Revue d'Evidence-Based Medicine



La place des sartans dans l’insuffisance cardiaque chronique



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 6 Page 75 - 76

Professions de santé


Analyse de
Heran BS, Musini VM, Bassett K, et al. Angiotensin receptor blockers for heart failure. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 4.


Question clinique
Chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique symptomatique (classe NYHA II à IV), quelles sont l’efficacité et la sécurité des sartans en monothérapie ou en association avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) versus placebo ou IEC ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique permet de conclure que les sartans, versus placebo et IEC, n’apportent pas de plus-value en termes de mortalité globale et de nombre total d’hospitalisations chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque symptomatique, et ce indépendamment de la valeur de la fraction d’éjection du ventricule gauche. Les arrêts de traitement en raison d’effets indésirables sont moins fréquents avec les sartans, mais ceux-ci provoquent un nombre plus élevé d’hospitalisations pour d’autres causes que l’insuffisance cardiaque. L’association d’un sartan et d’un IEC chez les patients dont la FEVG ≤ 40% n’a pas d’effet sur la mortalité totale ni sur le nombre total d’hospitalisations, mais elle entraîne une augmentation du nombre d’effets indésirables.


 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique et chez lesquels la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) est diminuée, il est fortement recommandé d’instaurer dès que possible un traitement par IEC. Si l’inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine provoque de la toux, il est recommandé de remplacer les IEC par des sartans (1). L’efficacité des sartans en cas d’insuffisance cardiaque chronique n’est cependant pas encore suffisamment prouvée. Une précédente synthèse méthodique avec méta-analyse (2) montrait que la mortalité totale et le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque diminuaient de manière significative sous sartan versus placebo. Plusieurs études contrôlées randomisées (3-6) ont également évalué l’efficacité des sartans en termes d’hospitalisations pour tout motif (y compris les hospitalisations sans rapport avec l’insuffisance cardiaque) et l’arrêt du médicament en raison d’effets indésirables. À ce jour, aucune méta-analyse n’avait pris ces critères de jugement en compte (2,7,8). Ceux-ci sont cependant importants quand il s’agit de se faire une opinion plus complète des avantages et des inconvénients des sartans dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • synthèses méthodiques déjà réalisées
  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, HTA, DARE à partir de mai 2001 jusque juillet 2010.

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées menées en double aveugle chez des patients présentant une insuffisance cardiaque symptomatique ; groupe intervention recevant un sartan et groupe contrôle en parallèle recevant un placebo ou un IEC ; mention des chiffres de mortalité et de morbidité ; traitement d’une durée d’au moins quatre semaines
  • critères d’exclusion : traitement concomitant avec un autre médicament hors randomisation ; résultats publiés sous forme de résumé seul ou dans un journal sans revue par les pairs
  • inclusion de 24 études ; 33 à 5 010 patients par étude ; suivi allant de 4 semaines à 4 ans.

Population étudiée

  • 25 051 patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique symptomatique (NYHA II-IV) ; 17 900 présentant une FEVG ≤ 40%, et 7 151 une FEVG > 40% ; âge moyen de 54 à 73,5 ans ; 0 à 60% de femmes.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : mortalité globale (mortalité cardiovasculaire + non cardiovasculaire), morbidité cardiovasculaire (AVC + infarctus du myocarde (IM)), nombre total d’hospitalisations, hospitalisations pour insuffisance cardiaque (aggravation des symptômes de l’insuffisance cardiaque, complications du traitement de l’insuffisance cardiaque, syncope ou trouble du rythme en lien avec l’insuffisance cardiaque), hospitalisations pour d’autres raisons
  • critères de jugement secondaires : arrêt du médicament en raison d’effets indésirables
  • analyses en protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. S’il n’y a pas d’hétérogénéité statistique montrée, nous pouvons, dans une méta-analyse, utiliser le modèle d’effets fixes qui présuppose qu’il n’y a qu’une seule valeur sous-jacente pour l’effet constaté. Suivant ce modèle, une variation des effets observés est liée au hasard.">modèle d’effets fixes.

