Revue d'Evidence-Based Medicine



Fumer : arrêter subitement ou progressivement ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 6 Page 71 - 72

Professions de santé


Analyse de
Lindson-Hawley N, Aveyard P, Hughes JR. Reduction versus abrupt cessation in smokers who want to quit. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 11.


Question clinique
Quel est le degré d’abstinence après au moins 6 mois en cas diminution progressive du tabagisme versus arrêt brutal chez des fumeurs motivés à arrêter de fumer ? Quelle est la sécurité des médicaments lors de la diminution du tabagisme ?


Conclusion
Cette méta-analyse qui repose sur une méthodologie très correcte, conclut sur la base de 10 études randomisées contrôlées que, pour les fumeurs motivés pour arrêter de fumer, il n’y a pas de différence entre une diminution progressive du tabagisme et un arrêt brutal en termes de proportion de sujets abstinents après 6 mois.


 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

En absence d’aide, la plupart des fumeurs rechutent dans la semaine qui suit l’essai d’arrêt du tabac, et seuls 4% sont encore abstinents après un an (1). Le pourcentage de rechute est également élevé avec les programmes d’arrêt du tabac. Dans les centres spécialisés dans l’arrêt du tabac au Royaume-Uni par exemple, la proportion de patients encore abstinents après un an n’est que de 15% (2). La plupart des centres d’aide à l’arrêt du tabac, tout comme les guides de bonne pratique existants (3,4), conseillent un arrêt brutal du tabac. Un grand nombre d’arguments sont cependant en faveur d’une diminution progressive du nombre de cigarettes avant l’arrêt complet. Une enquête (5) a par exemple montré qu’une bonne moitié des fumeurs qui envisagent d’arrêter de fumer optent pour une diminution progressive. Parmi les autres arguments en faveur de ce choix, citons les éléments suivants : moins de symptômes de sevrage grâce à la réduction progressive de la nicotine, objectifs plus modestes qui sont donc plus faciles à atteindre, ce qui augmente la confiance en soi, et déconditionnement plus progressif par rapport aux habitudes tabagiques. Avant de pouvoir recommander cette méthode, il est cependant nécessaire de mener une recherche sur son efficacité par comparaison avec l’arrêt brutal du tabac.   

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Tobacco Addiction Review Group Specialised Register avec études contrôlées randomisées jusqu’en juillet 2012, trouvées via CENTRAL, MEDLINE, EMBASE et PsycINFO
  • recherche manuelle dans des revues spécialisées, des rapports de congrès, les listes de références d’études et de précédentes synthèses.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : étude randomisée ou quasi-randomisée ; fumeurs motivés à arrêter de fumer ; au moins un groupe avec conseil de diminuer le nombre de cigarettes, et au moins un groupe avec conseil d’arrêter brutalement ; thérapie comportementale et pharmacothérapie réparties de manière égale entre les 2 groupes ; mention de l’arrêt du tabac au moins 6 mois après le jour de l’arrêt
  • inclusion de 10 études : 7 menées aux États-Unis, 1 en Autriche, 1 en Suisse et 1 en Espagne ; recours à des médicaments dans 3 études ; 5 études avec soutien comportemental en face à face ou par téléphone ; 4 études avec manuel ou programme informatique d’auto-assistance, et 1 étude avec les 2 moyens.

Population étudiée

  • 3 760 (14 à 1 277 par étude) fumeurs de cigarettes (25,4 cigarettes par jour en moyenne) âgés en moyenne de 42,8 ans ; autant d’hommes que de femmes.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : absence de tabagisme au moins 6 mois après le jour de l’arrêt initial, de préférence avec une preuve biochimique plutôt que la simple déclaration d’arrêt du tabac (par la personne elle-même).
  • critères de jugement secondaires : nombre et nature des effets indésirables.

Résultats

  • critère de jugement primaire : pas de différence entre les 2 groupes quant à l’absence du tabagisme (RR de 0,94 avec IC à 95% de 0,79 à 1,13) ; pas d’influence d’un recours à un médicament ou d’un soutien comportemental
  • critères de jugement secondaires :
  • effets indésirables : pour les 7 études sans recours à un médicament, pas de mention ; pour les 3 études avec recours à des médicaments, mention d’effets indésirables attendus lors d’un traitement de substitution nicotinique : bouche douloureuse, bouche sèche, brûlure de gorge, hoquet, douleur gastrique.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en termes d’arrêt du tabac, la diminution du nombre de cigarettes avant le jour de l’arrêt donne des résultats semblables à ceux d’un arrêt brutal du tabac. Par conséquent, il est possible de laisser aux patients le choix entre ces 2 méthodes. Les méthodes de diminution peuvent être appliquées avec du matériel d’auto-assistance ou être renforcées par un accompagnement comportemental ; elles peuvent être utilisées avec un traitement de substitution nicotinique avant l’arrêt. Pour étayer la stratégie future et les nouvelles interventions, il est nécessaire de poursuivre la recherche de manière à savoir quelle méthode de diminution est la plus efficace et quel type de fumeur sera le mieux aidé par une stratégie déterminée.  

