Revue d'Evidence-Based Medicine



Acupuncture pour les douleurs chroniques ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 5 Page 58 - 59

Professions de santé


Analyse de
Vickers AJ, Cronin AM, Maschino AC, et al; Acupuncture Trialists’ Collaboration. Acupuncture for chronic pain: individual patient data meta-analysis. Arch Intern Med 2012;172:1444-53.


Question clinique
Quelle est l’efficacité antalgique de l’acupuncture chez des patients présentant des douleurs chroniques rachidiennes (cervicales et dorso-lombaires), arthrosiques (gonarthrose), céphaliques ou scapulaires, versus acupuncture factice ou versus contrôle sans acupuncture ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique sur données individuelles avec méta-analyses suggère que l’acupuncture est un traitement efficace d’une douleur lombaire, d’une douleur cervicale, de gonarthrose ou de céphalées sur une durée d’évaluation fort variable (de 1 à 24 mois), versus placebo ou, dans une mesure moindre, versus acupuncture factice. Les patients inclus ne sont pas caractérisés et le nombre de répondeurs (au moins 50% de diminution de la douleur) versus traitement contrôle sans acupuncture est limité (20% en plus). Le coût individuel de l’intervention reste également à prendre en considération.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Contexte

L’acupuncture est un traitement utilisé par de nombreux patients, pour des indications diverses, notamment pour soulager différents types de douleurs. L’efficacité de l’acupuncture, et plus rarement sa sécurité, ont été évaluées dans de nombreux domaines et ont fait l’objet de nombreuses études et synthèses. Nous vous avons déjà présenté une analyse brève d’une synthèse des synthèses concernant l’acupuncture pour soulager la douleur (1,2). Cette analyse soulignait les résultats non concordants des synthèses et des études originales incluses, souvent de faible qualité, et l’utilisation de critères de jugement différents selon les études qui ne facilitaient pas la tenue de conclusions plus générales. En se basant sur des RCTs de méthodologie valide, sur des données individuelles et sur une ampleur d’effet (pour tous les critères de jugement primaires), cette nouvelle méta-analyse essaie de contourner les obstacles décrits ci-dessus.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse sur données individuelles

Sources consultées

  • bases de données: MEDLINE, Cochrane Collaboration Central Register of Controlled Trials et clinicaltrials.gov, sans restriction de langue, jusque 2008 (RCTs avec données individuelles) et 2010 (RCTs avec données agrégées)
  • liste de références des synthèses méthodiques.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs avec secret d’attribution correct, comparant l’acupuncture à une acupuncture factice ou à un groupe contrôle sans acupuncture pour des patients présentant des douleurs rachidiennes (cervicales ou non spécifiques), arthrosiques (5 études sur 6 dans la gonarthrose), céphaliques ou scapulaires, douleurs présentes depuis minimum 4 semaines, pour tout critère d’évaluation primaire mesuré minimum 4 semaines après l’intervention
  • critères d’exclusion des méta-analyses : pour les comparaisons versus acupuncture factice, exclusion des études avec probabilité de biais lié à un non respect de l’insu
  • 83 RCTs localisées dont 29 ont pu être utilisées (2 RCTs sans données individuelles disponibles sur les 31 demandes effectuées aux auteurs « originaux »).

Population étudiée

  • 17 922 patients (N=29) (USA, UK, Allemagne, Espagne et Suède)
    • 5 320 patients (N=20) versus acupuncture factice
    • 14 597 patients (N=18) versus contrôle sans acupuncture (e.a. soins courants, listes d’attente, sessions de groupe,…)
  • pas de mention des caractéristiques des patients
  • co-interventions autorisées de manière très variable selon les études (e.a. traitements antalgiques, médicamenteux ou non).

  

Mesure des résultats

  • critère primaire : ampleur d’effet (taille d’effet) de l’acupuncture versus comparateur avec IC à 95% pour le critère primaire de l’étude standardisé (score divisé par l’écart-type de la sommation)

Remarque sur les critères primaires dans les différentes études : par exemple sévérité des céphalées, Echelle Visuelle Analogique de la douleur, SF-36 pour la douleur somatique, WOMAC, WOMAC Pain subscore.

  

Résultats

  • sorties d’étude : moyenne pondérée de 10%
  • ampleur d’effet : voir tableau.

 

Tableau. Ampleur d’effet de l’acupuncture versus acupuncture factice ou versus groupe contrôle sans acupuncture, avec IC à 95% et valeur p de l’hétérogénéité, en analyse en modèle d’effets fixes* ou aléatoires.

