée quand elle est indiquée. Elle pourrait permettre une meilleure compliance au dépistage du cancer du col, les femmes ne craignant plus d’avoir mal. Le niveau de douleur lors de l’insertion du spéculum n’est pas évaluée de manière explicite dans ces études, ce qui aurait pu être d’un intérêt complémentaire. D’autres variables telles que la parité, les infections, l’anxiété, de précédents abus sexuels, une dyspareunie peuvent également causer une douleur lors de l’examen au spéculum. Ces variables ne sont également pas prises en considération dans ces études

Conclusion

Ces deux études montrent que l’utilisation d’une faible quantité de gel lubrifiant hydrosoluble utilisé lors de l’introduction du spéculum n’a pas d’effet néfaste sur la qualité du frottis. Dans la recommandation de la WVVH 3 sur ce sujet, l’utilisation d’eau seule pour lubrifier le spéculum est recommandée. Sur base de ces études, cette recommandation peut être élargie: utilisation d’eau seule ou d'une petite quantité d’un lubrifiant hydrosoluble.

Références

1. Smeets F. Waarmee maken we de beste cervixuitstrijkjes? Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(6):269-72.
2. Buntinx F, Brouwers M. Relation between sampling device and detection of abnormality in cervical smears: a meta-analysis of randomised and quasi-randomised studies. BMJ 1996;313:1285-90. 
3. Smeets F, De Deken L, Baeten R, Govaerts F. WVVH-aanbeveling voor goede  medische praktijkvoering. Cervixkankerscreening. Huisarts Nu 2002; 29(3):275-95.