Financement 

University of Birmingham; University of Vermont; National Institute for Health Research and the National Health Service; the UK Centre for Tobacco Control Studies; Fletcher Allen Health Care

 

Conflits d’intérêt 

les 3 auteurs ont des activités de consultance et de recherche pour des firmes pharmaceutiques qui produisent des médicaments en rapport avec l’arrêt du tabac. Un des auteurs a mené une recherche universitaire dont le promoteur était un producteur de produits de substitution nicotinique .

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse a suivi la méthode de la Cochrane Collaboration. Deux chercheurs ont recherché les articles pertinents dans la base de données Cochrane Tobacco Addiction Review Group Specialised Register, elle-même basée sur CENTRAL, MEDLINE, EMBASE et PsycINFO, mise à jour en 2012. En effectuant une recherche manuelle complémentaire, il y a des chances que le biais de publication soit peu significatif. Un petit nombre d’études trouvées ne permet pas de repérer un biais de publication. L’inclusion finale, l’extraction des données et l’évaluation méthodologique des études incluses ont été effectuées par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Les 2 études les plus récentes n’ont pas montré de risque de biais pour les trois items étudiés (la randomisation, le secret d’attribution et l’imputation des données manquantes). Une analyse de sensibilité a pu montrer que les résultats de la méta-analyse n’étaient pas influencés par l’inclusion de 2 études avec un risque de biais pour 3 items et de 2 études avec un risque de biais pour 2 items. Une autre analyse de sensibilité a également montré que les résultats n’étaient pas influencés par une mesure objective de l’arrêt du tabac, qu’elle soit ou non validée. Malgré l’absence d’hétérogénéité statistique, les études sont différentes pour la durée du suivi, ce qui n’a pas permis de sommer les chiffres absolus concernant l’arrêt du tabac.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude montrent que, chez les fumeurs adultes qui tentent d’arrêter de fumer, il n’y a pas de différence pour la proportion d’arrêts entre un arrêt brutal du tabac et une diminution progressive. Ce résultat doit cependant être interprété avec la prudence requise. Premièrement, il se fonde sur un petit nombre d’études. Seules 10 des 543 études initialement trouvées ont finalement été retenues pour cette méta-analyse. En comparaison avec une version précédente de cette synthèse (6), aucune étude nouvelle n’a été incluse. Sept études datent d’avant 2000, et la certitude d’un respect d’une méthodologie correcte est limitée aux études les plus récentes (voir plus haut).

Dans leur discussion, les auteurs avancent quelques suggestions pour expliquer le résultat observé. Les patients seraient plus enclins à arrêter de fumer lorsque les objectifs fixés sont plus modestes. Les résultats d’études d’observation confirment cette affirmation. La diminution du tabagisme a conduit non seulement à une réduction de la consommation de tabac suivant les déclarations des patients, mais aussi à une plus grande motivation qui les a poussés à arrêter complètement de fumer (7). Une autre étude a davantage mis en évidence la nécessité d’autres interventions plus poussées pour atteindre un arrêt durable du tabagisme après diminution (8). Un critère d’inclusion important pour cette méta-analyse était d’ailleurs le fait que les participants devaient avoir l’intention d’arrêter complètement de fumer. En d’autres termes, l’objectif n’était pas de continuer à fumer après avoir diminué la consommation de tabac. Une implication importante pour la pratique clinique en découle : l’objectif principal d’une diminution progressive reste l’arrêt complet du tabac.

Intuitivement, nous pouvons nous attendre à ce que le recours à des médicaments augmente les chances de réussite d’un programme de diminution. Les analyses de sous-groupes montrent que les résultats ne dépendent cependant ni de la manière dont s’est déroulé l’accompagnement à l’arrêt du tabac ni d’un recours à des médicaments. Les médicaments utilisés étaient uniquement des médicaments de substitution nicotinique et non du bupropion ou de la varénicline. Une place pour ces 2 médicaments après diminution du tabagisme reste à évaluer. Cette méta-analyse ne permet pas de savoir si les médicaments de substitution nicotinique entraînent des effets indésirables plus sévères au cours de la période de diminution. Une synthèse récente montre que ce n’est pas le cas (9).