 

Acupuncture vs acupuncture factice

Acupuncture vs groupe contrôle sans acupuncture

Douleurs rachidiennes

0,52 (0,14 – 0,90)

p<0,001

0,51 (0,36 – 0,67)

p<0,001

Douleurs arthrosiques

0,37 (0,03 – 0,72)

p<0,001

0,57 (0,29 - 0,85)

p<0,001

Douleurs céphaliques

0,15 (0,07-0,24)

p = 0,31*

0,38 (0,22-0,55)

p<0,001

Douleurs scapulaires

0,62 (0,46-0,77)

p = 0,44*

pas de méta-analyse possible

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’acupuncture est efficace pour le traitement de douleurs chroniques et constitue donc une option correcte pour une référence.. Les différences significatives entre l’acupuncture et l’acupuncture factice montrent que l’acupuncture est plus qu’un placebo. Ces différences sont cependant relativement modestes, ce qui suggère que, en plus de l’effet spécifique des aiguilles, il existe d’autres facteurs importants dans l’efficacité thérapeutique de l’acupuncture.

Financement

National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM) du National Institute of Health (USA) & Samueli Institute (organisation non lucrative de recherche pour les médecines alternatives et complémentaires) qui ne sont intervenus à aucun des stades de la recherche.

Conflits d’intérêt des auteurs 

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec 7 méta-analyses est de bonne qualité, n’incluant que des RCTs jugées de bonne qualité sur le critère du respect du secret d’attribution. L’analyse de nombreux autres biais classiques (biais de performance, de réponse,…) ne semble pas avoir été effectuée. L’intérêt majeur de cette synthèse, par rapport aux précédentes, est qu’elle repose sur des données individuelles (29 RCTs sur 31). En utilisant l’ampleur de l’effet standardisé qui permet de regrouper les études avec des critères d’évaluation primaires différents, les auteurs ont réussi ce que d’autres n’avaient pu précédemment réaliser. Ils ont aussi recherché mais non identifié un biais de publication et ils estiment qu’il faudrait 47 RCTs avec 100 patients et montrant un résultat différent pour modifier les résultats des méta-analyses acupuncture versus acupuncture factice. Ils ont recherché une hétérogénéité statistique (sans test I2 donné) et la mentionnent comme présente dans 5 des 7 méta-analyses réalisées. Ils expliquent celle-ci par des différences importantes de traitement dans les groupes « contrôle » (traitement classique fort différent d’un traitement par kinésithérapie individualisé avec relation avec un thérapeute comme dans l’acupuncture) mais aussi dans les groupes comparateurs « acupuncture factice ». Ils confortent également leurs résultats favorables à l’acupuncture en pratiquant d’autres analyses de sensibilité ainsi qu’en incluant les données agrégées de 4 RCTs plus récentes.

Interprétation des résultats

Cette synthèse ramène (et réduit) la notion de douleurs chroniques à une durée d’au moins 4 semaines et ne concerne que 4 domaines : lombalgies et cervicalgies, arthrose, céphalées chroniques et douleurs de l’épaule. Elle ne donne aucun détail sur les individus inclus dans les études.

Les auteurs montrent un bénéfice de l’acupuncture versus contrôle, sauf pour les douleurs scapulaires (données insuffisantes), et de l’acupuncture versus acupuncture factice, avec une ampleur plus faible. Cette différence entre les deux comparaisons est encore plus franche quand les auteurs excluent les études qui provoquent l’hétérogénéité (études les plus favorables pour l’acupuncture !).

Comme le soulignent les auteurs et un commentateur de cette recherche (3), il existe une importante hétérogénéité entre les différentes études incluses : critères de jugement différents (mesure de l’effet antalgique avec 7 échelles de mesures différentes dans les 15 RCTs pour les douleurs rachidiennes, récupération fonctionnelle ou autres), co-traitements différents (biais de performance), différences entre les groupes comparateurs, absence des caractéristiques des patients, variabilité du délai de l’évaluation (entre 1 et 24 mois). Il n’y a que pour la variabilité des critères de jugement qu’une solution statistiquement correcte est trouvée : la mesure de l’ampleur d’efficacité. Celle-ci est cependant une notion abstraite (sans unité) pour le clinicien. Les auteurs donnent des données cliniquement plus parlantes. En définissant une réponse à un traitement de la douleur par une diminution d’au moins 50% de celle-ci, 30% des patients sont répondeurs à un traitement placebo, 42,5% répondent à une acupuncture factice et 50% répondent à l’acupuncture. L’effet placebo est donc important et le taux de réponse reste globalement relativement faible : 1 personne sur 5 bénéficie réellement du traitement acupuncture en lui-même.