Résultats

  • critères de jugement primaires :
    • mortalité globale : non inférieure sous sartan versus placebo (9 études avec FEVG ≤ 40% et 2 études avec FEVG > 40%) ou versus IEC (N = 8) ; pas plus basse sous sartan + IEC versus IEC seul (N = 7)
    • morbidité cardiovasculaire : augmentation des IM (RR de 1,44 avec IC à 95% de 1,03 à 2,01 ; NNN = 52) sans diminution des AVC sous candésartan versus placebo (2 études avec FEVG ≤ 40%) ; pas de diminution des AVC ni des IM sous sartan versus IEC (N = 2) ; diminution des IM (RR de 0,64 avec IC à 95% de 0,44 à 0,92 ; NST = 50) sans diminution des AVC sous association sartan + IEC versus IEC (N = 1)
    • nombre d’hospitalisations :
      • nombre total d’hospitalisations : pas de différence entre les sartans et un placebo (2 études avec FEVG > 40% et 2 études avec FEVG ≤ 40%), ni entre les sartans et les IEC (N = 4), ni entre l’association sartan + IEC et un IEC seul (N = 2)
      • nombre d’hospitalisations en lien avec l’insuffisance cardiaque : pas de différence entre les sartans et un placebo chez les patients dont la FEVG > 40% (N = 2) et entre les sartans et les IEC (N = 4) ; diminution significative sous candésartan versus placebo chez les patients dont la FEVG ≤ 40% (RR de 0,71 avec IC à 95% de 0,61 à 0,82 ; NST = 13) (N = 3) et sous association sartan + IEC versus IEC seul (RR de 0,81 avec IC à 95% de 0,74 à 0,89 ; NNT=23) (N = 4)
      • nombre d’hospitalisations pour d’autres raisons : pas de différence entre les sartans et les IEC (N = 4) ; augmentation significative sous sartan par comparaison avec un placebo (RR de 1,06 avec IC à 95% de 1,01 à 1,12 ; NNN = 72) (2 études avec FEVG > 40% et 2 études avec FEVG ≤ 40%) et pas de différence sous une association sartan + IEC par comparaison avec un IEC (RR de 1,07 avec IC à 95% de 0,98 à 1,18)
  • critères de jugement secondaires : arrêt des médicaments en raison d’effets indésirables : plus fréquent avec les sartans qu’avec un placebo (RR de 1,19 avec IC à 95% de 1,09 à 1,30 ; NNN = 72) (N = 8) et plus fréquent avec l’association sartan + IEC qu’avec un IEC seul (RR de 1,34 avec IC à 95% de 1,19 à 1,51 ; NNN = 27) (N = 4) ; moins fréquent avec les sartans qu’avec les IEC (RR de 0,63 avec IC à 95% de 0,52 à 0,76 ; NST=17) (N = 6).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique symptomatique avec fraction d’éjection diminuée ou conservée, les sartans n’entraînent pas, versus placebo ou IEC, de diminution de la morbidité ou de la mortalité globale. Pour l’arrêt des médicaments en raison d’effets indésirables, les sartans sont mieux supportés que les IEC, mais leur sécurité et leur tolérance sont inférieures à celles d’un placebo. L’association sartan + IEC n’a d’effet ni sur la mortalité globale ni sur le nombre total d’hospitalisations ; l’arrêt de traitement en raison d’effets indésirables est plus fréquent qu’avec les IEC seuls.

Financement 

NIHR, UK Cochrane Collaboration Programme Grant, UK

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette synthèse méthodique a été publié en 2001 par la Cochrane Collaboration (9). Les résultats ont cependant été publiés par ailleurs (7) sans description de la stratégie de recherche. De ce fait, il ne nous est pas possible de déterminer si la stratégie de recherche du protocole initial a été rigoureusement suivie. Comme les autres méta-analyses n’ont trouvé aucune étude antérieure à 2001, les auteurs de la présente synthèse méthodique ont débuté leur recherche à partir de 2001. Le funnel plot que les auteurs ont réalisé n’est pas asymétrique, mais un biais de publication ne peut être exclu du fait du petit nombre (N =24) d’études. La qualité des études incluses a été évaluée par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre suivant la méthode de la Cochrane Collaboration (10). Parmi les 24 études incluses, seules 2 décrivent la séquence de randomisation, et seules 4, le secret d’attribution. Neuf études ne parlent pas de l’insu lors de l’évaluation de l’efficacité, et aucune étude n’a contrôlé si l’insu avait été correctement observé. Un risque de mention sélective est possible dans une grande RCT. Les auteurs n’ont pas effectué d’analyse de sensibilité en fonction de la qualité méthodologique des études incluses. Une hétérogénéité clinique importante entre les différentes études est présente ; les écarts importants pour l’âge et pour la répartition entre les sexes font supposer qu’il y a aussi de grandes différences entre les populations d’étude quant à la comorbidité et quant aux médicaments utilisés concomitamment. Le nombre de patients par étude et la durée de suivi dans les études différaient également fortement.