En raison du nombre limité d’études et de l’hétérogénéité clinique entre ces études, cette méta-analyse n’apporte pas de réponse aux questions suivantes. Quelle est la méthode de diminution la plus efficace (par exemple avec ou sans schéma de réduction fixe) ? Quelle est la période idéale pour un programme de diminution ? Quel type de fumeur entre en ligne de compte pour la diminution du tabagisme (par exemple les gros fumeurs ou les fumeurs occasionnels) ? La diminution du tabac peut-elle aussi être conseillée aux fumeurs qui n’ont pas l’intention d’arrêter complètement de fumer ? Différentes synthèses montrent que conseiller de fumer moins aux fumeurs qui ne sont pas motivés à arrêter le tabac peut augmenter les chances de succès lors d’une tentative d’arrêt ultérieure (10,11).

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse qui repose sur une méthodologie très correcte, conclut sur la base de 10 études randomisées contrôlées que, pour les fumeurs motivés pour arrêter de fumer, il n’y a pas de différence entre une diminution progressive du tabagisme et un arrêt brutal en termes de proportion de sujets abstinents après 6 mois.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique du NHG sur l’arrêt du tabac ne s’exprime pas sur l’intérêt d’une diminution progressive du tabac par rapport à son arrêt brutal lorsqu’une date est convenue pour arrêter de fumer (3). Le guide du CKS (Clinical Knowledge Summaries) préconise de commencer par conseiller l’arrêt brutal du tabac. Si ce n’est pas possible, il est possible d’envisager de commencer par réduire le nombre de cigarettes avec un recours à des médicaments de substitution nicotinique. Le message essentiel doit rester que l’arrêt complet est de loin la meilleure option et que fumer moins n’est pas une alternative à un arrêt complet (4). Les résultats de la présente méta-analyse suggèrent qu’une diminution progressive du tabac ne donne pas de moins bons résultats que son arrêt brutal. Cette méta-analyse ne permet pas de déterminer le type de patient à cibler pour cette approche, ni quelles sont les meilleures méthodes de diminution ni sur quelle durée cette diminution est préférable.

 

 

Références

  1. Hughes JR, Keely J, Naud S. Shape of the relapse curve and long term abstinence among untreated smokers. Addiction 2004;99:29-38.
  2. Ferguson J, Bauld L, Chesterman J, Judge K. The English smoking treatment services: one year outcomes. Addiction 2005;100(suppl2):59-69.
  3. Chavannes NH, Kaper J, Frijling BD, et al. NHG-Standaard Stoppen met roken. Huisarts Wet 2007:50:306-14.
  4. National Institute for Health and Care Excellence, Clinical Knowledge Summaries. Smoking cessation. Last revised in October 2012.
  5. Hughes JR, Callas PW, Peters EN. Interest in gradual cessation. Nicotine Tob Res 2007;9:671-5.
  6. Lindson N, Aveyard P, Hughes JR. Reduction versus abrupt cessation in smokers who want to quit. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 3. Update in: Cochrane Database Syst Rev 2012; Issue 11.
  7. Pisinger C, Vestbo J, Borch-Johnsen K, Jørgensen T. Smoking reduction intervention in a large population-based study. The Inter99 study. Prev Med 2005;40:112-18.
  8. Cropsey KL, Jackson DO, Hale GJ, et al. Impact of self-initiated pre-quit smoking reduction on cessation rates: results of a clinical trial of smoking cessation among female prisoners. Addict Behav 2011;36:73-8.
  9. Moore D, Aveyard P, Connock M, et al. Effectiveness and safety of nicotine replacement therapy assisted reduction to stop smoking: systematic review and meta-analysis. BMJ 2009;338:867-80.
  10. Hughes JR, Carpenter MJ. Does smoking reduction increase future cessation and decrease disease risk? A qualitative review. Nicotine Tob Res 2006;8:739-49.
  11. Asfar T, Ebbert JO, Klesges R, Relyea GE. Do smoking reduction interventions promote cessation in smokers not ready to quit? Addict Behav 2011;36:764-8.
Fumer : arrêter subitement ou progressivement ?

Auteurs

Boudrez H.
psycholoog-tabacoloog, Universiteit Gent
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