Comme le reconnaissent les auteurs, l’efficacité de l’acupuncture, en pratique, est liée à l’effet spécifique des aiguilles insérées à l’endroit adéquat (ce qui est discuté !) mais aussi à l’effet physiologique non spécifique du fait d’implanter des aiguilles et à l’effet placebo (dit psychologique non spécifique).

Autres études

Une synthèse des synthèses concernant l’acupuncture pour soulager la douleur (1) soulignait la non concordance des différentes synthèses (2). Celles-ci concluent soit à une faiblesse des preuves ne permettant pas de conclusions (2 synthèses méthodiques de bonne qualité de la Cochrane Collaboration, l’une pour les lombalgies (4), l’autre pour les douleurs d’épaule (5)), soit ne font pas de méta-analyse (synthèses plus anciennes (6,7)).

Une autre synthèse (8) évaluant l’efficacité antalgique de l’acupuncture versus acupuncture factice ou absence d’acupuncture a conclu à une efficacité non cliniquement pertinente avec hétérogénéité importante (I2=66%).

Trois autres synthèses méthodiques de la Cochrane montrent : un intérêt de l’acupuncture en cas de gonarthrose, de coxarthrose ou d’arthrose de la main versus listes d’attente mais non versus acupuncture factice (9) ; un intérêt de l’addition de l’acupuncture aux traitements de prévention de la migraine versus absence d’ajout mais non versus acupuncture factice (10) ; un intérêt de l’acupuncture versus autres comparateurs (y compris acupuncture factice) en cas de céphalées de tension fréquentes (11).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique sur données individuelles avec méta-analyses suggère que l’acupuncture est un traitement efficace d’une douleur lombaire, d’une douleur cervicale, de gonarthrose ou de céphalées sur une durée d’évaluation fort variable (de 1 à 24 mois), versus placebo ou, dans une mesure moindre, versus acupuncture factice. Les patients inclus ne sont pas caractérisés et le nombre de répondeurs (au moins 50% de diminution de la douleur) versus traitement contrôle sans acupuncture est limité (20% en plus). Le coût individuel de l’intervention reste également à prendre en considération.

 

Pour la pratique

Le consensus de l’INAMI de 2007 concernant le traitement de la douleur en ambulatoire (12) n’a pas abordé l’intérêt éventuel de l’acupuncture. Un guide de pratique étatsunien récent (13) concernant le traitement de la douleur chronique mentionne que l’acupuncture peut être prise en considération comme traitement adjuvant à un traitement conventionnel pour les lombalgies non spécifiques non-inflammatoires.

Les méta-analyses sur données individuelles présentées ici n’incitent pas, au vu de leurs imprécisions pour la pratique, à recommander systématiquement ce traitement en cas de douleur de plus de 4 semaines.

 

Références

  1. Ernst E, Lee MS, Choi TY. Acupuncture: does it alleviate pain and are there serious risks? A review of reviews. Pain 2011;152:755-64.
  2. Chevalier P. Acupuncture : synthèse de son efficacité antalgique et de sa sécurité. Minerva online 28/01/2012.
  3. Avins AL. Needling the Status Quo. [Comment] Arch Intern Med 2012;172:1454-5.
  4. Furlan AD, van Tulder MW, Cherkin DC, et al. Acupuncture and dry-needling for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 1.
  5. Green S, Buchbinder R, Hetrick S. Acupuncture for shoulder pain. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 2.
  6. White AR, Ernst E. A systematic review of randomized controlled trials of acupuncture for neck pain. Rheumatology (Oxford) 1999;38:143-7.
  7. Ezzo J, Hadhazy V, Birch S, et al. Acupuncture for osteoarthritis of the knee: a systematic review. Arthritis Rheum 2001;44:819-25.
  8. Madsen MV, Gøtzsche PC, Hróbjartsson A. Acupuncture treatment for pain: systematic review of randomised clinical trials with acupuncture, placebo acupuncture, and no acupuncture groups. BMJ 2009;338:a3115.
  9. Manheimer E, Cheng K, Linde K, et al. Acupuncture for peripheral joint osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  10. Linde K, Allais G, Brinkhaus B, et al. Acupuncture for migraine prophylaxis. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 1.
  11. Linde K, Allais G, Brinkhaus B, et al. Acupuncture for tension-type headache. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 1.
  12. Consensus INAMI. L'usage efficient de médicaments dans le traitement de la douleur en soins ambulatoires. Novembre 2007.
  13. American Society of Anesthesiologists Task Force on Chronic Pain Management, American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine. Practice guidelines for chronic pain management: an updated report by the American Society of Anesthesiologists Task Force on Chronic Pain Management and the American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine. Anesthesiology 2010;112:810-33.
Acupuncture pour les douleurs chroniques ?



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