 

Mise en perspective des résultats

En accord avec de précédentes méta-analyses (2,7,8), cette méta-analyse-ci montre que, sur le plan de la mortalité totale, les sartans ne sont pas meilleurs que les IEC chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique symptomatique avec fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) diminuée ou conservée. Cette étude ne permet pas de savoir s’ils sont équivalents aux IEC. Pour le savoir, il est nécessaire de mener des études de non-infériorité. Il est toutefois étonnant que cette méta-analyse montre également qu’en termes de mortalité et de morbidité, les sartans ne sont pas supérieurs à un placebo. Cette observation est peut-être liée à la durée de suivi relativement courte (555 jours en moyenne) sous sartan dans la plus grande étude (jusqu’à 90% des données), Elle peut également être liée à un profil de risque différent des patients inclus dans les études sartans versus placebo d’une part et IEC versus placebo d’autre part.

La plus-value de cette méta-analyse est l’analyse des données relatives aux hospitalisations. Les hospitalisations sont en effet un indicateur important de la morbidité. Trois des quatre études les plus importantes ont mentionné le nombre d’hospitalisations, ce qui est en faveur de la validité externe des résultats. Il n’y avait pas de différence dans le nombre total d’hospitalisations entre les groupes sartans et les bras placebo, ni entre les groupes sartans et les groupes IEC. Chez les patients dont la FEVG ≤ 40%, nous voyons toutefois bien que, versus placebo, l’avantage des sartans en termes d’hospitalisations en rapport avec l’insuffisance cardiaque est anéanti par les résultats défavorables en termes d’hospitalisations sans lien avec l’insuffisance cardiaque. Cette « nouvelle » constatation est importante car l’absence d’effets prouvés des sartans sur la mortalité globale met en question leur plus-value dans l’insuffisance cardiaque symptomatique. Dans leur discussion, les auteurs de la synthèse signalent qu’il n’est pas certain que cette constatation ne concerne que les sartans. Ils font ainsi référence à une méta-analyse portant sur l’efficacité des IEC dans le traitement de l’insuffisance cardiaque (11). La sommation de 2 études qui ont mentionné les hospitalisations montre que l’énalapril est associé à une diminution des hospitalisations en lien avec l’insuffisance cardiaque (RR de 0,69 avec IC à 95% de 0,63 à 0,77) mais aussi à une augmentation du nombre d’hospitalisations pour d’autres causes (RR de 1,10 avec IC à 95% de 1,04 à 1,16).

Versus placebo, le traitement par sartan a entraîné plus d’arrêts de traitement en raison d’effets indésirables, mais il en a entraîné moins versus IEC. Les auteurs de la synthèse attirent cependant l’attention sur la sélection des patients dans certaines des études incluses. L’exclusion des patients qui précédemment avaient mal réagi aux sartans ou aux IEC, pourrait entraîner une sous-estimation des effets indésirables des sartans.

Enfin, cette méta-analyse montre aussi que l’ajout d’un sartan à un IEC entraîne une augmentation importante des effets indésirables, sans plus-value en termes de mortalité et de morbidité. Post-infarctus avec insuffisance cardiaque, cette association a également entraîné une augmentation importante des effets indésirables (12).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique permet de conclure que les sartans, versus placebo et IEC, n’apportent pas de plus-value en termes de mortalité globale et de nombre total d’hospitalisations chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque symptomatique, et ce indépendamment de la valeur de la fraction d’éjection du ventricule gauche. Les arrêts de traitement en raison d’effets indésirables sont moins fréquents avec les sartans, mais ceux-ci provoquent un nombre plus élevé d’hospitalisations pour d’autres causes que l’insuffisance cardiaque. L’association d’un sartan et d’un IEC chez les patients dont la FEVG ≤ 40% n’a pas d’effet sur la mortalité totale ni sur le nombre total d’hospitalisations, mais elle entraîne une augmentation du nombre d’effets indésirables.

 

Pour la pratique

La RBP belge concernant l’insuffisance cardiaque recommande d’administrer rapidement un IEC aux patients présentant une insuffisance cardiaque chronique avec fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) diminuée (GRADE 1A). Chez les patients cliniquement stables, un bêtabloquant est ajouté (GRADE 1A). Si l’IEC provoque de la toux, il peut être remplacé par un sartan (GRADE 1A). Si l’association IEC + bêtabloquant ou sartan + bêtabloquant n’est pas suffisamment efficace, la spironolactone sera ajoutée (GRADE 1A). L’efficacité des IEC et des sartans n’est pas prouvée en cas d’insuffisance cardiaque chronique avec FEVG conservée (1,8,13). Les résultats de la présente synthèse méthodique n’apportent pas d’argument pour modifier ces recommandations.

 

 

Références

  1. Van Royen P, Chevalier P, Dekeulenaer G, et al. Recommandation de bonne pratique. L’insuffisance cardiaque. SSMG 2011.
  2. Lee VC, Rhew DC, Dylan M, et al. Meta-analysis: angiotensin-receptor blockers in chronic heart failure and high risk acute myocardial infarction. Ann Intern Med 2004;141:693-704.
  3. McMurray JJ, Ostergren J, Swedberg K, et al; CHARM Investigators and Committees. Effects of candesartan in patients with chronic heart failure and reduced left-ventricular systolic function taking angiotensin-converting-enzyme inhibitors: the CHARM-Added trial. Lancet 2003;362:762-71.
  4. Granger CB, McMurray JJ, Yusuf S, et al; CHARM Investigators and Committees. Effects of candesartan in patients with chronic heart failure and reduced left-ventricular systolic function intolerant to angiotensin-converting-enzyme inhibitors: the CHARM-Alternative trial. Lancet 2003;362:772-6.
  5. Pitt B, Poole-Wilson PA, Segal R, et al. Effect of losartan compared with captopril on mortality in patients with symptomatic heart failure: randomised trial - the Losartan Heart Failure Survival Study ELITE II. Lancet 2000;355:1582-7.
  6. Cohn JN, Tognoni G; Valsartan Heart Failure Trial Investigators. A randomized trial of the angiotensin-receptor blocker valsartan in chronic heart failure. N Engl J Med 2001;345:1667-75.
  7. Jong P, Demers C, McKelvie RS, Liu PP. Angiotensin receptor blockers in heart failure: meta-analysis of randomized controlled trials. J Am Coll Cardiol 2002;39:463-70.
  8. Shah RV, Desai AS, Givertz MM. The effect of renin-angiotensin system inhibitors on mortality and heart failure hospitalization in patients with heart failure and preserved ejection fraction: a systematic review and meta-analysis. J Card Fail 2010;16:260-7.
  9. Jong P, Demers C, McKelvie RS, Liu P. Angiotensin receptor blockers for heart failure. Cochrane Database Syst Rev 2001, Issue 2.
  10. Higgins JPT, Green S (editors). Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions Version 5.1.0.. The Cochrane Collaboration. Available from www.cochrane-handbook.org: Wiley-Blackwell, 2011.
  11. Flather MD, Yusuf S, Kober L. Long-term ACE-inhibitor therapy in patients with heart failure or left-ventricular dysfunction: a systematic overview of data from individual patients. Lancet 2000;355:1575-81.
  12. Chevalier P, Boland B. Captopril et valsartan après un infarctus du myocarde avec insuffisance cardiaque. MinervaF 2005;4(2):31-3.
  13. Heart failure – chronic. Scenario: Left ventricular systolic dysfunction: What drug treatments should I consider in a person with heart failure and left ventricular systolic dysfunction? Prodigy.
La place des sartans dans l’insuffisance cardiaque chronique



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